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Mes outils d’écriture (13) : Les maladies de nos aïeux dans votre roman historique

Les Marais Pontins au XIXe siècle, une zone empaludée en pleine Europe.

Placer un récit à une autre époque, ce n’est pas seulement une question de détails matériels à vérifier, et pourtant ! Combien de romans par ailleurs palpitants laissent une impression désagréable au final parce qu’ils se sont plantés sur un point fondamental pour l’intrigue, ou même sur un détail périphérique mais qui change tout le climat de l’œuvre ?

Je pense par exemple à un roman policier de John Maddox Roberts (de la série SPQR) où la résolution de l’intrigue exigeait que l’on fasse la différence entre les chevaux des Romains, qui étaient ferrés, et ceux des Maurétaniens, qui ne l’étaient pas. Problème : à l’époque en question (fin de la République), les Romains non plus n’utilisaient pas de fers à chevaux. (Ils utilisaient des hipposandales, ou fers amovibles, à titre thérapeutique, pour protéger un pied abîmé, mais pas le fer à cheval proprement dit, qui date au plus tôt de l’époque byzantine.)

Ou bien que l’on songe aux libertés que prend Alexandre Dumas avec la chronologie du règne de Louis XIII dans ses Trois Mousquetaires : le véritable d’Artagnan devait avoir 12 ou 13 ans en 1625, au début du roman. Certes, on peut arguer que le héros ne fait qu’emprunter son nom au Gascon historique, que c’est un double romanesque… Reste que c’est une gaffe dans la construction du roman.

Mais tout cela, au fond, n’est que la partie émergée de l’iceberg, les aspects les plus faciles à vérifier et à appliquer quand on cherche à immerger un récit dans une époque historique, le nom des rois, reines, papes et autres dirigeants, le niveau technologique, les habits, les armes, même la botanique (pas de tomate en Europe avant Christophe Colomb…), tout cela demande simplement de la minutie et un accès à une bonne bibliothèque, ne serait-ce qu’en ligne. Là où cela devient une autre paire de manches, c’est si on veut essayer de reconstituer aussi l’univers mental d’une autre époque, sa représentation du monde et d’elle-même.

Pour en revenir aux Romains, par exemple, les hipposandales sont un indice intéressant à la fois du niveau atteint dans l’Antiquité par l’art vétérinaire, mais aussi de l’importance économique et militaire des chevaux et mules. La présence de mulomedici (médecins pour mules, littéralement) aux armées et dans les relais de poste nous en dit long également sur la capacité de l’Empire Romain à organiser et planifier.

Cet exemple nous montre un aspect du monde romain qui n’est pas si éloigné du nôtre : bureaucratie, techniciens spécialistes… Mais si on s’intéresse à la médecine proprement dite, on risque d’avoir des surprises.

Qu’est-ce qu’une maladie, par exemple ? Nous avons l’habitude de dire que telle infection est causée par tel agent pathogène, bactérie, virus, parasite, etc. Ou bien on relie un dérèglement physiologique à une anomalie génétique (certaines formes de diabète, par exemple) ou à un problème lié à la vie quotidienne (ainsi du surpoids et de l’obésité) du patient. On pense en terme de causes matérielles, avec des outils mentaux rarement antérieurs au XIXe siècle : même la définitions des tissus comme unités anatomiques date des années 1800, avec Xavier Bichat. La vaccination se développe à la toute fin du XVIIIe siècle avec Jenner. La médecine expérimentale de Claude Bernard date du milieu du XIXe siècle, et la théorie des germes a peu à peu accumulé des arguments empiriques (notamment les observations au compte-fils puis au microscope, à partir de 1700) jusqu’aux travaux définitifs de Pasteur. Quant à la génétique, malgré les bases posées par Mendel dans les années 1860, elle est née et s’est développée au XXe siècle.

Si on essaie de se placer en esprit à une époque antérieure au XXe siècle, c’est toute la relation de l’être humain aux maladies qu’il faut repenser. Imaginons à nouveau un récit placé à l’époque romaine : si un personnage tombe malade, comment raconter cela ? Si je parle de germes et de pathogènes, ou même si je mentionne la circulation sanguine, je sors de l’univers mental de l’époque, et donc je trahis l’esprit de mon récit. Mais si je reprends le vocabulaire des médecins de l’époque, avec ses miasmes et ses humeurs, cela donne vite un discours ridicule, du genre croqué par Molière dans son Malade imaginaire.

