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Des avantages de publier avec un éditeur

Du côté des Éditions du 81

Toute personne qui passe ne serait-ce que quelques minutes dans les recoins des réseaux sociaux où discutent des écrivains sait que les plus actifs, les plus passionnés, sont souvent les auteurs auto-édités. Ce qui est logique, quelque part : pour réussir dans l’auto-édition, il faut déjà être bon dans l’auto-promotion.

Mais peut-être que de ce fait, la vision de l’édition depuis les réseaux sociaux est un peu biaisée. Du moins je vois peu de personnes éditées à compte d’éditeur parler de leur parcours, à part évidemment quand ça marche mal. C’est humain.

Et pourtant, c’est un système qui a ses avantages. Je peux parler d’expérience, ayant eu plusieurs éditeurs depuis le début des années 2000.

Tout d’abord, l’aspect matériel : quand il y a un éditeur dans le tableau, ce n’est pas à moi d’avancer le capital pour la fabrication et la commercialisation du livre. Eh oui ! Les coûts ont certes baissé avec l’avènement de la micro-informatique et de l’internet, mais il faut au moins payer la correction du texte, la mise en page et le graphisme de couverture, et bien sûr l’impression. Même si on travaille avec un prestataire d’impression à la demande, il faut leur fournir un fichier prêt à imprimer, de qualité professionnelle. Un investissement en temps, sinon en argent.

Je connais le problème, car j’ai testé moi-même l’auto-édition vers 2007-2008, avec un modeste recueil de nouvelles, et je peux confirmer : c’est beaucoup de travail. Pourquoi je l’ai fait ? Par curiosité, parce qu’on parlait beaucoup de ce système de print on demand, et que j’avais envie de voir ça par moi-même. Le prestataire que j’avais utilisé, Lulu, est honnête, et à l’époque il y avait plus de francophones dessus, mais ça ne m’a pas donné envie d’abandonner l’idée de publier à compte d’éditeur.

Pour être honnête, on peut techniquement s’auto-publier grâce à ce genre de prestataires, mais c’est un investissement non négligeable en termes de temps ou d’argent, ou les deux. Pour faire la maquette du livre, par exemple, il faut apprendre à utiliser des logiciels capables de produire le genre de fichier qui est envoyé à l’impression. Idem pour la couverture : si on n’est pas graphiste, soit on paye un professionnel, soit on doit se contenter d’un visuel pris dans une banque d’images, ce qui n’est pas idéal, on l’imagine.

Même le travail sur le texte n’est pas une affaire d’amateurs. J’ai maintenant l’expérience des corrections avec quatre éditeurs différents : le Navire en pleine ville (disparu depuis, hélas) pour la première publication de L’Héritier du Tigre, puis Rocambole (devenu Doors et acquis par Vivlio), Gephyre (pour l’anthologie Marmite & Micro-ondes), et bien sûr les Éditions du 81, qui ont publié mes romans Du sang sur les dunes et Augusta Helena.

À chaque fois, cela avait été l’occasion de jeter un regard neuf sur le texte du roman ou de la nouvelle en cause. Même un texte qui avait été relu par plusieurs lecteurs bêta peut être amélioré par l’étape de la correction : c’est l’occasion de traquer les erreurs de grammaire restantes, mais aussi de clarifier certains points de l’intrigue, des références historiques, etc. Tous éléments que l’auteure pensait évidents, mais qui ne l’étaient pas tant que ça. Du moins, un professionnel, l’éditrice ou son correcteur, estime qu’il faut clarifier le point pour le bénéfice du public du livre.

Si j’étais dans une démarche d’auto-édition sérieuse, je pourrais certes payer un professionnel pour corriger le texte, mais je serais entièrement libre de suivre ou non ses suggestions. Tandis que si je travaille avec un éditeur ou une éditrice qui a le pouvoir de décision final sur le texte, je suis obligée de discuter et de convaincre la personne en charge des corrections que mon choix est meilleur que le sien en la matière. Ça vous oblige à être très pointue en matière de langue (ça tombe, c’est un de mes points forts), mais aussi à très bien connaître le milieu ou l’époque du roman. Exemple : vaut-il mieux dire « montre de gousset » ou « montre à gousset » ? L’expression imagée « avoir charge de famille » est-elle compréhensible pour des lecteurs actuels ? Faut-il ajouter une expression en note ou dans le texte pour clarifier ce qu’est la Guerre de la Première Coalition ? Telle allusion de l’un des personnages à un événement passé n’est-elle pas un peu obscure dans le contexte ? Et ainsi de suite.

Tout cela permet d’améliorer la lisibilité du texte, mais aussi sa cohérence interne. Et c’est un travail, une expérience, qui servira pour les textes qu’on pourra écrire à l’avenir.

Mais revenons au processus d’édition et de commercialisation d’un livre : une fois le texte peaufiné et mis en page, il faut encore l’imprimer et l’acheminer jusqu’aux acheteurs potentiels. C’est un travail dont la maison d’édition se charge, ou plutôt charge d’autres professionnels : imprimeur, diffuseur, distributeur, attachés de presse…

Si j’étais dans un cadre d’auto-édition, je devais me débrouiller. Essentiellement, cela reviendrait à passer par un prestataire comme Lulu ou (le plus souvent) Amazon. C’est ce prestataire qui assure la fabrication du livre, que ce soit sur papier ou en livre électronique, ou les deux, et qui le met en vente sur son livre. Mais sauf exception, le titre ne sera pas mis en place en librairies. C’est une infrastructure différente, un système adapté à la distribution de livres physiques commandés par des éditeurs, imprimés puis envoyés dans les points de vente sur tout le territoire. Un système qu’on peut critiquer sous différents angles, mais qui existe, et qui fonctionne. Et auquel les auteurs auto-édités n’ont pas accès.

