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Que mange-t-on dans votre roman ?

Quel rapport entre Bilbo, Gargantua, Harry Potter, le commissaire Montalbano, Dr Kay Scarpetta… et Jonathan Harker, dans Dracula ?

Réponse : ce sont des héros de romans, et nous sommes informés dans les détails de ce qu’ils mangent !

Ce sont aussi des personnages d’œuvres qui ont connu beaucoup de succès. Et mon intuition est que cette affaire de nourriture n’est pas extérieure à cette popularité. Souvenez-vous, le roman Bilbo le Hobbit commence par un Five o’clock tea de proportions épiques. Dans Dracula, Harker, en bon touriste, prend note des recettes locales durant son voyage en Transylvanie. Harry Potter passe de la sous-alimentation chronique chez ses affreux oncle et tante à un vaste choix de bonbons et friandises magiques dès qu’il monte dans le train de Poudlard. Scarpetta et Montalbano sont bien sûr férus de cuisine autant que détectives hors pair. Enfin, j’imagine qu’il n’est pas nécessaire de présenter Gargantua.

Manger est une activité des plus basiques, une nécessité vitale pour les animaux que nous sommes. Les sensations gustatives ont quelque chose de primitif, mais aussi d’universel : évoquez un aliment, vous en aurez le goût à la bouche. Bref, cela fonctionne comme un raccourci émotionnel. On se souvient de la fameuse madeleine de Proust

En même temps, la cuisine est un domaine hautement culturel, avec des variations locales et sociales infinies. Donner un menu, c’est donner un aperçu du mode de vie des personnages impliqués : production agricole, circuits commerciaux, division des tâches, hiérarchie sociale… Même la géopolitique, s’en mêle quand on parle du commerce des « épices » et des empires qui se sont bâtis dessus.

Bref, parler de nourriture est un outil puissant quand on écrit de la fiction. Cela permet de faire partager directement les sensations des personnages, de rentrer dans leurs émotions les plus intimes. La lecture est réputée comme une activité cérébrale, mais quand il s’agit de nourriture, notre néo-cortex s’efface derrière les couches les plus animales du cerveau émotionnel.

D’autre part, cela enrichit l’univers du roman, lui donne plus de texture tout en aidant à en montrer la complexité. Ainsi, dans Augusta Helena, je me suis bien amusée avec les repas des Romains, depuis des banquets luxueux et même vulgaires, loirs rôtis, ortolans et ainsi de suite, jusqu’à la maigre cuisine des moines sur leur montagne. Dans Du sang sur les dunes et les romans qui suivront, c’est à l’alimentation sous la Révolution et le 1er Empire que je me suis intéressée, bien sûr. Cuisine simple et roborative dans une auberge, menus sophistiqués des nouveaux riches, variations régionales en France et en Europe… Il y a de quoi faire.

Ce sont des techniques utiles pour le roman historique, évidemment, pour aider à faire vivre un univers différent. Mais aussi pour la création de mondes imaginaires de science-fiction et de fantasy. Pour en revenir à Bilbo, rien n’illustre mieux le dessein de Tolkien de faire une « mythologie pour l’Angleterre » que les menus de ses Hobbits, leur rapport à l’alimentation, aux jardins et à l’agriculture, même les ustensiles et l’organisation de leurs maisons, avec les diverses dépenses et garde-manger.

Vous reprendrez bien un scone avec votre thé ? Ou bien un peu de garum dans le ragoût ? Dis-moi ce que mangent les gens que tu lis, je te dirai qui ils sont !

La vieillesse, était-ce « mieux avant » ? Pas au regard des livres de l’époque…

J’aime bien aller chercher dans la littérature des parallèles aux thèmes de l’actualité, même éphémères. En ce moment, on parle beaucoup des EHPAD, pour déplorer qu’on y « abandonne » les vieillards, qu’on les y traite comme du bétail. Il n’est pas difficile de détecter le malaise, voire la culpabilité obscure de beaucoup de commentateurs.

C’est bien pratique pour tout le monde, après tout, quand les personnes très âgées, en situation de dépendance, peuvent être prises en charge par des gens dont c’est le métier. Combien de familles, surtout dans un pays comme le nôtre où la majorité des femmes a un emploi, ont le temps et la capacité à le faire ? Aide-soignants ou assistants de vie quotidienne, c’est prenant. Ceux qui prétendent le contraire, qui veulent faire croire que « c’était mieux avant », quand les gens se débrouillaient en famille, sont au mieux ignorants de l’histoire, au pire de très mauvaise foi.

