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Savoir vivre, ensemble

On n’est pas des ours.
Qu’on le veuille ou non, on vit en société. Et il faut bien faire avec les autres. Il y a des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux, des croyants, des mécréants et des gens qui s’en foutent. Il y a des gens à mobilité réduite et d’autres avec un handicap mental. Il y a aussi des casse-pieds en tout genre.

Interdit d’interdire.

Dans 20 Minutes, un article croit pouvoir titrer sur une éventuelle « interdiction » du manspreading à Paris, quand la réalité consiste en une campagne d’éducation de la population, on pourrait même dire de prévention ! Car la « maladie des couilles de verre » fait des ravages parmi les usagers des transports en commun… À bon entendeur, messieurs !

Concours de mauvaise foi ?

Mandelieu-la-Napoule, petite ville de la Côte d’Azur, le maire (LR) écrit aux magasins H&M pour s’émouvoir de la présence de vendeuses voilées. Il invoque la laïcité – bien à tort, puisque la loi de 1905 régit les relations entre les cultes et la République, bref l’État, les collectivités, les services publics. Pas une entreprise privée.

Évidemment, en face, H&M n’est pas « juste » un employeur tolérant : on se rappelle qu’ils se veulent en pointe sur ce qu’on appelle la « mode pudique » (sic), en gros la transposition dans le prêt-à-porter des consignes vestimentaires d’un islam rigoriste. La clientèle des pays du Golfe évidemment en ligne de mire pour les enseignes : H&M, mais aussi Gap, Zara, Uniqlo… C’est un business juteux. (Au passage, l’article du Monde sur Mandelieu ne mentionne pas cet arrière-plan… Dommage pour leurs lecteurs.)
On peut imaginer que le maire, dont la ville dépend largement du tourisme en provenance de France et d’Europe, s’inquiète d’une tendance qui consiste à s’aligner sur les plus intransigeante(s), et qui pourrait, si elle s’étend, donner à la Riviera un petit air de Dubaï. Cependant, s’il voulait engager le dialogue, c’est mal parti. Des militants gauchistes pro-voile parlent de racisme, comme si un vêtement était une couleur de peau. L’inénarrable Observatoire de la laïcité se fend d’une bafouille, ça leur donne l’impression d’exister.

Mais en effet, pourquoi parler de laïcité alors qu’il s’agit ici de savoir-vivre, de civilité ? La tradition en France, contrairement à un pays comme les USA, est de ne pas constamment mettre en avant sa religion. Seuls les extrémistes le font, typiquement, des cathos tradis aux haredim, en passant bien sûr par les salafistes. Or ce n’est pas en s’alignant sur les plus intolérants que la France fera des progrès dans la tolérance !

Un dernier mot a propos de H&M. Il y a des cas où, en courant après une clientèle particulière, on finit par s’aliéner toutes les autres. H&M choisit, pour l’instant, la mode pudique, les pétrodollars et leurs relais multiculturalistes de par chez nous. Je prends le pari que cela leur retombera sur le nez. Le maire parlait dans sa lettre de plaintes de clientes : eh bien, c’est directement à l’entreprise qu’il faut adresser les avis négatifs ! Si le maire intervient dans la vie du magasin, en effet, c’est une ingérence. Mais si des clientes mécontentes expriment leurs griefs vis à vis de l’accueil, du service ou des produits, elles exercent leurs droits de consommatrices et envoient à l’entreprise un retour salutaire. Campagne de lettres, appels au boycott, agitation des réseaux sociaux, tout ce qui peut faire réfléchir une marque attentive à sa réputation – et à son chiffre d’affaires.

#Laïcité, #multiculturalisme : de quoi parle-t-on, au fait ?

Ce texte est la version légèrement remaniée d’un article paru en 2016 dans l’excellente revue Prochoix. Disponible sur le site, ou chez un bon libraire !

Trois mondes sur une colline : une Église militante (Sacré-Cœur) anti-modernisme, un vieux bastion ouvrier transformé en lieu de culture (Halle Saint-Pierre), et surplombant le tout, les demeures de la grande bourgeoisie.

