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Mes outils d’écriture : (18) faire passer dans la fiction les détails incroyables mais vrais du monde réel

Il y a parfois, dans l’écriture d’un roman ou d’une autre forme de fiction, un moment où le sujet choisi, ou l’époque où se situe l’histoire, vous oblige à réfléchir à la façon d’introduire des faits qui peuvent sembler incroyables à des gens qui ne seraient pas familiers avec le domaine en question. Bref, comment éviter que l’incrédulité sorte brutalement vos lecteurs et lectrices du texte.

Je vais prendre un exemple dans le roman que j’écris en ce moment, un épisode de la série commencée avec Du sang sur les dunes : cela se passe en Angleterre en 1802, lors d’un bref intermède de paix dans les guerres napoléoniennes, et j’ai découvert au détour de ma documentation que lors des élections de cette année-là, les meetings du parti Whig, les Libéraux, avaient parfois été émaillés de discours révolutionnaires au sens de la Révolution française, avec revendication de « souveraineté du peuple », et que dans certaines villes des Midlands, on avait même chanté la Marseillaise et le Ça ira !

Cela a l’air absurde, en large partie parce que l’Angleterre a gagné la guerre en Europe, et les Conservateurs en Angleterre. On retient la détermination anglaise à combattre la Révolution et Napoléon, on oublie les débats internes qui avaient agité la monarchie anglaise à l’époque. On oublie la repression des mouvements populaires et intellectuels qui auraient pu remettre en cause le statu quo : suffrage censitaire, exclusion des non-anglicans de la vie publique, concentration de la richesse dans les mains de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « 1% »… Et c’est sans même parler du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, des aspirations des femmes à ne pas être traitées en mineures à vie, ou des tentatives d’indépendance irlandaise.

Mais dans un roman, donner de longues explications sociologiques et politiques n’est pas une option, ou du moins pas dans un roman contemporain. On n’est plus au temps où Hugo et Balzac pouvaient se muer en conférencier pendant quelques pages (ou chapitres…), et vous brosser un tableau détaillé des égouts de Paris ou du fonctionnement d’une imprimerie.

Mais ce qu’on peut faire, c’est mettre en scène les éléments incroyables, pour faire découvrir les choses au public en même temps qu’aux personnages. Voir, c’est croire, et donc donner à voir permet de rendre plus crédible.

On peut raffiner encore : mettre dans la bouche d’un personnage qui est censé s’y connaître les affirmations les plus extraordinaires, en reconnaissant qu’il y a quelque chose de surprenant dans l’affaire. Par exemple dans mon cas, il y a une discussion entre un visiteur français stupéfait et un agent électoral Whig qui prend ça avec la nonchalance qui vient de l’habitude. (Les habitués de TVTropes auront reconnu la technique de l’abat-jour.)

Je me répète, mais c’est vrai : le monde de fantasy ou de science-fiction le plus étrange, c’est le monde réel.

Écrire l’Autre, écrire autrement : pourquoi je ne prends pas exemple sur Netflix pour diversifier mes romans

Je est une foule. (Expo Persona, Musée du Quai Branly, 2016)

[Vous avez dû voir passer cet article du Point sur Netflix et le ras-le-bol entraîné même chez les jeunes de la « génération Z », leur public de prédilection, par une approche de la diversité assez balourde, en mode « on coche les cases, on réfléchit ensuite ». J’ai pensé à faire un billet pour réagir, et puis je me suis souvenu que j’avais déjà abordé sérieusement la question en 2019, et qu’il n’y avait pas grand-chose à changer au texte. Le voici donc à nouveau.]

***

Écrire de la fiction, c’est créer avant tout des personnages. Balzac parlait de « faire concurrence à l’état-civil », et dans son cas, la quantité au moins était au rendez-vous. Il travaillait ses personnages en artisan, n’oubliant pas de peindre les défauts physiques (la fameuse loupe de M. Grandet) aussi bien que les tics et faiblesses morales. Cela créait un puissant effet de réel, qui a par la suite été critiqué voire tourné en ridicule par la génération du Nouveau Roman. (Lisez L’Ère du soupçon, de Nathalie Sarraute. Ce n’est pas une lecture confortable si on commence tout juste à écrire, mais cela ouvre des réflexions qu’il sera indispensable, un jour, d’entamer si on veut écrire autrement qu’en dilettante.)

