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Les #fakenews, la taxe d’habitation et le stagiaire de #BFMTV

Statue en bronze du dieu Mercure

Mercure, dieu du commerce et des voleurs, est-il aussi celui de la désinformation économique ? (Crédit : Mallowtek)

Dans cette folle campagne présidentielle, on a entendu beaucoup d’arguments foireux, et c’est parti pour faire de même aux législatives. La vigilance est de mise ! Car c’est une chose de perdre si les gens ne veulent pas de vous ou de votre projet ; mais perdre des votes pour du vent, de l’intox, du pur fantasme, ça va trop loin.

J’ai appris incidemment, en bavardant avec mon médecin, l’une des sources d’une déformation tenace sur le programme économique d’Emmanuel MacronBFMTV​ Économie. Je lui parlais d’un collègue qui était effrayé par la perspective d’une exonération de la taxe d’habitation pour 80% des ménages. Il croyait dur comme fer que pour financer ça, l’impôt des 20% restants allait être doublé ou triplé… Comme si le budget des collectivités locales, auquel est versée cette taxe, n’avait qu’une seule source de revenus ! Le programme du candidat, publié sur le site d’En Marche !, parlait pourtant de la contribution versée par l’État aux collectivités en compensation de cet impôt. Et l’État s’arrange pour avoir d’autres sources de revenus, notamment la CSG, impôt le plus juste car le mieux réparti. Peine perdue.

C’est là que mon toubib a révélé que lui aussi était tombé dans le panneau…

« Mais ils en ont parlé sur BFM Éco ! Ça fait quand même un gros manque à gagner, la taxe d’habitation, c’est énorme ! »

Ouille, ouille. Ce n’est pas parce qu’il y a « Économie » dedans que les gens savent de quoi ils parlent ! Et surtout qu’ils ont un minimum de déontologie. Ici, la seule explication que je vois, c’est que les chroniqueurs de BFMTV ont essayé de spéculer sur ce que ferait Macron s’il était élu, et qu’avec leurs préjugés habituels envers un ancien ministre d’un gouvernement d’un gouvernement de gauche, ils en ont conclu qu’il voudrait imposer à outrance tous ceux qui ont un peu de bien au soleil. Que ce soit un épouvantail sorti de leur imagination ne l’a pas effleuré, pas plus que mon collègue. Ils ne semblent pas avoir intégré que les médias ont des biais – et pas seulement les médias que lisent ou écoutent les autres…

Enfin, même si on est porté à croire le scénario BFMTV​, un minimum de connaissances et d’esprit critique aurait dû faire écarter cette histoire de hausse vertigineuse de la taxe d’habitation. D’abord parce que c’est un impôt qui ne rapporte pas beaucoup, surtout comparé à ce qu’il coûte à mettre en œuvre. Pour l’année 2009, par exemple, la TH représentait 16,5 millions d’euros – dix fois moins environ que la TVA, six fois moins que la CSG. Pas de quoi déclencher une révolution en augmentant brutalement le barème !

Et puis qui dit taxe d’habitation dit fiscalité locale : ce sont les communautés territoriales, bref communes, agglomérations, départements et régions, qui votent les taux. Et eux non plus n’ont pas intérêt à maltraiter leurs administrés. Avec la réforme proposée, ces communautés auront plutôt à cœur de négocier judicieusement avec l’État, puisque c’est lui qui remplacera le manque à gagner.

Après, on peut discuter des inconvénients pour les communautés en question, bien sûr, ou de la justification de ce 20% restant qui continue à payer la taxe. Mais au moins, on parlera de choses réelles, pas de la politique du #stagiairedeBFMTV.

Des joies du service public, et de quelques nuages sombres

Dans la catégorie « ma vie est passionnante », il y a une chose qui est tantôt horripilante, tantôt sympathique – et qui parfois donne amplement matière à penser: les interactions avec le public.

Kama Shiva

C'est parfois un peu l'impression que ça donne, depuis mon côté du guichet...

Côté sympathique, je reçois parfois (et même assez souvent, soyons justes!) des compliments. Cela va de la simple formule de politesse, du genre « merci madame, vous êtes bien aimable », au chaleureux: « Oh, merci, merci beaucoup, je ne sais pas comment j’aurais fait sans vous, c’est tellement compliqué tout ça! » Et puis, le plus intéressant, pour les esprits curieux, ce sont les réactions de gens qui viennent de l’étranger et découvrent le service public de chez nous.