Chez nous, en France, lorsqu’un débat porte sur les signes religieux à l’école ou dans la fonction publique ou dans le monde du travail, il y a souvent quelqu’un pour mettre sur la table l’exemple d’un pays anglo-saxon. Je me rappelle par exemple un certain exégète des médias déclarant sur Twitter il y a quelques années : « Mais la dernière fois que je suis allé à Londres, j’ai bien vu des policières en hidjab, et je ne vois pas où est le problème ? » La phrase m’avait frappée, non pour les mots eux-mêmes, mais parce qu’elle témoignait d’une vision limitée à la surface des choses. Pour un spécialiste de culture visuelle, ce monsieur se montrait singulièrement dépourvu d’outils critiques. Peut-être étaient-ils restés dans l’Eurostar.

Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas de problèmes qu’il n’y en a pas. Le Royaume-Uni a une particularité qui est, me semble-t-il, peu connue en France : il possède une religion officielle, l’anglicanisme, qui possède des liens étroits avec la monarchie : la reine d’Angleterre est encore de nos jours à la tête de l’Église anglicane, même si ce sont les évêques qui exercent la direction effective de l’Église. Leur chef, l’archevêque de Cantorbéry, est celui-là même qui couronne le souverain dans la cérémonie du sacre. C’est peu de dire que la laïcité telle qu’on la conçoit en France est étrangère aux institutions britanniques ! La transformation de la théocratie anglaise du temps d’Henri VIII et d’Élisabeth Ière en démocratie parlementaire tolérante s’est faite assez lentement, à travers les revendications de minorités pour être reconnues et participer à la vie civique : catholiques au XVIIIème et XIXème siècles, mais aussi les Juifs et divers groupes minoritaires libéraux au sein même de l’église anglicane, encore tout au long du XXème siècle.

Faut-il rappeler que jusqu’aux années 90, la religion a été le prétexte d’une guerre civile atroce en Irlande du Nord entre catholiques et protestants ? On connaît aussi le cas des « pèlerins » (pilgrims) du Mayflower, ces Puritains qui ont fui l’hégémonie anglicane pour fonder leur propre société idéale en Amérique. Société d’ailleurs tout aussi intolerante… Tant il est vrai qu’une minorité religieuse ne l’est le plus souvent que par accident, et que cela ne l’empêche nullement d’avoir aussi un projet totalitaire.

Mais revenons à cette démarche d’émancipation des minorités religieuses au Royaume-Uni et dans l’Empire britannique, car cela conditionne une bonne partie du débat, du fait d’une autre différence importante avec la France. Les progressistes, chez nous, ont cherché chaque fois à séparer le spirituel et le temporel pour créer dans la société civile un espace commun distinct des religions : lois de de 1789 émancipant les non-catholiques (jusque là, juifs, protestants et musulmans n’avaient pas d’état-civil et leurs droits étaient étroitement limités) et créant un état-civil distinct du registre des baptêmes et décès jusque là tenu par les curés ; utilisation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme charte éthique laïque ; lois de 1881 sur l’école primaire publique, laïque et obligatoire (cela ôtait aux églises un important levier d’action sur la société, et Jules Ferry comme ses « hussards noirs » en étaient bien conscients : il s’agissait d’arracher la jeunesse, pour une large part de son temps, à l’emprise du curé) ; enfin en 1905, loi portant séparation des églises et de l’État. Ainsi, être citoyenne ou citoyen ne nécessite aucune référence à la religion, ce qui a permis à des hommes et des femmes de toutes religions, voire sans religion, de s’engager pour le service de leur pays. C’est le sens de la phrase du comte de Clermont-Tonnerre, en 1789, à propos du statut des Juifs, alors débattu à la Convention : « En tant que peuple, aucun droit ; en tant que citoyens, tous les droits. »

Chez les Britanniques, au contraire, le progrès a souvent consisté à reconnaître aux minorités les mêmes droits et prérogatives que l’Église anglicane. Les premiers combats en la matière furent ceux des minorités chrétiennes du royaume, dés le XVIIIème siècle pour les catholiques. Au XIXème, Disraeli, premier ministre de la reine Victoria, eut à affronter les attaques des antisémites ; pour leur répliquer, il invoqua le prestige biblique du roi Salomon : « Oui, je suis juif, et tandis que mes ancêtres bâtissaient le temple de Jérusalem, que faisaient les vôtres ? Ils couraient dans la forêt derrière les bêtes sauvages. » La Bible servait ainsi de référence commune à tous les sujets de Sa Majesté britannique, et non une constitution ou même une histoire commune.

