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Cette fois, on va m’entendre (dans un balado)

Juste un mot rapide pour signaler que je suis cette semaine l’invitée du balado Scepticisme scientifique (Jean-Michel Abrassart aux manettes), pour parler d’un sujet qui a bien remué la blogobulle sceptique depuis quelques semaines: la polémique dite de l’« Elevatorgate ».

Funny cat picture: "skeptical cat is fraught with skepticism"

Hem. Oui. Si vous aviez réussi à échapper aux retombées, eh bien, c’est trop tard! Désolée… 😉

Toutes les explications sont dans l’épisode… Mais pour les curieux, disons qu’il s’agit d’un débat qui touche au féminisme, à la place des femmes en général et de Rebecca Watson en particulier dans le(s) mouvement(s) athée/sceptique/humaniste, au rôle de Richard Dawkins au sein de ce mouvement… et à la façon de ne pas draguer dans un ascenseur!

Si on a suivi, on est au courant du débat qui nous avait déjà opposés, Jean-Michel et moi, par blogs interposés. Nous défendions des positions distinctes, mais pas (à mon sens, du moins) totalement incompatibles. C’est donc avec plaisir que j’ai accepté d’en discuter de vive voix et par Skype interposé.

Une dernière chose: il y a un passage où, en me présentant, j’évoque le fait que je n’ai plus d’éditeur en me disant « auteur SDF ».

Réflexion faite, j’en suis un peu embarrassée. Et désolée. Le sort des gens à la rue dans la Vraie Vie™ n’est pas rigolo, rigolo, et cela ne me donne guère le cœur à plaisanter.

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En passant

(Attention: ironie à bord.) Voilà-t’il pas que les Le Pen père et fille se piquent de faire un procès à Caroline Fourest pour son livre sur leur drôle de petit business familial. Cela va-t-il faire des commotions dans la cervelle … Lire la suite

Une bactérie dans le potage

Damned! C’était trop beau! La bactérie qui carburait à l’arsenic, présentée à grand son de trompe par la Nasa, n’était-ce finalement qu’un mirage? Un cadeau empoisonné (ahem) pour journalistes et blogueurs? Sans parler des auteurs de SF, bien sûr…

D’abord, pour comprendre de quoi il retourne, je conseille l’article très complet (et en français) de Traqueur Stellaire. Il explique comment, dans un article de Science, Felisa Wolfe-Simon et onze autres scientifiques ont annoncé avoir réussi à cultiver une souche de bactérie (GFAJ-1) capable d’utiliser de l’arsenic au lieu de phosphore dans son ADN. Un champ de recherche financé, entre autres, par la Nasa, qui s’intéresse aux possibilités de détecter des traces de vie extra-terrestres – une vie dont la biochimie pourrait bien être différente de la nôtre.

Les critiques n’ont pas manqué de dauber sur la « survente » de ce papier par la machine médiatique de la Nasa, comme dans quelques affaires récentes. (La « première exoplanète viable », alias Gliese 581g, dont l’existence n’a pas encore été confirmée, par exemple.)

Pire, dans le cas de la bactérie GFAJ-1 et de son arsenic, voilà que la réalité même du phénomène est contestée par une autre chercheuse  américaine, la microbiologiste Rosie Redfield. Sur son blog, puis dans une lettre ouverte au magazine Science, elle critique les méthodes de l’équipe qui a publié le papier:

1) Selon elle, ils n’auraient pas prouvé que l’arsenic se trouvait dans l’ADN, mais était juste présent à l’intérieur de la bactérie (en ne purifiant pas l’ADN à partir des cultures de bactéries avant de tester la présence d’arsenic, mais en se contentant de déshydrater des échantillons de ces cultures);

2) D’autre part, les sels d’arsenic employé pour « nourrir » la souche de bactérie testée n’auraient pas été suffisamment purs, mais auraient pu être contaminés par du phosphore! Bref, les chercheurs auraient apporté, sans s’en rendre compte, le phosphore nécessaire à une survie tout à fait classique de la bactérie en question… (Et il est également possible que la mort d’une partie des bactéries dans le milieu de culture ait permis aux survivantes de se procurer du phosphore, en cannibalisant leurs tissus.)