Il peut y avoir des exceptions ponctuelles : si je connais bien un libraire et qu’il me fait confiance, il peut accepter de prendre mon roman auto-édité en dépôt. Mais ce sera une exception. Quand on passe par un prestataire d’auto-édition, le livre est imprimé uniquement quand quelqu’un l’achète, il n’y a pas d’exemplaires imprimés en masse et envoyé aux librairies de France et de Navarre

Ce qui ne veut pas dire que l’auteur ne peut pas tirer son épingle du jeu. Être disponible sur Amazon, c’est être disponible sur la deuxième librairie du pays (la Fnac reste numéro un), après tout. Si l’auteur est capable de faire de la promotion efficace en ligne et hors ligne, il est possible de vendre autant et même parfois mieux qu’avec un éditeur. Les histoires de réussites sont là pour inspirer d’autres auteurs à tenter l’aventure. Mais il faut bien réaliser ce que cela implique.

Faire de la promotion, c’est en soi en métier. Certaines personnes ont plus de facilité pour cela, ou ont une expérience antérieure qui les y aide. Mais ce n’est pas mon cas, et j’en suis bien consciente. Même le plus petit des éditeurs a plus de ressources pour cela que moi, à commencer par un carnet d’adresses bien garni. Et puis il y a la connaissance du milieu, l’expérience d’avoir vendu d’autres livres du même genre, un bagage inestimable. Par exemple, pour la publication de Du sang sur les dunes, l’éditeur et le diffuseur ont opté pour mettre en place plus d’exemplaires dans les librairies de Picardie et du Nord, en se disant non sans raisons qu’un roman de déroulant à Calais et Boulogne marcherait mieux dans cette région.

Il y a ainsi plein d’éléments à prendre en compte, à commencer par le fait que pour beaucoup de gens, passer par un éditeur reste perçu comme un gage de qualité, une validation extérieure. Alors qu’un texte auto-édité n’a que lui-même pour recommandation. C’est bien si l’auteur est déjà connu par ailleurs, mais pour la majorité des débutants, c’est une pente de plus à monter.

L’auto-édition, en somme, c’est être non seulement son propre éditeur, mais aussi correcteur, illustrateur, metteur en page, attaché de presse, diffuseur, distributeur… Il faut démarcher soi-même les librairies, les salons du livre, transporter des exemplaires pour les ventes directes, prospecter les médias en s’adaptant à leurs codes et à leurs habitudes… C’est du boulot. Et vous savez quoi ? Personnellement, c’est du temps que je préfère passer à écrire !

Mon manuscrit est refusé, que faire ? Comment rebondir ?

La vie d’un livre passe par plusieurs étapes. Depuis l’étincelle initiale, la simple idée dans l’esprit de l’auteure, jusqu’au volume fièrement disposé sur les tables des librairies, prêt à rencontrer son public, le chemin peut être long.

Il faut déjà écrire le texte et le terminer. C’est évident, vous direz ? Pas toujours, au vu des réactions de certains auteurs débutants. Mais il vaut la peine d’insister dessus : aucun éditeur n’acceptera de roman ou nouvelle non terminé d’un auteur inconnu. Donc si vous pensez que le texte peut encore être amélioré, continuez à y travailler ! N’envoyez le manuscrit à l’éditeur que si vous estimez que vous avez atteint votre but. Et n’hésitez pas à le faire lire à d’autres personnes pour avoir des retours. (Les « lecteurs bêta », pour parler comme les testeurs de logiciels.)

Mais supposons que vous êtes vraiment contente de ce que vous avez écrit et que vous décidez de l’envoyer à un ou plusieurs éditeurs. Formidable. Mais avez-vous bien choisi vos cibles ?

Pour limiter les risques de refus, et limiter aussi le temps et les frais engagés, il est bon en effet de sélectionner avec soin les éditeurs que vous allez démarcher. Il y a plusieurs critères : la taille et la notoriété de l’éditeur n’est pas une garantie (en fait les grands éditeurs ne vont presque jamais accepter un manuscrit arrivé par la poste) ; le fait que ce soit un vrai éditeur et non un prestataire de compte d’auteur est en revanche capital, car j’imagine que vous voulez être éditée, pas devoir payer pour ça…

Il y a aussi des éditeurs qui n’acceptent les manuscrits que sur papier, pas un fichier au format Word ou PDF, ce qui est de nos jours assez agaçant. Je vais l’avouer : quand j’ai démarché les éditeurs pour Augusta Helena, puis Du sang sur les dunes, j’ai commencé par ceux qui acceptaient les soumissions par courriel. Et j’ai trouvé preneur.

Il faut savoir aussi que certains éditeurs ont un distributeur, grâce auquel ils sont présents dans les librairies, et d’autres vendent directement en ligne, via leur site et/ou Amazon. Personnellement, j’ai visé la première catégorie : j’ai tout simplement visité plusieurs librairies et photographié les livres qui me semblaient proches du mien, pour avoir le nom des éditeurs qui publiaient déjà des romans policiers historiques. En vérifiant sur leur site internet pour avoir leurs coordonnées et plus de détails sur leur catalogue, bien sûr.

Même ainsi, votre texte a toutes les chances d’être refusé, et refusé plusieurs fois. Et c’est dur à vivre. J’ai eu la chance, dans ma vie d’auteure, de voir mon tout premier roman accepté, mais cela a pris du temps : L’Héritier du Tigre, paru en 2006, a été terminé en 2003. Et ce n’est pas la première mouture qui a été acceptée, mais une version révisée suite aux avis de deux bêta-lecteurs à qui je savais que je pouvais faire confiance. Mais il a fallu s’accrocher.