Un autre exemple bien connu, grâce au cinéma, est celui du combat du jeune Mohandas K. Gandhi pour les droits civiques de la minorité indienne en Afrique du Sud, au début du XXème siècle : les Indiens étaient astreints à porter un passeport spécial, les mariages célébrés selon le rite hindou ou musulman n’étaient pas reconnus par l’État (alors qu’à cette date, les mariages célébrés dans une église catholique étaient aussi valables que ceux des Anglicans), etc. Leur mot d’ordre, « Une loi, un roi », était loyaliste, montrant qu’ils cherchaient avant tout à être des citoyens comme les autres. Néanmoins, cette revendication passait par une reconnaissance des rites, cérémonies et associations religieuses des peuples non-chrétiens de l’Empire britannique, et non par l’instauration d’une communauté publique séparée d’une vie religieuse privée. On peut penser qu’il y avait là l’un des fondements de ce qu’on appelle aujourd’hui multiculturalisme.

Cependant, en cette deuxième décennie du XXIème siècle, un autre groupe interpelle la société britannique avec un mot d’ordre similaire : « One law for all! » Mais cette fois, ils et elles s’inspirent de la notion de laïcité, en anglais secularism, et ne voient plus dans les religions des forces de progrès. Leur porte-parole, Maryam Namazie, une Iranienne exilée à Londres, est également militante féministe, militante pour les droits humains et porte-parole de l’association des ex-musulmans de Grande-Bretagne.
Au fait, pourquoi revendiquer « Une loi pour tous » ? C’est que la reconnaissance des religions des ex-sujets de l’Empire ne s’est pas arrêtée aux questions de code vestimentaire. L’une des revendications islamistes satisfaites a été l’inclusion dans le système judiciaire britannique des sharia courts, sortes de tribunaux d’arbitrage que les musulmans peuvent saisir dans les affaires civiles (divorce, héritage, différents commerciaux…) et qui se prononcent d’après le droit islamique. Ces tribunaux privés n’ont pas été inventés par les musulmans : le Royaume-Uni connaissait déjà des équivalents pour les juifs orthodoxes. Mais vu la disparité démographique entre les deux groupes, les tribunaux islamiques touchent un plus grand nombre de gens. Il est certes interdit à ces tribunaux de juger d’affaires criminelles et de prononcer des châtiments corporels ; de plus, les parties en cause peuvent toujours faire appel devant les tribunaux ordinaires. Mais en quelques années, les problèmes se sont rapidement multipliés : décisions qui défavorisent les femmes et les filles au profit des hommes et des garçons, comme on pouvait s’y attendre au vu du droit de la famille traditionnel musulman ; pression de la communauté pour que les parties en conflit utilisent ces tribunaux musulmans plutôt que de porter une affaire devant les juridictions ordinaires ; bref, on comprend que de nombreux musulmans eux-mêmes dénoncent la rupture d’égalité que constituent ces tribunaux. Certains critiques font remarquer que l’on se croirait revenu à l’époque coloniale, quand la monarchie britannique reconnaissait aux indigènes une forme de self-government qui s’appuyait en fait sur une oligarchie locale ayant d’autant plus de facilité à opprimer leur peuple que celui-ci n’avait pas les mêmes droits que le peuple anglais.

C’est un peu ce qui se produit en Angleterre aujourd’hui : une loi pour les Juifs (du moins les groupes orthodoxes rigoristes et soudés), une pour les musulmans (où l’attitude des autorités britanniques a renforcé les conservateurs, puisque c’étaient eux qui réclamaient des exceptions au code vestimentaire, des tribunaux séparés, des écoles musulmanes financées sur fonds publics, etc.) et puis une autre pour l’ensemble de la société. D’où les revendications sur « Une loi pour tous » !
De nombreux musulmans ne sont pas favorables à une telle segmentation de la société, mais leurs voix sont peu audibles. La logique du gouvernement et des municipalités, qui est de traiter avec les community leaders, les « responsables des communautés », a renforcé de facto les éléments les plus conservateurs – d’autant que ces responsables sont souvent choisis parmi les religieux : chefs d’associations cultuelles, théologiens, etc. De sorte qu’on se retrouve avec des « communautés » artificielles, où l’islam devient le seul dénominateur commun de commerçants pakistanais, réfugiés afghans, étudiants nigérians, etc.