Eh bien, ils sont souvent ravis. « Oh, mais c’est tout simple, alors! Pas comme dans mon pays, etc. » Ou bien: « J’ai juste à remplir cette déclaration? Aaah, dire que dans mon pays [au Chili], il faut passer par un notaire pour ça… »

Et puis, ma préférée, de la part d’un Américain: « C’est tout, il n’y a rien à payer pour ces documents? »

Ah, non, heureusement, quand même! On vous fait déjà payer diverses contributions, mais la délivrance d’une attestation comme quoi vous vous êtes acquitté de ces obligations est gratuite. Ou plutôt (préciseront les économistes de service), c’est compris dans le total.

Oh, et on ne donne pas de pourboire non plus à l’agent derrière le guichet! Eh oui, différents pays, différentes mœurs…

Cela dit, hélas, je ne prétendrai pas non plus que tout est rose. Et sur le plan de la satisfaction des usagers, justement, à force de réduire les effectifs pour cause d’idéologie reagano-thatchérienne à contre-temps, ou par mesure d’économie (de bouts de chandelles, forcément, à long terme), tout en déguisant cela de noms lénifiants comme « réforme de l’État », les effets s’en font sentir. Les services publics commencent à craquer, les missions sont moins bien remplies, etc.

Et la satisfaction des usagers décline. Mais ce n’est pas grâce à Valérie Pécresse, ministre du Budget, que vous saurez cela.

Citons l’article d’Arrêt sur images:

Un chiffre qui ne plaît pas au ministère du Budget, et hop, ni vu, ni connu, le sondage n’est pas publié. Selon les informations d’@rrêt sur images, le ministère a préféré éluder dans son troisième « baromètre sur la qualité des services publics » une enquête de satisfaction des usagers face aux administrations. Un des résultats était très mauvais.

Ce petit désagrément n’a pas empêché la ministre Valérie Pécresse de dérouler son plan com’, dans une interview parue lundi 25 juillet dans Le Parisien. Elle y assure que « la réforme de l’Etat répond aux attentes des usagers »… sans pouvoir s’appuyer officiellement sur aucun chiffre pour le prouver. En réalité, si le sondage commandé était effectivement globalement bon, un résultat coinçait : celui de la satisfaction des usagers quant au traitement de leurs réclamations auprès des administrations. Ce chiffre était en très forte baisse par rapport à un précédent sondage, publié en mars.

Tout va très bien, madame la ministre…

Ou peut-être, pour être plus réaliste: « Silence, on coule »?

« Dédiaboliser » l’extrême-droite… pour quoi faire, au juste?

Attention, billet pas content, plein de politique et d’ironie inside. Vous serez prévenus.

* * *

Il vient de certains blogs et de certains éditoriaux une drôle de petite musique susurrant que non, décidément, ce n’est pas une bonne idée de condamner purement et simplement la fachosphère, le FN et autres sinistres…

« Diaboliser » (leur terme; admirons l’orientation préalable du débat au moyen du vocabulaire) ne serait pas productif, parait-il (et les anti-racistes seraient les pires ennemis de la lutte contre le racisme… ahem). Air connu. Mais en attendant, à force de décrypter savamment, d’expliquer par la psycho-politique, de chercher à « comprendre », on glisse gentiment dans ce qu’il faut bien appeler de la complaisance. Oups?

Il y a quelques jours, c’était un article du Monde qui tartinait sur les « dandys » de la fachosphère, sans arriver à se déprendre d’une assez pitoyable fascination admirative.

Rebelote: voici que son confrère tout en ligne, Slate, ne trouve rien de mieux à faire que de suggérer que finalement, Fdesouche.com, ce n’est pas si horrible que ça; qu’en fait on peut les admirer (?) de faire du « journalisme de liens » [sic] et se rasséréner en songeant qu’ils offrent « juste » un exutoire à des « petits blancs de banlieue » qui se ressentent comme « en souffrance » – mais même notre webzine ne va pas jusqu’à assurer qu’il n’y en aurait jamais aucun, dans le nombre, pour réagir comme un psychopathe et prendre un fusil d’assaut, à l’émulation de Breivik…

Et pourtant. Et pourtant, pas un de ces donneurs de leçons pour prendre la peine de rappeler que si les « petits blancs de banlieue » qui cherchent juste une « catharsis » sur Fdesouche se sentent « dominés », ça n’a rien à voir avec la couleur de leur peau

Il faudrait leur apprendre qu’il y a une chose appelée le système capitaliste, qui produit par son fonctionnement normal même ce genre de domination de classe.

