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Mes outils d’écriture : (18) faire passer dans la fiction les détails incroyables mais vrais du monde réel

Il y a parfois, dans l’écriture d’un roman ou d’une autre forme de fiction, un moment où le sujet choisi, ou l’époque où se situe l’histoire, vous oblige à réfléchir à la façon d’introduire des faits qui peuvent sembler incroyables à des gens qui ne seraient pas familiers avec le domaine en question. Bref, comment éviter que l’incrédulité sorte brutalement vos lecteurs et lectrices du texte.

Je vais prendre un exemple dans le roman que j’écris en ce moment, un épisode de la série commencée avec Du sang sur les dunes : cela se passe en Angleterre en 1802, lors d’un bref intermède de paix dans les guerres napoléoniennes, et j’ai découvert au détour de ma documentation que lors des élections de cette année-là, les meetings du parti Whig, les Libéraux, avaient parfois été émaillés de discours révolutionnaires au sens de la Révolution française, avec revendication de « souveraineté du peuple », et que dans certaines villes des Midlands, on avait même chanté la Marseillaise et le Ça ira !

Cela a l’air absurde, en large partie parce que l’Angleterre a gagné la guerre en Europe, et les Conservateurs en Angleterre. On retient la détermination anglaise à combattre la Révolution et Napoléon, on oublie les débats internes qui avaient agité la monarchie anglaise à l’époque. On oublie la repression des mouvements populaires et intellectuels qui auraient pu remettre en cause le statu quo : suffrage censitaire, exclusion des non-anglicans de la vie publique, concentration de la richesse dans les mains de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « 1% »… Et c’est sans même parler du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, des aspirations des femmes à ne pas être traitées en mineures à vie, ou des tentatives d’indépendance irlandaise.

Mais dans un roman, donner de longues explications sociologiques et politiques n’est pas une option, ou du moins pas dans un roman contemporain. On n’est plus au temps où Hugo et Balzac pouvaient se muer en conférencier pendant quelques pages (ou chapitres…), et vous brosser un tableau détaillé des égouts de Paris ou du fonctionnement d’une imprimerie.

Mais ce qu’on peut faire, c’est mettre en scène les éléments incroyables, pour faire découvrir les choses au public en même temps qu’aux personnages. Voir, c’est croire, et donc donner à voir permet de rendre plus crédible.

On peut raffiner encore : mettre dans la bouche d’un personnage qui est censé s’y connaître les affirmations les plus extraordinaires, en reconnaissant qu’il y a quelque chose de surprenant dans l’affaire. Par exemple dans mon cas, il y a une discussion entre un visiteur français stupéfait et un agent électoral Whig qui prend ça avec la nonchalance qui vient de l’habitude. (Les habitués de TVTropes auront reconnu la technique de l’abat-jour.)

Je me répète, mais c’est vrai : le monde de fantasy ou de science-fiction le plus étrange, c’est le monde réel.

Polar malgré soi ? Le cas Augusta Helena

Il s’est passé quelque chose de curieux pendant que j’écrivais Augusta Helena : je n’étais pas partie pour produire un roman policier, mais c’est pourtant ce qui s’est passé. Mon intention de départ était simplement de faire un roman d’aventures historiques dans une époque riche en contrastes et en personnages hauts en couleur, et puis au final, c’est autour d’une intrigue policière que tout s’est noué ! Plusieurs intrigues, même : meurtres, disparitions, espionnage, plus toute la gamme des crimes de pensée définis par les religions : hérésie, blasphème, et ainsi de suite.

Comment est-ce possible ? Ai-je vraiment écrit un polar sans m’en rendre compte, comme M. Jourdain faisait de la prose ?

Ce qui s’est passé, je pense, c’est que je suis une lectrice de romans policiers depuis longtemps, quasiment depuis que je lis toute seule si on compte les séries pour enfants (Club des Cinq et autres) et les bandes dessinées. Et beaucoup de romans policiers différents, depuis le cosy mystery jusqu’à l’ultra noir, en passant par les polars historiques ou ethnographiques de Van Gulik ou Arthur Upfield, et même le « polar à chats », de Lilian Jackson Braun à Sophie Chabanel.

