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Mes outils d’écriture : (18) faire passer dans la fiction les détails incroyables mais vrais du monde réel

Il y a parfois, dans l’écriture d’un roman ou d’une autre forme de fiction, un moment où le sujet choisi, ou l’époque où se situe l’histoire, vous oblige à réfléchir à la façon d’introduire des faits qui peuvent sembler incroyables à des gens qui ne seraient pas familiers avec le domaine en question. Bref, comment éviter que l’incrédulité sorte brutalement vos lecteurs et lectrices du texte.

Je vais prendre un exemple dans le roman que j’écris en ce moment, un épisode de la série commencée avec Du sang sur les dunes : cela se passe en Angleterre en 1802, lors d’un bref intermède de paix dans les guerres napoléoniennes, et j’ai découvert au détour de ma documentation que lors des élections de cette année-là, les meetings du parti Whig, les Libéraux, avaient parfois été émaillés de discours révolutionnaires au sens de la Révolution française, avec revendication de « souveraineté du peuple », et que dans certaines villes des Midlands, on avait même chanté la Marseillaise et le Ça ira !

Cela a l’air absurde, en large partie parce que l’Angleterre a gagné la guerre en Europe, et les Conservateurs en Angleterre. On retient la détermination anglaise à combattre la Révolution et Napoléon, on oublie les débats internes qui avaient agité la monarchie anglaise à l’époque. On oublie la repression des mouvements populaires et intellectuels qui auraient pu remettre en cause le statu quo : suffrage censitaire, exclusion des non-anglicans de la vie publique, concentration de la richesse dans les mains de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « 1% »… Et c’est sans même parler du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, des aspirations des femmes à ne pas être traitées en mineures à vie, ou des tentatives d’indépendance irlandaise.

Mais dans un roman, donner de longues explications sociologiques et politiques n’est pas une option, ou du moins pas dans un roman contemporain. On n’est plus au temps où Hugo et Balzac pouvaient se muer en conférencier pendant quelques pages (ou chapitres…), et vous brosser un tableau détaillé des égouts de Paris ou du fonctionnement d’une imprimerie.

Mais ce qu’on peut faire, c’est mettre en scène les éléments incroyables, pour faire découvrir les choses au public en même temps qu’aux personnages. Voir, c’est croire, et donc donner à voir permet de rendre plus crédible.

On peut raffiner encore : mettre dans la bouche d’un personnage qui est censé s’y connaître les affirmations les plus extraordinaires, en reconnaissant qu’il y a quelque chose de surprenant dans l’affaire. Par exemple dans mon cas, il y a une discussion entre un visiteur français stupéfait et un agent électoral Whig qui prend ça avec la nonchalance qui vient de l’habitude. (Les habitués de TVTropes auront reconnu la technique de l’abat-jour.)

Je me répète, mais c’est vrai : le monde de fantasy ou de science-fiction le plus étrange, c’est le monde réel.

Y avait-il des chirurgiennes au temps de Napoléon, ou comment le passé peut encore nous étonner

Je suis en train d’écrire un roman policier historique situé en Angleterre en 1802, soit au moment d’un bref épisode de paix avec la France, avant la reprise des guerres napoléoniennes. La période est, paradoxalement, peu connue chez nous : il y a beaucoup plus de matériau sur la vie quotidienne de la période victorienne qui suit. Heureusement, les Anglais et les Américains s’y intéressent un peu plus, notamment parce que c’est l’époque de Jane Austen, dont le succès n’est plus à démontrer.

Parmi les livres qui m’ont servi à entrer dans le monde des crimes, des faits-divers et de la justice au tout début du XIXe siècle, il faut citer The Maul and the Pear-Tree: The Ratcliffe Highway Murders, 1811, par T. A. Critchley et P. D. James, paru en 1971. Oui, c’est l’écrivaine de polars bien connue, qui s’essaie ici au genre true crime, en compagnie d’un historien de la police travaillant sur les sources primaires d’époque : procès-verbaux, correspondances, articles de journaux… (Il a été traduit chez nous en 1994 sous le titre Les Meurtres de la Tamise.)

