
Une fois qu’on a commencé à se pencher sur les antécédents littéraires au roman policier moderne, depuis la Bible et l’Antiquité grecque jusqu’à l’Emma de Jane Austen, on ne peut s’arrêter en si bon chemin. Il y a dans la littérature occidentale un exemple illustre de héros dont la raison d’être est de se poser des questions : Hamlet.
Dans La Tragédie de Hamlet, prince de Danemark, Shakespeare met en scène une longue et tortueuse quête de vérité, autour d’un meurtre d’autant plus odieux qu’il a failli rester indétecté. Est-il utile de rappeler le détail de l’intrigue ? Notons seulement qu’après la révélation du début, par le spectre du roi assassiné, c’est d’une enquête tout ce qu’il y a de terre à terre qu’il s’agit. Le prince Hamlet, fils de la victime, en bon héros de la Renaissance, est un homme de logique et de raison. Trop cérébral, peut-être, et trop enclin à douter de lui-même, jusqu’à être paralysé devant l’action. Mais un homme rationnel, qui cherche la vérité en interrogeant les témoins potentiels, en observant de près les suspects dans leur vie quotidienne et en essayant de reconstituer mentalement le déroulement des faits.
Bref, créer en esprit un modèle des faits, pour le comparer aux indices recueillis. Et il tente de s’imaginer les motivations du coupable et de sa complice, grâce à cet outil mental que nous appelons aujourd’hui théorie de l’esprit.
On sait que tout cela n’empêcha pas le dénouement tragique. Mais peut-être que ce n’était pas tant la difficulté à croire la vérité qui troublait Hamlet, mais plutôt les conséquences familiales et personnelles de cette vérité. Comment accepter, en effet, que sa propre mère ait pu participer à l’assassinat de son père ? Après avoir mis au jour la vérité, Hamlet ne supportera pas de survivre. En cela, il n’est pas juste un détective, mais le héros d’un « roman noir » avant la lettre.