Il n’est donc pas très étonnant que mon cerveau, au moment d’assembler les pièces d’un roman, se soit mis à reproduire des motifs de meurtres, de mystère, d’enquête, d’indices et de révélations en cascade. Qui a machiné la mort de Crispus et Fausta, le fils et l’épouse de Constantin ? Pourquoi la supérieure d’un monastère a-t-elle disparu après avoir lu certains livres sulfureux ? Bref, tout pour faire un bon polar. Le point de départ du roman lui-même, la découverte de la Vraie Croix, est déjà une énigme : selon les versions, c’est l’impératrice Hélène qui la met au jour, selon d’autres, c’est l’évêque de Jérusalem, lors des travaux d’une grande basilique ordonnés par l’empereur Constantin. Quelle est la bonne version ? Est-il possible de raconter cette histoire en prenant en compte tous les indices, en réconciliant la l’Histoire et la Légende Dorée ?

Au final, je me retrouve avec un roman noir historique, ce qui m’a mise sur le chemin des Éditions du 81, qui veulent cultiver ce genre particulier. Avec Du sang sur les dunes, et maintenant Augusta Helena, je leur ai fourni de la matière. De quoi faire un petit bout de chemin ensemble. Et non, ce n’est pas fini !

Y avait-il des chirurgiennes au temps de Napoléon, ou comment le passé peut encore nous étonner

Je suis en train d’écrire un roman policier historique situé en Angleterre en 1802, soit au moment d’un bref épisode de paix avec la France, avant la reprise des guerres napoléoniennes. La période est, paradoxalement, peu connue chez nous : il y a beaucoup plus de matériau sur la vie quotidienne de la période victorienne qui suit. Heureusement, les Anglais et les Américains s’y intéressent un peu plus, notamment parce que c’est l’époque de Jane Austen, dont le succès n’est plus à démontrer.

Parmi les livres qui m’ont servi à entrer dans le monde des crimes, des faits-divers et de la justice au tout début du XIXe siècle, il faut citer The Maul and the Pear-Tree: The Ratcliffe Highway Murders, 1811, par T. A. Critchley et P. D. James, paru en 1971. Oui, c’est l’écrivaine de polars bien connue, qui s’essaie ici au genre true crime, en compagnie d’un historien de la police travaillant sur les sources primaires d’époque : procès-verbaux, correspondances, articles de journaux… (Il a été traduit chez nous en 1994 sous le titre Les Meurtres de la Tamise.)

C’est le récit et une tentative d’élucidation d’une affaire de meurtres brutaux dans l’East End miséreux mais en pleine transformation de Londres, à une époque où la Tamise était la grande artère de circulation pour les gens et les marchandises. En marge de l’enquête des magistrats (qui ne se sont pas couverts de gloire ici, il faut l’avouer), on découvre tout un univers humain, grouillant, contrasté : les marins qui débarquent ou disparaissent d’un jour à l’autre, qui perdent leur solde en quelques jours dans les tavernes, au jeu ou avec les filles de joie ; les boutiquiers et taverniers qui fournissent cette clientèle volatile et peu commode ; les traditionnels mais peu fiables veilleurs de nuit, qui seront bientôt discrédités et remplacés par une vraie police, en 1829…

Et puis il y a des détails curieux, mentionnés au passage, mais qui soulèvent plus de questions qu’ils n’en résolvent.

Ainsi, les auteurs reproduisent d’après un procès-verbal la déposition d’un homme qui serait bientôt le principal suspect (très probablement à tort, mais passons.) Il s’agit d’un marin désargenté, qui boîte d’une jambe et cherche un chirurgien pour y faire quelque chose. Comme il l’explique au magistrat qui l’interroge, il est allé ce jour-là chez un chirurgien, mais les tarifs étaient trop élevés pour lui. Alors il est reparti en quête d’une « femme chirurgien » (« female chirurgeon », dans le texte) en espérant que ce serait moins cher.

