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Mes fiertés à moi : Helena, Viviane et les autres

If thine is the glory, mine must be the shame (Leonard Cohen, « You Want It Darker »)

Je n’ai pas la prétention de faire des romans LGBT, en revanche j’ai toujours pensé qu’il était bon, dans un monde divers, d’avoir aussi de la diversité dans les personnages de fiction. Et j’ai mis ça en pratique dans mes romans et mes autres récits publiés.

Prenez ma série de science-fiction, L’Interprète, à lire en ligne sur la plateforme Doors/Vivlio : l’héroïne, Viviane, est mariée à une autre femme, et ce n’est pas le sujet du récit, mais juste un élément du monde où nous vivons, et qui n’a pas à être justifié. On pourra trouver ça léger, ou au contraire rafraîchissant, c’est selon.

Et puis il y a Augusta Helena, le gros roman noir historique publié aux Éditions du 81 : cette plongée dans le monde antique a été l’occasion d’explorer les façons de vivre ce qu’on n’appelait pas encore des identités sexuelles, à une époque où les tabous étaient bien différents des nôtres. Occasion, avec mon protagoniste Lucius, de se mettre dans la peau de gens pour qui l’attraction envers une personne de même sexe était vécue comme naturelle, mais pour qui les interdits insurmontables étaient de nature sociale : de quoi mettre aussi des bâtons dans les roues des amoureux, mais pas les mêmes !

Enfin, je peux mentionner la série de romans policiers commencée avec Du sang sur les dunes (aussi aux Éditions du 81), où l’un des personnages récurrents, Lucien, est aussi « out » qu’on peut l’être au début du XIXe siècle, sous le 1er Empire… Ce qui veut dire plus qu’on pourrait se l’imaginer de nos jours. (J’ai raconté ailleurs mon processus de documentation, des blogs aux thèses d’État.) Et quant au personnage principal, Antoine… C’est compliqué. Mais on devrait en découvrir un peu plus cet automne, quand paraîtra un autre opus. Promis, juré.

Là aussi, cependant, la sexualité ou l’identité des personnages n’est pas le sujet du roman, mais un élément de l’univers, à prendre ou à laisser. J’ai vu, grâce aux lecteurs bêta, que certains passaient complètement à côté. Dommage pour eux. Mais pour les autres, c’est une suggestion de lecture dans l’actualité… Ou, si on veut, une occasion d’explorer différemment, et sans pression, un thème souvent chargé de clichés et de polémiques.

Je laisserai à d’autres le militantisme, mon truc, c’est l’imagination. Qui a dit « imagination au pouvoir » ? C’est une force puissante, en tout cas. À vous de juger.

Quand un monde bascule : appréciation pour Augusta Helena

Augusta Helena, tome 1 : Énigmes en Terre Sainte, Éditions du 81, janvier 2022

Ce week-end, j’ai donné un exemplaire de mon roman Augusta Helena à un ami qui avait le manuscrit et fait des suggestions intéressantes. Toujours payer ses dettes à ses bêta-lecteurs, c’est une bonne habitude à prendre pour les auteurs.

La même personne m’a fait un compliment auquel je ne m’attendais pas, mais qui m’a touchée : il trouvait que cette histoire de la découverte de la Croix du Christ par Hélène était une image et un symbole frappants du basculement qui s’était produit dans le monde occidental au IVe siècle, quand le christianisme avait cessé d’être une religion de marginaux pour devenir, selon ses mots, « une affaire rentable », au point que même des non-chrétiens l’acceptent comme la nouvelle normalité. Un changement d’ère. « Les symboles sont importants », a-t-il ajouté.

C’est bien aussi ce que je pense. C’est pourquoi j’ai inclus, en plus de la scène de la découverte elle-même, une autre où mon protagoniste païen, Lucius, décide d’investir dans la fabrication d’images pieuses, du genre qu’on vend aux pèlerins.

Le genre d’images qui ferait florès dans les siècles suivants, notamment sous forme d’icônes.

Icône roumaine de Ste Hélène donnant la Croix à Constantin
La Croix surmontée du Chrisme, le symbole chrétien mais aussi œcuménique de Constantin.

Ça fait plaisir en tout cas de voir que ce roman que j’ai écrit en me lançant comme ça, pour voir, tient plutôt bien la route.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

L’Odyssée de l’Impératrice : ça y est, le roman est en librairie !