Oh, mais alors, vous serez catalogué « gauchiste ». Horreur, malheur! Et c’est ainsi que le hold-up mental sur les classes populaires (pour parler comme une sociologue) se poursuit, avec la complicité objective (mais pas forcément toujours involontaire?) de divers éditorialistes.

Bref, pour parler poliment, bonjour le foutage de gueule.

Cette fachosphère qui les fascine, farce en trois tweets

Mais non, ce n’est même pas une tragi-comédie. La presse française se penche sur la fachosphère, gasp! Et découvre que ces petits messieurs ne se prennent pas pour de la crotte.

Je ne crois pas que je pourrais faire mieux que reproduire ici cet échange d’hier sur Twitter à propos d’un article du Monde (parmi tant d’autres, soyons justes) à propos des « hussards bruns du ouaibe ». Dont fait partie certaine vieille connaissance… Didier Goux. (Tiens, tiens!)

C’est vrai, au fond. Un lecteur du Monde avait posté en commentaire de l’article: « C’est effarant cette fascination de la presse française pour l’extrême-droite ». Mais quelque part, c’est logique.

Regardez les films de Hitchock. Et James Bond. Star Wars. Harry Potter. Même Walt Disney. Élitistes, les « super-villains » hollywoodiens? Au plus haut niveau. Snobs? Vous reprendrez bien un doigt de whisky pur malt avant d’être jeté dans le bassin à piranhas, hmm? Et qui vomissent 99,9% de l’humanité tout en se contemplant dans le miroir? Par définition.

Moralité: chers éditorialistes, pensez aux bons vieux classiques de la culture populaire, du mélodrame à Hollywood. Vous trouverez la source du plagiat.

Fin (pour le moment)

N’y allons pas par quatre chemins: oui, je sais, cela fait plus d’un mois que ce blogue n’a plus été mis à jour. Et non, hélas (ou tant mieux? c’est selon), il ne sera probablement pas réalimenté de sitôt.

Pourquoi? Oh, juste la Vie Réelle™ qui s’interpose…

Plus précisément, disons que j’ai peu à peu réalisé que j’en avais assez de jouer les éditorialistes occasionnelles, surtout dans un contexte aussi exaspérant. Par où commencer? Entre la saga de ceux qui légifèrent sur internet sans y entraver quoi que ce soit, celle d’un gouvernement aux abois qui multiplie les fumigènes avec la bénédiction de journalistes qu’on enverrait bien rempiler sur les bancs de l’école; entre la frilosité des éditeurs français devant le livre électronique (ah, si seulement on pouvait reproduire ce qui marche pour le livre papier!) et le climat général de ce pays où une héritière peut jouer les chefs de parti populiste sans sombrer dans le ridicule… Franchement, parfois, même le ricanement vengeur meurt sur les lèvres, dans un grand soupir d’impuissance.

Bref, commenter l’actualité, même limitée à l’édition, ou aux livrels, ou à internet, ce n’est plus trop ma tasse de thé.

Fatigue et dégoût? Oui, vous pouvez dire ça. Mais pas uniquement (et c’est heureux!): il y a aussi le désir de faire des choses qui échappent, justement, à tous ces sujets d’exaspération. Tiens, reprendre sérieusement l’écriture, par exemple…

Et c’est ma raison numéro 2 pour annoncer que je me mets en vacances de blogue pour une période indéterminée: le temps et l’énergie que je consacrerais à alimenter ce site pourrait être aussi bien (et probablement mieux) utilisé à un peu de création littéraire. Du moins, au genre de création littéraire (certains pourraient arguer que le blogue est un genre littéraire…) qui a un peu de chance de continuer à être lu même après que 99% d’entre nous auront oublié l’écume de l’actualité.

Bref, retour pour moi à la fiction! Je suis sûre qu’il y en a ici qui ne s’en plaindront pas, hmm?