Pour le second roman, Augusta Helena, cela a pris aussi longtemps : je l’ai terminé en 2018 et il a été accepté en 2021. Mais comme j’avais un peu plus de métier, j’ai passé ce temps à écrire deux autres romans, et c’est l’un de ceux-ci, Du sang sur les dunes, qui a été accepté par les Éditions du 81, que je salue au passage ! Et à son tour, cette relation a évolué vers la publication d’autres romans : l’éditrice m’a demandé si j’avais d’autres textes terminés ou en cours, et c’est ainsi que mon Augusta a eu une seconde chance.

Mais on voit l’importance du fait que j’avais d’autres romans à mon actif à proposer quand l’un d’eux était refusé : plus vous avez de textes (et encore une fois, de textes terminés et aboutis), plus vous avez de chances d’attirer l’attention d’un éditeur.

Partir aussitôt sur un nouveau projet, c’est aussi une bonne façon d’éviter de se ronger les sangs en attendant une réponse. Combien d’auteurs restent paralysés après un premier roman, sans pouvoir avancer ? D’une certaine façon, c’est ce qui m’est arrivé : après L’Héritier du Tigre, j’ai tenté plusieurs fois d’écrire une suite, en vain. C’est seulement quand je suis passée à un projet entièrement différent (qui allait devenir Augusta Helena) que j’ai retrouvé de l’inspiration. Et cette fois, avec l’expérience acquise, je n’ai pas attendu d’avoir un retour des éditeurs avant de me lancer dans un autre roman.

Mieux encore : après avoir écrit deux romans, j’ai senti cette fois que je commençais à avoir du métier, l’écriture devenait moins un défrichage de l’inconnu que l’application d’outils que j’avais appris à maîtriser ! Quand on en arrive là, « c’est bon signe », comme dit le poète, « signe que vous pouvez signer ».

Mes outils d’écriture : (4) Mettre plus de gore

Photo : tombe de style néo-classique, sur une hauteur, éclairée par le soleil couchant

Ci gît une grande dame russe dont la rumeur publique a fait un vampire.. Juste une tombe particulièrement élaborée au Père Lachaise.

On apprend parfois beaucoup d’un refus d’éditeur.

Quand j’étais une auteure débutante, et que mon ambition se bornait à écrire des nouvelles fantastiques ou de science-fiction, je tentais ma chance auprès de divers magazines, et surtout des fanzines où les amateurs pouvaient espérer trouver une place. Vers la fin des années 1990, j’avais réussi à placer quelques textes dans divers fanzines francophones, mais chaque tentative de publier dans un cadre professionnel se soldait par un échec. Et je n’osais même pas me lancer dans l’écriture d’un roman.

Et puis il s’est passé quelque chose de curieux. J’avais rédigé deux textes qui deviendraient bientôt les premières versions de « L’horizon incertain » et « Le joueur d’échecs », deux nouvelles de fantasy dont je suis assez contente. À l’époque, ils étaient nettement plus courts – et même assez abrupts. Qu’à cela ne tienne. Je les ai envoyés à divers fanzines. Sans succès. Et sans explications. Je commençais hélas à avoir l’habitude.

Et puis je reçois un courriel du rédacteur en chef du fanzine québécois Horrifique qui me fait quelques suggestions : ces textes laissaient le lecteur sur sa faim, disait-il ; ne pourrais-je les étoffer en y mettant plus de gore ?

(Je cite de mémoire, mais oui, c’est bien le mot qu’il a employé.)

Du coup, cela m’a fait réfléchir. Il n’y avait certes pas de sang ou d’horreur dans ces deux nouvelles, pour la bonne raison qu’il n’y avait presque aucun détail ! L’intrigue était esquissée plutôt que racontée, et les personnages se réduisaient à des silhouettes. Pas de chair, pas de vie.

Qu’à cela ne tienne : j’ai repris mon traitement de texte et j’ai écrit. Quelques mois plus tard, je plaçais « L’horizon incertain » dans le fanzine en question, et « Le joueur d’échecs » dans la revue Faëries. Quelques temps encore, et je me sentais assez à l’aise pour commencer un premier roman, L’Héritier du Tigre.

Le reste, comme on dit, n’est que littérature.

​Il faut croire pour voir (et, non, cette fois je ne parle pas de religion)

Je ne vais pas non plus parler politique, pas directement. Mais d’un phénomène qui joue sûrement un plus grand rôle dans la construction des idées politiques qu’on ne peut le penser.

«Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement» – et si c’était le contraire ?

Il y a parfois de petits incidents qui vous marquent pour des années. Quand j’étais étudiante, pleine de projets divers, j’ai eu la chance de faire un stage dans certaine maison d’édition aujourd’hui bien pourvue en prix littéraires germanopratins, mais qui n’était alors qu’une petite maison d’édition de province publiant peu mais bien. Parmi les tâches qui m’étaient confiées figurait une lecture des manuscrits arrivés par la Poste, pour voir s’il y avait quelque chose digne d’être transmis au comité de lecture.