Il n’y a pas de solution parfaite ni universelle. En écrivant Augusta Helena, mon roman historique sur Hélène, mère de l’empereur Constantin, j’ai opté pour n’utiliser qu’au minimum le jargon médical antique, même en faisant parler un médecin. Mais je n’ai pas pour autant employé de concepts médicaux trop récents. Ainsi pour la question du paludisme, qui était une maladie endémique de la région de Rome, à cause des Marais Pontins et de leurs moustiques : on faisait dès l’Antiquité le lien entre les marécages et des maladies fébriles pouvant entraîner la mort, mais on pensait que c’était quelque chose dans l’air (d’où le nom italien de la maladie, malaria). Le rôle des moustiques comme vecteur est resté mystérieux jusqu’aux travaux de Carlos Finlay à Cuba en 1881. Dans mon roman, je n’ai mentionné les moustiques des marais du Latium que comme bestioles agaçantes, sans parler du lien avec la fièvre récurrente qui mine l’un de mes personnages et finit par l’emporter. Mais j’ai pris soin de citer les moustiques. (Par parenthèse, les Marais Pontins furent une plaie de Rome jusqu’aux années 1930, quand les grands travaux de Mussolini les ont asséchés et permis d’y faire de l’agriculture.)

La terminologie est donc déjà un point délicat, s’agissant des maladies, de leurs causes et de leurs remèdes. Mais plus encore, en écrivant un récit historique qui se veut réaliste, on ne peut pas ne pas prendre en comptes les réalités humaines d’une époque où la mort fauchait bien plus souvent, et aussi bien plus tôt. Avant l’introduction des vaccins, en Europe, un enfant sur deux n’atteignait pas l’âge adulte. Est-ce que mes personnages seront plus fatalistes face à ce genre de choses ? Probablement. Mais c’est difficile à faire passer pour des lecteurs modernes.

Il y a ainsi un passage dans Tous les Accidents, mon roman situé à l’époque de la Révolution et de l’Empire, qui a un peu perturbé les béta-lecteurs, et non sans raison : la mort d’un nouveau-né. Ce qui est pour nous l’horreur absolue, le drame des drames, était alors quasiment un passage obligé pour les familles. Ce qui m’intéressait, c’était justement comment réagissaient les survivants. J’ai une grand-mère qui a perdu son premier fils en bas âge à cause d’un accident et en a terriblement souffert, mais son éducation et son milieu social n’étaient pas favorables à l’extériorisation des sentiments. Ce qu’elle en disait, quand elle disait quelque chose, c’était : « Il faut porter sa croix. » Une philosophie terrible, si on y songe.

La soucoupe, le génie et les sceptiques, ou pourquoi la recherche scientifique est un sport d’équipe

Quand on se plante dans les grandes largeurs…

(Je reprends ici, actualité oblige, un billet de 2011 sur ce qu’est et n’est pas la recherche scientifique, avec juste quelques mises à jour. Le cas Jean-Pierre Petit peut paraître folklorique, avec ses histoires d’extraterrestres, mais il est typique de tous les « génies solitaires » autoproclamés qui font au final bien plus de mal que de bien à la science. Et surtout à la compréhension de la science par le public.)

Dans un épisode du balado Scepticisme scientifique, Nicolas Gauvrit se penche sur le cas étrange de Jean-Pierre Petit, physicien, vulgarisateur scientifique, auteur de bandes dessinées… Mais aussi persuadé de l’existence d’une vaste conspiration impliquant le Pentagone, la quasi-totalité des scientifiques américains, et des extraterrestres tour à tour timides et amateurs de publicité, les curieux Ummites.

Cela fait beaucoup pour un seul homme? Oui et non. Le cas de chercheurs scientifiques, souvent brillants, se fourvoyant à un moment ou un autre de leur carrière en direction de la pensée irrationnelle est quasiment un classique. Cela a même un nom : la « maladie du Nobel ».

(On pourra aussi utilement se référer au bouquin de Michael Schermer, Why People Believe Weird Things, 1997).