En attendant, lecteurs et lectrices fidèles, ou bien nouveaux/nouvelles venu(e)s, on peut bien entendu toujours accéder aux textes que j’ai déjà mis en ligne, comprenant plusieurs nouvelles et un roman.

Merci, et j’espère à un de ces jours.

L’affaire des cambriolages: guerre à la presse… et autres conflits

La formulation de Daniel Schneidermann, dans le « Neuf-quinze » d’Arrêt sur images de ce matin, est bien intéressante:

Disons les choses très simplement: il y aura un avant et un après les cambriolages d’ordinateurs de Mediapart, du Monde, et du Point. Le culot, le professionnalisme, et jusqu’à cette simultanéité, cette volonté manifeste d’intimider: ces cambriolages sont signés, et cette signature est glaçante. Quelle signature? Ne nous avançons pas. Ils sont signés de professionnels, évidemment. Mais surtout, de professionnels certains de l’impunité. Et compte tenu de l’ampleur de la trangression qu’ils représentent, l’ordre, ou le feu vert, et cette garantie d’impunité, ne peuvent venir que de très haut.

C’est tout ce que l’on peut dire pour l’instant. Mais c’est déjà énorme. A ma connaissance, c’est la première fois en temps de paix, dans ce pays, qu’il est ainsi attenté à la liberté de la presse. En temps de paix? Mais on n’y est plus. Les commanditaires de ces cambriolages viennent de déclarer la guerre à la presse. A toute la presse.

(N.B. le graissage est de moi.)

En temps de paix, dit-il… Hem. Justement, chers concitoyens et -citoyennes, la France n’est pas en paix. Plus depuis 2001, en tout cas, lorsque nous avons engagé des troupes en Afghanistan. Des troupes qui y sont encore. Au cas où vous n’auriez pas remarqué.

Oh, et puis évidemment, il y a ces problèmes récurrents au Sahel, dont on ne parle que quand ça devient vraiment trop criant – une prise d’otages, par exemple. Alors que, pour le chercheur africaniste Jean-François Bayart (dans un article sur la politique africaine de la France, à lire dans… tiens donc, Médiapart):

«la France se découvre soudain entraînée dans une nouvelle guerre, au Sahel cette fois-ci, sans que ses dirigeants aient cru utile de l’en informer, et encore moins d’en saisir la représentation parlementaire».

(Également cité dans Rue89.)

La guerre étrangère est donc déjà la chasse gardée, le « domaine réservé » du prince. De là à une extension (bien ciblée) des barbouzeries sur le territoire national, contre ces empêcheurs de tourner en rond que sont les journalistes, ma foi… Un scénario de thriller? Ça tombe bien: j’ai toujours pensé qu’à défaut d' »imagination au pouvoir », il nous fallait, à nous autres citoyens lambda, un peu d’imagination pour appréhender, et si nécessaire contrer, les abus du pouvoir.

Où vont les écrivains pour chercher leurs idées, après tout, sinon dans la bonne vieille réalité?

Tout va bien, il n’y a pas de Watergate en France

Ni de Woerthgate, manifestement… Car si les infos de Médiapart sur l’affaire Bettencourt ont bien été reprises par l’ensemble de la presse, l’ennui, c’est que le reste ne bouge pas.

Commentaire de Fabrice Arfi sur Rue89:

«Ce qui a fait tomber Nixon, ce n’est pas Woodward et Bernstein [les journalistes du Washington Post qui révélèrent le scandale du Watergate, ndlr], ce sont les relais institutionnels qui ont suivi après leurs révélations. En France, on est dans un système hallucinant où il ne se passe rien. Au Parlement, il y a une commission parlementaire sur le fiasco des Bleus mais rien sur l’affaire Woerth.»

Chose notable, aucun des politiques mis en cause par ces révélations n’a porté plainte pour diffamation. C’est pourtant une chose qui se fait, dans ces circonstances, quand on est innocent…

Arnaud Montebourg, la télé Bouygues et la réplique qui tue

Que peut répondre Nonce Paolini, le patron de Télé-Sarko-Bouygues… heu, pardon, TF1 – à la lettre cinglante (mais pas fausse) que lui avait adressé le député Arnaud Montebourg? Bah, heu

Tweeté par Paul Larrouturou:

Heureusement que le ridicule, lui, ne tue pas. Sinon on ramasserait souvent des cadavres dans les couloirs de TF1.

