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Quels projets à présent ?

Couvertures de mes trois romans policiers historiques de la série Capitaine Dargent, parus aux éditions du 81

Faisons le point. Avec la parution de Coup de froid sur Amsterdam le mois dernier, cela me fait en tout cinq romans au compteur, dont trois pour la série Capitaine Dargent, aux Éditions du 81, des polars historiques qui se déroulent sous la Révolution et l’Empire. Des aventures qui m’ont menée jusqu’ici à Calais, Paris, Amsterdam… Et ensuite ?

Eh bien, ma foi, on continue ! J’ai déjà terminé un quatrième tome, qui se situe en Angleterre durant la paix d’Amiens en 1802, bref intermède durant les guerres napoléoniennes, et je travaille actuellement à un cinquième qui aura pour cadre le nord de l’Italie, juste au lendemain de Marengo. Un peu de voyage dans l’espace aussi bien que dans le temps ! Et je peux garantir que j’ai assez de sujets en tiroir pour poursuivre jusqu’en 1815 et au-delà.

Pas trop mal, vous me direz, pour une série commencée au printemps 2020 ?

Ce n’est pas tout. Je laisse un peu de côté mon tout premier roman, L’Héritier du Tigre, une aventure de fantasy située dans un monde imaginaire, qui a trouvé une seconde vie sur Internet après la faillite de l’éditeur d’origine, et qu’on peut désormais lire ou relire sur la plateforme Vivlio Stories.

Et puis il y a Augusta Helena, mon gros roman historique publié en deux tomes aux Éditions du 81. Celui-là explore le monde antique aux débuts de l’empire romain chrétien. On suit son héroïne, Hélène, mère de l’empereur Constantin, de Rome jusqu’à Jérusalem, lors du grand périple au cours duquel elle a découvert (ainsi du moins le dit la légende) la plus importante relique du Christ : la Vraie Croix. Une aventure humaine autant qu’une enquête policière sur des meurtres mystérieux dans l’entourage impérial.

Je l’ai écrit un peu avant de me lancer dans la série révolutionnaire, mais je n’exclus pas d’y revenir un jour, qui sait…

À Amsterdam dans le creuset de la Révolution

Pourquoi Amsterdam ? Tiens oui, pourquoi ? Les précédents tomes des aventures du capitaine Dargent se situaient en France, l’un sur la côte picarde, l’autre à Paris. Soudain, on part pour un petit voyage dans l’espace, en plus du voyage dans le temps…

Image : cavaliers sur la glace au pied de grands voiliers
Aquarelle de Léon Morel-Fatio (XIXe siècle), La prise de la flotte hollandaise au Texel

Et justement, pourquoi pas ? En faisant des recherches pour un précédent roman, j’étais tombée sur l’histoire de cette étrange campagne de Hollande de 1794-95, quand une vague de froid séculaire avait gelé comme de la pierre les rivières et les canaux qui jusqu’ici avaient servi de douves protectrices au pays… C’était un cadre frappant, iconique, même.

Et puis les récits de voyage et les mémoires écrits par des contemporains étaient pleins d’anecdotes curieuses sur cette exotique contrée, la République des Provinces-Unies, alors l’un des plus riches et des plus modernes du monde. Un pays où les voyageurs étaient frappés par le luxe et la propreté des villes, depuis les trottoirs dans les rues jusqu’aux maisons particulières qui pouvaient avoir leur propre musée privé ; mais aussi par la tolérance qui permettait à des communautés religieuses diverses de vivre ensemble paisiblement (là, cela fait encore rêver un peu aujourd’hui)…

Mais c’étaient aussi des temps troublés, pas seulement par la guerre entre la France révolutionnaire et la Coalition monarchique en Europe. Les Provinces-Unies étaient en déclin depuis quelques dizaines d’années, rattrapés par le décollage économique de l’Angleterre, qui les avaient aussi rudement étrillés sur mer et dans des affrontements coloniaux. On était loin de l’âge d’or du temps de Rembrandt et Vermeer, quand la Compagnie des Indes néerlandaises se taillait un empire en Asie et en Amérique. En 1795, il en restait quelques beaux fleurons, mais l’Amérique du Nord était définitivement perdue pour les Hollandais (New Amsterdam devenue New York), et la Compagnie allait bientôt devoir déposer son bilan.

