On gagne à écouter les retours de lecture, même si on n’est pas d’accord avec. C’est l’occasion de découvrir son texte avec d’autres yeux, ceux de gens qui ne connaissent pas l’histoire aussi bien que je la connais… Et qui donc ont besoin qu’on leur dise des choses qui peuvent me sembler évidentes à moi, l’auteure. Mais ne le sont pas pour eux.
J’ai déjà parlé de cet éditeur de revue de fantasy/fantastique qui m’avait conseillé de mettre plus de détails sanglants dans une nouvelle. En effet, mon texte, en l’état, péchait par l’insuffisance de matière : c’était plus un résumé qu’une histoire avec des personnages en chair et en os. En les faisant saigner (au propre comme au figuré), j’ai pu passer cet écueil. Et la nouvelle obtenue a été ma toute première publication professionnelle, payée. Pas mal.
Rebelote il y a à peu près deux ans, quand j’ai envoyé mon roman Du sang sur les dunes à des éditeurs. Assez rapidement, je reçois un courriel d’un éditeur (non, pas celui du 81, attendez la suite…) qui me remercie pour cet envoi mais regrette qu’il ne peut le publier tel quel.
Jusque là, rien que de banal. Mais il ajoute quelques remarques et suggestions, et indique que si je les intégrais au texte, il pourrait reconsidérer sa décision.
Gros remue-méninges de ma part. D’un côté, j’avais certes envie d’être publiée. De l’autre, cet éditeur ne faisait pas partie de mes préférés, pour diverses raisons. Je l’avais sélectionné parce qu’il publiait parfois des romans policiers historiques, mais ce n’était pas non plus sa spécialité. Bref ce ne serait pas non plus une grosse perte s’il disait non. Finalement, j’ai décidé de ne pas réécrire le texte dans le vague espoir de satisfaire cet éditeur. J’étais déjà engagée dans la rédaction d’un autre roman, de toute façon, et cela me semblait du temps mieux employé. J’ai donc répondu poliment, sans m’engager.
Mais j’ai tout de même réfléchi aux suggestions.
C’étaient pour l’essentiel des questions sur ce que le lecteur savait ou pas de mes personnages et de leurs motivations. Autour du protagoniste, notamment. Mais il y avait aussi une remarque qui m’a semblé au premier abord un peu absurde : il trouvait que ça manquait de femmes !
Sur le moment, je me suis demandé s’il avait lu en entier le manuscrit. Il y a en effet dans Du sang sur les dunes plusieurs personnages féminins bien distincts, dont deux jouent un rôle absolument clef. D’où pouvait provenir cette impression ? À force de réfléchir, et d’essayer de me mettre à la place du lecteur, j’ai fini par réaliser que ces personnages n’étaient pas présents au tout début du roman, mais qu’on les découvrait à partir du troisième chapitre environ.
J’avais déjà décidé que je ne réécrirais pas de fond en comble le roman, mais je pouvais ajuster certains éléments. Je me suis donc arrangée pour mentionner dès les premières pages les noms de quelques personnages féminins qu’on rencontrerait plus tard. Histoire de signaler à celui ou celle qui lit que ce roman contenait bien de tels personnages.
Même procédé pour les questions au sujet du héros : j’ai ajouté quelques lignes pour rendre plus claire sa position et les raisons qu’il avait de mener l’enquête. C’est cette version qui a été publiée aux Éditions du 81 en 2021. Et j’en suis plutôt contente.
« En Allemagne, pour faire de la politique, il faut un doctorat. En Italie, il faut avoir fait de la télé. Et en France, il faut avoir écrit un livre. »
Je ne sais plus de qui est ce petit topo ironique, entendu sous l’ère Mitterrand, mais c’est assez bien vu. Mais au fait, quel genre de livre ? Souvent un exposé des idées du candidat ou de la candidate, son programme, sa vision du futur. C’est logique mais un peu banal. Un autre choix fréquent : la biographie historique d’un personnage qu’on prend comme modèle et inspiration. François Bayrou a ainsi rencontré un succès public avec une vie d’Henri IV, par exemple.
Mais on peut aussi préférer écrire un roman. Ils sont nombreux à s’y être essayé, de Dominique de Villepin à Marlène Schiappa, de Valéry Giscard d’Estaing à Bruno Le Maire, pour citer le cas qui fait bruire le microcosme en ce moment.