Le plus beau, évidemment, c’est que le brave Paolini devait penser tenir là un argument massue. Si on considère le reste de sa lettre, en effet, on est pris de vertige devant tant de vide béant.

Ses arguments principaux? Que Montebourg «se trompe» (ça ne mange pas de pain); ou que ses propos «révèlent (…) un retour à une culture d’État de sinistre mémoire», ce qui commence à être un peu usé, comme ficelle (NB: C’est moi qui souligne. M. Paolini semble confondre les députés, élus du peuple, avec l’appareil d’État, c’est-à-dire l’exécutif. Si c’est un lapsus, il est révélateur de tout un état d’esprit sarkozyste…)

Ho, hum. Sinistre mémoire? Laquelle, au juste? Du temps de l’ORTF? Car inutile, j’espère, de prétendre encore qu’il s’agit d’une référence aux années 30, l’antienne préférée des sarkozystes: en ce temps-là, c’était plutôt la presse d’extrême-droite qui harcelait impitoyablement les députés, pas le contraire!

Et comme tout cela reste quand même un peu léger, le cher Nonce finit par appeler les pièces jaunes à la rescousse! Mais oui, vous avez bien lu: la preuve que TF1 ne pense pas qu’au fric, c’est (sans rire), les bonnes œuvres! À nation de propriétaires, télé de publicrates et de dames patronnesses: au fond, c’est logique…

Maljournalisme scientifique contre vaccin

Paniquez, braves gens! L’édition en ligne du Parisien (reprise dans les brèves de Rue89, où la section commentaires a vite fait de se transformer en réunion de cellule du parti anti-vaccins) ne faisait pas dans la dentelle, jeudi 26 août, en commentant un communiqué de l’Afssaps: «Six cas de maladie du sommeil chez des personnes vaccinées contre la grippe A»

C’est grave, docteur?

Dans ce cas, c’est surtout mauvais pour le journalisme. Et pour l’information du public en matière de santé.

D’abord à cause de la confusion que cet article entretient. Le titre parle simplement de «maladie du sommeil», ce qui évoque immédiatement la trypanosomiase africaine, une maladie parasitaire grave transmise par la fameuse mouche tsé-tsé. Le corps de l’article précise qu’il s’agit de cas de narcolepsie avec cataplexie, ou maladie de Gélineau, qui est une affection neurologique (c’est-à-dire du système nerveux) que l’on classe parmi les troubles du sommeil.

1) Premier point important: ne pas confondre la maladie du sommeil (une affection spécifique, infectieuse, très grave) avec les troubles du sommeil en général (variés, plus ou moins graves, d’origines environnementale et/ou génétique).

Et le Parisien n’est pas seul en cause. Le 26/08, d’autres sites, dont celui de France Info, titrait sur «le vaccin H1N1 contre la grippe provoquerait une maladie du sommeil»… Encore moins de précautions oratoires! Le conditionnel, seul rempart du doute raisonnable – un grand classique.

Le lendemain, 27 août, maigre amélioration: l’ensemble de la presse reprenait l’info de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), mais en évitant au moins la confusion narcolepsie/maladie du sommeil.

2) Ce qui nous amène au deuxième point qui me fait tiquer. Vous connaissez le sophisme «post hoc, ergo poster hoc»?

En français, cela veut dire à peu près: c’est arrivé après, donc c’est arrivé à cause de

Ici, le lien supposé par ce «après» concerne le vaccin contre le virus H1N1. Mais quelle est la solidité de ce lien? Rappel pas inutile, histoire de donner un ordre de grandeur du problème: 30 millions de personnes ont été vaccinées contre la grippe A (H1N1) en Europe entre 2009 et 2010. Aujourd’hui, les autorités sanitaires européennes réagissent à 22 cas de narcolepsie diagnostiqués chez des personnes vaccinées.

Parlons de cette maladie de Gélineau ou narcolepsie-cataplexie, justement.