La Hollande était encore riche, mais aussi très endettée, ce qui rendait assez tendues les relations entre elle et les autres provinces. Les débats politiques locaux opposaient les partisans de l’autonomie de chacune des provinces aux partisans d’une plus grande union, gage d’efficacité pour continuer à faire le poids face aux grands États européens, concurrents ou adversaires.

Adriaan de Lelie, « Le général Daendels prenant congé de Krayenhoff », 1795 (toile montrant des patriotes hollandais en uniforme français)

L’autre grande division politique opposait les partisans de la monarchie, sur le modèle anglais, aux républicains qui auraient voulu étendre les droits des citoyens ordinaires. L’irruption de la République française dans le concert européen était à la fois un repoussoir pour le parti aristocratique et une source d’inspiration pour les « patriotes », comme on appelait les démocrates.

Et bien sûr, il y avait cette confrontation soudaine entre Français et Néerlandais, cette alliance de circonstances entre républicains des deux pays. Ce n’était pas juste une guerre de conquête, même si la France allait revendiquer la rive gauche du Rhin, donc une bonne partie du pays, de Maastricht à Flessingue, mais aussi la rencontre de deux mouvements révolutionnaires : pour les Néerlandais, la revanche sur la défaite de leur tentative de révolution démocratique en 1787, écrasée par une intervention armée anglo-prussienne, et pour les Français, la première alliance politique et militaire avec un autre pays important en Europe. Et en 1795, la France, fatiguée par trois ans de guerre sur tous les fronts, en avait rudement besoin.

La conquête de la Hollande s’est donc faite assez vite et avec relativement peu de sang versé, en comparaison d’autres théâtres d’opérations. Les patriotes hollandais étaient d’ailleurs nombreux dans l’armée française : ceux qui avaient porté les armes en 1787 s’étaient exilés chez nous, et étaient aux avant-postes pour l’expédition des Pays-Bas.

Il en est résulté ce que les historiens néerlandais appellent de Franse tijd, la période française, qui englobe la République batave (alliée et satellite de la française) et le royaume napoléonien des Pays-Bas qui lui a succédé. L’actuel royaume des Pays-Bas en est l’héritier direct, après changement de dynastie en 1814. C’est dire si ces quelques années ont été cruciales.

Et puis il y a des épisodes absolument fascinants, comme l’épisode de la prise de la flotte hollandaise par les hussards français… Comme je l’ai montré ailleurs, c’est un peu plus compliqué ! Mais cela a offert au roman une de ses scènes-clefs.

Alors, si vous êtes d’accord vous aussi pour le voyage…

Coup de froid sur Amsterdam, roman policier historique, par Irène Delse, ISBN 978-2915543841, aux Éditions du 81, le 16 février 2024. Chez CulturaGibert, La Procure, à la Fnac ou au Furet du Nord, chez Decitre, sur Amazon, et bien sûr chez des libraires indépendants.

Etta Palm, Joachim Murat, personnages historiques et personnages de roman

Vignette arrondie : gravure du XVIIIe représentant un homme et une femme en costume aristocratique en train de s'enlacer

Poursuivons la galerie des personnages qu’on peut croiser dans les pages de mon roman Coup de froid sur Amsterdam, un polar historique qui se déroule sous la Révolution française, pendant l’invasion de la Hollande de 1795.

Il y en a une qui est assez peu connue du grand public, Etta Palm d’Aelders, même si les historiens récents se sont intéressés à son rôle dans le développement des idées féministes. Hollandaise, mais francophile, elle a longtemps vécu dans la France de Louis XV et Louis XVI, où elle a notamment joué le rôle de ce que nous appellerions une lobbyiste pour le gouvernement du Stathouder des Pays-Bas, contribuant à dissuader la France d’intervenir durant l’insurrection de 1787. On dirait aussi espionne ou agent d’influence.

