Scotchée par le dernier épisode de l’émission Mauvais genres, sur France Culture (et ses balados qui vont bien). Le sujet de la semaine (samedi 27 février 2010) : les romans policiers historiques fantastiques, dernière évolution d’un genre qui marche très fort, le polar historique.
Bon, je ne m’étendrai pas sur la dimension fantastique. Cela rapproche le roman policier historique de la fantasy ou de la science-fiction, mais ce n’est pas vraiment une nouveauté. Les romans historiques mâtinés de surnaturels sont foison, et depuis longtemps. Demandez aux auteurs gothiques… D’autre part, il y a une parenté naturelle entre la démarche logique nécessaire au récit de détective et la construction d’univers cohérents typique de la science-fiction. Il n’est que de songer à Isaac Asimov qui, dans Les Robots puis Les Cavernes d’acier, bref dès les années 1940-50, a minutieusement rédigé des textes tournant autour de la résolution d’énigmes criminelles dans un cadre futur.
Non, ce qui me fascine, c’est la réalisation que j’ai quasiment vu naître le genre, ou domaine, littéraire, du polar historique. Du moins en France.
Je me souviens du lancement de la collection « Grands Détectives » chez 10/18, en 1983. Parmi les premiers titres figurait évidemment une aventure du Juge Ti, Meurtre à Canton, qui pourrait être considéré comme l’archétype du genre. Pas que le héros de Van Gulik ait été tout à fait inconnu chez nous auparavant : au moins deux titres avaient été traduits en français. Mon père, amateur de culture chinoise et de littératures de l’imaginaire, les avait dans sa bibliothèque – et n’a pas tardé à suivre de près le catalogue de 10/18.
Et puis je me souviens de la parution française du Nom de la Rose, un an auparavant. Et quel séisme… C’est simple, je crois bien que cette année-là, on n’a parlé que d’un seul roman.
Ou peut-être, là encore, que mon point de vue est coloré par les circonstances familiales ? Je ne pense pas seulement à mes origines partiellement italiennes (qui, quelque part, font pour moi d’Umberto Eco un auteur un peu « de chez nous », subjectivement), mais au fait d’avoir été élevée par des intellos à l’éducation universitaire, fidèles (à l’époque) d’Apostrophes et de Télérama. Si on ajoute la présence d’une prof d’italien dans la famille (et le Ciel sait combien Eco peut compter à l’université), on comprend que je pouvais difficilement passer à côté.
Bref, Le Nom de la Rose.
Pour ma part, je l’ai dévoré. J’avais treize ans et je lisais tout ce qui me passait sous la main. J’avoue que je n’ai pas tout à fait suivi le récit à la première lecture, surtout les passages en latin ; même si c’était un bon exercice d’essayer de les déchiffrer. (Je faisais du latin et j’aimais ça. Voui.)
D’autant qu’au plaisir de l’intrigue et au jeu d’adresse intellectuelle que fournit le roman, avec ses énigmes, ses rébus et son labyrinthe, s’ajoutait l’excitation de la découverte : je ne le savais pas encore, mais c’était un domaine littéraire entier qui commençait à émerger là. Un moine détective ? Et qui utilise des concepts et autres outils mentaux d’époque pour trouver des indices et découvrir le coupable ? Fichtre ! Si ce n’était pas encore l’Amérique, c’était au moins Hispaniola.
Qu’on se souvienne : les romans d’Ellis Peters et son Frère Cadfael (autre classique de la collection « Grands Détectives »), bien qu’antérieurs pour certains (à partir de 1977), n’avaient pas encore été traduits en français. En fait, en découvrant Trafic de reliques, j’ai même cru un moment que Peters suivait la mode lancée par Eco…
Depuis, les polars historiques se suivent et ne se ressemblent – ahem – disons ne se ressemblent pas trop. Mais depuis les années 80, c’est certes devenu un domaine éditorialement rentable, tant en France que dans d’autres pays.
Vous me direz, le polar historique aujourd’hui en vogue a eu des précurseurs, et pas des moindres. À commencer, en Europe, par Agatha Christie en 1945 avec La Mort n’est pas une fin (Égypte ancienne) ; puis Henry Winterfeld en 1953 avec L’Affaire Caïus (Rome antique) ; plus tard, en 1978, Margaret Doody et son Aristote détective (Grèce antique). Et j’en oublie certainement.
Mais auparavant, dans un autre hémisphère, il y avait eu Robert Van Gulik lui-même et son Juge Ti (Chine des Tang), dont la publication a commencé… en japonais, en 1951. Une édition chinoise suivit en 1953, à Singapour (rédigée par Van Gulik lui-même), avant qu’un éditeur anglo-saxon ne s’y intéresse en 1957. On sait que Van Gulik, qui n’était pas seulement sinologue érudit mais aimait aussi pratiquer ce qu’il étudiait (calligraphie, luth chinois, gravures…), s’était inspiré d’un authentique roman policier chinois rédigé au XVIIIe siècle, qu’il avait traduit en anglais. Alors diplomate en poste à Tokyo, il pensait que des livres aussi originaux, pour l’époque, s’adresseraient plus à des lecteurs extrême-orientaux qu’occidentaux.
Mais le succès se révéla peu à peu insensible aux frontières. Et pour cause, j’imagine : l’intérêt pour ce genre de roman tient autant à l’intrigue policière qu’au dépaysement garanti. Quel que soit le cadre culturel d’origine des lecteurs, il sera toujours différent de celui du roman, puisque le passé est un autre pays.
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« The past is a foreign country; they do things differently there. » (L. P. Hartley, The Go-Between, 1953. Première phrase du roman, passée en proverbe en anglais.)
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