Le thème des vieux misérables, négligés, voire maltraités est commun dans la littérature. Voyez la façon dont les filles du Père Goriot exploitent puis rejettent un père trop naïf. Ou la lente déchéance du père Mabeuf dans Les Misérables de Hugo. Le même roman brosse aussi la portrait de vieilles mendiantes qui cherchent à manger dans les tas d’ordures (c’était avant l’invention des poubelles). Dans Rabelais, un épithète fréquent des vieilles est « orde », c’est-à-dire sale. Incapables de prendre soin d’elles-mêmes, par pauvreté ou perte des facultés, elles sont néanmoins traitées comme des figures comiques. C’est dire combien l’idée de déchéance physique et sociale des vieilles femmes devait aller de soi…

Vous me direz que c’est un peu loin ? Voire. Il y a dans le Trésor des Contes d’Henri Pourrat (collectés en Auvergne à partir de 1911) une petite histoire intitulée « L’auge », que je voudrais raconter ici.

C’est l’histoire d’un brave homme, père de famille, qui a recueilli son vieux père sous son toit. Le soir, toute la famille mange la soupe autour de la table, du grand-père au petit fils. Mais le pauvre grand-père radote, on ne comprend pas ce qu’il dit parce qu’il n’a plus de dents, et comme ses mains tremblent constamment, il fait tomber la moitié de sa soupe en la portant à la bouche.

L’homme a un peu honte de son vieux père. Et surtout, sa femme (à qui il revient de nettoyer tout ça) en a plus qu’assez. Un jour, elle entreprend son mari : fais quelque chose pour le vieux, c’est insupportable de l’avoir à trembloter, crachoter et bavoter à table !

L’homme, pas très courageux ni très malin, comme souvent dans ce genre de contes, s’incline. Au lieu de manger la soupe à table, dans une assiette, le vieux aura désormais une auge dans un coin de la cuisine. Il n’aura qu’à se pencher dessus pour manger comme un animal. Le vieillard, qui n’est pas complètement sénile, comprend bien, mais que peut-il faire ?

La famille continue ainsi un moment, dans une paix apparente. La femme surtout n’est pas mécontente de ne plus avoir à tout éponger derrière le vieux, ni à écouter ses bafouillis. L’homme a acheté la tranquillité dans son ménage en mettant à l’écart son propre père. Les enfants, bien élevés, ne disent rien. Ils sont trop jeunes pour avoir voix au chapitre. Sauf…

Sauf le jeune fils, qui n’a pas dix ans mais qui est déjà habile à tailler des objets en bois. Et le voilà qui se met à travailler à quelque chose de nouveau.

— Tiens, lui dit son père ? Que fais-tu de beau ?

— Je fais une auge, papa, pour toi, quand tu seras vieux.

Évidemment, la vérité sortie de la bouche de l’enfant fait faire un retour sur lui-même à notre homme. Il engueule copieusement sa femme, met au rebut l’auge et installe à nouveau son vieux père à la table commune. Tout est bien (dans le conte) qui finit bien.

L’histoire ne dit pas si l’une des filles de la famille n’a pas été chargée de donner à manger au grand-père à la cuillère, ou autre arrangement. Aujourd’hui, on parlerait d’auxiliaires de vie. Qui sont encore souvent des femmes, mais qui sont payées pour cela. Une différence pas du tout négligeable, certes.

2021 en revue : mes 10 meilleurs articles

Photo : un chat dans un tunnel en plastique, avec la légende : "The internet is a series of tubes. And those tubes are full of cats."

Un palmarès tout subjectif, bien sûr. À découvrir ou redécouvrir. La diversité des sujets est parfaitement assumée. (Je ferai aussi bientôt un récapitulatif de mes publications en matière de fiction.)

* Sciences : « La science-fiction peut-elle changer le monde ? » sur le site de l’Afis, Association française pour l’information scientifique.

* Politique : « Ceux qui disent “c’était mieux avant” n’ont pas à vivre dans le monde d’avant » sur Résistance aux extrémismes. Le titre parle de lui-même, je pense.