Détail d'une gravure représentant Etta Palm : blonde, avec des boucles ramenées sur le sommet de la tête, et un fichu masquant la gorge

Élégante, cultivée, elle tenait un de ces salons qui ont fait beaucoup pour la réputation de la France des Lumières. Jusque-là plutôt alignée avec les intérêts de l’aristocratie, tant dans son pays qu’en France, elle devient assez radicale pendant la Révolution, participant à des clubs féminins ou mixtes de patriotes, où elle débat avec vivacité et conviction pour les droits des citoyennes.

Gravure révolutionnaire représentant un groupe de femmes en bonnet et fichu, réunies autour d'une table et écoutant une oratrice

Ce sont ces discours qui ont fait d’elle une icône proto-féministe. Pendant ce temps, Etta Palm était toujours en relation avec le gouvernement aristocratique du Stathouder en Hollande, ainsi qu’avec d’autres membres de la Coalition anti-Révolution, dont elle recevait de l’argent. Quand la Révolution s’est propagée aux Pays-Bas, cela lui a valu des ennuis avec la justice de son pays, passant même quelques années en prison.

Elle apparaît dans mon roman entre ces deux points forts de sa vie, du sommet d’influence au nadir, et je me garde bien de prononcer un jugement personnel sur son rôle, même si les autres personnages, surtout les républicains, ne la portent pas dans leur cœur.

Un autre personnage hors normes qui fait une apparition entre les pages du jugement : un certain Joachim Murat, alors simple chef d’escadron d’un régiment de chasseurs à cheval. Quelques mois après ses aventures aux Pays-Bas, il entrerait dans l’orbite du général Napoléon Bonaparte lors de l’insurrection royaliste de Vendémiaire à Paris. C’est Murat qui ramène les canons grâce auxquels le jeune général mate le soulèvement.

Gravure coloriée représentant Murat jeune, en uniforme vert de chasseur à cheval, ses longs cheveux noirs bouclés sur les épaules

On verra que certains de mes personnages ne sont pas très fans du flamboyant Murat, pour des raisons diverses. Mais j’espère avoir donné un aperçu à la fois pas trop éloigné de la vérité historique et sortant un peu des clichés et sentiers battus.

Enfin, on voit se profiler dans le roman un personnage vraiment controversé : le général Pichegru. Son nom est pour toujours attaché à sa trahison de 1797, mais juste deux ans plus tôt, en 1795, il était encore le héros de l’armée du Nord, le conquérant des Pays-Bas, et son nom est toujours gravé sur l’Arc de Triomphe.

En 1795, il devait commencer à donner de l’ombrage au gouvernement et à la Convention, à Paris. On était conscient qu’un général victorieux pouvait vite se transformer en dictateur. Tout le monde connaissait l’histoire de Jules César, ou encore le cas de Cromwell en Angleterre. Ce serait d’ailleurs bientôt ce qui se passerait avec Napoléon.

Gravure représentant Charles Pichegru en tenue de général de la Révolution, avec un bicorne à plumet tricolore

Quant aux événements du roman,  j’ai utilisé mon imagination, dans les limites de ce qu’on sait des faits historiques. Une bonne partie du matériel vient du livre de l’historien Olivier Blanc sur Les Espions de la Révolution et de l’Empire. Lecture stimulante, tout comme ses ouvrages Les Libertines et L’Amour à Paris au temps de Louis XVI, qui m’ont déjà bien servi pour Mort d’une Merveilleuse.

Coup de froid sur Amsterdam, roman policier historique, par Irène Delse, ISBN 978-2915543841, aux Éditions du 81, le 16 février 2024. Chez CulturaGibert, La Procure, à la Fnac ou au Furet du Nord, chez Decitre, sur Amazon, et bien sûr chez des libraires indépendants.