Ni le compte-rendu d’époque, ni les auteurs du livre ne commentent sur cette mention de femmes pratiquant la chirurgie, ni sur le fait qu’un homme du début du XIXe siècle ne voit rien de bizarre à demander les services de l’une d’elles. Était-ce une réalité quotidienne banale ? Ces « female chirurgeons » étaient-elles des rebouteuses traditionnelles ? Des sages-femmes qui étendaient leur répertoire à d’autres interventions, y compris pour les hommes ? Ou bien des épouses et assistantes de chirurgiens en titre, qui en venaient à voir elles-mêmes des clients ? Une chose est sûre : il n’y avait pas d’études médicales pour elles. (Seules les sages-femmes ont commencé à avoir des écoles professionnelles, du moins en France, vers la fin du XVIIIe siècle.) Mais il y avait manifestement une clientèle pour qui le prix demandé par un chirurgien ordinaire était trop élevé, et qui ne voyait pas d’inconvénients à se confier à une femme à la place. N’ayant pas de diplômes, ni de société professionnelle pour l’appuyer, la « chirurgienne » ne pouvait demander autant que les hommes de l’art.

Un peu mystérieux ! Mais cela apporte de l’eau à mon moulin, ou plutôt à mon roman. Est-ce qu’il y aura une « femme chirurgien » dans l’histoire ? Je ne vais pas rater ça ! Reste à imaginer le contexte précis, la trajectoire humaine qui a conduit à cette situation… Mais justement : c’est ça le travail de la romancière. Imaginer, mettre en scène, mettre de la chair sur les mots.

N. B. Pour ceux que cette période intéresse, je ne peux que recommander aussi What Jane Austen Ate And Charles Dickens Knew, de Daniel Pool, sur l’arrière-plan social et économique des grands romans anglais du XIXe siècle.

Comment écrire un roman avec Internet (mais sans chatbots, merci)

A black and white cat peeking out of a side hole in a white plastic tunnel, with the words: "The internet is a series of tubes. And those tubes are full of cats."

Quand j’ai commencé en 2017 à rédiger mon second roman, Augusta Helena, c’était au départ une idée suggérée par un podcast de la sphère sceptique et rationaliste, où j’ai passé pas mal de temps des années 2005 à 2015 environ. Oui, c’est en écoutant un podcast de l’époque, Reasonable Doubt, que j’ai entendu parler du voyage à Jérusalem d’Hélène, mère de l’empereur Constantin et future Sainte Hélène pour les églises d’Orient et d’Occident. Elle avait alors près de 80 ans, ce qui est beaucoup, surtout dans les années 300 de notre ère, et même si l’historiographie a surtout retenu le récit de la « découverte » de la Vraie Croix (et le coup d’envoi lancé aux pèlerinages), il m’a tout de suite paru évident qu’un tel voyage de la mère du souverain ne pouvait qu’être politique.

Et si je tentais de raconter les aventures de cette « Indiana Jane du IVe siècle » (expression entendu dans le podcast) de façon à coller à la fois à la fois à l’histoire et à la légende ? Comment concilier ce que nous savons réellement sur son itinéraire et son séjour en Orient et la légende qui s’est greffée ensuite dessus ? Un exemple : dans la correspondance de Constantin, il est clair que c’est l’évêque de Jérusalem qui a présenté la Croix à l’empereur, mais les récits chrétiens ultérieurs attribuent la découverte de la relique à Hélène. Comment concilier ces deux points de vue ?

Je me flatte d’y être plutôt bien parvenue. Vous devriez bientôt pouvoir en juger. Les premier tome est en librairie, et le second devrait paraître le mois qui vient.

Autre exemple d’inspiration venue d’internet : Tous les accidents, le roman historique que j’ai écrit ensuite (pas de publication prévue pour celui-là, hélas), est né de la lecture d’un des « Le saviez-vous ? » quotidien de Wikipédia, la mention d’une héroïne des guerres de la Révolution, Marie-Angélique Duchemin, épouse Brûlon, qui a commencé par suivre son mari soldat comme vivandière puis, à sa mort, prit un habit d’homme pour se battre elle aussi. Elle a notamment servi en Corse en 1794 sous les ordres d’un certain Napoléon Bonaparte. L’aventure n’a pas duré longtemps, car elle a été blessée et découverte à cette occasion, mais Marie-Angélique a vécu assez longtemps pour être décorée de la Légion d’Honneur par Napoléon III. Un destin extraordinaire, qui m’a suggéré de raconter moi aussi une histoire de femme en guerre, et des bouleversements en tout genre apportés par la Révolution.

