Il ne manque pas de témoignages de femmes, musulmanes d’origine ou converties, à propos du voile : pourquoi elles l’ont mis, pourquoi l’avoir enlevé le cas échéant, quelles difficultés elles ont rencontrées (ou pas), etc. Il en ressort fréquemment une impression que pour elles, à ce moment-là, c’était une nécessité, voire une évidence, de le porter.
Regardons le témoignage ci-dessus, il est assez classique : quête d’identité qui conduit à se tourner vers l’islam (d’autant que son ascendance franco-marocaine la mettait en porte-à-faux dans un milieu bourgeois et catholique) ; exigence d’authenticité qui pousse à adhérer à tous ce qui est perçu comme « musulman », voile compris ; malaise bien compréhensible à l’adolescence face au regard masculin, et le voile perçu comme une façon d’y échapper… Pour le coup, la jeune femme admet qu’au bout d’un an, elle a retiré son voile, car elle sentait qu’il ne la rendait que plus visible. Et vu son milieu d’origine, elle n’a certes subi aucune pression pour le garder.
Comme le montrent d’autres témoignages, le voile n’est pas forcément une aventure individuelle : une fois qu’une adolescente ou jeune femme s’y met, il arrive que la mère ou d’autres femmes de la famille suivent. Par conviction ? Ou pour maintenir l’harmonie familiale ? La question n’est pas posée. D’ailleurs le journaliste ne semble pas s’intéresser au pourquoi, juste au quand et comment.
En fait, il y a une catégorie de femmes qu’on n’interroge jamais sur le voile : celles qui ne l’ont jamais porté.
Suppose-t-on qu’elles ne se sont jamais posé la question ? Ou bien croit-on qu’elles ne sont pas « vraiment » musulmanes ? Les occasions de s’interroger ne manquent pourtant pas ! Surtout pour des femmes et des jeunes filles qui ont pu connaître l’évolution des attitudes des pays musulmans eux-mêmes vis-à-vis du voile. Dans les années 70-80, par exemple, très peu de femmes maghrébines portaient un voile, aussi bien en France qu’en Afrique du Nord. Seules quelques vieilles dames restaient fidèles à leur haïk, un mouchoir de dentelle porté devant je visage. Les femmes modernes portaient des coiffures à la mode, les jeunes filles sages se coiffaient en chignon. Les femmes qui n’avaient pas les moyens d’aller chez le coiffeur portaient un fichu noué derrière la tête. Rien de bien différent de leurs consœurs « françaises ».
Mais il faut dire que la différence sociale, à l’époque, entre les Français dit « de souche » et « issus de l’immigration » était nettement plus grande ! Le nom, le visage, l’accent, l’adresse, tout cela marquait un fossé entre les gens, à un point que les militants d’aujourd’hui contre la « discrimination raciale » ne mesurent peut-être pas. On n’avait plus connu de ministre noir depuis la IVe République, par exemple ! Les sportifs préférés des Français, les acteurs et chanteurs à succès, les entrepreneurs qui montrent l’exemple : tout ce monde-là, ou presque, était blanc. Très blanc. Et pas musulman non plus. C’était une époque où Michel Boujenah était exotique. On a fait du chemin, depuis, en matière d’acceptation de l’autre.
Dans ces conditions, qui avait besoin de se distinguer en mettant un hidjab ? D’autant que ce vêtement, venu des pays du Golfe Persique, n’était pas dans la tradition des pays du Maghreb ni d’Afrique de l’Ouest, principaux pays d’immigration.
Je ne referai pas ici l’histoire de la revendication du voile dit islamique par une partie des musulmans de France, en parallèle avec le développement de l’islam politique au niveau mondial.
Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la parole des femmes. Celles que l’on n’entend pas parce qu’elles ont trouvé une façon de vivre leur foi, de vivre leur vie, de construire leur identité, qui n’inclut pas de se dissimuler les cheveux ni le corps.
Croit-on qu’elles ont été épargnés par le sexisme, par exemple ? Je crois bien qu’aucune femme ou fille n’a été épargnée par les quolibets, les regards salaces, voire les gestes déplacés. Se cacher est une tentation. Le discours pro-voile, qui associe le hidjab à la pudeur et à la réserve, peut sembler séduisant, dans ces conditions… Mais aucun morceau de tissu ne protège des machos. Ni du mal-être ainsi engendré.
Issue d’une famille catholique, je n’avais pas de voile vers lequel me tourner, quand j’étais ado. Le regard des autres, j’ai dû apprendre à le gérer, parce que personne ne pourrait le faire à ma place. J’ai appris à me méfier de certains comportements, et à répondre vertement à certain « humour ». Et surtout, j’ai appris à ne pas me mettre martel en tête pour les choses qui ne dépendaient pas de moi. Je ne dis pas que j’ai fait quelque choses d’extraordinaire, non : au contraire. Il s’agit de l’apprentissage de l’âge adulte, de l’indépendance. Il ne devrait pas y avoir de sexisme se rajoutant sur tout cela, bien sûr. Mais en l’état actuel des choses, savoir qu’il y aura du sexisme et être capable de le surmonter fait partie des « habiletés sociales » importantes pour les femmes.
Et tourner un moment le regard au-delà du hidjab, au-delà des discours sur la modestie, permet de redécouvrir une chose que la société n’aurait jamais dû perdre de vue : il y a de nombreuses formes de malaises de la féminité et de l’identité, et de nombreuses manières de les surmonter. Ce n’est pas parce qu’un petit nombre cherche une identité musulmane orthodoxe que toutes celles qui cherchent à exprimer une identité non chrétienne et non européenne, y compris métisse, doivent être laissées pour compte. Ce n’est pas parce qu’une personne se trouve plus pudique avec un hidjab que toutes celles qui se sentent parfaitement correctes avec les cheveux, une permanente, voire un simple bandana doivent être considérées comme inintéressantes.
Car au fond, aujourd’hui, c’est cela, le danger : que ce soit pour faire la promotion du voile ou pour l’attaquer, il y a une tendance à le considérer comme la norme pour les musulmanes – et à considérer comme musulmans par défaut tous ceux et celles qui ne ressemblent pas trop à des descendants de Vercingétorix. C’est plus compliqué. La vie est compliquée. Et si on était sérieux au sujet du voile, on s’en apercevrait.
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