Un autre média, 20 Minutes, a pris la peine d’interroger un spécialiste des troubles du sommeil, Jean-Michel Paquereau, de l’Institut national du sommeil et de la vigilance. Qui explique la chose suivante : cette forme de narcolepsie peut être déclenchée par la réaction de l’organisme à une agression microbienne, par exemple virale, lorsque le système immunitaire ne se contente pas d’attaquer le virus, mais produit des anticorps contre ses propres cellules. Si les cellules attaquées sont celles qui, dans le cerveau, jouent un rôle dans l’endormissement, cela peut expliquer les symptômes de ces patients. Ce serait donc un cas de réaction auto-immune.

Quel rapport avec le vaccin contre la grippe? Petit rappel : le rôle de ce vaccin est d’apprendre à notre système immunitaire à reconnaître rapidement l’intrusion du virus de la grippe, afin de mieux le combattre. Prendre le mal à la racine est plus efficace, et moins fatiguant pour l’organisme, que de devoir attendre que l’infection soit installée. Le vaccin contient donc forcément une (très) petite dose de particules virales – atténués ou inactivées, évidemment! (Pour certains types de vaccins, il ne s’agit même pas de virus entiers, mais de protéines de l’enveloppe du virus, car c’est grâce à ces protéines que nos globules blancs «reconnaissent» le virus comme corps étranger. Une sorte de passeport biométrique qu’on leur distribue pour reconnaître de dangereux terroristes, quoi.)

Dans le cas des produits mis en cause dans cette affaire de narcolepsie, il s’agit des vaccins Panenza®, de Sanofi-Aventis, et Pandemrix®, de GSK. Tous deux ne contienent que du virus inactivé, c’est-à-dire rendu incapable de se reproduire. (Avantage pratique : on ne risque pas d’attraper la grippe avec ce virus-là, même si on est très immunodéficient.)

Bref, théoriquement, il n’est pas totalement impossible que la rencontre avec la petite quantité de particules virales inactivées contenues dans une dose de vaccin anti-grippe ait pu suffire à déclencher une réaction auto-immune chez les quelques patients en question et que cet emballement du système immunitaire se soit traduit par une forme de narcolepsie… Mais est-ce probable?

Par précaution, l’Afssaps française et l’Agence européenne du médicament (EMA) ont décidé de lancer une opération de pharmacovigilance: les nouveaux cas de narcolepsie seront signalés aux autorités sanitaires et une enquête aura lieu pour déterminer si oui ou non les vaccins anti-grippe A sont en cause. En attendant, l’Afssaps rappelle (et à sa décharge, notons que le Parisien a aussi reproduit cette information) que cette maladie de Gélineau (narcolepsie-cataplexie) a beau être rare, on en compte tout de même normalement quelque 500 nouveaux cas par ans en France.

Donc, 500 cas en année normale, 6 de plus (peut-être) cette année? Hum. Avant d’accuser les vaccins, il est bon de savoir en effet savoir quelle est l’incidence normale de cette maladie. Ou sinon, chaque fois que quelqu’un qui a été vacciné contre quelque chose a un problème (peu importe qu’il y ait un lien ou non), on pourra clamer: «c’est arrivé après le vaccin, donc c’est à cause du vaccin»! Comme s’il n’y avait aucun autre facteur de risque au monde.

Enfin, si on craint les effets secondaires du vaccin, il ne faudrait pas non plus négliger ceux des virus…

Du côté de la Tribune de Genève, en mars dernier, on donnait la parole à la professeure Claire-Anne Sigriest, spécialiste de vaccinologie, qui expliquait que les infections virales (dont la grippe) font courir plus de risques de déclencher une réaction auto-immune que les vaccins, puisqu’une infection implique un nombre bien plus élevé de particules virales (si ça vous rend malade, c’est que vos cellules sont envahies…) et qu’il s’agit forcément de virus bien vivant, pas inactivé.

Donc, que l’on soit vacciné ou non, la rencontre avec un virus est de toute façon un facteur de risque pour le déclenchement de réactions auto-immunes, qui peuvent à leur tour provoquer le syndrome de Guillain-Barré ou la maladie de Gélineau… Bref, toutes maladies à propos desquelles – ô, ironie – les mouvements anti-vaccins jettent l’alarme…

Quand l’enquête de l’EMA sur ces cas de narcolepsie sera terminée et publiée, on saura si oui ou non le vaccin contre le H1N1 était en cause. Mais même si c’était le cas, il est dores et déjà évident, vu le nombre de cas observés, que l’effet ne peut être que faible. Et dans ce cas de figure, songeons-y: entre le risque d’attraper deux maladies, la grippe et la narcolepsie, ou bien la seule narcolepsie… On voit assez vite où est le moindre mal, non?