Est-ce que je pense quelque chose de ce roman ? Non, je ne l’ai pas lu. Pour ce que j’en ai vu, dans les extraits « croustillants » publiés ici et là, le bouquin a l’air de n’être ni meilleur ni pire que la majorité de ce qui se publie en France, bon an mal an. Ni excès d’honneur, ni indignité, etc. Je ne jette la pierre à personne : quand vous êtes capable d’écrire des romans (même avec l’aide d’un discret « collaborateur », qui sait), pourquoi garder ça sous le boisseau ? Qui parmi nous aurait assez de sagesse pour ne pas chercher à faire publier même leurs textes les moins réussis ? Et on trouve bien sûr plus facilement un éditeur quand on est déjà connu comme ministre ou député.
Mais tout cela m’a rappelé un cas différent : un politique qui a écrit des romans, et choisi de ne pas publier. Un certain Emmanuel Macron.
Adolescent, et encore bien loin, évidemment, de savoir qu’il entrerait un jour à l’Élysée, le lycéen avait rédigé un roman paraît-il torride, inspiré par son amour pour sa prof de français. On sait ce qu’est devenu cet amour depuis. Le roman, lui, a fini dans un tiroir. Seule Brigitte Macron l’aurait lu en entier.
Le jeune Emmanuel Macron a même récidivé un peu plus tard, à 19 ans, avec un second roman, consigné lui aussi dans un tiroir. Il y a de quoi être curieux, non ? Mais je trouve cela surtout instructif. On accuse souvent les politiques d’avoir un ego démesuré, et c’est parfois vrai. Et les écrivains en général sont rarement en panne de narcissisme. Pourtant, ici, c’est un cas où un auteur choisit ce qui est important dans sa vie, et opte pour ne pas privilégier l’écriture, alors même qu’il semblait avoir la plume facile.
On ne peut que saluer cette sagesse. Et la solidité mentale que cela implique. Un Narcisse aurait au contraire tout fait pour rendre public le moindre de ses brouillons.
Quel rapport entre Bilbo, Gargantua, Harry Potter, le commissaire Montalbano, Dr Kay Scarpetta… et Jonathan Harker, dans Dracula ?
Réponse : ce sont des héros de romans, et nous sommes informés dans les détails de ce qu’ils mangent !
Ce sont aussi des personnages d’œuvres qui ont connu beaucoup de succès. Et mon intuition est que cette affaire de nourriture n’est pas extérieure à cette popularité. Souvenez-vous, le roman Bilbo le Hobbit commence par un Five o’clock tea de proportions épiques. Dans Dracula, Harker, en bon touriste, prend note des recettes locales durant son voyage en Transylvanie. Harry Potter passe de la sous-alimentation chronique chez ses affreux oncle et tante à un vaste choix de bonbons et friandises magiques dès qu’il monte dans le train de Poudlard. Scarpetta et Montalbano sont bien sûr férus de cuisine autant que détectives hors pair. Enfin, j’imagine qu’il n’est pas nécessaire de présenter Gargantua.
Manger est une activité des plus basiques, une nécessité vitale pour les animaux que nous sommes. Les sensations gustatives ont quelque chose de primitif, mais aussi d’universel : évoquez un aliment, vous en aurez le goût à la bouche. Bref, cela fonctionne comme un raccourci émotionnel. On se souvient de la fameuse madeleine de Proust…
En même temps, la cuisine est un domaine hautement culturel, avec des variations locales et sociales infinies. Donner un menu, c’est donner un aperçu du mode de vie des personnages impliqués : production agricole, circuits commerciaux, division des tâches, hiérarchie sociale… Même la géopolitique, s’en mêle quand on parle du commerce des « épices » et des empires qui se sont bâtis dessus.
Bref, parler de nourriture est un outil puissant quand on écrit de la fiction. Cela permet de faire partager directement les sensations des personnages, de rentrer dans leurs émotions les plus intimes. La lecture est réputée comme une activité cérébrale, mais quand il s’agit de nourriture, notre néo-cortex s’efface derrière les couches les plus animales du cerveau émotionnel.
D’autre part, cela enrichit l’univers du roman, lui donne plus de texture tout en aidant à en montrer la complexité. Ainsi, dans Augusta Helena, je me suis bien amusée avec les repas des Romains, depuis des banquets luxueux et même vulgaires, loirs rôtis, ortolans et ainsi de suite, jusqu’à la maigre cuisine des moines sur leur montagne. Dans Du sang sur les dunes et les romans qui suivront, c’est à l’alimentation sous la Révolution et le 1er Empire que je me suis intéressée, bien sûr. Cuisine simple et roborative dans une auberge, menus sophistiqués des nouveaux riches, variations régionales en France et en Europe… Il y a de quoi faire.