Oui, cette fois, c’est fait : le second et dernier tome d’Augusta Helena est disponible ! « Dans toutes les bonnes librairies », selon l’expression consacrée.

De quoi s’agit-il ? D’un gros roman, qu’il a fallu couper en deux pour le publier dans de bonnes conditions. D’un roman d’aventures et d’énigmes autour de la figure mi-historique, mi-légendaire d’Hélène, mère de l’empereur Constantin, future Sainte Hélène. Intrigues de cour, affaires de cœur, querelles et débats entre chrétiens mais aussi avec la société païenne qui regarde de haut ces nouveaux venus aux grandes ambitions…

C’est tout un monde que j’ai essayé de faire vivre, à travers des personnages variés : Lucius, l’aristocrate romain qui se veut philosophe ; Ossius, évêque et homme d’État prudent ; Alexandre et Apollonia, deux adolescents éthiopiens à l’esprit aventureux ; Hildericus, officier franc de la garde impériale ; les jeunes nonnes Mariam et Saphira, qui ont tous les courages face à l’injustice… Ce sont d’ailleurs elles qui mettent l’intrigue en mouvement. Le voyage mènera tout ce monde de Rome à Jérusalem, sur la trace de la plus précieuse des reliques : la Croix du Christ. Mais aussi sur la trace d’un double meurtre : celui de l’épouse et du fils aîné de Constantin, que la raison d’État voudrait étouffer.

Augusta Helena : T. 1 Énigmes en Terre Sainte, et T. 2 L’Odyssée de l’Impératrice, aux Éditions du 81, 16,90€ chaque.

Y avait-il des chirurgiennes au temps de Napoléon, ou comment le passé peut encore nous étonner

Je suis en train d’écrire un roman policier historique situé en Angleterre en 1802, soit au moment d’un bref épisode de paix avec la France, avant la reprise des guerres napoléoniennes. La période est, paradoxalement, peu connue chez nous : il y a beaucoup plus de matériau sur la vie quotidienne de la période victorienne qui suit. Heureusement, les Anglais et les Américains s’y intéressent un peu plus, notamment parce que c’est l’époque de Jane Austen, dont le succès n’est plus à démontrer.

Parmi les livres qui m’ont servi à entrer dans le monde des crimes, des faits-divers et de la justice au tout début du XIXe siècle, il faut citer The Maul and the Pear-Tree: The Ratcliffe Highway Murders, 1811, par T. A. Critchley et P. D. James, paru en 1971. Oui, c’est l’écrivaine de polars bien connue, qui s’essaie ici au genre true crime, en compagnie d’un historien de la police travaillant sur les sources primaires d’époque : procès-verbaux, correspondances, articles de journaux… (Il a été traduit chez nous en 1994 sous le titre Les Meurtres de la Tamise.)

C’est le récit et une tentative d’élucidation d’une affaire de meurtres brutaux dans l’East End miséreux mais en pleine transformation de Londres, à une époque où la Tamise était la grande artère de circulation pour les gens et les marchandises. En marge de l’enquête des magistrats (qui ne se sont pas couverts de gloire ici, il faut l’avouer), on découvre tout un univers humain, grouillant, contrasté : les marins qui débarquent ou disparaissent d’un jour à l’autre, qui perdent leur solde en quelques jours dans les tavernes, au jeu ou avec les filles de joie ; les boutiquiers et taverniers qui fournissent cette clientèle volatile et peu commode ; les traditionnels mais peu fiables veilleurs de nuit, qui seront bientôt discrédités et remplacés par une vraie police, en 1829…

Et puis il y a des détails curieux, mentionnés au passage, mais qui soulèvent plus de questions qu’ils n’en résolvent.

Ainsi, les auteurs reproduisent d’après un procès-verbal la déposition d’un homme qui serait bientôt le principal suspect (très probablement à tort, mais passons.) Il s’agit d’un marin désargenté, qui boîte d’une jambe et cherche un chirurgien pour y faire quelque chose. Comme il l’explique au magistrat qui l’interroge, il est allé ce jour-là chez un chirurgien, mais les tarifs étaient trop élevés pour lui. Alors il est reparti en quête d’une « femme chirurgien » (« female chirurgeon », dans le texte) en espérant que ce serait moins cher.