Contre-modèle de gauche? Et si on repartait des bases…

Dommage que même des gens intelligents en viennent à opposer l’affaire Woerth et «l’insécurité» comme choses qui préoccupent les Français. Comme si c’était légitime. Les chiffres presque soviétiques d’un sondage de la Pravda, pardon, du Figaro, «veulent dire quelque chose», paraît-il. Et la gauche (qui, il faut l’avouer, réagit en désordre et donne l’impression d’être assez larguée) se voit reprocher de se voiler la face, d’avoir échoué, etc.

Quelques petits rappels:

1) La gauche n’est plus au pouvoir depuis 2002… Huit ans de gouvernement UMP et le sentiment d’insécurité est toujours plus fort? J’en connais qui devraient balayer devant leur porte.

2) Pendant ce temps, et ce d’après les propres chiffres de la police, les crimes de sang et les vols sont en diminution depuis plusieurs années en France. Et les auteurs des crimes les plus graves sont le plus souvent (combien de fois faudra-t-il le dire?) des proches des victimes. On est plus souvent assassiné(e), battu(e) ou violé(e) par un conjoint, un parent, un collègue, un voisin. (Et  les jeunes sont bien plus souvent victimes de violence que les vieux.) Mais la société dans son ensemble se civilise, se pacifie, n’en déplaise à ceux qui, au plus haut sommet de l’État, trouvent opportun d’attiser le catastrophisme. Peut-être est-ce justement pour cela que les crimes restants deviennent de plus en plus intolérables?

3) Les sondages ne sont pas un simple thermomètre de l’opinion, mais des outils pour la manipuler. Tout le monde le sait, mais trop de gens font comme si de rien n’était. Demander «Êtes-vous favorable au démantèlement des camps illégaux de Roms» et pas «Êtes-vous favorable à une sanction des préfets qui n’appliquent pas la loi du 5 juillet 2000 sur la construction des aires d’accueil», ce n’est pas neutre.

4) Pour revenir à l’étrange opposition de «l’insécurité» aux affaires Worth, Bettencourt, César, etc., sans parler de celle de Karachi: dire que les gens se préoccupent moins de la crapulerie d’État que de celle des voleurs à la tire, n’est-ce pas aussi reconnaître la tendance des citoyens lambda à baisser les bras devant une délinquance qui les dépasse, parce que ses auteurs sont trop haut placés pour la justice ordinaire? Et que faire des règles différentes pour des catégories de citoyens différentes – gens du voyages, Français d’origine étrangère – procède du même principe anti-démocratique et anti-républicain d’inégalité devant la loi que l’impunité dont bénéficient les ministres et les milliardaires.

5) La première des insécurités en France aujourd’hui, qui se double d’ailleurs d’une bonne dose d’inégalité, c’est l’insécurité économique. Je n’ai plus trop le courage ces jours-ci d’écouter les journaux de France Inter, mais heureusement que certains sur Twitter le font et rapportent des horreurs de ce genre:

@Vogelsong: Entendu sur #f_inter « 250 000 emplois détruits, mais bonne nouvelle l’interim se redresse » [5 août 2010, 19h10]

Voilà, quelques petites données de base sur la France de 2010 que la gauche ferait bien de reprendre à son compte. Ou à tout le moins d’essayer.

L’égalité de tous les citoyens devant la loi (un principe clef de la démocratie et de l’État de droit, que même le New York Times rappelle aujourd’hui à l’occupant de l’Élysée) et la responsabilité individuelle au lieu de la condamnation en vrac de catégories sociales ou ethniques en guise de boucs émissaires: voilà sur quoi les opposants à la politique racialiste et xénophobe du gouvernement devraient s’appuyer, s’ils veulent vraiment sortir de cette tendance fachistipète…

En attendant, on peut se préparer pour le rassemblement du 4 septembre 2010 contre la politique du pilori, au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Cela se passe à 14h à Paris et dans d’autres villes de France, place de la République – cette République qui est la nôtre depuis un certain 4 septembre 1870, avec pour seule interruption celle du régime de Vichy. Tout un symbole.