La bonne résolution : un nouveau roman

Tableau de L.-F. Lejeune représentant la bataille de Marengo (14 juin 1800), avec les Français au premier plan

Pour l’année 2024, ce sera facile de tenir mes bonnes résolutions : je les ai déjà entamées depuis quelques jours, avec l’écriture d’un nouveau roman. Ce sera le cinquième de ma série policière historique, « Capitaine Dargent », dont deux premiers épisodes ont paru jusqu’ici aux Éditions du 81.

On reste dans la période napoléonienne : après Du sang sur les dunes qui se déroulait du camp de Boulogne à la bataille d’Austerlitz en 1805, après Mort d’une Merveilleuse, situé sous le Directoire fin 1797, juste après la première campagne d’Italie, on est cette fois à l’été 1800, dans un petit patelin appelé Marengo… Je n’en dis pas plus, comme d’habitude il s’agit d’intrigues obscures et de meurtres mystérieux, en marge de la grande Histoire mais tout de même étroitement mêlés à celle-ci.

Et puis ce sera aussi l’occasion de revisiter ce chapitre haut en couleur de notre roman national. Le chapitre est riche à bien des plans, et truffé de questions non résolues. Exactement ce qu’il faut pour stimuler l’imagination.

Les deux casquettes du père Bugeaud

Tableau : assaut d'un couvent à Saragosse par l'armée française, 1809

Qui sait aujourd’hui, à part quelques historiens et passionnés, que le fameux maréchal Bugeaud, dont le nom est associé à la conquête de l’Algérie, avait aussi participé aux guerres napoléoniennes ? En particulier, il avait développé en Espagne les tactiques anti-guérilla qui allaient lui servir pour la répression de l’insurrection d’Abd-el-Kader.

Ce que je trouve intéressant, c’est que ce chapitre-là n’est pas abordé dans les débats sur l’opportunité de débaptiser l’avenue Bugeaud à Paris. Et pourtant il n’y a qu’une trentaine d’années entre le sanglant siège de Saragosse et les débuts de Bugeaud en Algérie. Ce n’est pas comme si l’un disparaissait dans les limbes tandis que l’autre était tout récent.

J’ai déjà dit ailleurs ce que je pensais du révisionnisme urbain en tant que tel. C’est un autre aspect de la question que j’évoque aujourd’hui.

Pourquoi certains crimes de guerre jouent-ils, de fait, un rôle plus que d’autres dans la mémoire qu’on se fabrique en France et ailleurs ? C’est une vraie question. Le fait que l’Espagne est à présent avec nous dans l’Union européenne doit jouer : les murs sont tombés, même si les Pyrénées sont toujours là. Et puis c’est une guerre que la France a perdue, alors le désir de s’en souvenir tend à ne pas être prioritaire. Autant demander où est Alésia…

Le ressentiment s’est-il vraiment dissipé ? En Espagne, en tout cas, on conserve très sérieusement le souvenir de cette guerre contre les Français qu’on appelle là-bas la guerre d’indépendance.

Mais il n’y a pas chez nous de mouvement pour réclamer de débaptiser l’avenue Bugeaud pour cela, ni les boulevard Soult, Masséna ou Murat. Les rapines de Soult dans la Péninsule, la répression du soulèvement de Madrid par Murat (les fameux Dos et Tres de Mayo immortalisés par Goya), les meurtres et les viols, tout cela semble bien loin. On se souvient aussi un peu chez nous de la férocité qui régnait également dans la guérilla, qui n’était pas composée, certes, d’enfants de chœur. Mais cela ne fait pas débat à la façon dont la conquête de l’Algérie agite les passions.

On semble oublier que la France avait bel et bien tenté de coloniser l’Europe. Tout se passe comme si cette colonisation-là ne comptait pas. Comme si c’était moins grave de massacrer des gens du même continent ou de la même couleur de peau.

Ce qui est tout aussi condescendant, et même raciste, si on y regarde bien, que l’attitude inverse.