Depuis Balzac, les séries télé ont détrôné le roman-feuilleton paru dans la presse, mais le poids économique de la fiction n’a fait que s’accroître. Notre XXIe est celui de Hollywood, mais aussi de Netflix et des jeux vidéos. Le public est plus vaste, il est aussi plus varié, en termes socio-économiques aussi bien que culturels et ethniques.

C’est là que certains créateurs deviennent nerveux.

« Mais comment faire pour écrire un personnage qui n’est pas comme moi ? » En gros, comment écrire des personnages féminins si on est un homme, et réciproquement, ou des non-Européens, ou LGBT, ou des personnages ayant un handicap…

C’est le genre d’interrogation récurrente sur les forums et les réseaux sociaux. Des auteurs installés sont sollicités pour guider les petits nouveaux et leur éviter de se vautrer sur l’écueil de la « diversité ». La plupart des réponses sont du genre : « Eh bien, il n’y a pas de solution miracle, alors faites de votre mieux. Mais attention vous faites partie des dominants, donc vous êtes sûrement bourrés de clichés sexistes, racistes, etc. »

J’exagère à peine. Les conseils que certains auteurs donnent sur leur blog ou leur podcast est vraiment du type : « N’oubliez pas que tout le monde n’est pas un mâle blanc hétérosexuel comme vous ». (J’ai entendu la formule texto, mais laissons un voile pudique sur l’identité de son auteur. Nobody’s perfect.)

Bien sûr, on aura vu le problème : l’homogénéité, ici, est dans la tête de l’auteur qui donne les conseils, puisqu’il suppose tous les autres auteurs à son image…

Cela ne veut pas dire que les femmes ou les gens d’origine non-européenne soient forcément plus au clair là-dessus, me direz-vous. Pas faux. On échange souvent un jeu de clichés pour un autre. Ou pour les mêmes, mais sous un autre angle. Combien d’auteures de romans sentimentaux qui continuent à nous resservir la rencontre du Prince Charmant ? Combien de créateurs gays ou bi qui reprennent le cliché du séducteur impénitent « à voile et à vapeur », faisant d’un personnage bi un omnisexuel ? (Coucou, Russell T. Davies…)

Bref, il n’y a pas de formule miracle. D’ailleurs chercher une formule fait déjà sans doute partie du problème.

Car après tout, pourquoi chercher des règles différentes pour créer ces personnages ? Pourquoi les traiter comme des Autres si le but est d’en faire des spécimens d’humanité, avec leur individualité, leurs défauts et leurs points forts, etc. ?

Ici, comme souvent, on a intérêt à repartir de la base : comment créer un personnage crédible. Prendre un protagoniste féminin, par exemple, ne dispense pas de lui donner des caractéristiques individuelles bien spécifiques : ce n’est pas d’une femme ou fille générique que le roman ou la série a besoin, c’est de Unetelle, l’héroïne ou anti-héroïne, qui a des talents et des points faibles bien à elle, qui a une histoire antérieure qui nous sera dévoilée ou non, mais qui influe sur son caractère et sa vision du monde… Bref, un personnage à part entière, qu’on inscrirait sans hésiter à l’état-civil.

Je réalise que j’ai, dans cette histoire de diversité, un certain avantage. Je coche plusieurs cases, avec une famille plutôt métissée, et surtout l’expérience d’avoir vécu dans un pays à majorité non-européenne. Et c’est une expérience importante que de faire partie d’une minorité visible, même une minorité privilégiée. Si je me demande ce que ressent un personnage qui n’a pas la même couleur de peau que la majorité des gens qui l’entourent, ce que cela fait de détoner et de se sentir hypervisible, je n’ai pas à chercher très loin.

Mais l’important reste de considérer tous les personnages comme dignes d’intérêt et de complexité. Et pour ça, il peut être bon de lever le nez des différences de catégories (genre, ethnicité, etc.) et de se centrer plutôt sur les caractéristiques personnelles : dons et points faibles, relations au sein de la famille, but que suit le personnage, etc.