Comme on savait déjà que cette souche était extrémophile, capable de survivre dans un milieu pauvre en nutriments et riches en sels toxiques, ce scénario  n’a finalement rien d’improbable.

Il y a un bon résumé de toute cette affaire, en anglais, sur le blogue de la National Association of Science Writers américaine (NASW), une association professionnelle de journalistes scientifiques. Ils profitent de l’occasion pour souligner l’importance croissante des blogues de chercheurs dans la communication et le débat scientifique.

Moralité: voilà qui prouve encore une fois qu’en science, une découverte n’en est pas une tant qu’elle n’a pas survécu à ses critiques et n’a pas été dupliquée.

Un chercheur, ou même une équipe, peut se tromper, s’auto-abuser, croire au Père Noël des bactéries, voire publier des résultats non confirmés (mais alléchants) pour obtenir des subventions… Mais l’ensemble de la communauté des chercheurs est là, normalement, pour passer au crible les candidatures au statut de découverte – et à la postérité.

Ce qui veut dire que la réalité scientifique elle-même est en perpétuelle évolution. Tiens, ça fait penser au Net, tout ça…

Et comme de juste, les héroïnes de nos deux dernières controverses autour de la vie extra-terrestre, l’exoplanète putative Gliese 581g et la bactérie Halomonas GFAJ-1 dont l’ADN contient (peut-être) de l’arsenic, se retrouvent propulsées au rang de célébrités du Net! Elles ont même chacune leur compte Twitter…

La vie sur Terre est un étrange phénomène, vraiment.

Arnaud Montebourg, la télé Bouygues et la réplique qui tue

Que peut répondre Nonce Paolini, le patron de Télé-Sarko-Bouygues… heu, pardon, TF1 – à la lettre cinglante (mais pas fausse) que lui avait adressé le député Arnaud Montebourg? Bah, heu

Tweeté par Paul Larrouturou:

Heureusement que le ridicule, lui, ne tue pas. Sinon on ramasserait souvent des cadavres dans les couloirs de TF1.

Le plus beau, évidemment, c’est que le brave Paolini devait penser tenir là un argument massue. Si on considère le reste de sa lettre, en effet, on est pris de vertige devant tant de vide béant.

Ses arguments principaux? Que Montebourg «se trompe» (ça ne mange pas de pain); ou que ses propos «révèlent (…) un retour à une culture d’État de sinistre mémoire», ce qui commence à être un peu usé, comme ficelle (NB: C’est moi qui souligne. M. Paolini semble confondre les députés, élus du peuple, avec l’appareil d’État, c’est-à-dire l’exécutif. Si c’est un lapsus, il est révélateur de tout un état d’esprit sarkozyste…)

Ho, hum. Sinistre mémoire? Laquelle, au juste? Du temps de l’ORTF? Car inutile, j’espère, de prétendre encore qu’il s’agit d’une référence aux années 30, l’antienne préférée des sarkozystes: en ce temps-là, c’était plutôt la presse d’extrême-droite qui harcelait impitoyablement les députés, pas le contraire!

Et comme tout cela reste quand même un peu léger, le cher Nonce finit par appeler les pièces jaunes à la rescousse! Mais oui, vous avez bien lu: la preuve que TF1 ne pense pas qu’au fric, c’est (sans rire), les bonnes œuvres! À nation de propriétaires, télé de publicrates et de dames patronnesses: au fond, c’est logique…

Pour démêler l’affaire Freud-Onfray-Roudinesco

Très bonne initiative de Jean-Michel Abrassart, du blogue & balado Scepticisme scientifique: héberger sur son site le long article consacré par Jacques Van Rillaer, psychologue clinicien et critique de Freud, à une analyse au bistouri de l’argumentaire anti-Onfray développé par la psychanalyste freudienne Élisabeth Roudinesco.

