Archives mensuelles : septembre 2020

Mes outils d’écriture (16) : Revenir en arrière, et autres questions de temps

En arrière, au grand galop ! (Mosaïque romaine, Piazza Armerina, Sicile)

C’est une question qui m’a titillée l’autre jour sur Twitter, alors que je suivais une conversation entre divers auteurs et auteures débutantes à propos d’ellipses temporelles : certains détestent, que ce soit pour en lire ou pour les écrire. Oui, au fond, pourquoi laisser un blanc dans le récit, au lieu d’ y inclure tout ce dont on a besoin pour comprendre l’histoire ? À moins d’être dans une histoire de détective à la Agatha Christie, on n’a généralement pas envie de passer sa lecture à recueillir des indices et faire des déductions.

Pas faux, mais à mon sens, cela ne fait que déplacer le nœud du problème. Qu’est-ce qui fait partie de l’histoire ? Quels éléments sont accessoires et peuvent être laissés de côté ? Et même sont à laisser de côté pour une meilleure dynamique du récit ? Après tout, on n’a pas besoin de raconter à chaque fois : « Elle tourna la poignée pour ouvrir la porte ; il enfila ses chaussures avant de sortir, etc. »

Ces petits éléments du quotidien sont généralement élidés, pour le plus grand bien de l’œuvre de fiction. C’est seulement si ces détails deviennent partie prenante de l’histoire qu’on les décrit : par exemple dans un récit fantastique où l’étrangeté s’insère peu à peu dans le quotidien, en supprimant des poignées de portes là où on les attendait, ce qui conduit le protagoniste à y prêter plus attention… Ou peut-être dans une histoire policière où le fait que la victime n’ait pas mis ses chaussures avant de sortir est un indice important. Mais sinon, on n’a généralement pas besoin de s’étendre dessus, cela n’apporte rien au récit et même le ralentit.

Cela vaut aussi pour des ellipses plus importantes, des épisodes qui sont là simple continuation de ce qui a déjà été raconté, sans apporter d’élément nouveau. Un exemple : au début de ma série L’Interprète (à lire sur Rocambole), l’héroïne du récit, alors étudiante, assiste aux premiers contacts avec des extraterrestres et commence à travailler sur la traduction de leurs messages. C’est la situation initiale, celle où j’établis mon univers. Pas besoin de raconter par le menu les dix ans qui vont suivre, qui ne seraient que des redites. Je fais donc une ellipse et reprends le récit au moment où intervient un élément nouveau, un catalyseur : la mort de l’ambassadeur auprès des aliens, et la désignation de ma protagoniste pour le remplacer.

Bref, pour savoir si on peut (doit ?) faire une ellipse, la question à se poser est : est-ce que je peux me passer de cet épisode ? Et la réponse dépendra de l’histoire racontée, mais aussi du rythme du récit, des usages en vigueur dans genre employé… Pour reprendre mon Interprète, s’agissant d’un texte assez court, équivalent d’une novelette, il était exclu que je passe plus que quelques pages à établir la situation initiale : il fallait qu’à la fin du premier épisode (soit 6 ou 7 pages) on puisse passer à la suite. Dans un gros roman de 300 pages ou plus, j’aurais sûrement exploré plus en détail le passé de ma protagoniste, ses relations avec les autres personnages, etc. Ce qui ne veut pas forcément dire que je l’aurais fait en séquence : il est tout à fait classique de raconter ce genre de choses en flash-back, ou d’entrelacer le récit de l’intrigue contemporaine avec des épisodes de retour en arrière.

Mais alors, comment savoir si on peut se passer d’un épisode, ou de tout autre élément du récit ?

La réponse risque d’être frustrante : il n’y a pas de règle, il faut voir au cas par cas. Et si besoin, tester les différentes possibilités. Au moins, je peux garantir que c’est quelque chose qu’on acquiert avec l’expérience de l’écriture…

Un exemple. Au début de mon roman historique Tous les accidents, j’avais commencé mon récit in media res, pour employer un terme technique, avec une héroïne déjà engagée dans les guerres de la Révolution. Dans mon optique initiale, c’étaient les aventures de cette femme durant la guerre qui étaient intéressantes, pas ce qui s’était passé avant ou après. Mais, au fur et à mesure, j’ai réalisé que le récit ainsi conçu n’était pas complet : on avait un monde d’aventures, mais pas la situation initiale ni le catalyseur qui déclenche l’aventure. Je suis donc revenue en arrière et j’ai écrit un chapitre pour raconter le moment où la protagoniste décide de s’engager, et ses premières expériences dans le monde nouveau où elle est désormais plongée.

(Pour ceux que cela intéresse, le livre qui m’a fait évoluer sur ce point est Save The Cat! de Blake Snyder. Conçu pour aider les scénaristes, mais facile à adapter pour les romans. Comme on voit, je ne pretends pas au purisme littéraire.)