Main artificielle et brochure de la spirite Eva Fay

Une main spirite pour visualiser les esprits (exposition Persona, Musée du Quai Branly)

Inutile de dire que je n’ai pas déniché de perle rare, ni même d’aiguille dans la botte de foin. Mais cela m’a donné l’occasion de discuter de ce qui fait un bon auteur, un bon manuscrit, avec le directeur littéraire. C’était l’un des fondateurs d’origine de la maison d’édition, et un homme de grande culture, passionné par la mise en lumière de textes exigeants, quelle qu’en soit l’origine. Et ce n’est pas un hasard si cette maison d’édition traduisait beaucoup et s’était bâtie une image de qualité et d’éclectisme.
Ce qui n’empêchait pas quelques angles morts. Pendant cette discussion, j’évoquai le cas d’une romancière américaine dont cette maison envisageait de publier un ou deux titres. Cette auteure s’était fait connaître dès les années 60 pour ses textes de science-fiction et fantasy, où elle avait à peu près redéfini le space-opera, déconstruit brillamment la notion de gender et inventé un type d’histoire qui devait avoir plus tard un succès énorme : celle de l’école pour magiciens… N’en disons pas plus, vous avez sans doute deviné de quoi il retourne. Ces textes-là étaient déjà traduits en France, mais l’auteure avait aussi à son effet d’autres titres plus proches de la «littérature blanche», même s’il s’agissait finalement de récits se situant dans un pays imaginaire.

J’étais donc enthousiaste :  «Vous avez de la chance, son nom est absolument incontournable chez les amateurs de science-fiction, ça fait déjà un public tout acquis, une opportunité pour une maison d’édition qui veut se développer…»

Sa réponse me fit tomber des nues. En substance : la science-fiction ? Bof, ces lecteurs-là ne seront jamais pour nous.

Et bien que l’éditeur ait effectivement traduit le roman en question, il n’y eut pas de tentative pour communiquer en direction des fans déjà acquis à l’auteure. Ni même d’effort particulier de publicité, parce que l’on ne pensait pas que le titre puisse percer auprès d’un public plus large que celui des happy few qui connaissait et suivait alors cette maison d’édition.

Ce qui est tout de même un peu extraordinaire. La force des idées reçues est qu’elles peuvent faire réinterpréter la réalité, même contradictoire, dans un sens déterminé. Il faut savoir que je n’avais pas été là seule à tenir ce discours au directeur littéraire : le roman avait été recommandé par l’un des lecteurs habituels de la maison, qui avait reconnu le nom de l’auteure, dont il était déjà fan pour son œuvre de science-fiction ! Mais c’est sa recommandation de publier le texte sur ses seuls mérites littéraires qui avait emporté la décision, pas les considérations sur de potentielles ventes. En fait, l’éditeur s’attendait à perdre de l’argent sur ce titre…

Il n’en a pas perdu, je pense, ni avec un autre livre situé dans le même univers ; mais ce ne fut pas faute d’avoir essayé. Ils ne croyaient pas à la possibilité pour les amateurs de SF de regarder du côté de la «blanche», ni pour les férus de belles lettres de s’intéresser à un monde imaginaire. Étrange, mais c’est ainsi. Et, ne croyant pas la chose possible, ils n’en virent pas l’opportunité.

Pour paraphraser Kant : on ne perçoit que ce que l’on imagine – littéralement.

Et c’est souvent que l’on se forge une image de la réalité basée sur des idées, des impressions, des traditions, pour ensuite dédaigner, voire activement effacer, les petits faits inconvénients qui menacent cette vision du monde. C’est une sclérose de la pensée, bien plus dangereuse, à long terme, que celle des artères.

Bonne lecture pour écrivains en herbe (et les autres)

C’est une petite histoire pour encourager, mais aussi faire méditer, tous ceux et celles qui s’acharnent sur leurs projets d’écriture – et plus particulièrement qui veulent accéder au statut de romancier: « La petite grenouille qui voulait faire publier son roman ».

Et l’on y évite pas les questions qui fâchent:

[…] « Quand un éditeur te dit non, même sans expliquer, c’est qu’il a une bonne raison. Tu ne le feras pas changer d’avis sans changer ton texte. Et crois-moi, il se souviendra de toi si tu as pris de son temps de travail en demandant des explications, et ton prochain manuscrit sera reçu avec la plus grande méfiance !
— Mais il devrait quand même expliquer pourquoi, non ?
— Rien ne l’y oblige. S’il n’a pas le temps ni l’envie de le faire, il ne le fera pas : ce n’est pas son travail d’aider les jeunes auteurs. De l’aide, tu peux en trouver sur la mare, avec plein d’autres grenouilles qui seront ravies de t’aiguiller si tu leur proposes ton expérience en échange. L’éditeur, lui, doit juste savoir si le manuscrit est publiable et s’il correspond au public de sa maison d’édition. Autant dire que si tu envoies ton manuscrit, tu dois le penser excellent : n’espère pas avoir juste un avis.
[….]
— Et s’il me propose des pistes de travail avec lesquelles je ne suis pas d’accord ?
— S’il t’a laissé entrevoir la possibilité d’une collaboration, tu peux argumenter pour essayer de comprendre son point de vue. S’il te les a juste données parce qu’il a aimé ton manuscrit mais ne veut pas le publier, c’est inutile : c’était juste une information pour t’aider !
— Super ! Merci, grand esprit de la mare, je vais pouvoir envoyer mon projet à tous les éditeurs maintenant !
— Ne sois pas trop gourmande, petite. Cible les éditeurs qui te conviennent, il y a même un Grimoire Galactique des Grenouilles pour t’y aider. Et attention aux envois groupés qui montrent que tu l’as envoyé à tout le monde ! Ça ne fait vraiment pas professionnel… »

À lire sur Tintamarre, le blog associé au forum CoCyclics, où les auteurs de l’imaginaire se regroupent pour faire de la bêta-lecture, bref, s’entraider pour s’améliorer et pour multiplier leurs chances de se faire éditer.