J.-P. Petit est ici en bonne compagnie, avec des Prix Nobel comme Linus Pauling et sa croyance en l’effet miraculeux des mégadoses de vitamine C, ou Luc Montagnier et son soutien à la très vaseuse « mémoire de l’eau »; ou encore avec la microbiologiste américaine Lynn Margulis, qui s’est fait un nom en présentant dans les années 1960 la théorie, alors révolutionnaire mais aujourd’hui largement acceptée, de l’origine symbiotique des organelles (les mitochondries et autres structures internes des cellules eucaryotes, y compris celles du corps humain) – mais qui depuis plusieurs années soutient envers et contre tout que la sélection naturelle ne joue pas un rôle important dans l’évolution, mais que ce rôle est dévolu aux symbioses; que les papillons n’ont pas évolué à partir d’une espèce d’insecte primitif, mais par symbiose poussée entre espèces différentes (comme si ce qui était vrai chez les bactéries pouvait marcher aussi chez les animaux) ; et que les agents infectieux de diverses maladies, notamment le Sida, ne suffisent pas à déclencher la maladie, mais qu’il y faut aussi la présence de… oui, vous l’avez deviné, de symbioses!

La ressemblance avec le cas Petit est frappante. Pour lui, le dada favori, le cheval de bataille, ce sont probablement les espoirs déçus quant au développement de nouvelles méthodes de propulsion (sur lesquelles il avait travaillé sans recevoir du CNRS le soutien qu’il pensait dû à des pistes qui semblaient prometteuses) qui ont pu le prédisposer à croire que c’était possible quand même, quelque part, de quelque façon, peut-être par des extraterrestres plus avancés que nous? Et pourquoi pas avec la complicité des nos éternels rivaux d’outre-Atlantique, dont le Département de la défense finance bel et bien toutes sortes de recherches, depuis ARPANET jusqu’à certains phénomènes de psychologie sociale?

Et pourquoi ne pas sauter un peu plus dans la spéculation en imaginant qu’extraterrestres et armée américaine tirent les ficelles de tout ce qui se passe, ou presque, de la recherche en aéronautique jusqu’aux attentats du 11 Septembre?

(Intéressante coïncidence: Lynn Margulis aussi a des penchants « Truthistes ».)

On pourrait se contenter de hocher tristement la tête en marmonnant « Plus dure sera la chute… » et passer à autre chose. Mais ce que fait Nicolas Gauvrit, dans cet Épisode 118 du balado, c’est de chercher à comprendre comment on passe de l’intuition scientifique hors du commun, mais féconde, à la théorie carrément irrationnelle et coupée de la réalité.

Du moins de toute réalité tangible, testable, réfutable. Par exemple, puisque les lettres des mystérieux Ummites contenaient des concepts scientifiques qui lui semblaient extrêmement avancés, et qui lui ont permis (à ce qu’il raconte) de progresser dans ses recherches, Jean-Pierre Petit en a conclu qu’elles ne pouvaient venir d’un banal terrien, mais d’une espèce ultra-intelligente. Surtout quand ces lettres disaient du bien de la sienne, d’intelligence…

L’hypothèse d’un canular monté par un banal terrien qui aurait eu à la fois une solide culture scientifique et un sens de l’humour bizarre ne l’a donc pas effleuré; alors que c’est quand même la première idée qui m’est venue à l’esprit en entendant le compte-rendu de Nicolas Gauvrit, avant même la mention de José Luis Jordán Peña – peut-être que les ufologues devraient lire plus de romans policiers?

Ou bien juste réviser le principe du rasoir d’Occam. Vous savez, que l’hypothèse qui fait intervenir le moins de suppositions est probablement la plus proche de la réalité? Une règle utile pour éviter de perdre le contact…

Dans le même genre, je ne saurais trop recommander aux gens attirés par les théories du complot de méditer un autre principe, dit du rasoir de Hanlon: ne jamais attribuer à une intention malveillante ce que la stupidité (donc l’incompétence et/ou une mauvaise organisation) suffit à expliquer.