Ni le compte-rendu d’époque, ni les auteurs du livre ne commentent sur cette mention de femmes pratiquant la chirurgie, ni sur le fait qu’un homme du début du XIXe siècle ne voit rien de bizarre à demander les services de l’une d’elles. Était-ce une réalité quotidienne banale ? Ces « female chirurgeons » étaient-elles des rebouteuses traditionnelles ? Des sages-femmes qui étendaient leur répertoire à d’autres interventions, y compris pour les hommes ? Ou bien des épouses et assistantes de chirurgiens en titre, qui en venaient à voir elles-mêmes des clients ? Une chose est sûre : il n’y avait pas d’études médicales pour elles. (Seules les sages-femmes ont commencé à avoir des écoles professionnelles, du moins en France, vers la fin du XVIIIe siècle.) Mais il y avait manifestement une clientèle pour qui le prix demandé par un chirurgien ordinaire était trop élevé, et qui ne voyait pas d’inconvénients à se confier à une femme à la place. N’ayant pas de diplômes, ni de société professionnelle pour l’appuyer, la « chirurgienne » ne pouvait demander autant que les hommes de l’art.

Un peu mystérieux ! Mais cela apporte de l’eau à mon moulin, ou plutôt à mon roman. Est-ce qu’il y aura une « femme chirurgien » dans l’histoire ? Je ne vais pas rater ça ! Reste à imaginer le contexte précis, la trajectoire humaine qui a conduit à cette situation… Mais justement : c’est ça le travail de la romancière. Imaginer, mettre en scène, mettre de la chair sur les mots.

N. B. Pour ceux que cette période intéresse, je ne peux que recommander aussi What Jane Austen Ate And Charles Dickens Knew, de Daniel Pool, sur l’arrière-plan social et économique des grands romans anglais du XIXe siècle.

Augusta Helena, deux volumes, un seul roman, bientôt complet

Augusta Helena t. 2 : L’Odyssée de l’Impératrice, par Irène Delse, à paraître le 17/02/2003 aux Éditions du 81

On ne publie plus beaucoup de romans en plusieurs livraisons, aujourd’hui, alors que c’était commun du temps de Dickens ou d’Alexandre Dumas. Le prix des livres par rapport au revenu moyen des gens était alors élevé, et cela faisait sens économiquement de faire paraître Les Trois Mousquetaires ou David Copperfield en feuilleton, pour les republier ensuite en volume une fois le public appâté. Hugo, Balzac, Sand, Nerval : quasiment tous les grands noms de la littérature de l’époque ont paru d’abord en feuilleton. En 1955, encore, Tolkien a dû accepter de publier Le Seigneur des Anneaux en trois tomes à cause du coût du papier qui restait élevé dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Au XXIe siècle, on n’en n’est plus là, d’autant que la technologie a évolué : par exemple, la colle qui sert à coller le dos est bien plus sophistiquée, permettant de maintenir une quantité énorme de pages tout en restant souple. Ce n’est pas pour rien que l’édition du 50e anniversaire du Seigneur des Anneaux était en un volume.

Sauf que… L’année 2020 est passée par là.

Augusta Helena, t. 1 : Énigmes en Terre Sainte, par Irène Delse, paru le 21/01/2021 aux Éditions du 81

Après le premier choc de la pandémie de covid, le coût du papier a grimpé, celui de l’énergie aussi, l’un influençant l’autre (la fabrication de papier nécessite beaucoup de d’énergie), et les difficultés à trouver de la main-d’œuvre n’ont rien arrangé. Mon éditeur, les Éditions du 81, ont été obligées de couper en deux le gros manuscrit que je leur avais confié, afin de laisser chaque tome à un prix raisonnable.

Le résultat a été Augusta Helena, tome 1 : Énigmes en Terre Sainte, paru en janvier 2021, sous une couverture très élégante, à mon avis. (L’illustration provient d’un carton pour un vitrail, d’époque post-Viollet-Leduc, apparemment.) Et dans un peu plus d’une semaine, le 17 février, le tome 2, L’Odyssée de l’Impératrice, paraîtra, au même prix que le premier : 16,90 €. Et toujours avec un graphisme splendide, jugez-en par la couverture en haut de l’article ! Cette fois, c’est Véronèse, La Vision de Sainte Hélène, qu’on peut voir normalement à la Pinacothèque du Vatican.

Reste à voir si ma protagoniste restera en odeur de sainteté une fois arrivée à la fin du roman… Je me demande ce qu’en penseront les lectrices et lecteurs ?