Écrire, c’est toujours partir un peu soi-même à l’aventure. On ne sait pas à quoi mène le chemin parcouru, et même s’il aboutit quelque part au lieu de se perdre au milieu des ronces. Mais au moins, contrairement à un voyage ordinaire, on peut toujours descendre en marche, revenir en arrière pour mieux explorer les coins intéressantes, ou au contraire sauter les étapes et aller droit à ce but fabuleux qui miroite à l’horizon. Ne nous en privons surtout pas !

Mes outils d’écriture (15) : Traînez sur Internet !

Un chat dans un tube de plastique. Légende : "Internet est une série de tubes. Et dans ces tubes, il y a des chats."
My God, it’s full of cats!

Non, ce n’est pas un conseil malveillant pour torpiller la concurrence. L’usage d’Internet m’a réellement permis de me développer comme auteure, en particulier comme romancière, et ceci est un petit témoignage de mon aventure.

Déjà, autant annoncer la couleur : je suis ce qu’on peut appeler geek, et je ne m’en repends pas. J’ai commencé à baigner dans des histoires de science-fiction et d’ordinateurs quand j’étais petite. Autant dire que quand j’ai pu me connecter régulièrement au Réseau, à partir de 1997, je n’ai pas hésité. C’était certes des temps héroïques : on payait sa connexion à la seconde, et ce n’était pas donné. Mais cela ouvrait de telles possibilités…

Par exemple, discuter avec des fans de mes auteurs favoris dans le monde entier, même ceux qui sont au Japon, ou à Nouméa, ou à Vancouver… C’était l’époque des messageries Usenet (ça vous dit quelque chose ? Googlez donc !) et l’astuce pour ne pas avoir une facture de téléphone trop horrible était de télécharger les messages du jour, puis se déconnecter pour lire à loisir et élaborer sa réponse. Puis on se reconnectait juste pour poster ses messages. Limité, mais c’était déjà le moyen d’augmenter en expérience. Celle dont on parle quand on conseille aux débutants : « écrivez sur ce que vous connaissez ».

Quelques années ont passé, l’an 2000 a commencé à rapetisser dans le rétroviseur, et on a pu profiter de quelques innovations bien pratiques : le WiFi et la compression mp3. Avec le premier, fini le décompte angoissé des secondes et des minutes pour ne pas dépasser ton forfait Internet ! Il était désormais presque confortable de surfer, et les possibilités de découvrir et interagir augmentaient d’autant. Ce fut pour moi la période des blogues et des forums en ligne, et l’exposition à bien des idées et des expériences nouvelles. Des gens racontaient leur vie sur leur blog ou dans leur forum préféré, et il n’y avait plus qu’à lire pour vivre par procuration. Et pour être aux premières loges quand des empoignades avaient lieu, car forcément, qui dit gens qui discutent dit qui se disputent…

Mais ce n’est pas tout. L’autre média de choix, en ce début des années 2000, c’était le podcast, alias balado pour parler un peu français. Et l’un d’entre eux m’a carrément donné une idée de roman. C’était, je crois, Rationally Speaking, un balado en anglais consacré à la discussion des religions sous l’angle du rationalisme. L’un des épisodes mentionnait au passage le voyage fait par l’impératrice Hélène, mère de Constantin, pour ramener la Vraie Croix de Jérusalem. Quelqu’un utilisait même l’expression « Indiana Jane du IVe siècle » ! Je n’en ai rien fait sur le moment, mais des années plus tard, je suis retombée sur la mention de ce voyage, toujours via un podcast. Cette fois, mon imagination n’a pas voulu rester en repos ; le résultat fut Augusta Helena.

Pour le roman suivant, Internet a encore frappé. Par le biais de Wikipédia, pour changer : ce site a l’excellente habitude de mettre chaque jour quelques articles à la une, soit de particulière qualité, soit parce qu’ils sont insolites… Un jour de 2018, en ouvrant la page, je tombe sur la mention de Marie-Angélique Duchemin, première femme décorée de la légion d’honneur et héroïne des guerres révolutionnaires. Il y avait même une photo, prise vers 1850. La dame n’avait pas l’air commode ! Fascinant. Je me suis aussitôt documenté un peu plus sur cette période foisonnante de notre histoire, et c’était parti ! J’en ai tiré Tous les Accidents, ce que je pourrais appeler mon « roman national ».

Je pourrais donner d’autres exemples, comment, grâce à Internet, j’ai découvert certains bouquins sur l’écriture qui m’ont conduite à faire évoluer ma pratique… Mais on se place alors déjà dans un autre billet de la série, qui s’intitulerait : « (16) Relis Ton Fichu Manuel »…

Comme nous disions du temps d’Usenet. Ce qui boucle la boucle.