* Société : « Pas de pitié pour les garçons manqués » à propos de l’héroïne du Club des Cinq et des changements d’attitude pas toujours positifs s’agissant des stéréotypes de genre.

* Ma vie : « Vaccinée, libérée ! » Ou comment j’ai gagné mon vaccin, ah mais.

* Littérature : « Tout le monde aime les (romans) policiers » où je pense énoncer une théorie originale du genre. Si, si, en toute simplicité.

* « Les gens heureux n’ont pas d’histoire » ou pourquoi on parle de « conflit » dans les manuels d’écriture.

* « Qu’est-ce qu’un héros iconique » : cette figure ultra-fréquente de la fiction populaire, mais mal connue par les pros eux-mêmes…

* « Des images peuvent choquer : préparer ses lecteurs au pire » en utilisant les outils à notre disposition comme auteurs et éditeurs, et on verra que cela rend inutile le « content warning ».

* « Ce que je n’aime pas voir dans un roman historique » : où le passé est plus que jamais un autre pays.

* « Qui est légitime pour écrire ? » Une question piège, mais on n’est pas obligé d’y tomber…

Tout le monde aime les (romans) policiers

« Le donjon du Temple vers 1795 ». Huile sur toile anonyme. Paris, musée Carnavalet.

Je vais faire un aveu : quand je me suis lancée dans l’écriture de romans policiers, au printemps 2020, c’était dans un but commercial, ou du moins dans l’idée que ce serait plus aisé à publier que ce à quoi je m’était consacrée depuis trois ans, le roman historique. Ce dernier est hélas vu comme quelque chose de désuet, et peu d’éditeurs en publient régulièrement.

En revanche, le roman policier a une vitalité jamais démentie, à la fois en nombre de titres et en variété. Vous ne me croyez pas ? Faites le test du rayon de librairie ! Déjà, toutes les librairies, physiques ou en ligne, ont au moins une étagère de romans policiers. Et il y en a pour tous les goûts, du plus « cosy » au plus glauque, du plus brut au plus sophistiqué, avec des variantes proches du roman social ou du thriller technologique. Mieux encore, le roman policier historique est un genre tout à fait actuel.

Pourquoi un tel succès pour le roman policier ? Il s’est écrit des bibliothèques universitaires entières sur le sujet, un genre dans lequel je ne vais pas me lancer, rassurez-vous. Après tout, il n’est pas difficile de voir que le côté ludique du roman policier classique, type Agatha Christie, où l’on est invité à résoudre l’énigme avec le protagoniste, stimule les circuits dopaminergiques de récompense et de plaisir, ce qui conduit à vouloir répéter l’expérience. Il y a aussi le fait que le type d’intrigue de ces romans (meurtres, crimes sexuels, vols ou escroqueries à grande échelle, etc.) permettent de mettre le doigt dans toutes les plaies de la société, d’en explorer des aspects qui peuvent nous mettre mal à l’aise, mais qu’il est plus facile de contempler à travers la distance de sécurité d’un récit de fiction.

Mais il y a plus : quand on regarde la logique de l’intrigue la plus fréquente des romans policiers, la recherche d’un meurtrier, on retrouve un très ancien motif folklorique et même mythologique : le mort reconnaissant. (Oui, c’est ce que signifie Grateful Dead et c’est l’origine du nom du groupe.) Dans ces récits, le héros rencontre en chemin le cadavre d’un malheureux à qui on a refusé une sépulture, généralement parce qu’il était endetté. Le voyageur généreux paie les dettes et permet au mort de reposer en paix, puis reprend son chemin. Un peu plus tard, le voyageur reçoit à son tour l’aide d’un mystérieux étranger qui n’est autre que le mort sous forme spectrale. On connait ce motif dans diverses cultures.

Chez nous, c’est par exemple le conte « Jean de Calais », le roman de chevalerie anglais Sir Amadas ou encore « Le compagnon de voyage » d’H. C. Andersen. Il y a aussi des histoires où le mort est en peine à cause de quelque chose qu’il n’a pu terminer durant sa vie : dire à ses enfants où est caché le trésor qu’il leur destinait, par exemple. Et il y a la catégorie plus générale des devoirs envers les morts, motif important dans l’Iliade (la trêve pour les funérailles d’Hector), dans la tragédie d’Antigone évidemment, ou dans la Bible, le livre de Tobie.