C’est le récit et une tentative d’élucidation d’une affaire de meurtres brutaux dans l’East End miséreux mais en pleine transformation de Londres, à une époque où la Tamise était la grande artère de circulation pour les gens et les marchandises. En marge de l’enquête des magistrats (qui ne se sont pas couverts de gloire ici, il faut l’avouer), on découvre tout un univers humain, grouillant, contrasté : les marins qui débarquent ou disparaissent d’un jour à l’autre, qui perdent leur solde en quelques jours dans les tavernes, au jeu ou avec les filles de joie ; les boutiquiers et taverniers qui fournissent cette clientèle volatile et peu commode ; les traditionnels mais peu fiables veilleurs de nuit, qui seront bientôt discrédités et remplacés par une vraie police, en 1829…

Et puis il y a des détails curieux, mentionnés au passage, mais qui soulèvent plus de questions qu’ils n’en résolvent.

Ainsi, les auteurs reproduisent d’après un procès-verbal la déposition d’un homme qui serait bientôt le principal suspect (très probablement à tort, mais passons.) Il s’agit d’un marin désargenté, qui boîte d’une jambe et cherche un chirurgien pour y faire quelque chose. Comme il l’explique au magistrat qui l’interroge, il est allé ce jour-là chez un chirurgien, mais les tarifs étaient trop élevés pour lui. Alors il est reparti en quête d’une « femme chirurgien » (« female chirurgeon », dans le texte) en espérant que ce serait moins cher.

Ni le compte-rendu d’époque, ni les auteurs du livre ne commentent sur cette mention de femmes pratiquant la chirurgie, ni sur le fait qu’un homme du début du XIXe siècle ne voit rien de bizarre à demander les services de l’une d’elles. Était-ce une réalité quotidienne banale ? Ces « female chirurgeons » étaient-elles des rebouteuses traditionnelles ? Des sages-femmes qui étendaient leur répertoire à d’autres interventions, y compris pour les hommes ? Ou bien des épouses et assistantes de chirurgiens en titre, qui en venaient à voir elles-mêmes des clients ? Une chose est sûre : il n’y avait pas d’études médicales pour elles. (Seules les sages-femmes ont commencé à avoir des écoles professionnelles, du moins en France, vers la fin du XVIIIe siècle.) Mais il y avait manifestement une clientèle pour qui le prix demandé par un chirurgien ordinaire était trop élevé, et qui ne voyait pas d’inconvénients à se confier à une femme à la place. N’ayant pas de diplômes, ni de société professionnelle pour l’appuyer, la « chirurgienne » ne pouvait demander autant que les hommes de l’art.

Un peu mystérieux ! Mais cela apporte de l’eau à mon moulin, ou plutôt à mon roman. Est-ce qu’il y aura une « femme chirurgien » dans l’histoire ? Je ne vais pas rater ça ! Reste à imaginer le contexte précis, la trajectoire humaine qui a conduit à cette situation… Mais justement : c’est ça le travail de la romancière. Imaginer, mettre en scène, mettre de la chair sur les mots.

N. B. Pour ceux que cette période intéresse, je ne peux que recommander aussi What Jane Austen Ate And Charles Dickens Knew, de Daniel Pool, sur l’arrière-plan social et économique des grands romans anglais du XIXe siècle.

Au rayon lectures d’été, demandez mes romans noirs historiques

Couverture du roman Du sang sur les dunes : petits bateaux à voile anciens sur une mer grise et houleuse, près d'une jetée.