Les partis et associations de gauche pourraient peut-être jouer un rôle positif, mais pour le moment, et à quelques exceptions près, ils semblent moins préoccupés par l’émancipation et l’égalité des droits que par une crainte corrosive d’être un jour accusés d’islamophobie, même si l’anathème provient de l’un des groupes islamistes.

Un incident parmi d’autres pour illustrer cet état d’esprit : le 30 novembre 2015, Maryam Namazie (porte-parole de One Law For All, du Conseil des Ex-Musulmans Britanniques, de la coalition d’opposition de gauche iranienne, etc.) devait donner une conférence sur le thème « Apostasie, blasphème et liberté d’expression au temps de l’EI » au Goldsmith’s College (qui fait partie de l’Université de Londres), à l’invitation d’une association étudiante pour l’humanisme, l’athéisme et la laïcité. Une association étudiante religieuse, la Goldsmith’s Islamic Society, a d’abord tenté de faire pression sur l’Université pour faire interdire la conférence, prétendant qu’elle susciterait du racisme et de l’islamophobie. Devant leur échec, ils sont passés à une autre tactique : l’intimidation. Plusieurs membres de ladite société ou sympathisants se sont rendus à la conférence et ont commencé à jouer les perturbateurs : faire du bruit, passer près de Maryam Namazie et arracher le fil du projecteur, etc. (On peut voir la vidéo en question et, si on parle anglais, apprécier par soi-même si les accusations des étudiants islamistes étaient fondées.) La conférencière ne se demonte pas, cependant, même si elle doit intervenir à plusieurs reprises pour rappeler à l’ordre les fauteurs de troubles. Et à la fin, plusieurs étudiants et étudiantes musulmans lui expriment leur sympathie et se désolidarisent de ces actions.

Les choses auraient pu en rester là, si d’autres associations étudiantes de Goldsmith’s College, dont une association féministe et une LGBT, n’étaient pas intervenues pour soutenir… l’association islamique. Leur argument ? « La présence d’islamophobes connus sur le campus est porteuse de troubles ». (Cité par le toujours excellent Kenan Malik dans un article du New York Times.)

L’aspect terrorisant d’une telle logique devrait faire réfléchir : si l’islamophobie est un racisme, si l’on doit isoler les islamophobes simplement parce qu’ils sont accusés de l’être, cela revient à conférer aux islamistes eux-mêmes le pouvoir de choisir qui a ou non le droit de parler de l’islam, quels sont les sujets autorisés ou tabous, et quels sont les bons moments pour discuter. Je suis peut-être cynique, mais je ne pense pas que laisser aux religieux les clefs du débat sur la religion a fait beaucoup pour le progrès dans l’histoire de l’humanité !

Si on était vraiment sérieux à propos du voile

Il ne manque pas de témoignages de femmes, musulmanes d’origine ou converties, à propos du voile : pourquoi elles l’ont mis, pourquoi l’avoir enlevé le cas échéant, quelles difficultés elles ont rencontrées (ou pas), etc. Il en ressort fréquemment une impression que pour elles, à ce moment-là, c’était une nécessité, voire une évidence, de le porter.

Regardons le témoignage ci-dessus, il est assez classique : quête d’identité qui conduit à se tourner vers l’islam (d’autant que son ascendance franco-marocaine la mettait en porte-à-faux dans un milieu bourgeois et catholique) ; exigence d’authenticité qui pousse à adhérer à tous ce qui est perçu comme « musulman », voile compris ; malaise bien compréhensible à l’adolescence face au regard masculin, et le voile perçu comme une façon d’y échapper… Pour le coup, la jeune femme admet qu’au bout d’un an, elle a retiré son voile, car elle sentait qu’il ne la rendait que plus visible. Et vu son milieu d’origine, elle n’a certes subi aucune pression pour le garder.

Comme le montrent d’autres témoignages, le voile n’est pas forcément une aventure individuelle : une fois qu’une adolescente ou jeune femme s’y met, il arrive que la mère ou d’autres femmes de la famille suivent. Par conviction ? Ou pour maintenir l’harmonie familiale ? La question n’est pas posée. D’ailleurs le journaliste ne semble pas s’intéresser au pourquoi, juste au quand et comment.