Napoléon dans le multivers

Un ami qui venait d’assister à une avant-première du film a eu ce verdict amusé : « Un Napoléon prédateur, une espèce d’alien. »

C’est peut-être la meilleure façon de regarder le fameux et controversé Napoléon de Ridley Scott : comme un récit d’aventures épiques dans un univers parallèle, dans la veine d’Avatar ou de La Guerre des étoiles, se déroulant non pas dans la réalité historique de la France et du monde des XVIIIe et XIXe siècle, mais dans une galaxie très très lointaine. Et mieux vaut de ce point ce vue aller à une séance en VO anglaise, pour ne pas être tenté de se croire en pays connu.

Bizarre de prendre des événements et personnages historiques pour en faire une histoire qui s’en écarte autant ? Ce n’est pas la première fois. Il n’y avait déjà pas beaucoup de réalité féodale dans Kingdom of Heaven, et les Romains de Gladiator n’ont pas grand-chose à voir avec ceux dont nous avons conservé la trace.

Oh, pas de façon évidente, certes ! Les costumes et le décor sont excellents, les armes, les accessoires, etc. Mais les relations sociales, les mentalités, la politique, tout cela est un peu… Disons fictif, pour être polie. Les médiévaux qui expriment des idées morales et philosophiques issues tout droit des Lumières, par exemple. Ou une Rome où les idées sur la famille et le pouvoir  ressemblent plus à celles de Shakespeare que de Tacite.

Mort d’une Merveilleuse : après la Campagne d’Italie, les intrigues du Directoire…

Et puis il y a la façon dont Scott se laisse emporter par le désir de faire des scènes iconiques. Placer un jeune Napoléon Bonaparte sur le passage de la charrette menant Marie-Antoinette à l’échafaud : quelle belle image ! Quel raccourci visuel sur le passage de la Révolution à l’Empire ! Dommage que cela n’ait bien sûr jamais eu lieu.

Ou bien prenez cette bizarre canonnade des pyramides… À quoi bon, sur le plan militaire ? On ne se battait pas contre le spectre de Khéops !

Plus gênant, le fait qu’un film qui se propose de raconter la vie du fondateur de la France moderne fasse l’impasse sur toutes les questions politiques : reconstruction après la Révolution, centralisation, création d’institutions qui durent encore aujourd’hui, comme les préfets, le « Code Napoléon », les lycées, et hors de France la création du royaume des Pays-Bas, la promotion de l’unité italienne et de l’idée de nation en Pologne… Ce ne sont pas juste Marengo et Austerlitz qui ont fait de Napoléon ce qu’il était. C’était autant un bâtisseur qu’un conquérant, sinon il n’aurait pas laissé la marque qu’il a laissée dans l’histoire. Et ne parlons même pas de l’épisode suivant, le Second Empire. L’ombre des Bonaparte plane sur tout le siècle. Pas besoin d’être inconditionnel de Napoléon pour le reconnaître.

Nombreux sont les historiens qui ont réservé au film un accueil sceptique, surtout en France, et le réalisateur réagit, il faut bien l’avouer, avec les accents de quelqu’un dont l’ego est blessé et qui ne comprend pas pourquoi tout le monde ne tombe pas en admiration devant le fruit de ses travaux. « Pétulant », pourrait-on dire. Ou « vexé ».

Mais je ne le plaindrai pas. Les débats autour du film ne peuvent qu’attirer plus d’attention et d’intérêt public. Et déjà on y voit une œuvre qui marquera sa génération : c’est « le » Napoléon du XXIe siècle, du moins jusqu’au prochain. Et qui sait ? Ce sera peut-être l’occasion de raviver l’intérêt pour l’histoire en général et le tournant des années 1800 en particulier. Une époque cruciale pour comprendre le monde tel que nous le connaissons, pour comprendre d’où nous venons.