Ce sont des techniques utiles pour le roman historique, évidemment, pour aider à faire vivre un univers différent. Mais aussi pour la création de mondes imaginaires de science-fiction et de fantasy. Pour en revenir à Bilbo, rien n’illustre mieux le dessein de Tolkien de faire une « mythologie pour l’Angleterre » que les menus de ses Hobbits, leur rapport à l’alimentation, aux jardins et à l’agriculture, même les ustensiles et l’organisation de leurs maisons, avec les diverses dépenses et garde-manger.
Vous reprendrez bien un scone avec votre thé ? Ou bien un peu de garum dans le ragoût ? Dis-moi ce que mangent les gens que tu lis, je te dirai qui ils sont !
Toute personne qui passe ne serait-ce que quelques minutes dans les recoins des réseaux sociaux où discutent des écrivains sait que les plus actifs, les plus passionnés, sont souvent les auteurs auto-édités. Ce qui est logique, quelque part : pour réussir dans l’auto-édition, il faut déjà être bon dans l’auto-promotion.
Mais peut-être que de ce fait, la vision de l’édition depuis les réseaux sociaux est un peu biaisée. Du moins je vois peu de personnes éditées à compte d’éditeur parler de leur parcours, à part évidemment quand ça marche mal. C’est humain.
Et pourtant, c’est un système qui a ses avantages. Je peux parler d’expérience, ayant eu plusieurs éditeurs depuis le début des années 2000.
Tout d’abord, l’aspect matériel : quand il y a un éditeur dans le tableau, ce n’est pas à moi d’avancer le capital pour la fabrication et la commercialisation du livre. Eh oui ! Les coûts ont certes baissé avec l’avènement de la micro-informatique et de l’internet, mais il faut au moins payer la correction du texte, la mise en page et le graphisme de couverture, et bien sûr l’impression. Même si on travaille avec un prestataire d’impression à la demande, il faut leur fournir un fichier prêt à imprimer, de qualité professionnelle. Un investissement en temps, sinon en argent.
Je connais le problème, car j’ai testé moi-même l’auto-édition vers 2007-2008, avec un modeste recueil de nouvelles, et je peux confirmer : c’est beaucoup de travail. Pourquoi je l’ai fait ? Par curiosité, parce qu’on parlait beaucoup de ce système de print on demand, et que j’avais envie de voir ça par moi-même. Le prestataire que j’avais utilisé, Lulu, est honnête, et à l’époque il y avait plus de francophones dessus, mais ça ne m’a pas donné envie d’abandonner l’idée de publier à compte d’éditeur.
Pour être honnête, on peut techniquement s’auto-publier grâce à ce genre de prestataires, mais c’est un investissement non négligeable en termes de temps ou d’argent, ou les deux. Pour faire la maquette du livre, par exemple, il faut apprendre à utiliser des logiciels capables de produire le genre de fichier qui est envoyé à l’impression. Idem pour la couverture : si on n’est pas graphiste, soit on paye un professionnel, soit on doit se contenter d’un visuel pris dans une banque d’images, ce qui n’est pas idéal, on l’imagine.
Même le travail sur le texte n’est pas une affaire d’amateurs. J’ai maintenant l’expérience des corrections avec quatre éditeurs différents : le Navire en pleine ville (disparu depuis, hélas) pour la première publication de L’Héritier du Tigre, puis Rocambole (devenu Doors et acquis par Vivlio), Gephyre (pour l’anthologie Marmite & Micro-ondes), et bien sûr les Éditions du 81, qui ont publié mes romans Du sang sur les dunes et Augusta Helena.
À chaque fois, cela avait été l’occasion de jeter un regard neuf sur le texte du roman ou de la nouvelle en cause. Même un texte qui avait été relu par plusieurs lecteurs bêta peut être amélioré par l’étape de la correction : c’est l’occasion de traquer les erreurs de grammaire restantes, mais aussi de clarifier certains points de l’intrigue, des références historiques, etc. Tous éléments que l’auteure pensait évidents, mais qui ne l’étaient pas tant que ça. Du moins, un professionnel, l’éditrice ou son correcteur, estime qu’il faut clarifier le point pour le bénéfice du public du livre.