Enfin, la série de romans noirs historiques dans laquelle je me suis lancée en 2020, les aventures du capitaine Dargent, doit beaucoup à un autre podcast, Ken And Robin Talk About Stuff (KARTAS). Les hôtes sont tous deux concepteurs de jeux de rôles, mais leurs émissions hebdomadaires couvrent une variété considérable de sujets, en particulier l’art d’écrire de la fiction. Et c’est là que j’ai entendu parler du concept de héros iconique, selon le terme proposé par Robin D. Laws dans son livre Beating the Story. Un héros, ou personnage, iconique, est un personnage qui peut enchaîner les aventures sans changer lui-même ou elle-même. Au contraire, c’est le personnage iconique qui change le monde, typiquement en redressant les torts. Ce sont des héros et héroïnes détectives, justiciers, défenseurs des faibles. Ils vont de la délicate Miss Marple à l’invulnerable Superman, du cérébral Hercule Poirot à l’impétueuse Wonder Woman.

Concevoir un personnage qui pourrait jouer ce rôle de détective, avec des caractéristiques qui ne changeraient pas alors que le cadre et l’intrigue des romans pourraient varier de façon considérable : voilà un défi stimulant ! Et je me suis rendu compte que j’avais le candidat idéal sous la main : l’un des personnages de Tous les accidents, roman déjà évoqué, un certain Antoine Dargent, dont j’avais esquissé la biographie sans y passer autant de temps que pour ma protagoniste. Lui avait connu des aventures diverses, et même des changements de statut social importants, mais sans bouleversement de son monde intérieur, contrairement à l’héroïne du roman. Bref, une stabilité intérieure dans un monde en mutations, ce qui était prometteur.

Je me suis mise à rédiger un premier roman, qui sera finalement publié en 2021 sous le titre Du sang sur les dunes. Depuis, j’en ai rédigé deux autres, qui devraient trouver un jour ou l’autre le chemin des librairies, si les problèmes de prix de l’énergie, du papier et d’à peu près tout se calment un peu…

Bien entendu, dès que j’ai des informations sûres, je vous en ferai part ici, sur Internet. On y revient toujours.

Le roman et les nouvelles

Couverture du roman "Du sang sur les dunes" par Irène Delse : bateaux à voile près d'une jetée, mer agitée

Le 20 août 2021 paraissait mon premier roman policier, Du sang sur les dunes, aux Éditions du 81. Mais ce n’est pas le seul texte qui se rattache à l’univers d’Antoine Dargent et à son époque. J’ai aussi commis quelques nouvelles ! On peut les lire ici même, sur ce blog. Je les ai mises en ligne après une première publication, généralement dans un cadre non commercial :

Premier Noël, dernier Noël (petit conte écrit pour un atelier d’écriture à tendances oulipoesques, d’où certaines curiosités dans le vocabulaire utilisé)

Une leçon de Terreur (beaucoup plus sombre, un texte écrit en 2020 pour un « Spécial Halloween » de Rocambole, qui n’était pas encore devenu Doors)

Un artiste en son genre (atelier d’écriture encore ; je m’étais bien amusée)

(Pour ceux et celles qui veulent en lire plus, je signale aussi la page Textes de fiction, pour les liens vers des nouvelles dans d’autres univers.)

Mes héros sont capitalistes ? Oui, et c’est aussi un peu un mystère pour moi…

Du sang sur les dunes, par Irène Delse, aux éditions du 81

C’est un fait que j’ai constaté en cours d’écriture de mon premier roman policier historique, Du sang sur les dunes : on parle beaucoup de la façon dont le héros, Antoine Dargent, s’enrichit et fait des investissements judicieux. Et ce sera encore plus net dans le roman de la même série qui devrait paraître en octobre de cette année, Mort d’une Merveilleuse.