En fait, il y a une catégorie de femmes qu’on n’interroge jamais sur le voile : celles qui ne l’ont jamais porté.

Suppose-t-on qu’elles ne se sont jamais posé la question ? Ou bien croit-on qu’elles ne sont pas « vraiment » musulmanes ? Les occasions de s’interroger ne manquent pourtant pas ! Surtout pour des femmes et des jeunes filles qui ont pu connaître l’évolution des attitudes des pays musulmans eux-mêmes vis-à-vis du voile. Dans les années 70-80, par exemple, très peu de femmes maghrébines portaient un voile, aussi bien en France qu’en Afrique du Nord. Seules quelques vieilles dames restaient fidèles à leur haïk, un mouchoir de dentelle porté devant je visage. Les femmes modernes portaient des coiffures à la mode, les jeunes filles sages se coiffaient en chignon. Les femmes qui n’avaient pas les moyens d’aller chez le coiffeur portaient un fichu noué derrière la tête. Rien de bien différent de leurs consœurs « françaises ».

Mais il faut dire que la différence sociale, à l’époque, entre les Français dit « de souche » et « issus de l’immigration » était nettement plus grande ! Le nom, le visage, l’accent, l’adresse, tout cela marquait un fossé entre les gens, à un point que les militants d’aujourd’hui contre la « discrimination raciale » ne mesurent peut-être pas. On n’avait plus connu de ministre noir depuis la IVe République, par exemple ! Les sportifs préférés des Français, les acteurs et chanteurs à succès, les entrepreneurs qui montrent l’exemple : tout ce monde-là, ou presque, était blanc. Très blanc. Et pas musulman non plus. C’était une époque où Michel Boujenah était exotique. On a fait du chemin, depuis, en matière d’acceptation de l’autre.

Dans ces conditions, qui avait besoin de se distinguer en mettant un hidjab ? D’autant que ce vêtement, venu des pays du Golfe Persique, n’était pas dans la tradition des pays du Maghreb ni d’Afrique de l’Ouest, principaux pays d’immigration.

Je ne referai pas ici l’histoire de la revendication du voile dit islamique par une partie des musulmans de France, en parallèle avec le développement de l’islam politique au niveau mondial.

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la parole des femmes. Celles que l’on n’entend pas parce qu’elles ont trouvé une façon de vivre leur foi, de vivre leur vie, de construire leur identité, qui n’inclut pas de se dissimuler les cheveux ni le corps.

Croit-on qu’elles ont été épargnés par le sexisme, par exemple ? Je crois bien qu’aucune femme ou fille n’a été épargnée par les quolibets, les regards salaces, voire les gestes déplacés. Se cacher est une tentation. Le discours pro-voile, qui associe le hidjab à la pudeur et à la réserve, peut sembler séduisant, dans ces conditions… Mais aucun morceau de tissu ne protège des machos. Ni du mal-être ainsi engendré.

Issue d’une famille catholique, je n’avais pas de voile vers lequel me tourner, quand j’étais ado. Le regard des autres, j’ai dû apprendre à le gérer, parce que personne ne pourrait le faire à ma place. J’ai appris à me méfier de certains comportements, et à répondre vertement à certain « humour ». Et surtout, j’ai appris à ne pas me mettre martel en tête pour les choses qui ne dépendaient pas de moi. Je ne dis pas que j’ai fait quelque choses d’extraordinaire, non : au contraire. Il s’agit de l’apprentissage de l’âge adulte, de l’indépendance. Il ne devrait pas y avoir de sexisme se rajoutant sur tout cela, bien sûr. Mais en l’état actuel des choses, savoir qu’il y aura du sexisme et être capable de le surmonter fait partie des « habiletés sociales » importantes pour les femmes.

Et tourner un moment le regard au-delà du hidjab, au-delà des discours sur la modestie, permet de redécouvrir une chose que la société n’aurait jamais dû perdre de vue : il y a de nombreuses formes de malaises de la féminité et de l’identité, et de nombreuses manières de les surmonter. Ce n’est pas parce qu’un petit nombre cherche une identité musulmane orthodoxe que toutes celles qui cherchent à exprimer une identité non chrétienne et non européenne, y compris métisse, doivent être laissées pour compte. Ce n’est pas parce qu’une personne se trouve plus pudique avec un hidjab que toutes celles qui se sentent parfaitement correctes avec les cheveux, une permanente, voire un simple bandana doivent être considérées comme inintéressantes.