Affaire Houellebecq: l’éditeur s’est réveillé (sans se presser)

Les délais des éditeurs de livres ne sont pas ceux du Net. On me le faisait remarquer récemment sur Twitter, et le dernier rebondissement de l’affaire Houellebecq en apporte encore une illustration.

Flammarion n’avait pas moufté au mois de septembre dernier, quand le blogueur Florent Gallaire avait mis en ligne le dernier roman de Michel Houellebecq sous licence Creative Commons, à la suite de l’usage de textes issus de Wikipédia (et donc sous CC BY-SA) par le romancier…

Mise en ligne gratuite qui devrait d’ailleurs être parfaitement légale, aux termes des conditions d’utilisation de ces licences: Houellebecq avait parfaitement le droit de copier Wikipédia tant qu’il voulait, mais il aurait dû publier son œuvre sous une licence identique! Florent Gallaire, et quelques autres (sur le site Ebooksgratuits.com, notamment) ne faisaient là que réparer, disons, un oubli de sa part…

Enfin, était-ce vraiment un oubli, ou de l’ignorance? Il n’est pas mauvais de lire à ce propos un récent billet de Veni Vidi Libri sur la nécessité d’accompagner l’usage de la licence Creative Commons, à l’usage des non-initiés. Y compris ceux du monde de l’édition…

(À noter: l’auteur du billet, tout comme la présidente de Wikimédia France, d’ailleurs, ne partage pas l’opinion de Florent Gallaire sur la légalité d’une diffusion gratuite du prix Goncourt sous licence CC. Pas parce qu’ils contestent le principe même de publication des œuvres dérivées aux mêmes conditions — l’analyse de l’effet « viral » des licences libres n’est plus à faire. Il s’agit plutôt de considérations pratiques et jurisprudentielles, notamment sur l’étendue de la licence.)

Bref, le débat sur le « plagiat » s’était doublé d’un début de discussion autour des licences libres et de leur non-respect par certains piliers de la « défense du droit d’auteur »…

Car cela fait désordre, un romancier en place qui copie un bout de texte sur le Net et le fait passer pour le sien, comme un vulgaire potache qui bidonne un devoir – ou comme le gros malin de webmestre du Ministère de la Culture qui repique une photo dans un webzine sans l’autorisation de son auteur!

Résultat de cette confrontation inopinée entre le monde du libre et la logique propriétaire:

  • Mais annonce quand même vouloir poursuivre en justice Florent Gallaire pour avoir diffusé le roman sous licence CC;
  • À la suite de quoi le blogueur décide de limiter les frais et retire le fichier de son site;
  • Coïncidence? (Ho, ho!) Flammarion annonce la publication au format numérique (et au prix fort) des bouquins de Houellebecq!

On peut sympathiser (quelques instants) avec le dilemne de l’éditeur aux prises avec cette énième embrouille made in Houellebecq: soit il met en demeure le blogueur de ne plus diffuser gratuitement le fichier, et il est bien obligé d’admettre la contrefaçon dudit auteur. Soit il ne fait rien, nie le plagiat – et cela le réduit à accepter le principe d’une interprétation extensive du domaine de la licence Creative Commons, et donc une restriction des possibilités de marchandisation de la propriété intellectuelle. Cruelle alternative!

Mais… Il y a un mais, et de taille. Car mine de rien, le déroulement dans le temps de l’affaire donne un peu (beaucoup) à penser. En septembre et octobre, Flammarion sommeille. Plagiat? Circulez, y’a rien à voir! Violation de licence libre? Connais pas. Le texte en accès libre et gratuit? Revenez après les prix littéraires

Faut-il croire que c’est le prix qui change la donne? Que tant que le roman est en compétition, tant que l’éditeur ne sait pas encore quel sera le niveau de succès public, on peut fermer les yeux sur un mini-buzz autour de la diffusion gratuite en ligne, surtout que cela n’intéresse vraiment que quelques geeks. Au pire, cela fera de la publicité au bouquin. (Comme cela avait été le cas pour Paolo Coelho, qui avait mis lui-même ses livres sur des sites de P2P et bénéficié ainsi d’un surcroît de notoriété.)

Mais lorsque le Goncourt est enfin dans l’escarcelle (et ils leur a fallu longtemps tirer la langue avant de l’avoir, en plus) et qu’il est quasi-certain que des centaines de milliers de pékins vont acheter le titre les yeux fermés (et le lire itou – pas qu’ils y perdront grand-chose, d’ailleurs), alors là, stop! Pas touche au pactole!

Surtout si on peut rebondir sur ledit buzz et faire mousser le passage au numérique d’un auteur jusque là inconnu des webrairies. Si demande il y a, c’est l’occasion de se faire quelques brouzoufs, non? Et tant pis pour les quelques activistes du libre qui grinchent au non-respect de Creative Commons. Les gros sous, encore et toujours, confèrent certains privilèges; et notamment celui de ne pas avoir à se soucier autant des lois que le commun des mortels.

Cynique, moi? Allons donc… Quel mauvais esprit!

Édition numérique: attention, ça bouge très vite

Nous sommes en 2010 et le premier éditeur important à passer au tout-numérique s’est déclaré: c’est Dorchester Romance, aux USA, qui publiait jusque là des romans sentimentaux et/ou fantastiques en édition de poche bon marché (mass market paperback), va désormais abandonner cette débauche de papier et proposer ses titres directement sur la Toile, d’une part au format électronique pour le Kindle et autres liseuse, et d’autre part en impression à la demande (print-on-demand ou POD) – eh oui, comme chez Lulu.

La source: un article de Publishers Weekly, signalé sur son blogue Wave Without A Shore par l’écrivaine de science-fiction C.J. Cherryh. Merci à elle.