Ce qui nous amène à un épisode cité par Gauvrit vers la fin du balado, quand il explique pourquoi Jean-Pierre Petit a pu se sentir à l’étroit dans le cadre de l’institution qu’est le CNRS, avec son esprit bouillonnant de créativité et prompt à voir des liens entre éléments parfois un peu trop éloignés. Petit raconte (et ici, on est obligé de le croire, donc je prendrai l’anecdote avec un grain de sel jusqu’à preuve du contraire) qu’un jour, sa hiérarchie au CNRS lui aurait envoyé une lettre l’enjoignant d’être moins créatif, bref de ne plus s’intéresser à des voies parallèles de recherche mais de se contenter de suivre le programme décidé. En somme, de rentrer dans le rang.

Si c’est vrai, c’est bien dommage pour le CNRS. Comment décourager des éléments qui pourraient être brillants et les lancer dans l’impasse scientifique (quoique fort médiatique) des pseudo-sciences…

Ici, on me pardonnera une réflexion tirée de mon expérience personnelle. Je ne travaille pas moi-même dans la recherche, ni l’enseignement des sciences, mais il se trouve que j’ai poursuivi jusqu’au troisième cycle une formation universitaire en biologie. Stages dans des labos, mémoires de recherche et fréquentation d’enseignants-chercheurs, mais aussi de chercheurs d’un institut de recherche publique, l’INRA, m’ont appris une chose ou deux sur la façon dont fonctionne la science moderne.

C’est à la fois très simple et très compliqué: en équipe.

Je me souviens de l’ennui qu’il y avait à répéter dix fois la même série de gestes pour préparer une manip biochimique à l’INRA, mais aussi de la précision nécessaire à chaque fois, parce que votre manip sera ensuite utilisée par d’autres personnes, et leurs résultats ne peuvent être considérés comme valides s’ils sont contaminés à cause de votre inattention. Ou pire, si vous vous imaginez que vos idées valent mieux que les autres et que vous modifiez le protocole expérimental sans en référer à personne, juste parce que ça semble une bonne idée… Bref, oui, il peut être dangereux pour un chercheur de ne suivre que son intuition et de « sortir des cadres ».

Je me souviens d’un prof de génétique des populations dont la passion était les papillons, qui était capable d’arriver en retard en cours parce qu’il avait aperçu un spécimen rare et avait pris une photo, mais qui aimait à dire: « Je connais ma place dans notre groupe de recherche, ce n’est pas le décideur, mais la boîte à idées. »

Il reconnaissait lui-même qu’il n’avait pas l’esprit fait pour les questions administratives, ni pour organiser un groupe de travail, ni pour décrocher des bourses et des financements auprès des organismes publics, des fondations et des entreprises. Mais, heureusement pour lui, il avait trouvé place au sein d’une équipe qui appréciait ses contributions dans les séances de brainstorming, sa capacité à rapprocher des secteurs apparemment distincts (les variations génétiques chez certains papillons sud-américains lui faisaient penser à ceux d’un groupe de plantes de Corse, par exemple), et où les idées spéculatives n’étaient pas oubliées mais notées, au cas où… Et il arrivait qu’on était bien content de les avoir, parfois, pour sortir d’une impasse rencontrée dans une voie plus classique de recherche.

Au fond, ce qui est parfois difficile, en science, c’est qu’il faut être tantôt extrêmement audacieux, tantôt extrêmement humble. Des qualités contradictoires et qui peuvent être difficiles à réunir chez un seul individu, certes… Mais lorsqu’un groupe parvient à créer les conditions pour faire fonctionner de concert différents types d’intelligence (dirait-je en symbiose, Ms. Margulis?), alors qui sait à quoi ils peuvent arriver tous ensemble?Cela nous a déjà emmenés sur la Lune et dans les profondeurs de l’océan, permis de manipuler jusqu’au code génétique des êtres vivants, d’observer les particules élémentaires tout comme les confins de l’univers visible – et même le complexe fonctionnement en temps réel du cerveau humain.

Les empreintes ADN de la Peste Noire

C’est l’étalon-or des fléaux, la mère de toutes les pandémies, l’épisode qui a donné au mot « peste » toutes ses sinistres résonances… C’est la Peste Noire, celle qui ravagea successivement l’Asie et l’Europe au milieu du XIVe siècle, tuant chez nous entre 30% et 50% de la population.