Point par point, citant à chaque fois les textes des uns et des autres, Van Rillaer démonte les affirmations et déformations sans vergogne de Roudinesco; mais ce faisant, il laisse voir aussi combien le portrait au vitriol dressé par Onfray du fondateur de la psychanalyse était déjà souvent entaché de déformations, simplifications et jugements à l’emporte-pièces…

Je citerai en exemple le traitement donné à l’une des plus étonnantes affirmations que la célèbre psychanalyste met dans la bouche du non moins célèbre philosophe:

2.4 . La psychanalyse est fondée sur l’équivalence du bourreau et de sa victime

a) Freud a répété à de nombreuses reprises que «la psychanalyse a démontré qu’il n’existe pas de différence fondamentale, mais une simple différence de degré, entre la vie mentale des gens normaux, celle des névrosés et celle des psychotiques».

b) Roudinesco, freudienne orthodoxe, elle-même écrit:

«Selon Freud, la sexualité perverse polymorphe est potentiellement au cœur de chacun d’entre nous. Il n’y a pas d’un côté des pervers dégénérés et de l’autre des individus normaux. Il y a des degrés de norme et de pathologie. L’être humain, dans ce qu’il a de plus monstrueux, fait partie de l’humanité.» (p. 42)

c) Onfray écrit:

«Freud n’aura cessé de le dire dans son œuvre complète: le normal et le pathologique ne constituent pas deux modalités hétérogènes de l’être au monde, mais des degrés différents d’une même façon d’être au monde. Autrement dit, rien ne distingue fondamentalement le psychanalyste dans son fauteuil et le névrosé allongé sur le divan, rien ne sépare radicalement le bourreau sadique et sa victime innocente […] Une seule et même chose d’un point de vue du psychisme.» (p. 564).

d) Travestissement roudinescien d’Onfray:

«Onfray fait de la psychanalyse une science fondée sur l’équivalence du bourreau et de la victime.» (p. 12)

L’examen sur pièces, la méthode critique et une bonne dose de lucidité: voilà d’excellents antidotes aux vociférations médiatiques des uns et des autres.

Bonne lecture!

P.S. Au §22, p.30 de ce PDF, Van Rillaer mentionne brièvement que l’auteur de l’un des textes réunis dans la compilation anti-Onfray de Roudinesco est l’historien Guillaume Mazeau, dont le sujet n’est nullement la psychanalyse, mais la Révolution française, et qui s’insurge contre les erreurs tendancieuses d’un autre livre de Michel Onfray, sur Charlotte Corday, celui-là. Van Rillaer l’écarte comme hors-sujet. Certes. Mais si l’on s’intéresse plus largement à la façon dont les intellectuels médiatiques français maltraitent la réalité historique et scientifique pour vendre leurs idées, on peut avec profit lire sur Médiapart un billet sur l’affaire. Sous cet angle, Onfray n’apparaît hélas pas sous un meilleur jour que ses détracteurs freudiens.

Dessins, censure… Qu’en dit-on “de l’autre côté” ?

Dans les débats autour de l’islam, il y a souvent un aspect « eux contre nous » (les « civilisés » contre les « barbares », les « obscurantistes » contre les « modernes », les « terroristes » contre les « démocraties » – mais aussi les « infidèles » contre les « croyants », les « impérialistes » contre le « peuple musulman »…) qui est non seulement déplaisant et dangereux, mais aussi bien souvent simpliste.

Voire carrément faux.

Prenons le cas du méga-drame provoqué au Pakistan par un groupe d’activistes islamiques, avec la complicité de lois qui donnent un statut spécial dans ce pays à la religion du Prophète : ou comment bloquer presque tout l’Internet dans le pays à cause de quelques pages consacrées à une journée des dessins de Mahomet… Et pendant ce temps, qu’en disent les internautes locaux de base, les M. et Mme Tout-le-Monde de Karachi, Lahore, Peshawar ou Islamabad ?

C’est une question que s’est posée la BBC (inutile, j’espère, de rappeler l’importance de la communauté pakistanaise en Grande-Bretagne, ou l’intérêt porté dans les anciennes colonies britanniques à ce qui se dit du côté de Londres).

Et c’est fort intéressant. Oh, bien sûr, chacun voit midi à sa porte, et l’heure à son minaret. Même quand on s’exprime depuis un cybercafé.

Cela donne par exemple : « Facebook est une excellente communauté, mais il y a des gens qui sont anti-musulmans et qui postent ce genre d’images pour provoquer la colère et la haine. »

Il faut peut-être excuser la jeunesse (20 ans) du gars qui s’exprime ainsi. Pour lui aussi, le monde semble se diviser entre les bons et les méchants, les affreux conspirateurs contre le peuple innocent, et il ne semble pas voir que ce n’est pas très flatteur pour sa propre communauté que de la supposer prompte à la haine et à la colère pour quelques images en plus ou en moins. Qui caricature qui, déjà ?