Et à propos de science-fiction, fantasy et autres mauvais genres apparentés, je constate que chez les éditeurs francophones, ce sont ces catégories-là qui sont les plus avancées dans la transition vers le numérique.

À preuve l’éditeur québécois Alire (celui entre autres d’Élisabeth Vonarburg, de Joël Champetier, de la revue Solaris, etc.), qui publiait le 10 août 2010 ses chiffres d’exploitation (reproduits sur Tiers Livre par François Bon): déjà une centaine de titres disponibles en numériques, et plus d’un millier de ventes depuis août 2009, soit un an après le lancement de leur catalogue numérique. Mieux, cela représente 18% des ventes sur l’entrepôt numérique pour seulement 5% des titres… Bref, l’expérience est probante. Oh, et vous savez quoi? Le fait que les livrels de chez Alire soient seulement marqués et non «protégés» par des verrous numériques n’est pas, à mon peu humble avis, étranger au fait.

Tant qu’on est dans les littératures de l’imaginaire, penchons-nous sur le cas des éditions du Bélial’, chez nous, en France, qui va lancer le 1er septembre 2010 sa propre plate-forme numérique. Et c’est alléchant: des titres à prix doux, sans DRM, disponible aussi bien sur le site du Bélial’ que sur la plate-forme des libraires, et en prime, un pourcentage de droits d’auteur plus élevé que pour le livre papier. À suivre de près… Et merci à e-Bouquins pour l’info!

La science-fiction, d’accord… Mais au fait, dans le cas de Dorchester, pourquoi un éditeur de romans à l’eau de rose? Leurs lectrices ne sont pas supposées être particulièrement branchées, non? Erreur.

À part quelques best-sellers qui défraient la chronique (vous avez dit Millenium? Hmm…), ce segment ultra-populaire (quoique mal considéré, comme tous les «genres») de l’édition est l’un de ceux qui marchent le mieux au format numérique. Jetez donc un œil à la catégorie «Romance» de la webrairie américaine Fictionwise, pour voir.

Et comme de juste, la catégorie littéraire qui bat actuellement tous les records de croissance est la paranormal romance, les histoires mêlant roman d’amour et magie ou êtres fantastique.

Si vous savez épeler S-t-e-p-h-e-n-i-e M-e-y-e-r, vous voyez ce que je veux dire…

Scier la branche, version édition numérique

Il ne manque pas d’air, Andrew Wylie. Ni d’estomac. L’agent littéraire anglais de plusieurs superstars de l’édition (Philip Roth, Salman Rushdie, Martin Amis, Norman Mailer…) ne veut plus se contenter de négocier les contrats d’édition, de traduction et d’adaptation de ses clients, mais carrément devenir leur éditeurde facto – pour ce qui est des versions numériques de leurs livres, grâce aux bons offices d’Amazon.

Ce qui rend les éditeurs, anglais, français et autres, livides de colère. Et d’angoisse, bien sûr.

On peut les comprendre. Après avoir aidé ces écrivains à connaître la gloire, ils se font traiter comme de vulgaires prestataires de services que l’on quitte lorsqu’ils ne donnent plus 100% satisfaction. Le partenariat classique entre auteur et éditeur? Fini. Les agents avaient déjà enfoncé un coin entre les deux, certes; et la promptitude de nombreux grands éditeurs à offrir des contrats alléchants aux auteurs dans la phase d’ascension de leur carrière pour les persuader de quitter le petit éditeur qui les avait découverts n’était pas faite pour inverser la tendance!

Avec un peu de cynisme, on pourrait conclure que ces grands éditeurs ne reçoivent que la monnaie de leur pièce, et que le rôle de l’éditeur comme découvreur et accompagnateur de talent est désormais rempli (dans le monde anglo-saxon, du moins) par des agents, et que l’éditeur classique se confondra de plus en plus avec un fabricant/vendeur de livres.

Mais… Il y a un «mais», et de taille.

La particularité de l’éditeur «classique», c’est bien de joindre deux fonctions complémentaire en une seule structure: l’une de choix et de validation des textes; l’autre de promotion et de commerce des livres. Un bon éditeur est censé savoir équilibrer les deux, le commercial et l’artistique, et contrebalancer des titres faciles à vendre (auteurs déjà établis, sujets chocs, etc.) avec d’autres d’abord plus exigeants, mais qui deviendront souvent les références littéraires de demain. Exercice délicat mais indispensable si on veut être autre chose qu’un marchand de papier.

Dans le domaine du livrel (dites ebook ou livre numérique si vous voulez), le système de base n’est pas différent. Seuls les intervenants peuvent changer: les préparateurs numériques (ou packagers, en V.O.) prennent la place des imprimeurs; les plate-formes de téléchargement celle des distributeurs, diffuseurs et souvent des libraires.

Et les agents, dans tous ça? Eh bien, ils sont censés se mettre au service des auteurs, mais aussi souvent d’éditeurs étrangers à la recherche de textes à traduire, ou d’artistes de l’audio-visuel, du théâtre, etc., pour des adaptation. Rien d’étonnant donc à ce qu’un agent négocie les droits numériques sur les livres, se faisant l’intermédiaire entre auteurs, éditeurs et plates-formes de diffusion numérique. Jusque là, rien que de très normal.

Mais si, comme Andrew Wylie, on veut se passer carrément de l’éditeur pour la publication de livre numérique…

Eh bien, logiquement, il devra faire lui-même le boulot de l’éditeur.