C’est normal pour un héros du XIXe, vous me direz : c’est le siècle de la bourgeoisie et des fortunes basées sur des « coups » spéculatifs. On est là en plein Balzac, mais aussi, ne l’oublions pas, Hugo, qui dans Les Misérables a dépeint avec « M. Madeleine » (alias de Jean Valjean) un entrepreneur qui s’enrichit grâce à l’innovation avant de faire le bien autour de lui. Il a aussi consacré Les Travailleurs de la mer à un aventurier du capital, un entrepreneur qui croit en l’avenir de la machine à vapeur pour les transports maritimes et y risque tout ce qu’il a. Bref, c’est parfaitement raccord avec l’esprit de l’époque.

Mais ce n’est pas tout : dans Augusta Helena (dont le premier tome est paru en janvier 2022), l’un des personnages principaux, Lucius Aurelius, se montre aussi un entrepreneur avisé, avec toujours l’œil pour le profit à petite ou grande échelle, comme on peut s’y attendre d’un membre de la classe dirigeante romaine de l’époque, faite de grands latifundiaires qui font fructifier leur capital en prêtant à des entreprises diverses : manufactures (on a notamment une bonne documentation sur les ateliers de poteries), commerce au long cours…

Je semble donc attirée vers ce genre de personnage et de situation. Il faut dire que c’est fascinant comme aventure humaine. Mais cela me plonge dans une certaine perplexité : c’est vraiment loin, très loin de mon milieu d’origine et de mes expériences personnelles. Quasiment toute ma famille proche est dans la fonction publique, par exemple. Et c’est mon cas aussi.

En revanche, question lectures… C’est vrai que j’ai beaucoup fréquenté Donald Westlake/Richard Stark : ses histoires de gangsters sont aussi « une continuation du capitalisme par d’autres moyens », pour paraphraser Clausewitz. Il s’agit toujours de l’argent et de ceux qui cherchent à le contrôler. Mais si on veut la source principale, à mon sens, de cette inspiration, il faut regarder du côté de l’écrivaine de fantasy Chelsea Quinn Yarbro et de sa série Saint-Germain. Vers les années 2009/2010, j’ai découvert et… dévoré. Sans être exceptionnellement bien écrite ou documentée (sur certains points, il y a même des lacunes impardonnables), c’est un exemple passionnant de série qui fait évoluer un héros récurrent sur une longue période, et aussi un exemple de capitalisme au service d’une intrigue romanesque.

On me dira que prendre un héros riche est une ficelle fréquemment utilisée par les romanciers, pour des raisons bêtement pratiques : pour qu’il ou elle soit dégagé de la nécessité de gagner son pain et puisse se consacrer à son hobby de détective, dirons nous. (Pensons à Hercule Poirot et tous les détectives armateurs.) Mais ici, c’est autre chose : le capital est une source de reconnaissance sociale autant qu’un moyen d’action dans le monde, c’est un élément essentiel de l’identité du personnage en même temps qu’une source de dangers, à cause des convoitises qu’il génère.

Bref des situations offrant un riche matériau pour nourrir une intrigue ! Et c’est exactement ce qui se passe avec Augusta Helena et Du sang sur les dunes. Entrelacée dans l’intrigue principale, il y a aussi toutes ces questions de capital, d’enrichissement, d’opportunités à saisir… Et de risques à prendre. On est dans le suspense, après tout.

#Roman Augusta Helena : tout ce que j’ai inventé

Couverture du roman "Augusta Helena", par Irène Delse : détail d'un vitrail représentant Sainte Hélène de Constantinople, tenant une croix

Dans le précédent billet, je détaillais tout ce que je ne n’avais pas eu besoin d’inventer en écrivant Du sang sur les dunes, parce que la matière historique était déjà si riche. Mais parfois ce n’est pas si simple.

Avec Augusta Helena, par exemple, un roman qui se passe sous l’Empire romain à l’époque de Constantin, la distance temporelle qui nous en sépare est tellement énorme et les bouleversements historiques depuis tellement profonds que l’information disponible est bien souvent manquante.