Si j’étais dans une démarche d’auto-édition sérieuse, je pourrais certes payer un professionnel pour corriger le texte, mais je serais entièrement libre de suivre ou non ses suggestions. Tandis que si je travaille avec un éditeur ou une éditrice qui a le pouvoir de décision final sur le texte, je suis obligée de discuter et de convaincre la personne en charge des corrections que mon choix est meilleur que le sien en la matière. Ça vous oblige à être très pointue en matière de langue (ça tombe, c’est un de mes points forts), mais aussi à très bien connaître le milieu ou l’époque du roman. Exemple : vaut-il mieux dire « montre de gousset » ou « montre à gousset » ? L’expression imagée « avoir charge de famille » est-elle compréhensible pour des lecteurs actuels ? Faut-il ajouter une expression en note ou dans le texte pour clarifier ce qu’est la Guerre de la Première Coalition ? Telle allusion de l’un des personnages à un événement passé n’est-elle pas un peu obscure dans le contexte ? Et ainsi de suite.
Tout cela permet d’améliorer la lisibilité du texte, mais aussi sa cohérence interne. Et c’est un travail, une expérience, qui servira pour les textes qu’on pourra écrire à l’avenir.
Mais revenons au processus d’édition et de commercialisation d’un livre : une fois le texte peaufiné et mis en page, il faut encore l’imprimer et l’acheminer jusqu’aux acheteurs potentiels. C’est un travail dont la maison d’édition se charge, ou plutôt charge d’autres professionnels : imprimeur, diffuseur, distributeur, attachés de presse…
Si j’étais dans un cadre d’auto-édition, je devais me débrouiller. Essentiellement, cela reviendrait à passer par un prestataire comme Lulu ou (le plus souvent) Amazon. C’est ce prestataire qui assure la fabrication du livre, que ce soit sur papier ou en livre électronique, ou les deux, et qui le met en vente sur son livre. Mais sauf exception, le titre ne sera pas mis en place en librairies. C’est une infrastructure différente, un système adapté à la distribution de livres physiques commandés par des éditeurs, imprimés puis envoyés dans les points de vente sur tout le territoire. Un système qu’on peut critiquer sous différents angles, mais qui existe, et qui fonctionne. Et auquel les auteurs auto-édités n’ont pas accès.
Il peut y avoir des exceptions ponctuelles : si je connais bien un libraire et qu’il me fait confiance, il peut accepter de prendre mon roman auto-édité en dépôt. Mais ce sera une exception. Quand on passe par un prestataire d’auto-édition, le livre est imprimé uniquement quand quelqu’un l’achète, il n’y a pas d’exemplaires imprimés en masse et envoyé aux librairies de France et de Navarre
Ce qui ne veut pas dire que l’auteur ne peut pas tirer son épingle du jeu. Être disponible sur Amazon, c’est être disponible sur la deuxième librairie du pays (la Fnac reste numéro un), après tout. Si l’auteur est capable de faire de la promotion efficace en ligne et hors ligne, il est possible de vendre autant et même parfois mieux qu’avec un éditeur. Les histoires de réussites sont là pour inspirer d’autres auteurs à tenter l’aventure. Mais il faut bien réaliser ce que cela implique.
Faire de la promotion, c’est en soi en métier. Certaines personnes ont plus de facilité pour cela, ou ont une expérience antérieure qui les y aide. Mais ce n’est pas mon cas, et j’en suis bien consciente. Même le plus petit des éditeurs a plus de ressources pour cela que moi, à commencer par un carnet d’adresses bien garni. Et puis il y a la connaissance du milieu, l’expérience d’avoir vendu d’autres livres du même genre, un bagage inestimable. Par exemple, pour la publication de Du sang sur les dunes, l’éditeur et le diffuseur ont opté pour mettre en place plus d’exemplaires dans les librairies de Picardie et du Nord, en se disant non sans raisons qu’un roman de déroulant à Calais et Boulogne marcherait mieux dans cette région.
Il y a ainsi plein d’éléments à prendre en compte, à commencer par le fait que pour beaucoup de gens, passer par un éditeur reste perçu comme un gage de qualité, une validation extérieure. Alors qu’un texte auto-édité n’a que lui-même pour recommandation. C’est bien si l’auteur est déjà connu par ailleurs, mais pour la majorité des débutants, c’est une pente de plus à monter.
L’auto-édition, en somme, c’est être non seulement son propre éditeur, mais aussi correcteur, illustrateur, metteur en page, attaché de presse, diffuseur, distributeur… Il faut démarcher soi-même les librairies, les salons du livre, transporter des exemplaires pour les ventes directes, prospecter les médias en s’adaptant à leurs codes et à leurs habitudes… C’est du boulot. Et vous savez quoi ? Personnellement, c’est du temps que je préfère passer à écrire !