(Ce qu’on peut dire à sa décharge, c’est qu’il y a hélas bel et bien une composante explicitement anti-musulmane, et pas seulement anti-intégriste, dans la cyber-manifestation du 20 mai. Défendre la liberté d’expression, pour ces gens-là, devient un prétexte pour exprimer leur détestation de tout ce qui touche de près ou de loin à l’islam. Bonjour la confusion dans les messages ! Et on remarquera que j’ai pris soin, dans mon propre billet, de mettre un lien vers les pages intelligentes et nuancées que consacre Friendly Atheist à la question, et pas vers la page Facebook ni (contrairement à d’autres) le blogue Everyone Draw Mohammed, qui prétendent ouvrir un débat, mais qui dans les faits mettent à la place d’honneur des caricatures au lieu de simples représentations. Et par-dessus le marché, ledit blogue prétend enrôler Voltaire mais lui attribue encore une fois une phrase qu’il n’a jamais prononcée ! Bande de nuls.)

Un autre internaute interrogé, moins jeune (30 ans) et donc, on pourrait l’espérer, moins simpliste, estime quant à lui que c’est Facebook qui aurait dû accepter de censurer la page de la discorde. Toujours pour la même raison : l’offense envers les sentiments religieux (si délicats) des croyants. À croire que la foi vous laisse littéralement scotché(e) sur place, incapable de cliquer un lien pour quitter la page… Voire d’utiliser le bouton « Bloquer », qu’un usager de Facebook a toujours à sa disposition pour cacher (à ses propres yeux) le contenu qu’il ou elle n’aime pas !

Curieux comme le simple bon sens s’évapore dans ces conditions. Évidemment, c’est bien sur ce genre de réactions que s’appuient les activistes du Islamic Lawyers Movement, dont le porte-parole est très clair sur les motifs de ce coup d’éclat :

« We needed to provide a message to non-Muslims not to disrespect our prophet. »

Oh, vraiment ? Un « message » pour apprendre aux non-musulmans à « respecter » votre prophète ? Hum. Disons plutôt établir un rapport de force, au Pakistan et plus généralement sur la Toile, pour dissuader l’expression d’opinions et de sensibilités qui dérangent. Et c’est à la fois la liberté d’expression qui est menacée, mais aussi la liberté de conscience. Car si on ne peut exprimer de messages qui vont à l’encontre de ce que veut entendre la majorité (ou du moins la faction qui contrôle la sphère médiatique), comment la liberté de penser différemment peut-être se développer ?

Pour ceux qui veulent arrimer les « croyants » à leur religion pour mieux les contrôler, l’enjeu est clair.

La censure n’est jamais pédagogique. C’est à la fois une sanction et une information de menace, comme on dit en diplomatie. Ici, le « respectez notre religion » n’est rien d’autre que le trivial « retenez-moi ou je vais faire un malheur ».

Mais il y a d’autres réactions, parmi les internautes pakistanais interrogés dans l’article, qui devraient intéresser les vrais amis de la liberté d’expression, en Orient comme en Occident (et inquiéter les censeurs religieux de tout poil : ce sont les gens qui réalisent à quel point une stricte « défense » de la religion, selon les critères de l’ILM, est intrusive dans leur vie. Et abusive.

« D’accord, » dit un jeune homme, « des pages comme ça, ce n’est pas bien, mais il ne faut pas non plus bloquer tout le site »

Reba Shahid, l’éditrice du magazine en ligne Spider, qui observe depuis plusieurs années l’évolution du cyberespace pakistanais, se dit déçue mais « pas surprise », par une censure qui affectera surtout les entrepreneurs Pakistanais qui se servent d’Internet pour développer le commerce et l’industrie locale :