Il n’est pas difficile de retrouver un tel schéma dans de nombreux romans policiers : retrouver le meurtrier et l’amener à la justice, c’est une façon de rendre service à la victime, qui sinon ne pourrait reposer en paix. Je ne suis probablement pas la première à faire cette observation, mais il se trouve qu’elle m’est venue au cours de l’écriture de mon deuxième roman policier.

Car en effet, j’ai récidivé. Quand ça marche, pourquoi s’arrêter ? Il se trouve que je lis beaucoup de romans policiers, et beaucoup de romans historiques, j’ai donc « les codes », comme on dit. En juin dernier, je me suis mise à écrire un roman policier historique dans une période que je commençais à bien connaître : le Premier Empire. Et comme parmi ces codes du roman policier il y a l’idée de héros récurrent et de série de romans, j’ai délibérément choisi un détective iconique.

Résultat ? Vous allez bientôt pouvoir en juger vous-même, car le premier a été accepté par un éditeur. Pas mal pour un coup d’essai.

(Aussi paru sur Substack.)

Les Roms, la gauche, l’Europe… et la culture

Mieux vaut tard que jamais, je repère ce billet de Politeeks sur la politique du gouvernement de gauche à l’égard des Roms. Qui peut mieux faire… (Pas que la droite ait de quoi fanfaronner, certes, après avoir fait pire que rien pendant des années !)

Au passage, quelques interrogations de fond. De société, comme on dit :

« Dans des nations où les populations autochtones se sont sédentarisées à la fin du 19e siècle, début du 20e (France, Italie par exemple)  la résurgence de populations “mobiles” Roms en voyage permanent avec conditions sanitaires odieuses ne projette-elle pas dans l’opinion un rappel de la misère du passé ou des arrières-arrières grands parents  qui chiaient au fond du jardin ? Et donc l’envie de leur dire : Installez vous quelque part et restez y, faites comme nous… Là c’est un vrai débat de société, n’oublions jamais que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Peux-t-on imposer à des gens un mode de vie, et donc d’être sédentaire ? »

En fait, pour mémoire, c’étaient même souvent nos parents qui n’avaient pas de sanitaires dans la maison, pas de tout-à-l’égout, voire pas d’eau courante. Dans la famille de ma mère, chez des paysans du Sud-Ouest, je me souviens d’avoir vu ça dans les années 70, les WC au fond du jardin. Et l’évier qui s’écoulait par un tuyau traversant le mur de la cuisine, dans une rigole qu’on enjambait pour aller au potager.

On pourrait aussi chipoter sur le fait que les populations autochtones ne se sont pas toutes sédentarisées. La plupart des gens du voyage sont de nationalité française, parfois depuis longtemps ; et en Europe centrale et de l’est, certains Roms et autres populations tziganes sont sédentaires, ou l’étaient récemment, jusqu’aux bouleversements politiques, économiques, sociaux qui ont suivi la chute du Mur de Berlin. Mais passons.

Il y a des problèmes culturels, aussi, nous dit-on, de part et d’autre. Faut-il évoquer les raisons de la défiance des nomades en Europe à l’égard de l’État, des institutions, des gouvernements ? Le 20e siècle a été celui de la sédentarisation forcée, des discriminations étatiques, des enfants enlevés à leurs parents pour les « rééduquer », celui de la stérilisation forcée de gens que l’on considérait comme « génétiquement criminels » (jusqu’en 1975, en Suède) ; ce fut celui, en France, de l’instauration du carnet de circulation (que le Conseil constitutionnel vient tout juste d’abroger) et, pendant les guerres, de l’internement dans des camps de nomades soupçonnés de n’être pas de « bons citoyens », puisqu’ils franchissent si aisément les frontières… Ne parlons même pas du génocide tzigane pendant la Seconde Guerre mondiale, parallèle à celui des juifs.

