Les traces du passé dans les rues de nos villes

Faut-il supprimer cette plaque-là ? (Paris, 18ème, au pied du Sacré-Cœur)

Les débats sont une bonne chose. C’est un point ce départ. Il y a des gens qui disent : « Enlevons les symboles racistes de l’espace public », comme dans une tribune récente dans Jeune Afrique, c’est une parole à entendre, même si on peut penser que c’est une façon de verrouiller la réponse que de poser la question ainsi. Qui peut vouloir se dire pro-raciste, après tout ? Mais on peut se demander honnêtement si ce n’est pas peint à trop gros traits. (1) Et pourquoi limiter ça au racisme ? Est-ce que l’oppression sexiste, religieuse ou de classe serait plus tolérable, soudain ?

Je regarde autour de moi. Vivant à Paris, je ne peux me tourner nulle part, ou presque, sans voir des traces du passé. Une plaque ici, une statue là, ailleurs la façade d’une maison, même le sol où l’on marche parfois. Est-ce que nous regardons ces monuments aujourd’hui de la même façon que ceux qui les ont érigés ? Bien sûr que non. C’est pourquoi on ne peut en rester à l’idée que les statues sont juste là pour honorer.

Et même quand elles le font… On aménage les choses. On rajoute. Les couches superposées seront toujours une meilleure leçon d’histoire qu’un trou.

Un exemple qui m’est familier, car juste derrière chez moi : le Sacré-Cœur de Montmartre. Combien, parmi les touristes qui s’y pressent chaque année, savent que ce monument avait pour but d’ « expier » l’insurrection ouvrière de la Commune ? D’humilier les révolutionnaires vaincus ? (Gallia pœnitente, est-il écrit à l’intérieur, entre autres devises pieuses.) Cette basilique blanche construite sur la Butte Rouge qui fut le dernier bastion des insurgés, c’est un peu comme si on mettait une statue de Custer dans une réserve indienne, ou de Bugeaud devant l’ambassade d’Algérie.

Et pourtant, l’esprit humain est inventif, et le besoin de vivre ensemble plus fort que ce qui nous sépare, jusqu’ici. Ni les Républiques qui se sont succédé depuis 1870, ni la ville de Paris, n’ont cherché à détruire, déménager, ou même rapetisser le Sacré-Cœur. En revanche, la rue qui le longe a été renommée « rue du Chevalier de la Barre », du nom du jeune homme qui a été condamné à mort et exécuté au XVIIIe siècle pour le « crime » de ne pas s’être découvert devant une procession catholique… Histoire de mettre en contexte, comme on dit, la construction de la basilique, et rappeler certaines causes des révolutions en France. Histoire de savoir d’où on vient.

(1) La référence historique qui s’impose ici est celle du Sud des USA après la guerre de Sécession, quand les États vaincus ont érigé des monuments à Lee et autres généraux confédérés pour signifier à la population noire que malgré les lois venues de Washington, les autorités locales considéraient toujours les Afro-Américains comme des sous-hommes. Et les événements qui allaient suivre (instauration de la Ségrégation, massacres racistes de Tulsa, Rosewood, etc.) allaient montrer que ce n’était pas une menace en l’air. Résultat : les militants antiracistes voient logiquement ces statues comme des outils, et non pas seulement des symboles, de l’oppression.

Transposer ce contexte particulier sur un autre continent, dont l’histoire a suivi une trajectoire si différente, c’est un peu bizarre. Ou plutôt, c’est une étrange manifestation de colonisation des esprits par la culture américaine…

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