« Le Pakistan avait déjà une mauvaise réputation à l’étranger, comme un endroit rétrograde et politiquement instable. Le blocage de Facebook et de YouTube ne va pas améliorer ça. Internet est un phénomène positif et un lieu où les gens peuvent s’exprimer. Il est inquiétant que les autorités puissent en restreindre ainsi l’usage sans précaution. […] Personne ici n’est favorable à cette page de Facebook, mais bloquer complétement l’accès à un site aussi populaire a troublé beaucoup de gens. »

Tiens, au fait, on remarquera que si l’émotion au Pakistan est vive, hors des forums en ligne et des cybercafés, il n’y a guère eu de manifestations de rues. Juste les habituels militants décidés à se faire remarquer par leur outrance (les auteurs de caricatures sont des « satanistes », forcément, et tout cela est une vaste « conspiration »…) – mais la plupart des hommes et femmes de la rue, et de la Toile, semblent surtout en proie à l’incertitude à l’endroit de ce médium si particulier qu’est le Réseau des réseaux, qui tend à rendre poreuses non seulement les frontières de la géographie, mais aussi de la politique, et d’univers culturels et mentaux que certains voudraient garder étanches, avec des limites strictement fixées.

Problème ? Oh, le même qu’avec Hadopi, l’ACTA, Chilling Effects, Wikileaks, et j’en passe… Le réseau interprète un blocage comme une erreur de fonctionnement et tend à le contourner pour y remédier.

Le cas du Pakistan est d’autant plus intéressant que (pour paraphraser le généticien d’origine pakistanaise Razib Khan, fin observateur), contrairement à d’autres pays musulmans, ce pays a pris l’islam comme unique référence de son « identité nationale ». Ailleurs, un passé pré-islamique glorieux (les Pharaons pour l’Égypte, l’Empire perse pour l’Iran, les Phéniciens pour la Tunisie…) peut servir de contre-point culturel. Au Pakistan, l’islamisme est étroitement mêlé au nationalisme.

Difficile donc de prédire l’effet qu’aura la porosité corrosive de la Toile… Et à quel point les internautes de ce pays accepteront que les partisans d’un certain type d’islam (comme les activistes de l’ILM) parlent au nom de tous.

Des critiques, de la polémique et de l’anonymat, depuis Sumer jusqu’à la Toile mondiale

J’avais commencé à répondre à un commentaire d’Éric Mainville (oui, celui de Crise dans les médias), à propos de mon billet sarcastico-polémique sur Michel Onfray et sa grrrande phobie du Net, mais la réflexion m’a menée un peu plus loin que prévu. On va donc essayer d’en faire profiter un maximum de monde.

Éric écrit :

[L’article] d’Onfray […] est typique de la façon aujourd’hui d’argumenter: frapper fort, mais dire des platitudes. Critiquer les commentateurs anonymes, c’est un platitude. Les comparer à des auteurs de graffitis de latrine, c’est un peu excessif.

Hum. « Un peu » excessif ? Légèrement, oui…

(Cela me fait penser à un dicton américain : « You can’t get just a little bit pregnant ». On ne peut pas tomber juste « un peu » enceinte, ou être « un peu » ruiné. Et ce qui est excessif n’est pas non plus « un peu » insignifiant…)

On pourrait aussi reprocher à Onfray, en plus de son outrance verbale, son manque de perspective : les critiques injustes du travail d’autrui ont-elles commencé avec Internet, ou s’agit-il d’un phénomène concomitant à la littérature et à toute forme de publication, c’est-à-dire de mise à disposition du public, d’une idée, d’une œuvre, du résultat d’une recherche ?

Toutes les générations se sont plaintes des « sales gamins » irrespectueux qui voulaient pousser leurs dignes aînés vers la tombe, et qui n’appréciaient pas à leur juste valeur les contributions des dits aînés. Chaque innovation en matière de communication a provoqué des craintes pour le statu quo. Même l’écriture ! L’adage romain : « les paroles s’envolent, les écrits restent », témoigne d’une société qui se méfiait de la fixation par écrit, sous forme immuable et qu’on ne peut plus renier, de ce qui sort de la bouche des gens (et peut revenir, plus tard, pour les accuser). Et je pourrais aussi bien citer Ésope et sa conception de la langue, « meilleure et pire de toutes les choses ». (Dans un autre hémisphère culturel, en Chine, il y a une phrase assez semblable attribuée à Confucius : « Ce qui est dit est dit, et un char tiré par quatre chevaux ne saurait le rattraper. »)

Mais si Onfray, dans sa peur, ou au moins méfiance à l’égard d’Internet, en oublie à peu près toutes les leçons de l’histoire culturelle, il démontre par son obsession des « commentaires anonymes » à quel point il méconnaît ce qu’il critique.