Qui n’a jamais écrit en musique ? Rien de plus simple pour entrer dans l’ambiance, se créer une bulle de concentration et s’isoler pendant une heure ou deux du monde ordinaire. Il y a des auteurs qui se stimulent avec du rock passé en boucle, d’autres qui s’immergent dans la majesté de symphonies classiques. Personnellement, j’ai un faible pour les musiques de film.
C’est parfait pour créer une ambiance d’aventures tout en ne distrayant pas trop. J’aime surtout les bandes originales de films historiques ou de cape et d’épée : j’ai dû écouter cent fois la musique de Vangelis pour Alexander, d’Oliver Stone (2004), en écrivant Augusta Helena. En ce moment, sur un roman policier historique, j’ai dans mes favoris Deezer la bande originale du Barry Lyndon de Kubrick (1975), et celle créée par Philippe Sarde pour La Fille de d’Artagnan de Tavernier (1994).
D’autres bandes originales que j’ai utilisées à un moment ou un autre : celle de Howard Shore pour Le Silence desAgneaux de Jonathan Demme (1991), Max Richter pour L’Œuvre sans auteur de Florian Henckel von Donnerstack (2018), et la splendeur qu’est Tous les matins du monde (1991) version audio.
Pendant l’écriture de mon premier roman, L’Héritier du Tigre, j’ai même beaucoup, beaucoup écouté la musique de Jerry Goldsmith pour Rambo (1982). Ne riez pas ! Et écoutez plutôt la bande originale. L’histoire du film importe peu quand la musique est aussi inspirée.
Ce n’est pas toujours évident de mettre une scène de sexe dans une œuvre de fiction, même sans être très explicite. C’est quand même un moment à la fois intense et intime pour les protagonistes. On comprend que le cinéaste Quentin Tarantino choisisse de s’en passer dans ses films : c’est difficile à filmer pour les acteurs qui doivent mimer l’amour, et pour l’équipe de tournage qui se retrouve dans la situation de voyeurs.
Et pourtant, l’amour et la sexualité sont une partie si importante de la vie, elles sont associées à des émotions si fortes, qu’il est difficile de s’en désintéresser totalement en écrivant une histoire à propos d’êtres humains adultes.
J’insiste sur cet élément : adultes. Dans mon premier roman, L’Héritier du Tigre, dont le héros est un enfant, il n’y a pas de scène d’amour ou de sexe, et c’est normal. (Il y a des passages où des incidents d’agression sexuelle sont évoqués, en marge de l’histoire principale, mais ce n’est pas la même chose. Une distinction importante à garder à l’esprit.)
Mais en écrivant le deuxième, Augusta Helena, je me suis retrouvée devant la possibilité de montrer la sexualité de mes personnages. Le cadre, l’Antiquité, était une incitation supplémentaire : que serait un peplum sans un peu de curiosité émoustillée pour les pratiques de l’époque en matière de sexe ? La distance dans le temps rend paradoxalement plus facile d’explorer les différences de sensibilité dans ce domaine ô combien sensible.
Reste à savoir comment rédiger ça. D’une part, je n’avais pas envie de donner dans certains travers qui ne sont que trop communs dans les romans qui se veulent « modernes » ou « sincères » : les descriptions détaillées, qui finissent par sonner comme un tableau clinique. Ou, pire, une notice de montage d’Ikea : insérez la tige A dans l’orifice B… (N.B. Image empruntée à Donald E. Westlake. Copiez sur les meilleurs.) Et même si on évite cet écueil, on risque ainsi de faire du porno au premier degré, de quoi titiller certains lecteurs mais aussi en dégoûter d’autres. Enfin, quel intérêt de décrire ce qui a déjà été décrit des milliers de fois, sans rien ajouter de personnel ni d’original ?
Mais je n’avais pas envie non plus de donner dans un certain genre d’euphémisme littéraire qui finit par être plus grotesque que ce qui est censé être évoqué. Vous savez, les « transports » et autres « passions » débordantes des romans d’amour du type bodice ripper, qui mériteraient de gagner un Prix Bulwer-Lytton de mauvaise prose.
Au final, un peu par un processus d’élimination, et un peu aussi en imitant certains auteurs que j’admire (encore une dette envers Lois McMaster Bujold…), j’ai fait ce qu’on pourrait appeler des descriptions incomplètes, ou descriptions interrompues, pour garder le thème érotique. De cette façon, je donne des indications sur ce que font les personnages, mais sans entrer trop dans les détails, et je me concentre sur les sensations et les émotions, sur l’humeur du moment. Bref, il s’agit de suggérer plutôt que raconter par le menu, en se reposant sur la connivence avec les lecteurs et lectrices, qui comprennent à demi mot parce que c’est une réalité humaine commune. La scène est même d’autant plus efficace que l’imagination de la personne qui lit sera active, ou que son expérience personnelle sera vaste.
