Je pose la question parce que c’est ce qu’affirme le titre d’une dépêche AFP/La Croix citée dans cet article de Dazibaoueb (retwitté par Céleste, merci à elle). Or cette dépêche ne cite que les chiffres d’une enquête de l’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) réalisée dans le cadre de la 3e Journée du refus de l’échec scolaire, chez des élèves de primaire et collège de quartiers populaires. Des chiffres qui font réfléchir, notamment celui-ci: un sur trois déclare avoir mal au ventre le matin avant d’aller à l’école.
Mais à partir de ce chiffre brut, le titre choisi par La Croix (et Dazibaoueb à sa suite) pour présenter l’enquête, fait tout à coup un raccourci entre ces deux éléments: élèves physiquement malades le matin, élèves de milieux défavorisés; et pose implicitement un lien de cause à effet.
Soyons clairs: je pense que cette conclusion est probablement juste. Le problème, c’est que cette enquête, toute intéressante qu’elle soit, ne permet pas de conclure dans ce sens, faute d’échantillon de contrôle.
J’ai eu la curiosité de consulter le texte complet de ce «Baromètre 2010» de l’Afev sur «le rapport à l’école des enfants de quartiers populaires», qui est disponible ici sous forme de PDF. Citons l’exposé de la méthode employée pour l’enquête:
L’enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de 760 élèves de primaire et de collège, issus de quartiers populaires et suivis par un étudiant de l’AFEV, entre avril et juin 2010. De manière générale, les tendances que l’on avait pu mettre en exergue les années précédentes (2008 et 2009) perdurent. Dans cette édition 2010, de nouvelles questions ont été introduites permettant d’expliciter et de préciser les constats importants du baromètre mais aussi de nourrir le thème de la troisième «Journée du Refus contre l’échec scolaire»: «Souffrances à l’école».
Pas de groupe de contrôle, on le remarquera. L’Afev, qui s’intéresse aux raisons de l’échec scolaire et aux moyens d’y remédier, a porté le regard sur les populations en difficulté, et dressé un tableau de tout ce qui peut être source de stress et de mal-être à l’école, tout ce qui peut contribuer à éloigner l’environnement familial de l’environnement scolaire, etc.
Des données très intéressantes, mais à quoi les comparer? Comment faire la part de tous ces éléments dans le fait social complexe dénommé «échec scolaire»?
Où est la contre-enquête dans des écoles et collèges de Neuilly ou du 16e arrondissement sur le mal au ventre du matin avant d’aller en classe?
Parce que je peux garantir que le «stress» et le «mal-être» à l’école qui vont jusqu’à faire somatiser et rendre physiquement malades les enfants qui ne «s’adaptent» pas ne sont pas des phénomènes limités aux quartiers populaires.
Eh oui, je parle d’expérience… Le malaise du matin d’école, c’était mon pain quotidien pendant les 6 ou 8 premières années de ma scolarité.
Dans mon cas, pourtant, pas de «handicap socio-culturel» (comme on disait à l’époque): issue de la classe moyenne, avec des parents fonctionnaires et enseignants, j’aurais dû être pile-poil dans le public idéal de l’institution scolaire, non?
Eh non. J’étais psychologiquement mal à l’aise, j’avais horreur des groupes importants, du bruit, de l’agitation des autres enfants. Être comparée aux autres aussi me faisait horreur, surtout quand l’institutrice passait du temps à expliquer longuement à ceux et celles qui comprenaient lentement, et que je m’ennuyais. Quand elle passait sans voir mon doigt levé pour répondre (et c’était souvent), et allait donner la parole à un cancre à qui il fallait arracher mot à mot une bribe d’esquisse de réponse, cela me semblait injuste… C’était pourtant son métier d’encourager tous les élèves à participer! Et si je comprenais sans qu’on ait besoin de me faire un dessin, c’était tant mieux, autant de travail en moins pour elle!
Bref, je percevais l’école comme un endroit truffé de périls, d’injustice et de temps perdu. Il me semblait que j’apprendrais plus vite seule avec un livre que forcée de m’enfermer toute la journée dans une classe avec 25 autres gamins.
Comme on s’en doute, j’ai survécu. Pas que j’ai cessé de ressentir du malaise, non. Mais j’ai trouvé des façons de m’adapter. Par exemple, j’ai cessé de me formaliser si mon voisin voulait copier sur moi: je ne ressentais plus l’injustice de la chose, mais trouvais désormais de l’avantage à le voir ainsi occupé tranquillement, sans m’embêter. Même, je lui facilitais l’opération. (C’était sans danger. Les profs gardaient à l’œil les élèves agités, pas les bons élèves ni les copieurs discrets.)
Pourquoi je raconte ces anecdotes, qui n’ont guère de valeur que comme donnée ponctuelle dans un vaste ensemble d’observations sur l’école et la société?
Mais pour illustrer ce que je disais plus haut: il n’y a pas qu’une cause unique, forcément sociale, au malaise du matin d’école; n’étudier que les chiffres d’une catégorie sociale (ici, les élèves de milieux populaires) risque de masquer la complexité des problèmes désignés sous l’expression «échec scolaire» ou «mal-être à l’école.» Par exemple, tous les enfants n’apprennent pas de la même manière, mais l’école privilégie certains modes d’apprentissages et pas d’autres.
Pour agir, il faut comprendre. Pour comprendre, il faut regarder la totalité du phénomène.
D’autant que l’échec scolaire est par excellence un phénomène relatif: il s’agit d’un échec par rapport à l’ensemble de la population, ou par rapport à une moyenne… Et on peut rappeler que l’expression «échec scolaire» ne désignera pas la même chose dans tous les milieux sociaux. Mais ceux qui ont les moyens dépensent pas exemple des fortunes en cours particuliers, séjours culturels, écoles privées, etc., pour essayer de s’en prémunir.
Mais cela ne veut pas dire que leurs enfants n’ont pas de «problèmes» à l’école, justement. Sinon, ce ne serait pas un marché si florissant.
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