Augusta Helena : le deuxième et dernier tome s’achemine. Arrivée en librairie le 17 février !

Couverture du roman : détail d'un tableau de Véronèse représentant une femme (Sainte Hélène) en train de somnoler et rêver, assise dans un grand fauteuil, avec un manteau de pourpre et une couronne d'or et de pierreries

Splendide, non ? C’est la couverture du second tome de mon roman Augusta Helena, intitulé L’Odyssée de l’Impératrice, à paraître aux Éditions du 81 le 17 février 2023, soit dans moins de deux semaines.

Quatrième de couverture :

« Après de nombreuses péripéties, le cortège impérial continue sa route en direction de Jérusalem. Mais la quête sainte est loin d’être terminée ! (…) L’amour et la trahison s’invitent à bord du cortège impérial qui n’a pas fini de déjouer les embuscades et les complots ! »

Oui, cette fois, c’est la bonne : l’imprimeur vient de livrer les bouquins, qui sont actuellement dans l’entrepôt du distributeur pour être acheminés dans les librairies. Je devrais pouvoir récupérer mes exemplaires d’auteure la semaine qui vient. Ça roule, on dirait. Alors croisons les doigts…

Mais en attendant, il n’est pas interdit de pré-commander le livre chez votre libraire préféré ou dans un service de vente en ligne bien connu, je ne vous fais pas un dessin ! C’est un bouquin un peu hors normes, par le genre et par les dimensions, et il est d’autant plus important de soutenir un petit éditeur comme le 81, qui a pris là un pari assez risqué.

Et puis, c’est un roman foisonnant, plein de personnages cocasses et de rebondissements étranges, qui promet des heures et des heures de lecture pour s’évader de la grisaille du quotidien… À offrir ou à s’offrir, comme on dit !

Post-scriptum qui n’a rien à voir : Si vous faites partie des fidèles de ce blog, vous avez dû remarquer le changement de titre, tout en haut. J’aimais bien le précédent, « L’Extérieur de l’asile », mais le private joke échappait à la plupart des gens. Tant pis.

Augusta Helena : peplum or not peplum ?

Couverture du roman Augusta Helena : dessin d'une femme en habits byzantins, avec couronne et auréole, représentant Sainte Hélène tenant une croix

Le mois dernier, j’ai enregistré un entretien avec l’animateur d’un podcast historique ; une très bonne expérience, soit dit en passant. Et dès que l’épisode sera en ligne, je vous ferai signe ici, bien entendu. Mais je peux déjà révéler que nous avons parlé d’Augusta Helena, mon roman policier historique situé au IVe siècle, sous Constantin.

Comme on discutait des personnages, et de la nécessité de gérer une vaste distribution, j’ai expliqué que mon but, en me mettant à écrire, était d’avoir des héros qui soient crédibles même indépendamment du cadre historique. Je ne voulais pas m’inscrire dans une logique de péplum, avec tous les clichés, raccourcis et rôles-types que cela implique. (J’avais quelques modèles bien précis en tête : Le Nom de la Rose, d’Umberto Eco, mais aussi Les Fosses carolines, le jubilatoire roman historique de Cavanna, et surtout la série de romans policiers antiques SPQR, de John Maddox Roberts, peu connus chez nous hélas.)

Des personnages qui soient crédibles, cela implique une certaine complexité. Gare aux silhouettes de carton pré-découpées, prêtes à jouer les figurants dans n’importe quelle « fresque historique » ! J’en ai parlé plus longuement ailleurs : la meilleure façon d’éviter les clichés, c’est de traiter chaque personnage comme un individu, un spécimen d’humanité avec son caractère, son passé, ses défauts et ses points forts…

C’est vrai aussi pour l’Antiquité, même si j’ai l’impression que les auteurs sont parfois hypnotisés par le chatoyant de surface de la toile historique, par l’exotisme agressif qui marque presque tous les aspects d’une société aussi différente de la nôtre, par certains aspects, qu’un récit de science-fiction. C’est particulièrement vrai pour l’époque de Constantin, un empereur qui reste dans l’histoire comme protecteur de l’église et consolidateur de l’empire, mais qui a aussi probablement fait assassiner un de ses fils pour des raisons de succession. Il se trouve que nous avons assez de textes de sa main pour entrevoir quelque chose de sa personnalité, ses goûts et dégoûts, sa façon d’argumenter en matière de politique comme de théologie. Bref, nous avons de quoi en faire un individu.