Oh, certes, il n’est pas le seul… Combien de gens se plaignent de ces blogueurs, ou commentateurs, qui se « cachent » derrière « l’anonymat », y compris sur des blogues et dans des forums où leur adversaire utilise ni plus ni moins qu’un pseudonyme, ou nom de plume ? (Ce qui, par parenthèse, est mon cas.)

Ils s’inscrivent ainsi dans une tradition bien ancrée d’écrivains, philosophes ou chercheurs utilisant une identité de rechange, soit par prudence (si leurs écrits pouvaient les mener au bûcher, par exemple), soit pour distinguer entre deux facettes différentes, voire incompatibles, de leur activité (comme le conteur et poète Lewis Carroll, pseudonyme de Charles L. Dodgson, professeur de mathématique). Un blogueur aujourd’hui peut utiliser ce pseudonymat pour éviter des ennuis au travail (s’il ou elle critique son employeur, ou a des idées politiques trop radicales), ou avec sa famille (le blogue utilisé comme auto-thérapie, ce n’est pas rare), ou parce que le climat du pays où il vit est trop répressif ; ou pour séparer entre l’individu privé, dont les opinions n’engage que lui ou elle-même, et une obligation de réserve, voire de solidarité, avec une université, un employeur, ou un parti. Le cas des agents de l’État et du devoir de réserve est également bien connu en notre bon pays de France.

Enfin (désolée, Éric), je ne vois pas en quoi ces méthodes polémiques (platitudes, outrances…) seraient « typiques » de notre époque. (Encore un coup du mythe de l’âge d’or et de la perfection perdue ? Nous déclinons depuis Hésiode et Isaïe. Que dis-je, depuis Sumer !)

D’ailleurs Onfray lui-même, en tant que philosophe et spécialiste de la pensée grecque antique, pourrait répondre ici que la rhétorique, ou art et technique de « gagner » un débat, avait été codifiée par les Anciens – qui n’avaient pas toujours beaucoup de scrupules quand il s’agissait de mêler, en douce, le consensuel « art de bien parler » à des techniques parfois malhonnêtes pour déstabiliser l’adversaire, susciter l’émotion du public en court-circuitant la raison, et ainsi de suite. La querelle entre rhéteurs et philosophes est même l’une des plus classiques de l’âge classique et de ceux qui s’en sont réclamé. Socrate contre les « sophistes », vous connaissez ? Et l’emploi du même mot de « sophistes » par Rabelais pour désigner les ennemis de l’Humanisme ?

Je ne crois donc pas qu’il faille s’étonner beaucoup si les fleurs de rhétorique que l’on cueille sur la Toile n’ont pas toujours un meilleur parfum que celles qui poussaient jadis entre les pages des livres, au pied des chaires magistrales ou entre les dalles de l’agora.

Nam dicere scribereque humana sunt.

P.S. À part cela, Éric Mainville a publié aujourd’hui sur son blogue personnel un fort intéressant billet sur la façon dont Michel Onfray applique à Internet le genre de « psychanalyse » sauvage qu’il condamne si fort chez autrui… Aïe, aïe, encore un coup de ces fichus vandales du Net ! Respectent rien !

Internet n’a pas d’odeur

Michel Onfray (dans Le Monde du 17/04) a – encore – une dent après Internet. Et il essaie désespérément de l’opposer au bon vieux livre d’autrefois, jusqu’à friser le point Godwin.

Mais… Une « Littérature de vespasiennes », vraiment ?

Quelle ironie. On se souvient de la fameuse réponse de l’empereur : « Non olet. »

Internet, monsieur le philosophe, c’est comme la recette des taxes sur les toilettes publiques sous Vespasien : ça ne sent pas. Tout dépend de l’usage qu’on en fait.

Et si on peut lire aux cabinets avec une tablette électronique, il reste plus facile d’y emporter un bouquin en papier.

Voire même un quotidien de référence.