Évaluations données à la louche, évidemment. Il y a beaucoup de choses que l’on discute encore à propos de cette pandémie, mais l’une d’elles vient cependant d’être élucidée, grâce aux travaux d’une équipe internationale et interdisciplinaire, mais essentiellement européenne (Cf. l’article signé par Stephanie Haensch et al. dans PLoS Pathogens, dont j’ai trouvé la référence grâce au blogue de Jerry Coyne): l’agent infectieux était bien le bacille Yersinia pestis, une charmante petite bactérie véhiculée par les puces des rongeurs, et susceptible, dans certaines conditions, d’infecter aussi l’être humain. (Tant pis pour notre ego, d’ailleurs: les rats sont bien les victimes préférées de ce germe pathogène, et nous autres figurons surtout comme « victimes collatérales »!)

On avait déjà isolé l’ADN de Y. pestis dans une fosse commune contenant les restes de victimes de la peste de Marseille des années 1720 (la dernière grande épidémie de peste à avoir frappé l’Europe). Avec un résultat similaire obtenu pour des charniers associés à la Peste Noire médiévale dans différentes parties d’Europe, voilà qui confirme le rôle éminent joué par cette bactérie dans l’histoire.

C’est déjà passionnant en soi. Mais j’avoue que cette histoire d’ADN microbien isolé dans des charniers médiévaux me titille le sens littéraire… C’est un peu le scénario utilisé par Connie Willis dans Le Grand Livre, au fond! Bon, d’accord, vous me direz que contrairement à certain épisode du roman, il a fallu pas mal de travail pour récupérer et amplifier les fragments d’ADN, justement… Ah, la différence entre science et fiction!

Maljournalisme scientifique contre vaccin

Paniquez, braves gens! L’édition en ligne du Parisien (reprise dans les brèves de Rue89, où la section commentaires a vite fait de se transformer en réunion de cellule du parti anti-vaccins) ne faisait pas dans la dentelle, jeudi 26 août, en commentant un communiqué de l’Afssaps: «Six cas de maladie du sommeil chez des personnes vaccinées contre la grippe A»

C’est grave, docteur?

Dans ce cas, c’est surtout mauvais pour le journalisme. Et pour l’information du public en matière de santé.

D’abord à cause de la confusion que cet article entretient. Le titre parle simplement de «maladie du sommeil», ce qui évoque immédiatement la trypanosomiase africaine, une maladie parasitaire grave transmise par la fameuse mouche tsé-tsé. Le corps de l’article précise qu’il s’agit de cas de narcolepsie avec cataplexie, ou maladie de Gélineau, qui est une affection neurologique (c’est-à-dire du système nerveux) que l’on classe parmi les troubles du sommeil.

1) Premier point important: ne pas confondre la maladie du sommeil (une affection spécifique, infectieuse, très grave) avec les troubles du sommeil en général (variés, plus ou moins graves, d’origines environnementale et/ou génétique).

Et le Parisien n’est pas seul en cause. Le 26/08, d’autres sites, dont celui de France Info, titrait sur «le vaccin H1N1 contre la grippe provoquerait une maladie du sommeil»… Encore moins de précautions oratoires! Le conditionnel, seul rempart du doute raisonnable – un grand classique.

Le lendemain, 27 août, maigre amélioration: l’ensemble de la presse reprenait l’info de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), mais en évitant au moins la confusion narcolepsie/maladie du sommeil.

2) Ce qui nous amène au deuxième point qui me fait tiquer. Vous connaissez le sophisme «post hoc, ergo poster hoc»?

En français, cela veut dire à peu près: c’est arrivé après, donc c’est arrivé à cause de

Ici, le lien supposé par ce «après» concerne le vaccin contre le virus H1N1. Mais quelle est la solidité de ce lien? Rappel pas inutile, histoire de donner un ordre de grandeur du problème: 30 millions de personnes ont été vaccinées contre la grippe A (H1N1) en Europe entre 2009 et 2010. Aujourd’hui, les autorités sanitaires européennes réagissent à 22 cas de narcolepsie diagnostiqués chez des personnes vaccinées.

Parlons de cette maladie de Gélineau ou narcolepsie-cataplexie, justement.