Aujourd’hui, en France, en 2012, on reparle des problèmes de cohabitation avec les nomades, on parle de conditions sanitaires d’hébergement déplorables, et d’enfants qui subissent cette existence marginale. Jusque, trop souvent, à être victime de violences policières. Et après dix ans de droite au pouvoir, la protection judiciaire de la jeunesse manque de personnel…

On parle aussi, en vrac, de trains et autres systèmes électriques qui ne fonctionnent plus à cause des câbles volés pour revendre le cuivre. (Pas que le fait de Roms venus de Roumanie, loin de là…) On parle des 1 million de personnes sans abri ou mal logées en France – nomades forcés, parfois, travailleurs pauvres vivant dans leur voiture ou dans des squats. On parle de campements illégaux et de municipalités enfreignant la loi du 5 juillet 2000 en ne prévoyant pas de terrain pour l’accueil des gens du voyage. Et qui sont rarement sanctionnées.

Il y a en même temps beaucoup de pauvreté en général, et des besoins spécifiques aux nomades. Il y a les conséquences logiques de la misère et de l’économie parallèle qui s’y développe… Il y a des pays européens qui se renvoient la balle « Roms », voire détournent les aides censées aider à leur insertion.

Et il y a des gens qui se méfient a priori des Roms (ou des nomades ? ou des pauvres ? pas clair dans ce billet) pour des raisons culturelles, sur l’air du : « Même si on leur donnait à tous de quoi vivre dignement, ils ne le feraient pas », etc.

Ah ouiche. Où ai-je entendu ça, déjà ? Hmm.

Mais ne soyons pas trop durs. Ce genre de discours n’éclot pas que sous la plume de blogueurs et blogueuses à la pensée plus légère que la plume. Quand l’historien Emmanuel Todd répond aux questions de Marianne, à propos de Hollande et l’Europe, et que toute ma blogo-twittosphère répercute quelques phrases chocs, je m’étonne que personne, dans le tas, n’ait tiqué sur ce passage :

« Que pensez-vous du fait que rien n’a semblé plus urgent l’été dernier au gouvernement socialiste fraîchement en place que de démanteler les camps de Roms ?

E.T. : Je ne suis pas choqué. A l’époque Sarkozy, j’avais dit que je connaissais la culture rom en tant qu’anthropologue et que les gens seraient surpris de ce que j’en pensais. Dans Le Destin des immigrés, qui date de 1994, je pose les cultures juive et rom comme antinomiques sur certains axes. Ce qui était inadmissible dans l’attitude de Sarkozy, c’était que le président de la République française fasse des Roms une question politique centrale. Mais la culture rom pose des problèmes renouvelés dans notre monde atomisé par la globalisation. Il faut donc traiter ce problème, et c’est bien qu’il soit désormais pris en charge par le ministère de l’Intérieur sans être instrumentalisé par l’Élysée. »

Il est vrai que dans le suivant, il ajoutait : « La gauche ne doit jamais oublier que le véritable ennemi, c’est les riches. »

L’honneur est donc sauf, et on ne lui demandera pas ce que par là il voulait dire.

Liens choisis, rayon littératures de l’imaginaire

Quelques liens en vrac, pour essayer de voir le monde sous un angle… étrange (enfin, plus étrange que d’habitude, quoi):

  • Dans Le Parisien, un portrait de « Pascal, 50 ans, assistant sexuel » – et citoyen honoraire de la Colonie de Bêta? (Les lecteurs de Barrayar, le roman de Lois McMaster Bujold, auront compris l’allusion. Et si vous ne l’avez pas lu… Foncez!)
  • À Lyon, ils auront un Salon du Vampire les 4 et 5 décembre! Moi, parisienne, je suis jalouse, tiens.
  • Un « Cthulhu » sculpté sur une pierre tombale de plus de 300 ans? Et si on avait plutôt retrouvé l’une des sources d’inspiration (consciente ou non) de l’écrivain H.P. Lovecraft, dont la passion pour les antiquités de sa région natale de Nouvelle-Angleterre est bien connue – ainsi que son penchant pour les balades dans les cimetières à la recherche d’une atmosphère Poe-tique!

Taxes, télés et Internet: certains contribuables seraient-ils plus égaux que d’autres?

Drôle de télescopage. Hier, sur le fil d’infos de PC INpact, deux infos  liés à la fiscalité… qui à elles deux racontent une petite histoire:

Ben oui, ce serait dommage de grever de taxes supplémentaire la consommation de télévision sur ces nouveaux supports qui se multiplient, hein… Faudrait pas que les clients soient dissuadés de s’abrutir quand ils sont sur Internet!