Car au fond, aujourd’hui, c’est cela, le danger : que ce soit pour faire la promotion du voile ou pour l’attaquer, il y a une tendance à le considérer comme la norme pour les musulmanes – et à considérer comme musulmans par défaut tous ceux et celles qui ne ressemblent pas trop à des descendants de Vercingétorix. C’est plus compliqué. La vie est compliquée. Et si on était sérieux au sujet du voile, on s’en apercevrait.

Laïcité et multiculturalisme, mon article dans la revue Prochoix n°66

« Chez nous, en France, lorsqu’un débat porte sur les signes religieux à l’école ou dans la fonction publique, il y a souvent quelqu’un pour mettre sur la table l’exemple du Royaume-Uni : « Mais, disent-ils par exemple, la dernière fois que j’y suis allé, il y avait des policières en hidjab au poste de sécurité d’Eurostar, et je ne vois pas le problème ? »

À quoi on pourrait répondre qu’un instantané d’une petite partie de la société britannique n’est pas vraiment utile comme modèle concret. Bref, ce n’est pas parce qu’on ne voit pas de problèmes qu’il n’y en a pas »

La suite dans le numéro 66 de la revue Prochoix (disponible ce mois-ci en librairies ou maisons de la presse).

Couverture de Pro Choix numéro 66, mars 2016

Au pied du Sacré-Cœur, les braises anticléricales couvent toujours

Vivre à Paris, au pied de la butte Montmartre, c’est un peu vivre dans une attraction touristique. Il y aurait de quoi s’en lasser… Heureusement, c’est aussi vivre au milieu des pages d’un livre d’histoire. Cela fait des compensations.

Je recommande une petite balade autour et dans le Sacré-Cœur, par exemple. Les millions de visiteurs qui visitent la basilique chaque année savent-ils que cette grosse meringue blanche a été bâtie à l’instigation de notables catholiques, souvent monarchistes, qui voulaient rétablir l’Ordre moral (sic) et que la France « fasse pénitence » (re-sic) pour l’insurrection populaire républicaine que fut la Commune de Paris ? (La phrase « Gallia pœnitente » est d’ailleurs inscrite en toutes lettres à l’intérieur, parmi d’autres pieuses devises.)

Photo : statues équestres d'anges armés d'épées, portail de la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (Crédit : Irène Delse)

Statues équestres d’anges armés d’épées, au-dessus du portail de la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (Paris 18e) – Photo Irène Delse

On peut aussi apprécier les statues d’anges très militants (et militaires) qui accueillent le visiteur, casque en tête et épée à la main. À tout prendre, je préfère la sobre vieille église abbatiale St-Pierre-de-Montmarte, qui s’élève de l’autre côté de la rue, et qui couronnait la colline depuis le XIIe.

L’intérieur du bâtiment est intéressant, avec un mélange de haut kitsch néo-classique et d’art-déco, de sculptures modernes involontairement (?) surréalistes (Saint-Denis portant sa tête entre ses mains levées, en avant de ses épaules…) et de marchandisage du temple (une boutique de souvenirs ? non, deux). Oh, et ne surtout pas laisser passer l’occasion de gagner des indulgences papales, hem, hem. (Pas de photo ici, hélas : interdiction d’utiliser son appareil à l’intérieur. Sans doute pour éviter la concurrence.)

On devinera que je ne suis pas vraiment touchée par la piété organisée.

Mais ce qui m’a bien fait sourire, c’est le nom de la rue qui longe la fameuse basilique, et qui forme son adresse légale : rue du Chevalier de la Barre. Réponse du berger à la bergère ? Qu’on en juge : le parti catholique et monarchiste lance la souscription pour bâtir le Sacré-Cœur au début des années 1870, et parvient même à faire voter l’ouvrage d’utilité publique par l’Assemblée nationale en 1873. La IIIe République n’était pas encore bien assurée sur ses bases, étant un peu à l’époque un régime « par défaut ».

