
[Pas trop le temps de poster, ces temps-ci. Désolée. Le job alimentaire est aussi une activité essentielle. Mais je reposte ici un billet qui m’est revenu à l’esprit récemment, pour diverses raisons. Vous verrez.]
On apprend parfois beaucoup d’un refus d’éditeur.
Quand j’étais une auteure débutante, que mon ambition se bornait à écrire des nouvelles fantastiques ou de science-fiction, je tentais ma chance auprès de divers magazines, et surtout des fanzines où les amateurs pouvaient espérer trouver une place. Vers la fin des années 1990, j’avais réussi à placer quelques textes dans divers fanzines francophones, mais chaque tentative de publier dans un cadre professionnel se soldait par un échec. Et je n’osais même pas me lancer dans l’écriture d’un roman.
Et puis il s’est passé quelque chose de curieux. J’avais rédigé deux textes qui deviendraient bientôt les premières versions de « L’horizon incertain » et « Le joueur d’échecs », deux nouvelles de fantasy dont je suis assez contente. À l’époque, ils étaient nettement plus courts – et même assez abrupts. Qu’à cela ne tienne. Je les ai envoyés à divers fanzines. Sans succès. Et sans explications. Je commençais hélas à avoir l’habitude.
Et puis je reçois un courriel du rédacteur en chef du fanzine québécois Horrifique qui me fait quelques suggestions : ces textes laissaient le lecteur sur sa faim, disait-il ; ne pourrais-je les étoffer en y mettant plus de gore ?
(Je cite de mémoire, mais oui, c’est bien le mot qu’il a employé.)
Du coup, cela m’a fait réfléchir. Il n’y avait certes pas de sang ou d’horreur dans ces deux nouvelles, pour la bonne raison qu’il n’y avait presque aucun détail ! L’intrigue était esquissée plutôt que racontée, et les personnages se réduisaient à des silhouettes. Pas de chair, pas de vie.
Qu’à cela ne tienne : j’ai repris mon traitement de texte et j’ai écrit. J’ai dépeint les scènes d’action que j’avais auparavant à peine suggérées, et ce faisant j’ai donné plus d’épaisseur à mes personnages. On les a vu agir, lutter pour la vie, ou pour protéger ce qu’ils avaient de plus cher. On les a vu prendre des risques, non pas seulement physiques mais moraux : quel prix étaient-ils prêts à payer pour vaincre ? Et ainsi de suite. Bref tout le contraire de la violence comme assaisonnement : c’est bien plutôt le rôle de l’adversité comme révélateur de la personnalité qu’il s’agit. Un ressort dramatique aussi ancien que les plus anciennes histoires.
Quelques mois plus tard, je plaçais « L’horizon incertain » dans le fanzine en question, et « Le joueur d’échecs » dans la revue Faëries. Quelques temps encore, et je me sentais assez à l’aise pour commencer un premier roman, L’Héritier du Tigre. Le reste, comme on dit, n’est que littérature.