Bien sûr, le revers de la médaille, c’est que la scène semblera plate si la personne en question n’a pas d’affinité pour ce qui est évoqué. J’ai vu ça avec les réactions d’un des bêta-lecteurs d’Augusta Helena, qui n’a tout simplement pas enregistré certaines scènes d’amour mettant en jeu des personnages de même sexe. Sa propre sensibilité hétéro était trop étrangère à cela. D’où l’intérêt d’avoir des lecteurs bêta variés…
Mais l’avantage de cette mise à contribution de l’imagination des lecteurs surpasse largement, à mon sens, les inconvénients. Lire, disait Stephen King, c’est de la télépathie : transmission de phrases du cerveau de l’auteur à ceux des lecteurs. Mais le récepteur n’est pas passif, au contraire : l’image transmise est reconstituée dans et par le cerveau de la personne qui lit, et ce sont ses propres émotions et souvenirs qui lui donneront son cachet final.
Augusta Helena, tome 1 : Énigmes en Terre Sainte, Éditions du 81, janvier 2022
Ce week-end, j’ai donné un exemplaire de mon roman Augusta Helena à un ami qui avait le manuscrit et fait des suggestions intéressantes. Toujours payer ses dettes à ses bêta-lecteurs, c’est une bonne habitude à prendre pour les auteurs.
La même personne m’a fait un compliment auquel je ne m’attendais pas, mais qui m’a touchée : il trouvait que cette histoire de la découverte de la Croix du Christ par Hélène était une image et un symbole frappants du basculement qui s’était produit dans le monde occidental au IVe siècle, quand le christianisme avait cessé d’être une religion de marginaux pour devenir, selon ses mots, « une affaire rentable », au point que même des non-chrétiens l’acceptent comme la nouvelle normalité. Un changement d’ère. « Les symboles sont importants », a-t-il ajouté.
C’est bien aussi ce que je pense. C’est pourquoi j’ai inclus, en plus de la scène de la découverte elle-même, une autre où mon protagoniste païen, Lucius, décide d’investir dans la fabrication d’images pieuses, du genre qu’on vend aux pèlerins.
Le genre d’images qui ferait florès dans les siècles suivants, notamment sous forme d’icônes.
Icône roumaine de Ste Hélène donnant la Croix à ConstantinLa Croix surmontée du Chrisme, le symbole chrétien mais aussi œcuménique de Constantin.
En piochant dans l’histoire, la littérature, les mémoires et les anecdotes du Siècle des Lumières pour les besoins de mes romans, je ne pouvais pas ne pas rencontrer ici et là un certain Charles-Joseph, prince de Ligne. Observations, maximes, bons mots… et mauvaise langue aussi, parfois !
Quelques perles tirées de ses Mémoires, que j’ai lues dans la collection Le Temps Retrouvé (Mercure de France) mais qui sont disponibles dans bien d’autres éditions, y compris gratuitement sur Gallica :
• « Je vois des gens qui se tiennent bien droit ; ils croient avoir de la droiture. Ils sont raides ; ils croient avoir du caractère. »
• « Une phrase une fois dite sans réflexion et répétée par les sots devient sentence. »
• « J’entends dire qu’il faut recommencer la guerre, à des hommes et des femmes qui ne conçoivent pas comment je suis assez barbare pour tuer une bécasse qu’ils sont pourtant enchantés de manger. »
• « Aussi, adieu les plaisirs de la société. On se trouve sans se chercher. On se quitte sans regrets. On cause sans intérêt. On se met à table l’un à côté de l’autre, sans s’en soucier. C’est encore un des mauvais effets des longues paix. »
• « On croit de même regretter beaucoup ses anciens soi-disant amis qu’on a vu disparaître avec assez de sang-froid. C’est soi-même qu’on regrette. »
Francophile en matière culturelle mais loyal sujet du Saint-Empire, admirateur de Rousseau et Voltaire mais atterré par la Révolution, ce grand seigneur européen était aussi attaché à un petit pays qui deviendrait un jour la Belgique. Il a donné a la littérature de ce pays, et à toute la francophonie, quelques unes de ses plus belles pages.
La vie d’un livre passe par plusieurs étapes. Depuis l’étincelle initiale, la simple idée dans l’esprit de l’auteure, jusqu’au volume fièrement disposé sur les tables des librairies, prêt à rencontrer son public, le chemin peut être long.