Qu’on en juge : en m’embarquant dans ce roman, je ne connaissais ni le lieu de naissance de mon héroïne, ni son âge, ni où et comment elle est morte. J’avais quelques indications sur ses origines sociales, parce que c’est une chose qui avait défrayé la chronique à l’époque, mais je n’étais même pas sûre que son vrai nom était Hélène, et non un nom élégant pris pour s’élever dans le monde. Quant à la religion chrétienne, si importante dans sa vie et celle de son fils, les témoignages d’époque se contredisent sur l’époque et la manière de sa conversion.

Bref il a fallu inventer. Beaucoup inventer. Et pas que pour Hélène. Combien de personnages historiques bien attestés de ce temps ne nous sont connus que par une liste de faits et de dates secs, sans qu’on ait accès à leurs émotions, à leur vécu personnel ? Princes et princesses de la famille impériale, évêques, généraux, artistes, mystiques dont l’histoire a reconnu le nom : ils restent inaccessibles, simples silhouettes sur le mur de la caverne…

Par exemple, il y l’évêque de Rome, Sylvestre (celui qui sera immortalisé comme Saint-Sylvestre), qui a fait construire la toute première basilique sur le Vatican. On sait que c’était un homme de pouvoir, comme tous les dignitaires religieux de l’époque ou presque. Ses relations avec Constantin étaient-elles tendues ou cordiales, était-il manipulateur ou manipulé ? Et comment se passait la coexistence avec la majorité païenne de Rome ? Car si une partie de l’Empire avait déjà basculé du côté chrétien, surtout dans la partie grecque, Rome, l’ancienne ville latine, faisait de la résistance !

Il a fallu à chaque fois imaginer, mettre des couleurs et des émotions sur les énoncés laconiques de l’histoire. Qui était Hélène ? Pourquoi est-elle partie vers la Terre Sainte ? A-t-elle vraiment trouvé la Croix du Christ, comme une tradition postérieure l’affirme ? Et quel a pu être son rôle dans le drame qui avait secoué la famille impériale peu avant cela, la mort de l’épouse et du premier fils de Constantin ?

Une chose était sûre au départ, pour moi, du moins : impossible que cette mère dont Constantin était très proche, et à qui il faisait une entière confiance dans les domaines religieux et politiques (le fameux voyage en Orient était une tournée d’inspection pour le compte de l’Empereur), impossible qu’elle ait tout ignoré de l’affaire.

Restait à mettre de la chair sur ces os. Ce qui m’a obligée à faire des choix, que certains pourront trouver arbitraires. Mais j’ai fait attention à ne pas contredire ce que l’on savait de façon sûre. Par exemple, les recueils d’édits impériaux dictés par Constantin durant le voyage de Rome à Constantinople nous donne les dates auxquelles le cortège impérial s’est arrêté en route : à Milan, à Plaisance, en Illyrie, à Thessalonique… À partir de là, et des informations sur les lieux à l’époque concernée, on peut brosser un tableau où les personnages peuvent évoluer, de rencontrer, se quitter, se heurter… D’autres sources viennent rajouter des détails intéressants, comme l’archéologie, qui nous donne une idée de ce à quoi ressemblait la vie quotidienne sur une villa romaine, dans une ville de garnison, dans une ville grecque, syrienne, palestinienne…

Parfois, il faut essayer d’imaginer à quoi ressemblait un bâtiment disparu, non pas tel que sur un plan d’architecte, mais comme il se présentait aux passants dans la rue. Le palais du gouverneur de Césarée, nous dit-on, était couvert de marbre blanc. Il devait donc luire au clair de lune. Ce n’est pas une information que j’ai pu trouver dans les textes, mais j’en suis à peu près aussi sûre que si je l’avais observé.

Et j’ai imaginé Hélène. Non pas la personnalité historique, la sainte des églises catholique et orthodoxe, mais une Hélène, une femme complexe et pleine de contradictions, mais qui pourrait être chez elle dans la pourpre du palais impérial comme dans la poussière au pied du Saint Sépulcre.

Romans historiques : tout ce que je n’ai pas inventé

Couverture de mon roman "Du sang sur les dunes" : détail d'un tableau du 18e siècle montrant des bateaux de pêche près d'une jetée, par gros temps.

