Archives mensuelles : août 2018

Mes outils d’écriture : (5) Dites-le avec des vers

Photo : un arbre avec deux troncs partant du sol et qui se rejoignent à mi-hauteur, donnant l'impression qu'il a deux jambes

Partout, autour de nous, des poèmes nous invitent à sortir des sentiers battus.

On sait que j’écris des nouvelles, des romans, bref ce qu’on appelle de la prose. Vous vous souvenez des cours de littérature du collège, pas vrai ? Ou du Bourgeois Gentilhomme :

« Ce qui est prose n’est point vers ; ce qui est vers n’est point prose. »

Pas mieux, mon brave M. Jourdain. Pas mieux.

Pourtant, rien n’empêche d’écrire l’un et l’autre. J’ai commis un certain nombre de poèmes, quelques-uns ont même été publiés.

Et puis il y a un truc que je n’ai encore jamais trouvé dans les conseils professionnels d’autres écrivains, mais qui marche pour moi : quand j’ai un blocage au cours de l’écriture d’un texte en prose, quand je n’arrive pas à trouver les mots justes, je change de mode, je passe à la poésie.

Parfois, je m’astreins à écrire un court poème en vers réguliers, parfois je me lâche dans des vers libres, parfois je me contente de chercher une citation chez un auteur que j’aime bien. Le but est le même, chaque fois : mettre en mouvement les mots, les sons, les images, tout ce qui dans la langue résonne au-delà du simple sens. La poésie est jeu, association d’émotions et d’idées, et me couler pour un moment dans cette discipline revigore et ressource les muscles usés de la prose. Pour employer un terme à la mode, faire de la poésie est du brain hacking à l’usage des auteurs.

Ne me croyez pas sur parole, regardez mon premier roman, L’Héritier du Tigre, et comptez les passages où des vers viennent s’insérer dans le récit !

En général, après quelques minutes de poésie, je peux reprendre sans trop de stress le fil du récit. Et je décide au cas par cas si les vers en question méritent ou non de rester dans le travail fini. Je l’avoue, le plus souvent, ma réponse est oui.

Mes outils d’écriture : (4) Mettre plus de gore

Photo : tombe de style néo-classique, sur une hauteur, éclairée par le soleil couchant

Ci gît une grande dame russe dont la rumeur publique a fait un vampire.. Juste une tombe particulièrement élaborée au Père Lachaise.

On apprend parfois beaucoup d’un refus d’éditeur.

Quand j’étais une auteure débutante, et que mon ambition se bornait à écrire des nouvelles fantastiques ou de science-fiction, je tentais ma chance auprès de divers magazines, et surtout des fanzines où les amateurs pouvaient espérer trouver une place. Vers la fin des années 1990, j’avais réussi à placer quelques textes dans divers fanzines francophones, mais chaque tentative de publier dans un cadre professionnel se soldait par un échec. Et je n’osais même pas me lancer dans l’écriture d’un roman.

Et puis il s’est passé quelque chose de curieux. J’avais rédigé deux textes qui deviendraient bientôt les premières versions de « L’horizon incertain » et « Le joueur d’échecs », deux nouvelles de fantasy dont je suis assez contente. À l’époque, ils étaient nettement plus courts – et même assez abrupts. Qu’à cela ne tienne. Je les ai envoyés à divers fanzines. Sans succès. Et sans explications. Je commençais hélas à avoir l’habitude.

Et puis je reçois un courriel du rédacteur en chef du fanzine québécois Horrifique qui me fait quelques suggestions : ces textes laissaient le lecteur sur sa faim, disait-il ; ne pourrais-je les étoffer en y mettant plus de gore ?

(Je cite de mémoire, mais oui, c’est bien le mot qu’il a employé.)

Du coup, cela m’a fait réfléchir. Il n’y avait certes pas de sang ou d’horreur dans ces deux nouvelles, pour la bonne raison qu’il n’y avait presque aucun détail ! L’intrigue était esquissée plutôt que racontée, et les personnages se réduisaient à des silhouettes. Pas de chair, pas de vie.

Qu’à cela ne tienne : j’ai repris mon traitement de texte et j’ai écrit. Quelques mois plus tard, je plaçais « L’horizon incertain » dans le fanzine en question, et « Le joueur d’échecs » dans la revue Faëries. Quelques temps encore, et je me sentais assez à l’aise pour commencer un premier roman, L’Héritier du Tigre.

Le reste, comme on dit, n’est que littérature.