Mais l’abonnement lui-même à Internet et au téléphone, lui, sera plus fortement taxé, par le biais d’une « harmonisation » des taux de TVA sur les fameuses offres Triple Play (Internet + téléphone + télévision)… harmonisation sur le taux le plus haut, celui de 19,6%, évidemment. Vous avez dit « produit indispensable dans le monde moderne »? Veut pas l’savoir!

Au passage, la prime de la plus mauvaise excuse pour éviter d’élargir l’assiette de la redevance télé, y compris aux résidences secondaires (!), devrait être décernée au ministre du Budget de notre cher gouvernement Fillon II+III (Fillon forever? Parlez pas de malheur…), j’ai nommé François Baroin, pour qui il ne serait pas juste de taxer la deuxième télé du foyer fiscal sous prétexte que: «on ne regarde pas deux fois la télévision en même temps!»

Ahem. M’sieur Baroin, vous savez qu’il y a souvent plusieurs personnes, dans un foyer fiscal? Et que si l’on possède deux logements, ils peuvent être occupés en même temps par des membres de la même famille, voire prêtés à des amis?

Mais non, ça ne lui a jamais traversé l’esprit. Ce gouvernement n’est pas familier avec l’univers des riches, comme il le montre tous les jours depuis trois ans…

Le «malaise du matin d’école» est-il plus répandu en milieu défavorisé?

Je pose la question parce que c’est ce qu’affirme le titre d’une dépêche AFP/La Croix citée dans cet article de Dazibaoueb (retwitté par Céleste, merci à elle). Or cette dépêche ne cite que les chiffres d’une enquête de l’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) réalisée dans le cadre de la 3e Journée du refus de l’échec scolaire, chez des élèves de primaire et collège de quartiers populaires. Des chiffres qui font réfléchir, notamment celui-ci: un sur trois déclare avoir mal au ventre le matin avant d’aller à l’école.

Mais  à partir de ce chiffre brut, le titre choisi par La Croix (et Dazibaoueb à sa suite) pour présenter l’enquête, fait tout à coup un raccourci entre ces deux éléments: élèves physiquement malades le matin, élèves de milieux défavorisés; et pose implicitement un lien de cause à effet.

Soyons clairs: je pense que cette conclusion est probablement juste. Le problème, c’est que cette enquête, toute intéressante qu’elle soit, ne permet pas de conclure dans ce sens, faute d’échantillon de contrôle.

J’ai eu la curiosité de consulter le texte complet de ce «Baromètre 2010» de l’Afev sur «le rapport à l’école des enfants de quartiers populaires», qui est disponible ici sous forme de PDF. Citons l’exposé de la méthode employée pour l’enquête:

L’enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de 760 élèves de primaire et de collège, issus de quartiers populaires et suivis par un étudiant de l’AFEV, entre avril et juin 2010. De manière générale, les tendances que l’on avait pu mettre en exergue les années précédentes (2008 et 2009) perdurent. Dans cette édition 2010, de nouvelles questions ont été introduites permettant d’expliciter et de préciser les constats importants du baromètre mais aussi de nourrir le thème de la troisième «Journée du Refus contre l’échec scolaire»: «Souffrances à l’école».

Pas de groupe de contrôle, on le remarquera. L’Afev, qui s’intéresse aux raisons de l’échec scolaire et aux moyens d’y remédier, a porté le regard sur les populations en difficulté, et dressé un tableau de tout ce qui peut être source de stress et de mal-être à l’école, tout ce qui peut contribuer à éloigner l’environnement familial de l’environnement scolaire, etc.

Des données très intéressantes, mais à quoi les comparer? Comment faire la part de tous ces éléments dans le fait social complexe dénommé «échec scolaire»?

Où est la contre-enquête dans des écoles et collèges de Neuilly ou du 16e arrondissement sur le mal au ventre du matin avant d’aller en classe?

Parce que je peux garantir que le «stress» et le «mal-être» à l’école qui vont jusqu’à faire somatiser et rendre physiquement malades les enfants qui ne «s’adaptent» pas ne sont pas des phénomènes limités aux quartiers populaires.

Eh oui, je parle d’expérience… Le malaise du matin d’école, c’était mon pain quotidien pendant les 6 ou 8 premières années de ma scolarité.