Vous me direz: ça ne risque pas de lui peser beaucoup, vu qu’il ne travaille qu’avec des auteurs ultra-confirmés. Pas besoin de plonger dans la masse grise des manuscrits «sauvages» à la recherche d’une perle rare, pas besoin de ramer pour convaincre les journalistes, les distributeurs et les libraires que c’est sûr, c’est certain, vous avez dégotté un(e) auteur(e) qui ira loin, et qu’eux aussi doivent lui donner sa chance. Pas besoin de trembler chaque fin de mois en attendant les chiffres de vente…

Mais cela montre aussi les limites de l’exercice. Un agent qui veut se passer des éditeurs ne peut pas le faire sans devenir éditeur, à moins d’être un superprédateur squattant le sommet de la pyramide écologique éditoriale.

Et encore… Enlever aux éditeurs les bénéfices sur la vente de livres numérique (dont le poids économique augmente vite – demandez à Amazon.com) sur leurs auteurs les plus profitables, c’est revenir au cas de figure du grand éditeur qui débauche les auteurs découverts par de plus petits, les condamnant ainsi à ne jamais grandir. L’agent ou autre prestataire qui se comporte ainsi va finir par scier la branche éditoriale sur laquelle il est confortablement assis…

En effet, comment pourra-t-il à l’avenir piquer aux éditeurs les auteurs à succès si les éditeurs ne peuvent plus bénéficier de ce succès? Autant, pour un éditeur, mettre la clef sous la porte.

(Ou se diriger vers le compte d’auteur… Certains éditeurs anglo-saxons ayant pignon sur rue le font déjà, plus ou moins discrètement.)

Se passer d’éditeurs? Seulement si vous en devenez un vous-même, monsieur l’agent.

Le livre numérique dans tous ses états, avec Hervé Le Crosnier

La formation permanente est sur la Toile, et ça décape! Si vous deviez ne visionner qu’une seule conférence vidéo sur le livre numérique cette année, que ce soit celle donnée le 21 juillet par Hervé Le Crosnier et mise en ligne par l’ADBS (association professionnelle de documentalistes):

Ancien bibliothécaire, maître de conférences à l’Université de Caen, où il enseigne les technologies de l’Internet et de la culture numérique, Hervé Le Crosnier est aussi éditeur. Il connaît donc bien tous les dessous de la «chaîne» du livre ainsi que son marché, aussi bien dans sa version imprimée que dans ses diverses déclinaisons numériques.

Attention, il y a sept segments, tous disponibles sur la chaîne DailyMotion de l’ADBS:

  1. L’objet «livre numérique» (ergonomie, fonctionnalités…);
  2. La chaîne du livre numérique (qui n’est ni celle du Web, ni celle de l’imprimé);
  3. L’économie globale (rentabilité, modèles économiques, etc.);
  4. Ergonomie et fabrication (les normes de fait et leur évolution);
  5. Questions-réponses 1, 2 et 3.

(Source: Aldus.)

Ce qui est passionnant avec le livre numérique, mais qui rend aussi le sujet casse-gueule, c’est qu’il pose à se reposer toutes les questions que l’on croyait fixées de toute éternité.

Une nouvelle technologie de lecture? C’était déjà le défi rencontré à la fin de l’Antiquité avec la lecture silencieuse! Et ne parlons pas de la lecture sur ordinateur. Comme le fait remarquer Le Crosnier, regardez ce que vous imprimiez il y a dix ans, et aujourd’hui…

Et puis, vient la question du mode de rémunération. La frontière est de plus en plus floue entre objet et service avec le livre numérique. Payer les livres au volume, au chapitre (retour du feuilleton?), par abonnement auprès d’un éditeur? D’une plate-forme (du genre Amazon ou Apple)? Par une redevance ajoutée à l’accès Internet? Tous ces modèles n’étant d’ailleurs pas mutuellement exclusifs.

Reste à se rappeler que même si le livre numérique fonctionne dans une économie de l’attention, le métier de lecteur n’est seulement celui de client, c’est aussi un prescripteur. Trop «protéger» un livre contre le piratage, c’est risquer de se priver de cette interaction.

La question du multimédia est bien sûr évoquée, mais plus intéressant, peut-être, du point de vue de l’amatrice de lecture invétérée que je suis, c’est la question de l’organisation de bibliothèque personnelle. La bibliothèque du futur pourrait bien être en ligne, annotable, partageable, accessible depuis n’importe quel point d’accès au réseau (ordinateur, tablette, téléphone), et hébergée sur le «nuage» de Google…

Eh oui, ce genre de service universel et gratuit (mais ouvert sur diverses formes de monétisation) existe déjà – et il s’appelle Google Books. Ce qui, il faut l’avouer, n’est pas vraiment une surprise.

Les éditeurs français et le prix des livres numériques

Donc, les ventes de livres numériques ont dépassé celles de livres en grand format chez Amazon.com, aux USA. Et les éditeurs français, dans tout ça?

Il faut évidemment comparer ce qui est comparable. Le marché du livre en langue française est beaucoup plus petit qu’en langue anglaise; et les achats de livres en anglais par les gens qui lisent l’anglais sans l’avoir comme langue maternelle ajoutent encore à la confusion. C’est souvent parce que le livre vient de sortir en V.O. avec une large publicité (*tousse* Harry Potter… *tousse*) et que les fans ne veulent pas attendre plusieurs mois pour la traduction. La question de la politique de traduction des éditeurs français est un autre débat.