Mes outils d’écriture : (3) Immersion et maturation

Tableau représentant une Madonne tenant un fil d'or sur lequel un pénitent progresse pour parvenir au château qui représente le Royaume des Cieux

Nicolas Roerich, « Madonna laboris », 1931. L’une des très nombreuses œuvres picturales sur lesquelles j’ai rêvé pendant la rédaction de mon dernier roman.

Il y a un adage que tous les auteurs connaissent, mais qui est peut-être le moins bien compris de toute la littérature : Écris sur ce que tu connais.

Qui ne s’est pas demandé un jour, en s’arrachant les cheveux : mais alors, je ne vais pas pouvoir écrire grand chose ! De combien de romans sur la vie ordinaire d’un rejeton de la classe moyenne avons-nous besoin ? L’autofiction est-elle vraiment l’horizon indépassable des lettres contemporaines ?

Dit comme cela, ça a l’air absurde – et en effet, ça l’est.

« Ce que tu connais » ne veut pas juste dire « ce que tu as vécu comme aventures » (ou l’absence de celles-ci). C’est plutôt un rappel qu’il y a des choses communes à tous les êtres humains, sur lesquelles l’auteure peut s’appuyer pour façonner un univers romanesque dans lequel la lectrice peut entrer, comme dans une seconde peau.

Nous éprouvons tous des émotions ; nous avons tous l’expérience d’avoir été enfant ; nous appréhendons tous plus ou moins la mort ; nous cherchons tous à être acceptés, reconnus, aimés. C’est avec ces sentiments qu’on peut bâtir un récit de portée universelle, même avec les personnages les plus lointains qu’on puisse imaginer – l’impératrice Hélène, par exemple, servante d’auberge sous l’Empire romain, devenue mère de l’empereur Constantin, protectrice de l’Église et sainte pour les catholiques et les orthodoxes.

Si on reste à la surface des choses, aux étiquettes sociales et historiques de ces personnages, on risque de rester piégé par ces attributs extérieurs. On risque de fabriquer des silhouettes sans vie, des découpages de carton dans un paysage de toile peinte. Il faut non pas tant mettre de la chair sur ces ébauches que les créer vivantes dès le départ, avec leurs caractéristiques individuelles, mais aussi les émotions et aspirations par lesquelles ils touchent à l’universel.

De ce côté-là, j’ai une chance : j’écris lentement. Je commence par m’immerger dans l’univers du roman par des lectures (surtout des bouquins d’histoire, dans ce cas), des visites de musées (archéologie et art de l’Antiquité), même simplement en regardant des tableaux qui me semblent participer des émotions que je veux faire passer dans le récit.

Je m’immerge, et puis je rumine, j’imagine, je tâche de visualiser mes personnages et les lieux qu’ils habitent. Sur des plans de Rome sous l’Empire, je trace des itinéraires, m’efforçant de sentir l’esprit des lieux, la blancheur du stuc sous le clair de lune ou la solidité intemporelle des dalles de pierre volcanique sur les voies romaines. Je prends les menus et recettes de cuisine qu’ont laissé à la postérité quelques gourmets romains, et je module en fonction de la région, de la classe sociale, de la solennité de l’occasion, de la saison, surtout. Je m’intéresse au climat et aux phases de la lune, à l’époque d’introduction en Occident de tel ou tel fruit ou légume, de telle technologie, et de la façon dont les gens faisaient avant de la connaître. (Saviez-vous que les Romains ne connaissaient très probablement pas le fer à cheval ? Et l’étrier non plus.)

Cette alchimie demande du temps, bien sûr. J’ai déjà dit plus tôt que je m’étais organisée pour écrire régulièrement. Ajoutons que je ne cherche pas à vivre de ma plume. Non seulement c’est une gageure dans les conditions économiques actuelles, mais je préfère être libre de ne pas publier souvent, mais de peaufiner ce que j’écris.

On verra à l’usage si le public accepte d’entrer dans cet univers. Pour le moment, je ne suis pas mécontente de l’avoir créé.

Mes outils d’écriture : (2) Écrire tous les jours

Chat couché sur un clavier d'ordinateur, avec la légende : Procrastination cat will do it tomorrow.

Comment faire pour éviter l’étiquette d’écrivain du dimanche ? Simple : en se mettant à écrire tous les jours, et en ne quittant le clavier ou le stylo qu’après avoir fait avancer le travail en cours, ne serait-ce que de quelques phrases.

Oh, je vous vois venir : ce n’est pas original, comme programme ! Et je ne me rends pas compte de la difficulté qu’il y a, etc.