Un autre média, 20 Minutes, a pris la peine d’interroger un spécialiste des troubles du sommeil, Jean-Michel Paquereau, de l’Institut national du sommeil et de la vigilance. Qui explique la chose suivante : cette forme de narcolepsie peut être déclenchée par la réaction de l’organisme à une agression microbienne, par exemple virale, lorsque le système immunitaire ne se contente pas d’attaquer le virus, mais produit des anticorps contre ses propres cellules. Si les cellules attaquées sont celles qui, dans le cerveau, jouent un rôle dans l’endormissement, cela peut expliquer les symptômes de ces patients. Ce serait donc un cas de réaction auto-immune.

Quel rapport avec le vaccin contre la grippe? Petit rappel : le rôle de ce vaccin est d’apprendre à notre système immunitaire à reconnaître rapidement l’intrusion du virus de la grippe, afin de mieux le combattre. Prendre le mal à la racine est plus efficace, et moins fatiguant pour l’organisme, que de devoir attendre que l’infection soit installée. Le vaccin contient donc forcément une (très) petite dose de particules virales – atténués ou inactivées, évidemment! (Pour certains types de vaccins, il ne s’agit même pas de virus entiers, mais de protéines de l’enveloppe du virus, car c’est grâce à ces protéines que nos globules blancs «reconnaissent» le virus comme corps étranger. Une sorte de passeport biométrique qu’on leur distribue pour reconnaître de dangereux terroristes, quoi.)

Dans le cas des produits mis en cause dans cette affaire de narcolepsie, il s’agit des vaccins Panenza®, de Sanofi-Aventis, et Pandemrix®, de GSK. Tous deux ne contienent que du virus inactivé, c’est-à-dire rendu incapable de se reproduire. (Avantage pratique : on ne risque pas d’attraper la grippe avec ce virus-là, même si on est très immunodéficient.)

Bref, théoriquement, il n’est pas totalement impossible que la rencontre avec la petite quantité de particules virales inactivées contenues dans une dose de vaccin anti-grippe ait pu suffire à déclencher une réaction auto-immune chez les quelques patients en question et que cet emballement du système immunitaire se soit traduit par une forme de narcolepsie… Mais est-ce probable?

Par précaution, l’Afssaps française et l’Agence européenne du médicament (EMA) ont décidé de lancer une opération de pharmacovigilance: les nouveaux cas de narcolepsie seront signalés aux autorités sanitaires et une enquête aura lieu pour déterminer si oui ou non les vaccins anti-grippe A sont en cause. En attendant, l’Afssaps rappelle (et à sa décharge, notons que le Parisien a aussi reproduit cette information) que cette maladie de Gélineau (narcolepsie-cataplexie) a beau être rare, on en compte tout de même normalement quelque 500 nouveaux cas par ans en France.

Donc, 500 cas en année normale, 6 de plus (peut-être) cette année? Hum. Avant d’accuser les vaccins, il est bon de savoir en effet savoir quelle est l’incidence normale de cette maladie. Ou sinon, chaque fois que quelqu’un qui a été vacciné contre quelque chose a un problème (peu importe qu’il y ait un lien ou non), on pourra clamer: «c’est arrivé après le vaccin, donc c’est à cause du vaccin»! Comme s’il n’y avait aucun autre facteur de risque au monde.

Enfin, si on craint les effets secondaires du vaccin, il ne faudrait pas non plus négliger ceux des virus…

Du côté de la Tribune de Genève, en mars dernier, on donnait la parole à la professeure Claire-Anne Sigriest, spécialiste de vaccinologie, qui expliquait que les infections virales (dont la grippe) font courir plus de risques de déclencher une réaction auto-immune que les vaccins, puisqu’une infection implique un nombre bien plus élevé de particules virales (si ça vous rend malade, c’est que vos cellules sont envahies…) et qu’il s’agit forcément de virus bien vivant, pas inactivé.

Donc, que l’on soit vacciné ou non, la rencontre avec un virus est de toute façon un facteur de risque pour le déclenchement de réactions auto-immunes, qui peuvent à leur tour provoquer le syndrome de Guillain-Barré ou la maladie de Gélineau… Bref, toutes maladies à propos desquelles – ô, ironie – les mouvements anti-vaccins jettent l’alarme…

Quand l’enquête de l’EMA sur ces cas de narcolepsie sera terminée et publiée, on saura si oui ou non le vaccin contre le H1N1 était en cause. Mais même si c’était le cas, il est dores et déjà évident, vu le nombre de cas observés, que l’effet ne peut être que faible. Et dans ce cas de figure, songeons-y: entre le risque d’attraper deux maladies, la grippe et la narcolepsie, ou bien la seule narcolepsie… On voit assez vite où est le moindre mal, non?