Juillet est là, et pour deux mois environ, la France met la pédale douce, même ceux qui ne partent pas en vacances cherchent un peu d’évasion. Les lectures dépaysantes sont là pour ça ! Je me permets donc de signaler mes romans noirs historiques, à commencer par Du sang sur les dunes, paru l’an dernier aux Éditions du 81. D’après la 4e de couverture :

« À l’été 1805, le capitaine Antoine Dargent enquête sur la mort mystérieuse d’un ingénieur à Calais, en marge de l’immense armée réunie par Napoléon pour attaquer l’Angleterre. Quand il réalise que les plans de l’ingénieur concernaient un nouveau type d’arme capable de briser la supériorité maritime des Britanniques, il doit rapidement reconstituer les papiers manquants avant d’être lui-même victime d’agents anglais prêts à tout pour tuer dans l’œuf une telle invention… »

Couverture du roman Augusta Helena : une femme portant une couronne et des bijoux de style byzantin, qui tient une grande croix de bois.

Et puis il y a Augusta Helena, mon incursion dans le monde étrange de l’Antiquité tardive, dont le tome 1 est paru en janvier de cette année :

« An 326. L’empereur Constantin vient d’unifier l’Empire après des décennies de guerre civile. Converti, il favorise peu à peu l’Église tout en ménageant l’aristocratie romaine, attachée aux anciens cultes païens. L’aristocrate Lucius Aurelius enquête discrètement sur la disparition récente du populaire prince Crispus, fils aîné de Constantin. Pendant ce temps, la vieille mère de l’empereur, l’impératrice Hélène, reçoit les plaintes de deux religieuses à propos de disparitions inexpliquées dans un couvent possédé par le Malin. Mais c’est la découverte des reliques de la Croix du Christ à Jérusalem qui préoccupe encore plus l’Empire. C’est ainsi qu’Hélène, Lucius et l’évêque Ossius partent ensemble, sous les ordres de Constantin, en direction de l’Orient pour élucider ces mystères. Le cortège impérial devra lutter contre des espions perses, des bandits, des faussaires, des accusations d’hérésie, et même une épidémie de peste dans un roman magnifique où le suspense est à son comble. »

(Nota Bene : la suite est à paraître en septembre. Ce découpage en deux tomes, un peu inhabituel, a été imposé par la taille du manuscrit et le coût prohibitif du papier, en lien avec tous les chocs mondiaux depuis 2020.)

Couverture de Mort d'une Merveilleuse : une femme brune en longue robe blanche flottante et châle brodé, entre des colonnes de marbre.

Enfin, si vous attendez jusqu’au mois d’août, vous pourrez découvrir mon prochain roman : Mort d’une Merveilleuse ! Comme le suggère le titre, on est cette fois sous le Directoire. Bonaparte vient de rentrer d’Italie en pleine gloire, la Révolution tente de se pérenniser en s’embourgeoisant, les royalistes complotent de plus belle, des femmes audacieuses libèrent leurs corps et leur mode de vie en imitant ce qu’on imagine être le costume antique… L’une de de ces Merveilleuses, comme on disait ironiquement, est assassinée dans l’immeuble où Antoine Dargent séjourne pour un congé à Paris bien gagné, et c’en est fini pour lui du calme et de la tranquillité : il va falloir tirer ça au clair !

Pour savoir la suite, rendez-vous le 19 août dans votre librairie, physique ou en ligne, favorite.

Le #RUMP dans l’histoire : bégaiement ou prémonition ?

Ne dites plus que François Fillon est de l’UMP, il est parti avec ses petits camarades créer le R-UMP, abréviation de Rassemblement-UMP – oui, oui, malgré toutes ces divisions – mais aussitôt rebaptisé dans un grand éclat de rire le « RUMP« … Et comme nous le rappelle aimablement @GallicaBnF, il  y a même un précédent historique :

"RUMP, en anglais croupion, surnom par lequel les Anglais désignèrent les débris du parlement de Cromwell... il ne dura qu'un an et fut dissout violemment"

Extrait de L’Encyclopédie du 19e siècle, consultation sur Gallica.bnf.fr

Plus près de nous, François Mitterand utilisa cette expression de « parlement croupion » dans son livre Le Coup d’État permanent, pour désigner celui qui obligea le général de Gaulle à se retirer à Colombey, sous la IVe République.

Bref, pas seulement une histoire de fesses… À moins que l’on n’invite Mme Stallone mère pour lire l’avenir de ce nouveau parti dans la « rumpologie » ?