Croyez-moi, je vous comprends. Je vous comprends d’autant mieux que jusqu’à cette année, j’avais tendance moi aussi à reculer devant les implications d’un travail littéraire quotidien. Et cela ne m’a pas empêché d’écrire et de publier plusieurs nouvelles, et même mon premier roman. Mais… Il y a un mais : j’ai découvert depuis que je pouvais faire mieux, avec mon temps et avec ma plume, en suivant ce conseil tout bête.

Voyons d’abord la première objection : ce serait un conseil banal, ultra-rabâché, et vous êtes fatiguées de l’entendre.

Je l’avoue, le concept est ancien : on attribue au peintre grec antique Appelle la formule : « Pas un jour sans une ligne », reprise depuis par de nombreux artistes, poètes, etc. Émile Zola avait fait graver la version latine sur le manteau de la cheminée, dans son bureau : Nulla dies sine linea. Et c’est bien parce que le précepte est d’application générale qu’il est si souvent répété : des auteurs en tout genre se sont bien trouvés de l’avoir intégré à leur pratique. (Ici par exemple, un billet de Lionel Davoust qui a beaucoup circulé sur les Internets.)

Je pourrais reprendre les différents arguments, que vous devez déjà connaître :

  • Écrire tous les jours est un entraînement de la capacité à écrire, qui s’exerce par la pratique, comme toute activité humaine, et s’étiole si on la néglige ;
  • Sur un projet au long cours, type roman, reprendre tous les jours son texte permet de maintenir l’immersion dans l’univers qu’on cherche à évoquer, ce qui réduit les risques de ruptures de rythme ou de ton ;
  • Écrire tous les jours réduit le temps d’adaptation à chaque fois qu’on s’installe pour écrire, ce qui augmente la productivité de chaque séance, enclenchant ainsi un cercle vertueux.

Mais je n’insiste pas. Vous trouverez tous les détails ailleurs. Passons donc à la seconde objection : conjuguer l’écriture régulière avec une vie active moderne et surchargée, ça ne va pas la tête ?

Ça va très bien, merci. Jusqu’à novembre dernier, à peu près, je pensais aussi que c’était impossible. Travaillant en semaine, à plein temps, je me réservais les weekends pour écrire – c’est-à-dire en pratique les dimanches, car le samedi est vite rempli d’activités diverses. Puis j’ai eu l’envie de participer au NaNoWriMo 2017, en tentant de faire avancer mon roman en cours des 50 000 mots minimum durant le moins. Ce fut un demi-échec : je n’ai pas atteint la cible. Mais d’un autre côté, cela m’a poussée à me mettre à l’écriture tous les jours, au retour du travail. Et c’est là que j’ai commencé à sentir les bienfaits de l’entraînement évoqués plus haut.

Alors, tant qu’à faire, j’ai continué une fois le mois terminé. Chaque jour, au retour du boulot, je débranche le téléphone et je branche l’ordinateur, et c’est parti pour une heure avec le roman. (Une heure, parce que c’est le minimum que mon cerveau considère comme en valant la peine. Mais d’autres pourront trouver plus facile de se donner un laps de temps plus court. Le tout est d’amorcer la pompe.) Le weekend, les plages de travail sont plus longues, trois ou quatre heures d’affilée à peu près.

Cela aide de ne pas avoir à gérer des enfants, bien sûr. Mais d’un autre côté, je n’ai pas de conjoint pour m’aider dans les tâches pratiques. (Quand on a la chance d’avoir un conjoint qui aide, évidemment… Certains sont aussi chronophages.) Et je n’habite pas trop loin de mon lieu de travail, ce qui est appréciable. (D’un autre côté, si je passais deux heures dans les transports, je prendrais mon ordinateur portable avec moi.) Enfin, j’ai la chance de pouvoir laisser derrière moi le travail en quittant le bureau. (Mais c’est aussi parce que j’ai fait certains choix, dans le passé, en prenant en compte la nécessité vitale pour moi d’écrire.)

J’ai écrit dans le TGV, en partant en vacances. J’ai écrit pendant les vacances. J’ai écrit le jour de mon anniversaire, de retour de l’avoir fêté avec ma famille. J’ai écrit le 14 juillet et le 1er de l’an. J’ai écrit quand j’étais au lit avec la fièvre. J’ai puisé de la force dans l’écriture les soirs ou des doutes m’assaillaient sur d’autres plans – amis peu fiables, contrariétés professionnelles… C’est une grande consolation.

Une chose qui m’inquiétais un peu, au départ, c’était la crainte de la panne sèche. À force de mettre à contribution chaque jour mes facultés d’imagination, n’allais-je pas les épuiser ? Ne me faudrait-il pas m’arrêter quelques jours pour recharger mes batteries ?