Dans mon cas, pourtant, pas de «handicap socio-culturel» (comme on disait à l’époque): issue de la classe moyenne, avec des parents fonctionnaires et enseignants, j’aurais dû être pile-poil dans le public idéal de l’institution scolaire, non?

Eh non. J’étais psychologiquement mal à l’aise, j’avais horreur des groupes importants, du bruit, de l’agitation des autres enfants. Être comparée aux autres aussi me faisait horreur, surtout quand l’institutrice passait du temps à expliquer longuement à ceux et celles qui comprenaient lentement, et que je m’ennuyais. Quand elle passait sans voir mon doigt levé pour répondre (et c’était souvent), et allait donner la parole à un cancre à qui il fallait arracher mot à mot une bribe d’esquisse de réponse, cela me semblait injuste… C’était pourtant son métier d’encourager tous les élèves à participer! Et si je comprenais sans qu’on ait besoin de me faire un dessin, c’était tant mieux, autant de travail en moins pour elle!

Bref, je percevais l’école comme un endroit truffé de périls, d’injustice et de temps perdu. Il me semblait que j’apprendrais plus vite seule avec un livre que forcée de m’enfermer toute la journée dans une classe avec 25 autres gamins.

Comme on s’en doute, j’ai survécu. Pas que j’ai cessé de ressentir du malaise, non. Mais j’ai trouvé des façons de m’adapter. Par exemple,  j’ai cessé de me formaliser si mon voisin voulait copier sur moi: je ne ressentais plus l’injustice de la chose, mais trouvais désormais de l’avantage à le voir ainsi occupé tranquillement, sans m’embêter. Même, je lui facilitais l’opération. (C’était sans danger. Les profs gardaient à l’œil les élèves agités, pas les bons élèves ni les copieurs discrets.)

Pourquoi je raconte ces anecdotes, qui n’ont guère de valeur que comme donnée ponctuelle dans un vaste ensemble d’observations sur l’école et la société?

Mais pour illustrer ce que je disais plus haut: il n’y a pas qu’une cause unique, forcément sociale, au malaise du matin d’école; n’étudier que les chiffres d’une catégorie sociale (ici, les élèves de milieux populaires) risque de masquer la complexité des problèmes désignés sous l’expression «échec scolaire» ou «mal-être à l’école.» Par exemple, tous les enfants n’apprennent pas de la même manière, mais l’école privilégie certains modes d’apprentissages et pas d’autres.

Pour agir, il faut comprendre. Pour comprendre, il faut regarder la totalité du phénomène.

D’autant que l’échec scolaire est par excellence un phénomène relatif: il s’agit d’un échec par rapport à l’ensemble de la population, ou par rapport à une moyenne… Et on peut rappeler que l’expression «échec scolaire» ne désignera pas la même chose dans tous les milieux sociaux. Mais ceux qui ont les moyens dépensent pas exemple des fortunes en cours particuliers, séjours culturels, écoles privées, etc., pour essayer de s’en prémunir.

Mais cela ne veut pas dire que leurs enfants n’ont pas de «problèmes» à l’école, justement. Sinon, ce ne serait pas un marché si florissant.

En passant

Dans le blogue qu’il tient sur Rue89, l’écrivain de polars bien français (mais oui!) Mouloud Akkouche se fait observateur de l’actu, rubrique «sujets de société», et ce qu’il dit est marqué au coin du bon sens. J’aime bien son billet … Lire la suite

La vie qui en vaut la peine, selon Pierre Rabhi

Je ne suivrai pas totalement Pierre Rabhi dans son analyse de la fragilité de notre civilisation et son concept de «sobriété heureuse» (cf. l’entretien avec Rue89 du 24/07/2010 et le livre publié récemment chez Actes Sud). N’empêche que l’inspirateur de l’association Terre & Humanisme et du Mouvement des Oasis en tous lieux a certaines choses importantes à nous dire.

Comme cette réponse à la question: «Que dites-vous aux chefs d’entreprises qui vous sollicitent pour des conférences?»

Le Medef m’invitait à réfléchir sur la question de savoir s’il existe une vie après la mort, mais je m’en fiche. Moi, ce qui m’intéresse c’est ce qui existe pendant que je suis vivant, s’il existe une vie AVANT la mort.

Quand on y pense, en effet, c’est simple. Et c’est de là que tout découle.