Du sang sur les dunes : quand Napoléon voulait envahir l’Angleterre…

Quels rapports entre la recherche historique et la fiction historique ? Comment être fidèle à la réalité qu’ont vécu nos ancêtres sans se perdre dans des détails anecdotiques ?

Je ne suis que l’une parmi les nombreux auteurs qui ont utilisé la Révolution et l’Empire comme toile de fond de romans. Est-ce que j’espère que ceux-ci profiteront peu ou prou d’une Napoléomania inspirée par ce film ? À votre avis !

« Ce sera important après la guerre » : revisiter l’actualité par les romans, et vice versa

Je viens de terminer un roman sur une trêve momentanée durant la longue guerre entre deux ennemis héréditaires, deux nations qui avaient toutes les raisons chacune ce voir l’autre comme le diable. Je veux parler bien sûr de la France et de l’Angleterre, qui ont brièvement déposé les armes en 1802 pendant ce qu’on a appelé la Paix d’Amiens. Un an plus tard, les hostilités allaient reprendre. Ça ne s’arrêterait vraiment qu’avec Waterloo.

L’an dernier, à la même époque, je mettais la dernière main à un autre polar historique situé durant la campagne de Hollande de 1795, lorsque les armées de la jeune République française entraient à Amsterdam avec l’approbation d’un bon nombre de Hollandais favorables aux idées démocratiques. Contrairement à ce qui se passait en même temps dans le monde actuel avec l’invasion russe en Ukraine, les conquérants ont été réellement accueillis à bras ouverts, au moins dans un premier temps. Il faut dire qu’ils se conduisaient bien mieux que les troupes de Poutine envers les populations, même selon les habitudes de l’époque. Et il y avait dans leurs rangs de nombreux Néerlandais exilés lors d’une précédente tentative de révolution, qui rentraient tout simplement chez eux en libérateurs. (Pour information, le roman devrait paraître en janvier février 2024.)

N’empêche, c’était une expérience un peu étrange pour moi d’écrire cette histoire à la fois si éloignée de la réalité de l’actualité, et si pleine de résonances !

Mais depuis que j’ai commencé à écrire des romans historiques, c’est une expérience qui commence à devenir familière. Le roman que j’ai écrit à l’été 2020, Du sang sur les dunes, se déroule en 1805, à la veille de la campagne d’Austerlitz, mais on y trouve des échos de sujets très présents dans les préoccupations d’aujourd’hui : rivalités de grandes puissances, effet disrupteur des innovations technologiques (des vaccins aux sous-marins), relations entre peuples européens et non-européens…

Le roman suivant, celui qui est paru cette année, Mort d’une Merveilleuse, parle beaucoup de crimes, à commencer par un féminicide qui ne surprend personne en 1797, hélas. Et puis aussi des crimes qu’on commet au nom de la politique : l’élimination physique de Louis XVI et de sa famille pour écraser la monarchie, tandis que du côté des Émigrés, passé un moment de décence, le futur Louis XVIIIe se consolait assez vite de ces morts qui faisaient de lui l’héritier du trône.

Mais je n’ai pas oublié non plus les milliers de victimes ordinaires de la Terreur, prises dans un engrenage qui les dépassait.

En France, nous dansons une drôle de danse entre la mémoire de la violence politique et sa glorification. Le terme « terroriste », il faut le rappeler, désignait d’abord les révolutionnaires partisans de la Terreur : Danton, Robespierre et compagnie. Le concept a connu une sacrée expansion depuis… (Et pour anticiper certaines critiques : non, je ne suis pas en train de minimiser la réalité du terrorisme aujourd’hui, en particulier les horreurs du Hamas. Au contraire, c’est sur le côté proprement sidérant de cet épisode de notre histoire que je cherche à mettre l’accent.)

