Roman noir historique, vous dites ?

Vous avez peut-être vu passer l’annonce sur le site des éditions du 81 ou sur les réseaux sociaux : ils recherchent de nouveaux manuscrits, aussi bien des textes de non-fiction issus d’une expérience personnelle que des romans, et en particulier des romans noirs historiques. L’éditeur a ainsi déjà publié quelques titres dans cette collection, y compris mon roman Du sang sur les dunes.

C’est un peu plus pointu que le roman policier historique, déjà décliné quasiment à l’infini, depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine, et couvrant aussi tous les styles, depuis le mystère cosy à la Agatha Christie (qui a d’ailleurs été une pionnière du polar historique avec La Mort n’est pas une fin, situé dans l’Égypte des pharaons) jusqu’au thriller le plus sanglant. Mais marier histoire et roman noir me semble particulièrement intéressant.

Quels sont les ingrédients du roman noir ? Wikipédia, ou le dictionnaire, évoquent le moment particulier de la naissance du « noir », vers 1945, avec les traductions de romans de détectives américains dits hardboiled (durs à cuire) dans la collection « Série noire » de Gallimard, qui vont définir l’esthétique et les thèmes du roman noir. Il ne s’agit pas ici d’énigmes abordées comme un jeu intellectuel, mais du crime comme fait social total, où les ramifications peuvent toucher la vie privée des personnages aussi bien que celle de l’entreprise qui les emploie, ou encore révéler la corruption d’élus locaux ou nationaux… Le crime organisé n’est jamais loin, touchant à tout comme une pieuvre, et le dénouement, même s’il permet de rendre une certaine forme de justice (ce qui n’est pas toujours le cas), n’est jamais un happy end. Un criminel peut être puni, mais d’autres échapper à la justice, ou bien il y a tellement de morts parmi les innocents que c’est un souffle de tragédie qui plane en fin de compte.

Transposons cela dans une période historique donnée. Rien de bien difficile : l’histoire regorge de périodes et de milieux favorable au mélange du crime, de la politique, de l’économie, de la galanterie…

Ainsi, quand je me suis lancée dans une série de romans se passant sous la Révolution et l’Empire, je savais que j’avais de quoi faire. Les réseaux d’espionnage, les trafics de toute sorte pour contourner le blocus continental ; des ascensions économiques et sociales vertigineuses et des chutes qui le sont tout autant ; un ministre de la Police (Fouché) qui emploie un ancien voleur (Vidocq) pour prendre d’autres voleurs ; des faux-monnayeurs à motivation politique ; de faux aristocrates voisinant avec de vrais, mais ruinés ; de grandes horizontales qui publieront plus tard leurs mémoires avec des minauderies pudibondes ; des régicides qui trouveront le moyen d’entrer au service du roi… Comme le disait Sieyès quand on lui demandait ce qu’il avait fait sous la Terreur : « J’ai vécu. »

Cela pour les thèmes. Mais il y a un autre aspect caractéristique des romans noirs, le dénouement ambigu et souvent très sombre, qui traduit l’imbrication du crime dans tous les pans de la société. Dans une situation historique donnée, ce n’est pas un problème, au contraire, parce que la suite des événements étant connue, elle vient apporter l’élément de fatalité qui donne à toute bonne fin de roman noir son aspect inéluctable.

C’est ce que j’ai expérimenté en écrivant Du sang sur les dunes. L’intrigue tourne autour des projets de descente en Angleterre caressés par Bonaparte jusqu’à l’été 1805. Les plans ont été abandonnés à cause de la supériorité maritime des Britanniques, et parce que la guerre se rallumait sur le continent, exigeant une réaction rapide (ce sera Austerlitz). Cela, c’est l’histoire telle que nous la connaissons. Mais si Napoléon avait pu bénéficier d’un nouveau type d’arme, capable de semer la pagaille dans la flotte d’Albion ? C’est ce que le héros du roman, le capitaine Antoine Dargent, s’efforce d’établir, ayant trouvé un fragment de plan sur le cadavre d’un ingénieur assassiné.

Il s’efforce aussi de découvrir le meurtrier et de le livrer à la justice. Mais l’histoire, toujours elle, nous apprend que l’innovation que je mentionne dans l’intrigue n’a pas figuré, même à l’état de plans, dans l’arsenal du Premier Empire. On se doute donc que la fin sera une fin de roman noir : pleine de destructions. Et de désillusions.

Et mon protagoniste pourrait dire à son tour : « J’ai vécu. »

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