
Au plaisir d’avoir un nouveau livre en librairie se mêle cette fois quelque chose de doux-amer : le regret de ne pouvoir faire partager cela à ma mère. Décédée depuis bientôt douze ans, elle n’a pu lire que le tout premier de mes romans, L’Héritier du Tigre. Mais je me demande ce qu’elle aurait pensé d’Helena…
Il faut dire que cette histoire lui doit beaucoup, de façon directe ou plus subtile. Le sujet, d’abord : pourquoi me suis-je embarquée pour ce voyage en Terre Sainte d’une impératrice chrétienne, devenue sainte des Églises catholiques et orthodoxes, moi, athée confirmée ? C’est que le christianisme était consubstantiel à la personnalité de ma mère, son échelle de valeurs, sa boussole pour l’action. Le message évangélique n’était pas pour elle une figure de style, mais une règle de vie. Dans le même temps, elle se passionnait pour les études bibliques, discutant d’exégèse comme d’autres pourraient disséquer un film qui les a enthousiasmés.
J’ai donc baigné dans ma jeunesse dans une atmosphère où la religion catholique était partout mais sans être un dogme, où le questionnement était considéré comme une voie vers la Vérité, pas comme un danger pour celle-ci. Je me suis plus tard éloignée de la foi, pour des raisons complexes. Je pense que l’étape la plus importante a été de réaliser que le sentiment de « divin » que je pouvais ressentir en pensant à la divinité était exactement le même que celui causé par l’émotion esthétique devant un paysage, un tableau ou une musique sublime.
Cet éloignement, ma mère ne l’a pas combattu, mais elle ne l’a pas compris. « Comment peux-tu savoir ce qui est bien et ce qui est mal s’il n’y a pas de Dieu ? » J’ai entendu cela de sa bouche, et cela m’a fait… mal. Mais nous avons continué de façon sporadique à discuter de religion, d’exégèse, des évolutions possibles de l’Église catholique, des œuvres en faveur des malades, des pauvres et des réfugiés où elle s’investissait. Elle était elle-même à cette époque assez handicapée, mais cherchait toujours à aider les plus malheureux.
Mais fin 2016, quand j’ai commencé à faire des plans pour mon roman sur la mère de l’empereur Constantin, j’ai bien sûr repensé au parcours de ma propre mère. Et la personnalité d’Hélène dans le roman doit beaucoup à elle, je pense. De même que nos discussions érudites ont inspiré certaines plongées dans les méandres d’un dogme chrétien encore en construction, où des épisodes bien connus aujourd’hui de l’Évangile n’avaient pas encore été mis par écrit… Un monde déroutant, par moments, et qui j’espère dépaysera le lecteur. Aurait-il trouvé intérêt aux yeux de ma mère ? Je ne sais pas, mais qui sait ? Peut-être y a-t-il vraiment un autre monde où les bienheureux peuvent voir toute la création comme un grand livre, et lire à loisir.