Même si on s’éloigne encore plus dans le temps, comme avec mon roman Augusta Helena (paru en deux tomes aux Éditions du 81), situé à l’époque de Constantin, il peut y avoir des thèmes brûlants. Le rapport entre politique et religion, par exemple : on était aux tous débuts de l’alliance historique entre l’Église catholique et l’Empire romain, qui allait durer plus d’un millénaire sous sa forme directe, jusqu’à la chute de Constantinople. Mais les échos nous en parviennent encore sous différentes formes. L’idée d’un État à religion unique et totalisante, qui organise tous les aspects de la société, c’était une réalité en Europe jusqu’à une époque assez récente. C’est aussi l’idéal explicite des islamistes quand ils parlent d’un califat, mais bien sûr avec un livre saint différent.

Comment avoir la tête à écrire de la fiction au milieu des crises, quand à la pandémie succède la guerre, le terrorisme et puis encore la guerre, sans même parler des dérèglements du climat ? Et pourtant c’est plus que jamais nécessaire de garder un peu de quant à soi, de ne pas laisser la fascination engendrée par l’horreur consumer tout l’oxygène disponible…

Je ne dis pas que c’est facile. Mais c’est plus que jamais nécessaire.

Il y a une phrase très belle dans le roman autobiographique L’Enfant d’Hiroshima, d’Isoko et Ichirô Hatano, qui évoque le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. L’adolescent Ichirô, voyant que son père, contrairement à tous les hommes valides, ne participe pas à l’effort de guerre, même seulement pour cultiver des légumes et contribuer à l’approvisionnement, et au contraire reste dans ses livres, exprime sa frustration à sa mère, Isoko. Et celle-ci répond : « Ne te fâche pas contre lui. Le travail que fait ton père en ce moment sera important après la guerre. »

À notre école, à nos profs

Photos : Samuel Paty, Dominique Bernard

Juste pour rendre hommage à deux hommes, deux profs français, qu’on a assassinés parce qu’ils faisaient leur métier. Samuel Paty, et maintenant Dominique Bernard, victimes de fanatiques islamistes qui voient dans l’éveil des consciences leur pire ennemi.

Je ne vais pas faire tout une analyse politique, d’autres ont pour cela plus de compétentes que moi. Écoutez ou lisez Gilles Kepel, par exemple, qui a eu le tort, si l’on peut dire, d’avoir eu raison avant tout le monde.

Pour désarmer les tueurs de ce genre, on sait bien que ce n’est pas seulement de mesures de sécurité qu’il s’agit, même si elles sont primordiales. Oui, on doit mieux protéger les écoles. Oui, il faut être plus vigilant avec les gens dont le comportement est inquiétant. Mais ça ne suffira pas. C’est dans les têtes que cela se joue. C’est nous tous, hommes et femmes de bonne volonté, citoyens français ou non, qui devons être les remparts de l’école. Et nous devons le transmettre à nos enfants.

J’ai une pensée pour tous les enseignants dans ma famille. Ma mère, en particulier, prof de français et passionnée de Julien Gracq. Non, je n’invente pas ce détail. Cela me fait venir les larmes aux yeux rien que d’y penser.

Elle n’est plus là aujourd’hui. Elle aurait été horrifiée de ce qui s’est passé à Arras, mais je pense qu’elle n’aurait pas baissé les bras. Un jour, elle avait fait face à un élève qui avait sorti un couteau pour la menacer, parce qu’il était furieux d’avoir récolté une mauvaise note. Heureusement, ce jeune homme ne cherchait qu’à faire peur, et c’est lui qui a reculé quand il a vu qu’elle ne s’effrayait pas.

J’imagine très bien maman faisant comme Dominique Bernard, s’interposer devant un terroriste pour protéger les autres. Elle n’aurait pas hésité un instant. J’aimerais pouvoir penser que j’aurais ce courage moi aussi, le cas échéant.

On ne devrait jamais avoir à découvrir dans de telles circonstances ce qu’on a dans le ventre. Mais c’est ainsi. C’est le monde dans lequel on vit.

(Publié aussi sur mon blog Substack.)