How to write a better heartbreak (with a little help from an octopus)

There are blogs for everything. Don’t believe me? Take a look at How To Kill Your Imaginary Friends, then.

The author, who goes by the nom de blog Doctor Grasshopper, is a physician whose aim here is to provide «A writer’s guide to diseases and injuries, and how to use them effectively in fiction», as the blog’s summary puts it.

So, dear writer! Got a character with a medical condition? Want to know how not to muddle it completely, but be realistic, or at least to describe it in a way that doesn’t strain too much your reader’s suspension of disbelief? How about learning how much a human being can bleed before passing out? Or in which medical circumstances one can faint, and what the autonomic nervous system has to do with it?

Don’t fret, Doctor Grasshopper has the goods!

But maybe you are interested in very unusual issues, like whether the fate of canonical star-crossed lovers Tristan and Iseult is even barely medically plausible? Can one really die of a «broken heart»?

Well, as it happens, it turns out that yes, one can. It’s called Takotsubo Cardiomyopathy, or Broken Heart Syndrome.

Isn’t that cool? Not only can heartbreak kill (even though, in real life, it’s very rare), but the condition is named after a kind of Japanese octopus trap, because the shape of the heart with such a syndrome looks like the shape of the trap.

And as the great Cthulhu knows, everything is better with octopi.

Robert Lanza, MD, doesn’t want you to read this…

Oh, noes! Two science bloggers have angered one Robert Lanza, MD, scientist and proponent of the «biocentrism» hypothesis! Something about life going on after death, you know, and NDEs, and basically the failed theory of mind-and-matter dualism… All a lot of quantum flapdoodle, really. But saying so must not be respectful enough, I guess, and Dr. Lanza now wants the posts removed!

Erm… Can you spell «Streisand effect», mister?

While we are at it, I’d like to plug Connie Willis’s novel Passage, a much better reading about life and death and what passing on means than all the woo in the world.

Source d’infos médicales, moi? Si, si. Sauf que non…

Ce n’est pas crédible, là, vous me direz? Je fabule, je galéje, j’exagère? Et pourtant! Hier, je répondais à une question posée à la cantonade (enfin, à ceux-z-et celles qui la suivent) par une Twitteuse:

Elle: Je me demande si la varicelle ça commence par une dizaine de petits boutons minuscules

Moi: Pas forcément minus. Mais pour la varicelle, un indice: les boutons/cloques *démangent* férocement.

Elle: Merci… Il ne reste qu’à attendre. Apparemment il y en a 1 qui gratte, les autres ça va.

Moi: Si les boutons deviennent des cloques et se multiplient, c’est la varicelle. Ne surtout pas gratter, cicatrices assurées!

Elle: je crains que ce ne soit ça… Et va empêcher un enfant de 4 ans et demi de se gratter !!

Et voilà, un exemple parmi cent mille de nos petits crowdsourcings quotidiens. Comment obtenir une information pertinente? Identifier les symptômes d’une maladie, trouver un resto de sushis pas trop hypé (optimiste), vendre son vieil iPod ou chercher un appart’ à louer pas trop cher pour la rentrée (optimiste, bis): toutes questions que j’ai vu des gens poser sur Twitter ou sur leur blogues, dans les cybercercles où je traîne mon butineur.

Mais comment on sait que l’info est bonne? Ah…

C’est là que l’élément jugeote entre en ligne de compte, ainsi que la comparaison avec l’expérience passée. Deux éléments, on le notera, importants pour l’examen critique d’un problème.

Et à propos d’expérience, je précise que pour la varicelle, je parlais de la mienne, en décrivant de mémoire les symptômes de ma propre rencontre avec cette sale bête de virus Varicella zoster, à l’âge de 15 ans. (Pas amusant du tout, vous pouvez m’en croire. Mon frère, beaucoup plus jeune, s’en est tiré avec une atteinte bénigne, mais j’ai eu droit à la transformation en monstre rougeâtre et pustuleux. Avec l’envie de s’arracher la peau.)