Il faut déjà écrire le texte et le terminer. C’est évident, vous direz ? Pas toujours, au vu des réactions de certains auteurs débutants. Mais il vaut la peine d’insister dessus : aucun éditeur n’acceptera de roman ou nouvelle non terminé d’un auteur inconnu. Donc si vous pensez que le texte peut encore être amélioré, continuez à y travailler ! N’envoyez le manuscrit à l’éditeur que si vous estimez que vous avez atteint votre but. Et n’hésitez pas à le faire lire à d’autres personnes pour avoir des retours. (Les « lecteurs bêta », pour parler comme les testeurs de logiciels.)
Mais supposons que vous êtes vraiment contente de ce que vous avez écrit et que vous décidez de l’envoyer à un ou plusieurs éditeurs. Formidable. Mais avez-vous bien choisi vos cibles ?
Pour limiter les risques de refus, et limiter aussi le temps et les frais engagés, il est bon en effet de sélectionner avec soin les éditeurs que vous allez démarcher. Il y a plusieurs critères : la taille et la notoriété de l’éditeur n’est pas une garantie (en fait les grands éditeurs ne vont presque jamais accepter un manuscrit arrivé par la poste) ; le fait que ce soit un vrai éditeur et non un prestataire de compte d’auteur est en revanche capital, car j’imagine que vous voulez être éditée, pas devoir payer pour ça…
Il y a aussi des éditeurs qui n’acceptent les manuscrits que sur papier, pas un fichier au format Word ou PDF, ce qui est de nos jours assez agaçant. Je vais l’avouer : quand j’ai démarché les éditeurs pour Augusta Helena, puis Du sang sur les dunes, j’ai commencé par ceux qui acceptaient les soumissions par courriel. Et j’ai trouvé preneur.
Il faut savoir aussi que certains éditeurs ont un distributeur, grâce auquel ils sont présents dans les librairies, et d’autres vendent directement en ligne, via leur site et/ou Amazon. Personnellement, j’ai visé la première catégorie : j’ai tout simplement visité plusieurs librairies et photographié les livres qui me semblaient proches du mien, pour avoir le nom des éditeurs qui publiaient déjà des romans policiers historiques. En vérifiant sur leur site internet pour avoir leurs coordonnées et plus de détails sur leur catalogue, bien sûr.
Même ainsi, votre texte a toutes les chances d’être refusé, et refusé plusieurs fois. Et c’est dur à vivre. J’ai eu la chance, dans ma vie d’auteure, de voir mon tout premier roman accepté, mais cela a pris du temps : L’Héritier du Tigre, paru en 2006, a été terminé en 2003. Et ce n’est pas la première mouture qui a été acceptée, mais une version révisée suite aux avis de deux bêta-lecteurs à qui je savais que je pouvais faire confiance. Mais il a fallu s’accrocher.
Pour le second roman, Augusta Helena, cela a pris aussi longtemps : je l’ai terminé en 2018 et il a été accepté en 2021. Mais comme j’avais un peu plus de métier, j’ai passé ce temps à écrire deux autres romans, et c’est l’un de ceux-ci, Du sang sur les dunes, qui a été accepté par les Éditions du 81, que je salue au passage ! Et à son tour, cette relation a évolué vers la publication d’autres romans : l’éditrice m’a demandé si j’avais d’autres textes terminés ou en cours, et c’est ainsi que mon Augusta a eu une seconde chance.
Mais on voit l’importance du fait que j’avais d’autres romans à mon actif à proposer quand l’un d’eux était refusé : plus vous avez de textes (et encore une fois, de textes terminés et aboutis), plus vous avez de chances d’attirer l’attention d’un éditeur.
Partir aussitôt sur un nouveau projet, c’est aussi une bonne façon d’éviter de se ronger les sangs en attendant une réponse. Combien d’auteurs restent paralysés après un premier roman, sans pouvoir avancer ? D’une certaine façon, c’est ce qui m’est arrivé : après L’Héritier du Tigre, j’ai tenté plusieurs fois d’écrire une suite, en vain. C’est seulement quand je suis passée à un projet entièrement différent (qui allait devenir Augusta Helena) que j’ai retrouvé de l’inspiration. Et cette fois, avec l’expérience acquise, je n’ai pas attendu d’avoir un retour des éditeurs avant de me lancer dans un autre roman.