Quand je me suis lancée dans l’écriture du roman policier historique Du sang sur les dunes, j’avais en tête l’idée de faire quelque chose sur l’épisode du « camp de Boulogne », le projet chimérique d’invasion de l’Angleterre par Napoléon Bonaparte. Une histoire que l’on connaît peu aujourd’hui dans le grand public, parce qu’elle a échoué, mais qui a mobilisé pendant trois ans des énergies considérables. Mais cela en fait un cadre fascinant pour une intrigue politico-policière !

Ce n’est pas le seul cadeau que la plongée dans la documentation m’a offert. Ce début de 19e siècle était une époque bouillonnante sur le plan des sciences et des techniques, de l’art, de la politique, des mœurs. Je n’ai pas eu à inventer pour mettre en scène par exemple Sophie Blanchard, pionnière de l’aérostation, ou le mariage de la scandaleuse Thérésa Cabarrus avec le prince de Caraman-Chimay.

Je n’ai pas inventé non plus la campagne de vaccination contre la variole, pour laquelle l’Empire mobilisait les sages-femmes autant que les médecins et officiers de santé.

Je n’ai pas inventé les expériences sur le tout premier sous-marin, le Nautilus de Fulton, ni les balbutiements de la navigation à vapeur.

Je n’ai pas inventé les aventuriers européens au service des princes et sultans indiens, l’alliance sans lendemain de la France avec certains de ceux-ci contre les Anglais, ni l’expédition du général Decaen dans l’océan Indien, sans laquelle nous n’aurions peut-être pas aujourd’hui un domaine maritime aussi considérable.

Je n’ai pas inventé non plus la politique brutale de Bonaparte envers les Noirs, même libres et vivant en métropole. On sait qu’il a rétabli l’esclavage aux colonies, mais il y eut aussi l’interdiction aux Noirs et métis de vivre dans la capitale, et la mise à l’écart, dans l’armée, des officiers noirs, dont certains s’étaient pourtant couverts de gloire pendant les guerres de la Révolution, comme le général Dumas… Tout un pan d’Histoire humaine qui ne demande qu’à nourrir des histoires. Et donner à penser.

Écriture : savoir s’arrêter de corriger (rediff.)

Couverture du roman "Mort d'une Merveilleuse", par Irène Delse
Mon prochain roman. À vos marques…

(NB : Billet déjà publié en août 2020, quand j’étais en pleines révisions pour mon premier polar historique, Du sang sur les dunes. Entre temps, j’en ai écrit un deuxième, Mort d’une Merveilleuse, qui devrait paraître fin août de cette année, et je suis en pleines révisions à nouveau… Encore un autre roman, le troisième de la série. Souhaitez-moi bon courage.)

Un roman n’est jamais terminé quand on met le point final. Vient ensuite une période plus ou moins longue, et plus ou moins pénible, appelée révisions. C’est là que les pros serrent les dents, et que les novices lâchent prise.

Je n’ai pas grand-chose d’original à ajouter là-dessus. Bien sûr que les révisions sont utiles : personne ne sort une copie parfaite du premier coup. Même les partitions de Mozart, contrairement à la légende, comportaient des ratures. Et on sait que des auteurs comme Balzac et Hugo corrigeaient leur texte jusque sur les épreuves de l’imprimeur. (Alors que normalement, l’éditeur gère ça et envoie au « marbre » un texte fini.)

Je suis en ce moment en pleine séquence de révisions pour mon roman policier historique, et c’est alternativement frustrant et amusant. Amusant quand je réalise que la tournure que j’avais notée comme nécessaire à un certain endroit était en fait déjà dans le manuscrit : bah, oui, c’était mieux écrit que je le croyais !

Frustrant, hélas, quand je dois rajouter un détail important pour l’intrigue, et que je bute sur un passage qui ne laisse pas prise à un ajout discret, faisant au contraire ressortir la greffe comme le nez au milieu de la figure.