C’est moins évident pour sa mère Hélène, l’héroïne du roman. D’elle, on ne sait même pas la date de sa mort, ni son origine, ni sans doute son vrai nom. Mais on a des aperçus indirect, à travers les faits et gestes que l’histoire a enregistré : des actes officiels comme ce voyage en Orient vers 326, mais aussi sa relation avec Constantin, qui lui faisait manifestement pleinement confiance pour le représenter dans ces provinces lointaines. Et puis bien sûr, dans les nombreux blancs de l’histoire, on peut toujours broder. J’ai ainsi pas mal fait appel aux souvenirs de ma propre mère pour dépeindre Hélène : j’ai donné à l’impératrice quelque chose de son aspect physique, et surtout de sa foi profonde, mais qui n’excluait pas le bon sens.

Et cependant… Avouons-le : dans le cadre de ce roman, j’ai à plusieurs reprises et très consciemment « fait du péplum ». Je pense à l’épisode du combat de gladiateurs, par exemple, ou aux évocations de la gastronomie romaine, ou encore au personnage de Roxanna, la farouche « amazone » scythe.

C’est que les clichés ne sont pas juste des raccourcis mentaux, des images superficielles : ils ne deviennent tels que parce qu’ils sont tellement populaires, parce que c’est avec eux qu’est meublé notre imaginaire. En écrivant un roman historique antique, j’allais forcément me colleter avec la vaste littérature qui a précédé, sans compter les apports du cinéma, de la bédé… J’ai donc choisi d’aller aussi souvent que possible dans le sens du picaresque, du cliché repris et revisité. Sans faire de pastiche. Mais puisque le vécu authentique nous échappe (et il nous échappe forcément, le passé, selon l’expression bien connue, « est un pays étranger »), autant prendre les strates accumulées d’arts et de littérature, en faire la matière première du roman.

Pour le dire autrement, j’écris au XXIe siècle, et l’intertextualité fait pleinement partie de mes outils. Impossible d’y échapper… aussi je n’essaie pas ! Au contraire, on verra dans Augusta Helena comment j’ai utilisé les textes antérieurs, depuis la Bible jusqu’à Astérix, pour tisser une nouvelle tapisserie sur ces cartons antiques.

L’Histoire au coin de la rue

Dans le 6e arrondissement de Paris, la rue Joseph Bara débouche dans la rue d’Assas. Un rapprochement qui donne à penser, pour peu qu’on connaisse l’histoire.

Assas, d’abord. Il s’agit du chevalier Louis d’Assas, capitaine au régiment d’Auvergne sous le règne de Louis XV, et noble comme c’était la règle à l’époque. On lui attribue une action d’éclat : envoyé en reconnaissance dans un bois à la veille de la bataille de Clostercamp, durant la Guerre de Sept Ans, il est surpris par l’ennemi et préfère donner l’alarme et mourir plutôt que de se laisser faire prisonnier. L’armée française fut ce jour-là victorieuse, et on recueillit la mémoire du dévouement du jeune d’Assas, érigé en exemple héroïque. Et tant pis si d’autres récits contemporains attribuent ce beau geste à un simple sergent qui accompagnait Louis d’Assas.

Puis le temps passe, et la Révolution vient bouleverser les vieilles règles, à l’armée comme dans le reste du pays. Fini la restriction à la noblesse des postes d’officiers, place à la glorification des soldats du peuple ! Les nouveaux héros ont le visage de Joseph Bara, un garçon de 14 ans, engagé volontaire, et tué en 1793 lors d’une escarmouche contre les Vendéens. Sa jeunesse semble alors gage de sincérité et d’enthousiasme, et ajoute au pathétique de sa mort. À vrai dire, on ne sait pas bien dans quelles circonstances elle est intervenue, ni quelles étaient les fonctions de ce garçon à l’armée. Il arrivait souvent à l’époque de voir des enfants être employés comme tambours, ou pour diverses tâches auxiliaires, comme s’occuper des chevaux. La légende fait du jeune Joseph Bara un hussard, mais les registres de l’armée le connaissent comme « charretier d’artillerie ». Ce qui exposait aussi au feu de l’ennemi.