La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, côté rue du Chevalier de la Barre

Flanc droit Arrière de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, côté rue du Chevalier de la Barre, avec gros-plan sur la plaque de rue (photo : Irène Delse)

Mais en 1907, quand l’ancienne rue de la Fontenelle (du nom d’une source locale) devient rue du Chevalier de la Barre, la République a gagné, la loi de séparation de l’Église et de l’État est toute fraîche et l’anticléricalisme sert alors utilement à faire faire à l’histoire de France son devoir d’inventaire. Diverses victimes de l’ordre moral d’Ancien Régime sont réhabilitées.

Et le pauvre chevalier de la Barre, torturé et condamné à mort à 19 ans pour les graves « offenses à la religion » d’avoir possédé de « mauvais livres » (dont le Dictionnaire philosophique de Voltaire) et ne pas s’être découvert au passage d’une procession, entre au patrimoine des rues de la capitale.

Juste à côté d’une grosse église où l’on procède à l’adoration perpétuelle de ce même Saint-Sacrement qu’il n’avait eu garde de saluer.

Salut, Benoît, c’est Ahmadinedjad…

Il y a des soutiens dont on se passerait… C’est du moins ce qu’a dû se dire le pape Benoît XVI en recevant l’autre jour une lettre de Mahmoud Ahmadinedjad, le très sulfureux et très médiatique président iranien, pour lui demander de faire front commun avec lui contre l’esprit laïque à l’occidentale. Entre «religions divines» [sic], il paraît qu’on peut s’entendre?

(Au passage, merci à OldCola pour le lien.)

Enfin, c’est du moins ce qu’affirme le site Internet de la présidence iranienne, (bonjour l’opération de com’). D’après la dépêche de l’Associated Press:

The Vatican did not release the contents of the message, but the website of the Iranian presidency said that Ahmadinejad had called for cooperation by «divine religions» against secularism.

Oh, ho. Le Vatican, lui, confirme juste avoir reçu la missive, mais ne commente pas le contenu et ne précise pas si le pape a l’intention de répondre… Prudence, prudence!

C’est vrai qu’il y a de quoi semer le trouble chez les catholiques – encore un exemple de «c’est dur d’être aimé par des cons»?

Mais c’est aussi intéressant de voir comment, au-delà de tout prétendu choc des civilisations, une même logique anti-laïque et anti-humaniste anime le «chef spirituel» des catholiques comme le leader politique d’un État islamiste. Car c’est bien le même langage qu’on a encore récemment entendu lors de la visite papale en Grande-Bretagne: haro sur la «sécularisation», le «matérialisme» et même «l’extrémisme humaniste»!

(À croire qu’il s’agit d’un copier-coller.  Tss, quel mauvais esprit!)

Et pourtant, il n’y a rien de plus stimulant, pour l’optimisme, qu’un dialogue franc et serein entre les religions… Pas vrai?

Les drôles d’amis de Riposte Laïque

Le 4 septembre, Riposte Laïque, autoproclamé défenseur des valeurs républicaines, n’a pas manifesté contre le racisme avec la Ligue des Droits de l’Homme… mais a participé à un raout du Bloc identitaire.

(Qui a d’ailleurs fait un flop. Tiens donc.)

De gauche, Riposte Laïque (comme ils prétendent l’être)? Tendance Doriot, oui! Ce n’est plus «égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion» (cf. notre Constitution), mais primauté à un fantasmatique «peuple français» qui n’est plus identifié aux travailleurs, mais à une ethnie. Pour ne pas dire un Volk.

En fait de valeurs républicaines, ils confondent laïcité et nationalisme! Et oublient que la fameuse «identité nationale» n’est qu’une autre forme de communautarisme, blanc et hexagonal, celui-là…

Pour passer sous les fourches caudines de leur version très spéciale de la laïcité, il faut absolument porter aux nues le vin et le saucisson (végétariens, alcooliques anonymes, tant pis pour vous!) et s’envelopper dans le drapeau bleu-blanc-rouge. Et pas question de critiquer d’autres problèmes que ceux de l’islam! Faire remarquer la persistance de formes de misogynie chez les gens bien de chez nous, ou l’intolérance de certains catholiques, c’est faire le jeu de l’ennemi idéologique, forcément…

Cela dit, je leur souhaite bien du plaisir, à RL, s’ils comptent entrer en concubinage prolongé avec les  identitaires, plutôt branchés terroirs. Le jacobinisme, ce n’est pas vraiment leur bolée de cidre! Et eux préfèrent les coiffes régionales traditionnelles au trop révolutionnaire bonnet phrygien.