Mais, bon, je suis juste une blougueuse et Twitteuse parmi bien d’autres: pourquoi mon témoignage (que j’avais certes assaisonné de quelques compléments d’infos trouvés lors d’un rapide Googlage de précaution) devrait-il être pris pour argent comptant?

Je ne suis pas médecin, après tout. Et je ne tiens pas non plus un blogue médical. D’accord, j’ai une certaine culture scientifique, mais quand même.

J’imagine que mon interlocutrice m’a fait confiance d’emblée parce que cela fait longtemps qu’on se croise sur la Toile et que je n’ai pas vraiment une réputation de loufoque. (Enfin, j’espère…)

Et j’espère bien qu’elle a procédé aussi à ses propres vérifications, que ce soit sur un vrai site médical – ou, mieux, en menant le gosse chez le toubib.

Mais c’est quand même un peu vertigineux, comme responsabilité.

Moralité: ne prenez pas vos conseils de santé d’un blougue ou touitte lambda. Exigez des références, des sources, des précisions! Demander «d’où je parle», quand je me risque à donner des informations médicales, ce n’est pas seulement permis, c’est indispensable.

Sans blague.

Piquantes suprises

Et si le piment pouvait aider à vaincre la douleur ? Non, pas « parce que ça fait du bien quand ça s’arrête »… Mais parce que des chercheurs d’une faculté d’odontologie, au Texas, ont découvert que le corps humain fabriquait une molécule chimiquement proche de la capsaïcine, c’est-à-dire au principal élément actif du « piquant » des diverses espèces de piment.

La sensation du brûlure dans la bouche, quand on mange du piment, est provoquée par la liaison de molécules de capsaïcine ou d’autres capsaïcinoïdes à des récepteurs chimiques présente sur les muqueuses de la bouche mais aussi à l’intérieur le corps. (D’où la douleur si on met du piment sur une coupure, par exemple.) Ces substances irritantes sont le résultat de l’adaptation des plantes à la prédation par les herbivores, une sorte de course aux armements du monde végétal. Mais ne les blâmons pas trop si elles ne respectent pas la Convention de Genève sur les armes chimiques ! Pour des espèces qui n’ont pas de système nerveux et vivent fixées au sol, la fuite comme l’attaque sont hors de question. Reste la production de produits toxiques, irritants, répulsifs en tout genre…

Enfin, pas forcément pour une bestiole aussi bizarre qu’Homo sapiens, qui s’est fait une spécialité de cuisiner toutes les saveurs, piquant inclus, et de cultiver pour les connaisseurs des variétés particulièrement intenses de piment !

Et la douleur provoquée par d’autres causes que le piment, dans tout ça ?

La découverte du Dr Kenneth Hargreaves et de son équipe montre que les molécules impliquées dans la perception de douleur par le système nerveux humain ressemblent elles-mêmes à la capsaïcine, et se fixent à la même catégorie de récepteurs chimiques. Cela offre désormais aux chercheurs en anesthésiologie un meilleur modèle, plus finement détaillé, pour comprendre le mécanisme de la douleur. Une fois identifiées, dans ces fameux analogues humains de la capsaïcine, les molécules qui transmettent l’information « Aïe ! » ainsi que leur mode d’action, il devient envisageable de bloquer ce mécanisme en introduisant dans le milieu une autre molécule qui bloquerait la production de cette « pseudo-capsaïcine » produite par l’organisme en cas de blessure.

Ce qui devrait ouvrir des voies de recherche prometteuses pour le développement d’analgésiques à la fois puissants et ne provoquant pas d’addiction – un domaine où, aujourd’hui, on ne peut avoir l’un sans l’autre.

Et c’est ainsi que le piment peut aider à vaincre la douleur : non en  « soignant le mal par le mal » (vieille formule du temps des alchimistes, lorsque, faute de comprendre le fonctionnement du corps humain, on voulait y voir un microcosme, un analogue en miroir et en miniature du vaste monde avec ses plantes, ses étoiles et autres phénomènes macroscopiques) mais à en nous apprenant comment traiter le problème à la source.

Et même les palais délicats, rétifs aux plus doux d’entre les piments doux, devraient enfin pouvoir apprécier l’apport de ces plantes rétives, mais hautement évoluées, au bien-être de l’humanité.