Mais la mémoire, pour l’un comme pour l’autre, n’a que faire de la précision historique. C’est une question de symboles, de repères pour une civilisation en pleines convulsions et qui cherche à assurer son passé puisque l’avenir est incertain. Il faut lire Quatrevingt-treize, de Victor Hugo : tout est là.

Dans l’un des derniers chapitres, quand le vieux vicomte de Lantenac, chef de chouans, confronte son petit-neveu républicain, il lui assène sa conviction que sans la noblesse, plus de chevaleresque, donc plus d’héroïsme ni de dévouement. « Allez donc aujourd’hui me trouver un d’Assas ! »

Ironie des choses, c’était à peu près au même moment que l’imaginaire républicain allait porter au pinacle le nom de Joseph Bara et de quelques autres, comme le petit Viala (là aussi, un épisode plus ou moins embelli par la légende). Et nous parlons encore avec émotion des « soldats de l’An II », issus du peuple et défendant ce peuple contre les forces coalisées des monarques d’Europe.

La guerre des mémoires autour de l’Ancien Régime et de la Révolution a traversé tout le XIXe siècle et laissé des traces sur les murs de nos villes. J’ai déjà parlé de la rue du Chevalier de la Barre, en l’honneur de ce jeune homme exécuté pour blasphème et dont Voltaire a défendu la mémoire : comme par un fait exprès, elle longe le Sacre-Cœur de Montmartre, symbole de la tentative de reconquête spirituelle et politique de l’Église face à la IIIe République. Un symbole peut en combattre un autre.

Augusta Helena : en attendant le tome 2, on déguste le premier

Augusta Helena, 1 : Énigmes en Terre Sainte, par Irène Delse, éditions du 81, janvier 2022

C’est le roman le plus ambitieux que j’ai écrit à ce jour, si je peux faire sonner un peu ma propre trompette : vaste, fourmillant, picaresque… Mais avec une intrigue dont tous les fils se nouent, sans en perdre en route, avec parfois des échos qui résonnent à des centaines de pages de distance.

Et c’est en même temps un roman policier, mais oui ! Le tome 1, paru en janvier de cette année, posait une double énigme : Qui a manigancé la mort de Crispus et Fausta, le fils et l’épouse de l’empereur Constantin ? Et qu’est-ce qui fait régner la terreur au monastère de la Tentation, en Palestine, au point qu’on parle d’influence du Malin ?

Des questions qui se posent à mon héros, Lucius, plutôt sceptique par nature, mais qui devra débrouiller des affaires d’intrigues de palais aussi bien que de controverses ecclésiastiques. Mais quand l’impératrice Hélène, mère de Constantin, vous donne une mission, pas question de refuser, évidemment !

Augusta Helena, t.1 : Énigmes en Terre Sainte, par Irène Delse, aux éditions du 81, 16,90€. Toujours disponible dans les Fnac, chez Amazon, Cultura et autres bonnes librairies. Le tome 2 devrait paraître le 2 décembre.

Découvrir ou redécouvrir mon roman Du sang sur les dunes, en attendant la parution du prochain

L’année 2022 a encore frappé, la sortie de mon roman Mort d’une Merveilleuse a été (légèrement) reportée, au 2 décembre cette fois. Je vous avoue que je ne suis pas sereine. On y croira quand on le verra…

Bon, comparé aux problèmes du monde en ce moment, c’est minime. (Mais pas sans lien : le prix du papier a suivi la hausse des prix de l’énergie, et l’embargo russe sur la matière première, le bois, n’a pas aidé, pas plus que la sécheresse au Canada, autre fournisseur, et en Europe.) J’aurais mauvaise grâce à me plaindre, vous me direz.

Reste que c’est vraiment pas de chance quand on veut lancer non pas juste un livre, mais une série. Le premier roman des aventures du capitaine Dargent, Du sang sur les dunes, est paru fin août 2021, soit il y a un peu plus d’un an. Cet automne aurait fait une parfaite date de sortie pour le tome 2.

Bref. On se consolera avec le premier, qui est toujours en stock à la Fnac, sur Amazon, chez Cultura, ou le Furet du Nord. À découvrir ou faire découvrir autour de vous si le cœur vous en dit. C’est une sombre histoire de morts mystérieuses, d’armes secrètes et d’espions insoupçonnés, au temps haut en couleurs de l’Empire, l’année d’Austerlitz… et de Trafalgar.

Bref on aura compris : une parfaite lecture d’évasion !