Mais tout cela n’est pas le plus important : ce sont des questions techniques, incontournables, certes, mais pas fondamentales. Non, ce qui compte lors des révisions, c’est de ne pas perdre de vue la forêt à force de compter les arbres. Bref, garder à l’esprit le but, le roman, même si on est amené à se focaliser par moment sur un paragraphe ou même un mot.

Pour prendre du recul, rien de tel que de mettre de côté le texte après la première vague de révisions, celle qui a permis de corriger l’orthographe, la grammaire, combler les oublis les plus criants et supprimer les redites les plus évidentes. Et puis s’écarter, se changer les idées en faisant tout autre chose, avant de passer à la révision du style. Car là, il faudra absolument avoir les idées claires, ou on retombera dans l’ornière de l’auteure amateure qui se perd dans les méandres de sa prose et ne sait plus si c’est bon, mauvais ou juste ni fait ni à faire. Un état que je ne souhaite pas à mon pire ennemi.

La seule solution pour ne pas en arriver là : lever le nez du texte. L’enfermer dans un tiroir si on veut ; et pourquoi pas, mettre le cerveau au travail sur autre chose. Et qui sait, ça peut donner de nouvelles idées pour écrire.

Corrections, mon amour

Photo d'un moulin à vent ancien à côté d'un étang
Moulin De 1100 Roe, Amsterdam. Crédit : Aloxe CC-BY-SA 3.0

En écriture, s’entend ! Eh oui, je suis en train de terminer la mise au point d’un nouveau manuscrit, et le stade des corrections et révisions n’est pas le plus facile. C’est fou le nombre de bêtises et de coquilles qu’on découvre quand on commence à se relire…

De quoi s’agit-il cette fois ? Un nouveau roman policier historique dans la série commencée l’an dernier avec Du sang sur les dunes, mais qui se déroule un peu plus tôt, sous la Révolution. Pendant la campagne de Hollande, très précisément. Un épisode peu connu chez nous, même si cela a conduit à ce qu’il faut bien appeler un protectorat français sur les Pays-Bas, de 1795 à 1814. Ce que les Néerlandais appellent « la période française », ou « franco-batave ».

Un moment intéressant, dans un pays qui l’est tout autant. Et que je connaissais moi-même fort mal, je m’en suis rendue compte en cours d’écriture. Ni le gouvernement ni la société des Provinces-Unies, comme on disait à l’époque, ne ressemblaient à la France d’ancien régime, par exemple, même s’il existait une noblesse locale. Les lignes de fractures ne se situaient pas au même endroit. Il suffit de lire les récits de voyageurs français du XVIIIe siècle, qui s’étonnent que les riches bourgeois hollandais ne cherchent pas à faire oublier qu’ils sont roturiers, comme c’était le cas en France ou en Angleterre. Et puis il y a le paysage religieux, riche en sectes et églises en tout genre… Mais la tolérance néerlandaise tant vantée avait aussi des limites, et logiquement, ce sont les catholiques les plus suspects.

Ce sont justement ces récits d’époque qui m’ont le plus servi dans l’écriture de ce roman. Je peux citer Le Voyageur françois, anthologie réunie par un certain abbé de la Porte dans les années 1770. Plus de trente volumes disponibles sur Gallica… La Hollande figure dans les tomes 19 et 20. Et puis il y a des détails grappillés chez les mémorialistes, du prince de Ligne au général Thiébault. Une mine de données, dont beaucoup sont en ligne, en particulier des articles universitaires sur les « révolutions » de 1787 et 1795. Et il y a bien sûr les données visuelles, de Google Earth aux collections de cartes et gravures d’époque. Il y a ainsi une carte d’Amsterdam du XVIIIe siècle où figure chaque maison Et ce n’est pas une hyperbole.

Bref, il a fallu aller au charbon. Je ne me plains pas, j’ai découvert un pan de notre histoire tout à fait passionnant. Et j’espère que le roman qui en résulte tiendra la route. Mais je pense que pour celui d’après, je reviendrai à un cadre plus familier !

En attendant, je rappelle que le 20 août paraîtra le tome 2 de ma série policière, Mort d’une Merveilleuse, aux Éditions du 81. Après l’Empire, le Directoire, et une histoire sombre, très sombre. Je n’en dis pas plus pour l’instant.