La guerre civile qui n’a pas eu lieu

Photo : foule et drapeaux tricolores autour de la statue de la République à Paris, manifestation au lendemain des attentats de novembre 2015

« Mais qu’est-ce qu’il leur faut, dans ce pays ? »

C’était le cri du cœur d’un cadre du RN (ex-FN, comme on sait) en 2015, voyant qu’il n’y avait pas eu de raz de marée pour son parti dans les urnes. Eh oui, les Français avaient déjoué le calcul cynique à la fois de Daech et de l’extrême-droite en ne basculant pas dans la chasse aux sorcières contre les musulmans…

Par contre, ce qui s’est passé, et qui est une faute historique, c’est que toute une partie de la gauche (à peu près le périmètre de la Nupes, disons) n’a pas vu ça. Ils n’ont pas fait crédit à leurs compatriotes pour cette solidité, au contraire, ils ont redoublé d’accusations de racisme et d’islamophobie. On les a vu défiler avec des islamistes patentés pour attaquer la laïcité, l’école publique, la police, l’État… Et attiser la haine d’Israël, comme s’il en était besoin. Aujourd’hui, devant de nouveaux attentats, devant de nouveaux appels au djihad global, si l’union sacrée ne tient pas, il ne faudra pas venir pleurer.

Comme dans le poème si déchirant de Nazim Hikmet : « C’est un peu de ta faute, mon frère ».

(Aussi sur mon blog Substack.)

La première séparation des églises et de l’État en France

La loi de 1905 ? Non, bien avant ! La première séparation de ce genre date de 1794 (An II), sous la Convention thermidorienne, donc pas très longtemps après la chute de Robespierre.

Cela fait partie de l’arrière-plan de mes romans Mort d’une Merveilleuse et Coup de froid sur Amsterdam (aux Éditions du 81).

Petit rappel : la Révolution n’avait au départ aucun plan pour établir un régime laïque. La constitution civile du clergé de 1790, qui a mis la feu aux poudres avec les catholiques, prévoyait que la nation devrait désormais salarier les prêtres, bref que le culte serait désormais un service public. On sait que cela n’a pas été un grand succès, l’église constitutionnelle se trouvant un peu entre le marteau révolutionnaire et l’enclume de la tradition. Et d’autres initiatives, comme la promotion du culte de l’Être suprême ou de la déesse Raison n’ont pas rencontré un grand succès dans la population.

D’autre part, l’Assemblée nationale avait promulgué la liberté religieuse et la liberté de conscience avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et confié l’état-civil aux communes, à la place des registres paroissiaux (qui par définition excluaient les protestants et les juifs). De cette façon, non seulement cela mettait fin à une discrimination envers les minorités religieuses, mais cela ouvrait à tous la possibilité de ne pas avoir de religion du tout sans être pénalisé. Cela ouvrait un espace commun national non relié à une foi, laïque, en somme.

Or l’État en l’an II n’avait plus d’argent. On a donc supprimé le financement de l’église constitutionnelle, en laissant chaque culte se débrouiller pour s’organiser, du moins dans certaines limites.

Les manifestations publiques des cultes en revanche devaient en effet être soumises à autorisation, ce qui ne plaisait pas du tout aux catholiques on l’imagine, qui auraient voulu conserver pour eux leurs édifices et à qui on imposait de les partager une partie du jour ou de la semaine avec d’autres cultes… Cela pouvait donner lieu à des affrontements physiques, dont les archives de la police parisienne ont gardé la trace.

Je ne me suis pas gênée pour utiliser un incident de ce genre, le face à face tendu entre les fidèles catholiques de l’église Saint-Gervais à Paris et une congrégation théophilanthropique, une sorte de secte d’inspiration philosophique qui se trouve avoir un peu le vent en poupe en 1797 parce certains officiels y avaient adhéré. Les avatars de l’Être suprême avaient d’une certaine façon survécu à Robespierre. Mais au moins ce n’était plus une religion d’État.

Au contraire, l’État ne salariait et ne reconnaissait aucun culte… Une formule qui serait reprise un peu plus d’un siècle plus tard, après trois autres révolutions et demi-douzaine de régimes différents.