En bien, pas du tout. J’ai pu continuer comme ça jusqu’à aujourd’hui, et je prévois de recommencer au même rythme pour mes prochains projets d’écriture. Comparé à la période où j’ai écrit mon premier roman, que j’ai terminé dans la douleur, celui-ci a été remarquablement dépourvu de souffrances (pour l’auteure – les personnages, eux, ont parfois été à la peine)…

Attention : quand je dis sans douleur, cela ne signifie pas sans fatigue ! Au contraire, j’ai appris à mesurer ma capacité à poursuivre le travail ou pas, pour un jour donné, en appréciant mes sensations de fatigue. Yeux qui piquent, lenteur, difficulté à trouver les mots, ou au contraire fébrilité : autant de signes à écouter et respecter, si on veut ménager ses forces. Le but n’est pas d’en faire trop un jour et de s’effondrer, mais d’avancer un peu et d’être capable d’y revenir le lendemain.

Une des vertus de ce rythme de travail, dans mon expérience, c’est de suivre le rythme quotidien de repos et d’activité. Chaque plage de sommeil fait son alchimie réparatrice dans notre cerveau, et les périodes de routine quotidienne (se doucher, faire la vaisselle, les trajets domicile-travail, etc.), sont l’occasion de ruminer sans même s’en rendre compte les éléments du projet d’écriture en cours. Et on passe d’autant plus facilement de ces ruminations à la rédaction proprement dite que le fait de se mettre à écrire est entré dans la routine.

Bref, tout cela pour dire que si on a un tant soit peu d’ambition créatrice, s’organiser pour pouvoir travailler chaque jour à sa création est probablement le meilleur investissement qu’on puisse faire. Testé et approuvé.

Mes outils d’écriture : (1) le début et la fin

Chat tenant dans sa gueule une plume, avec la légende

Comment écrire ? Il doit y avoir autant de réponses que d’auteurs. La mienne a évolué depuis mes débuts balbutiants avec un Bic et un cahier d’écolier ; mais avec maintenant deux romans terminés à mon actif, plus un certain nombre de nouvelles, je commence à voir apparaître certaines constantes dans ma pratique.

Et d’abord, je commence par le début. On me dira que j’enfonce une porte ouverte ? Pas vraiment. Ce que je dis là, c’est que je ne fais pas de plan détaillé avant de commencer la rédaction : je pars de la situation initiale, et je déroule l’intrigue jusqu’à aboutir à la fin envisagée.

Car c’est l’autre élément important pour moi : un projet de roman ou de texte plus court ne me semble viable que si je visualise la situation d’arrivée. À ce moment, je me lance, ou plutôt je lance mes personnages dans l’aventure, et je suis les fils de l’intrigue au fur et à mesure, en tâchant de ne pas les emmêler – ni les perdre.

Seules exceptions, quand je participe à un atelier d’écriture en temps limité, où je pars avec seulement le début. Là, je lance aussi ma balle, et je m’arrange pour bâtir une fin à l’endroit où elle aboutit.

C’est une façon de faire comme une autre. Certains parleront de « méthode scripturale », ou discovery writing, mais ce n’est pas tout à fait vrai, car j’ai en tête un canevas sommaire, avec au minimum le but auquel je veux arriver.

Pour ce deuxième roman, je m’étais aussi fait avant de commencer une liste des personnages et des lieux importants, mais elle a fortement évolué au cours de l’écriture. Certains personnages ont changé de nom, d’origine, voire de personnalité, parce que ce que j’avais imaginé au départ ne collait plus, ou pour éviter des doublons. D’autres ont émergé de l’écran au moment de la rédaction. Garder une liste détaillée et mise à jours de tous les personnages a d’ailleurs été un outil indispensable.

Les lieux ont moins changé, tout simplement parce que la géographie était une donnée de base : celle de l’Empire romain au IVe siècle de notre ère, avec ses cités, ses campagnes, ses échanges commerciaux, ses peuples que les Grecs divisent en « Grecs et barbares », distinction que les Romains ont reprise en se plaçant subrepticement du bon côté, tout en restant non-Grecs.

Ce qui a émergé durant la rédaction, c’est toute la chair du roman jetée sur cette simple ossature : les amours, les combats, les intrigues de cour, les illuminations mystiques, les petits matins lumineux sur l’Adriatique et la froideur des nuits dans le désert, la chaleur étouffante de l’été, les voies rectilignes tracées à travers les plaines et les montagnes, le goût d’un vin vieux coupé de glace lors d’un banquet, les fruits secs grignotés dans une taverne ou sur les gradins du Cirque. Tout un monde, en somme.