Mieux encore : après avoir écrit deux romans, j’ai senti cette fois que je commençais à avoir du métier, l’écriture devenait moins un défrichage de l’inconnu que l’application d’outils que j’avais appris à maîtriser ! Quand on en arrive là, « c’est bon signe », comme dit le poète, « signe que vous pouvez signer ».
(J’ai déjà eu l’occasion de jouer les fans de Robin D. Laws, mais je ne m’en lasse pas. Si un éditeur français est intéressé, je le porte volontaire pour la traduction. Sérieux.)
C’est toujours utile de lire des bouquins sur d’autres bouquins. Garanti.
Quels sont les deux conseils aux écrivains débutants sur lesquels tous les écrivains confirmés sont unanimes ? 1) Écrire, écrire, écrire. 2) Lire, lire, lire. Il est en particulier important de lire dans le ou les genres que vous pratiquez, ne serait-ce que pour éviter de réinventer la roue. Et puis il y a les manuels d’écriture créative et autres conseils de pro. Pensez à On Writing de Stephen King (en français : Écriture, mémoire d’un métier), qui offre à la fois une série de bons conseils et un exemple vécu de pratique d’écrivain, ce qui n’est pas inutile quand on est vraiment débutant et qu’on manque de repères.
D’autres manuels, destinés à un public de pros (scénaristes de télé et de cinéma…), se concentrent sur la structure du récit, depuis Story, de Robert McKee (1997, et 2015 pour la traduction française), qui est rapidement devenu la bible des auteurs de scénario d’Hollywood, faisant de la structure en trois actes l’équivalent des tables de la loi, jusqu’à Save The Cat! de Blake Snyder (2005), qui détaille plus précisément les éléments d’un bon scénario, avec des variantes selon les genres de récit. Il n’est pas difficile, là aussi, de percevoir l’influence de l’ouvrage au travers de la construction des films et séries télé de ces quinze dernières années…
Tout ceci ne concerne que la structure de l’histoire, la façon dont les briques sont agencées, en somme. Mais la nature et la qualité des briques elles-mêmes peuvent être cruciales pour l’histoire. À quoi bon peaufiner chaque étape du voyage du héros si celui-ci n’a pas une personnalité cohérente ? C’est tout le récit qui risque de paraître incohérent aux lecteurs. Et à quoi bon multiplier les péripéties quand le rythme reste monotone, poussif ?
C’est là qu’entre en scène Robin D. Laws, écrivain, créateur de jeux de rôles et podcaster canadien, avec Beating The Story (2018). Le titre fait référence au terme musical beat qui peut désigner le tempo ; ou, précédé d’un article indéfini, une mesure de temps. Ce livre a commencé comme une tentative de disséquer ce qui faisait marcher une scène dramatique dans Hamlet ou autre classique du répertoire, pour voir si on pouvait importer ce mécanisme dans l’un des jeux sur lequel l’auteur travaillait. Non seulement l’opération a réussi, mais Laws en a tiré des règles générales qui s’appliquent à tous les types de récit, sur tous types de médias, séries, films, théâtre, romans, nouvelles… Il suffit que ce soit une histoire, avec des personnages et des péripéties, ce qui couvre la quasi totalité de la production actuelle, à part quelques œuvres expérimentales.
De quoi s’agit-il ? De la tonalité émotionnelle des épisodes du récit, ici appelés beats, les temps. C’est plus facile à distinguer au théâtre, où la plupart des scènes sont des interactions entre deux personnages ou plus : l’une demande quelque chose, l’autre accepte ou refuse, et on a ainsi des hauts et des bas émotionnels pour le protagoniste, celui dont on raconte l’histoire et auquel l’audience s’intéresse.
Transposé à la prose narrative, ces hauts et ces bas peuvent être là aussi des interactions entre personnages, ou bien des obstacles à franchir, des énigmes à résoudre, selon le genre : les romans policiers et thrillers auront évidemment plus de ce type de séquences, de beats, alors que les romans sentimentaux ou centrés sur les personnages d’une famille seront quasi uniquement du premier type. Tout l’art est de doser les temps forts à tonalité positive (espoir ou satisfaction pour le protagoniste) ou négative (peur ou échec). On peut analyser de cette façon les livres, films ou épisodes de séries à succès et constater qu’ils font alterner de façon rapide les notes positives et négatives, de façon à garder le public en haleine, lui faire vivre les émotions du héros ou de l’héroïne.
Ce sont des préoccupations commerciales, on me dira ? Oui, bien sûr. Si on veut trouver un public, ce sont des questions à considérer. Et rendre son livre addictif n’est pas la pire façon de procéder.