(Je laisse aussi volontairement de côté la question de la TVA à 19,6% sur le livre numérique, tout simplement parce les situations sont très différentes selon les pays. Ainsi, il n’y a pas de TVA aux USA, mais des taxes sur les ventes qui différent selon les États et même les villes. Au Canada, il y a une TVA plus des taxes de vente locales. Au Royaume-Uni, la TVA est de 17,5%. Et ainsi de suite. Mais, comme j’entends le montrer ci-dessous, même sans cette question de la TVA, il faudrait s’attendre à des prix plus élevés chez nous par rapport à Amazon.com.

Précisons aussi que l’Union européenne laisse aux États membres la possibilité d’inclure les livres numériques dans les produits à taux réduit, mais que pour l’instant le gouvernement français ne s’en est pas préoccupé. Associations de consommateurs, syndicats de l’édition et de la librairie, la balle est dans votre camp…)

Revenons à nos moutons. Qui dit marché plus étroit dit moins de possibilités pour faire des économies d’échelle. Ergo, il ne faut pas s’étonner si «les livres numériques en français sont plus chers que sur Amazon.com!» devient un leitmotiv régulier. Et lancinant.

Mais évidemment, ce n’est pas tout. D’abord parce qu’Amazon n’est pas là pour jouer les locomotives… avec des méthodes plus ou moins subtiles. Eh oui, quand on est le vendeur de livres n°1 au monde, on peut se permettre de casser les prix, et vendre à perte! Au point que plusieurs grands groupes d’édition, à commencer par Macmillan, ont l’année dernière rué dans les brancards et réclamé la fin des prix fixés arbitrairement à 9,99$ par Amazon sur les best-sellers et les nouveautés.

Il faut savoir que la contre-partie de ce prix d’appel, c’est qu’Amazon ne se gêne pas pour monter les prix des livres non concernés, jusqu’à offrir des éditions Kindle plus chères que l’édition de poche déjà disponible. Ben oui, c’est bien pratique, quand on a créé son marché captif… On peut y faire ce qu’on veut. Quitte à faire trinquer auteurs et lecteurs, pris en sandwich entre la logique du «toujours moins si ça m’arrange» d’Amazon et celle des éditeurs, qui l’ont mauvaise si les utilisateurs n’ont plus d’argent disponible pour acheter des livres une fois le Kindle ou autre belle machine achetée. Oups.

C’est dire que le marché des éditions Kindle, ce sont les possesseurs de Kindle! (1) Difficile de comparer avec un marché fragmenté, chez nous, entre différents supports (ordinateurs, liseuses, smartphones…) et différents formats (du PDF à l’epub, en passant par le Mobipocket). Là encore, l’expression-clef, c’est «économies d’échelle».

Eh oui, je sais, on peut commander un Kindle depuis la France et l’alimenter avec des éditions en vente sur le site Amazon.com (eh non, pas sur Amazon.fr, pas encore). Mais regardez bien: quand on arrive sur le Kindle Store, il y a une liste de zones géographiques, en haut à gauche, que vous pouvez vous amuser à changer, pour voir. Et vous remarquerez ainsi deux choses:

  1. Les prix affichés ne sont pas les mêmes si vous vous connectez depuis l’Europe continentale, le Royaume-Uni, les USA, etc. Et sont généralement plus chers en Europe.
  2. Tous les titres ne sont pas disponibles pour toutes les zones géographiques.

Alors? Alors, Amazon n’est apparemment pas pressé de dupliquer hors USA le modèle Kindle. La machine a été lancée à l’automne 2007, il faut le rappeler. Presque trois ans plus tard, et alors que la concurrence d’Apple et bientôt Google sur les livres numériques devrait lui donner des ailes, Amazon n’a toujours pas lancé l’équivalent en Europe, et surtout pas en langue française, de son Kindle store.

M’est avis que l’un des problèmes, c’est la question des contrats. (En plus, évidemment, de la langue. Taille du marché, rappelez-vous.)

Pour publier des livres français, allemand, italiens, etc., sur les sites correspondants, il faudrait des accords directs avec les éditeurs de ces pays. Et la législation diffère d’un pays à l’autre, tout comme la culture. Les éditeurs français, notamment, semblent encore aujourd’hui avoir du mal à lever le nez de leur production pour regarder l’horizon.

Il y a donc aujourd’hui des solutions partielles. Des libraires en ligne comme Immatériel, ePagine, Bibliosurf et quelques autres tentent de faire la pige à la Fnac, qui tente elle-même de jouer les Amazon à la française (question de poids) mais sans avoir un modèle unique de liseuse à mettre en avant (elle vend aussi bien le Sony Reader que le Cybook Opus). Certains «vendent» uniquement avec DRM (ahem, suivez mon regard vers la Fnac), les autres laissent aux éditeurs le choix de verrouiller ou simplement marquer leurs livres pour indiquer la provenance, en comptant que les lecteurs seront assez responsables pour ne pas balancer tous leurs bouquins sur les torrents une fois achetés. (En général, la confiance, ça marche. Mais allez en convaincre les éditeurs…)

Il y a enfin quelques courageux (vous avez dit Publie.net? Babelpocket?) pour vendre totalement sans DRM.

Bon, j’avoue que cette question de DRM est importante pour moi (je n’achète pas si c’est DRMisé) mais évidemment pas pour l’énorme majorité des acheteurs de livres, vu le succès des offres verrouillées d’Amazon. Grand bien leur fasse. Mais qu’ils sachent que les DRM introduisent des coûts supplémentaires et qu’ils repoussent un certain nombre d’acheteurs potentiels.

En d’autres termes, la présence de DRM est un facteur de maintien des prix élevés sur les livres numériques.

Intéressant, non?

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(1) Oui, je sais: plus ceux qui utilisent l’application Kindle pour Windows ou pour iPhone. Mais devinez quoi? Je suis exclue si j’utilise Linux. Merci, les gars…