Un exemple : dans mon deuxième roman, Augusta Helena, qui se passe à l’époque de l’empereur Constantin, j’ai décidé assez tôt de représenter la diversité du monde antique avec des personnages d’horizons divers : moines palestiniens, guerriers germains, marchands éthiopiens… Mais pour chacun de ces personnages, j’ai veillé à donner des goûts, des capacités et un destin qui n’était pas lié à leur origine. Ainsi, Eusèbe l’évêque solide et pondéré n’est pas identique à Nahum, petit moine illuminé. Et il y a deux jeunes Éthiopiens qui sont d’abord définis par leur relations (le frère et la sœur), par leur foi religieuse (convertis au christianisme) et par l’enthousiasme de leur jeunesse (qui leur fait courir des dangers et donc qui avance l’intrigue).

C’est là je pense qu’on touche un point important : il y a quelque chose d’universel dans l’expérience humaine, sur laquelle on peut s’appuyer pour décrire des personnages qui soient proches tout en étant différents. Nous avons tous fait l’expérience d’avoir été enfant, d’avoir connu la solitude et le rejet. Nous avons tous eu à compter sur un milieu social et familial qui nous enserre et nous étouffe autant qu’il peut nous soutenir. Nous avons tous eu de grands espoirs et de grandes déceptions. En fait, la plus grande différence qu’on puisse connaître est peut-être celle de l’âge : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », comme dit l’adage.

Ce qui ne veut pas dire qu’on peut impunément négliger la recherche sur les éléments de différences de nos personages. Ayant décidé dans ce roman de dépeindre une héroïne qui est aussi mère (une expérience que je n’ai pas eu et n’aurai jamais, merci), j’ai tout de suite vu que j’avais intérêt à m’inspirer de mères que j’ai connues. À commencer par la mienne. De la même façon, pour mes personnages éthiopiens cités plus haut, je me suis renseignée sur le royaume d’Axoum, qui était à l’époque l’une des puissances mondiales avec Rome et la Perse. C’est un arrière-plan non négligeable pour les relations entre ces personnages et les Romains.

Une fois ces bases assurées, on peut fignoler, vérifier notamment si on n’a pas donné dans l’un des clichés (pseudo) bienveillants qui sont aussi envahissants que les négatifs. Un exemple entre mille : le « magical negro » (littéralement, « nègre magique ») qui ne semble là que pour aider un protagoniste blanc, et souvent disparaît ou est tué une fois son rôle accompli. Je le cite parce que c’est le genre de cliché qui infiltre même des films anti-racistes comme The Green Book.

Ici, cependant, pas de raccourci non plus : connaître les genres littéraires et savoir où sont les écueils est indispensable. Une connaissance qu’on n’acquiert jamais si bien que par la fréquentation desdits genres. Et voilà une autre raison pour laquelle on conseille toujours aux auteurs, avant tout, de lire beaucoup : c’est l’apprentissage du métier. C’est aussi la cartographie du continent où vous vous proposez de fonder votre propre ville, château-fort, ou spatioport. Il faut savoir où sont les dragons.

Augusta Helena, le roman que ma mère n’aura pas lu

Augusta Helena, t. 1 Énigmes en Terre Sainte, par Irène Delse, éditions du 81, ISBN 978-2915543643

Au plaisir d’avoir un nouveau livre en librairie se mêle cette fois quelque chose de doux-amer : le regret de ne pouvoir faire partager cela à ma mère. Décédée depuis bientôt douze ans, elle n’a pu lire que le tout premier de mes romans, L’Héritier du Tigre. Mais je me demande ce qu’elle aurait pensé d’Helena

Il faut dire que cette histoire lui doit beaucoup, de façon directe ou plus subtile. Le sujet, d’abord : pourquoi me suis-je embarquée pour ce voyage en Terre Sainte d’une impératrice chrétienne, devenue sainte des Églises catholiques et orthodoxes, moi, athée confirmée ? C’est que le christianisme était consubstantiel à la personnalité de ma mère, son échelle de valeurs, sa boussole pour l’action. Le message évangélique n’était pas pour elle une figure de style, mais une règle de vie. Dans le même temps, elle se passionnait pour les études bibliques, discutant d’exégèse comme d’autres pourraient disséquer un film qui les a enthousiasmés.

J’ai donc baigné dans ma jeunesse dans une atmosphère où la religion catholique était partout mais sans être un dogme, où le questionnement était considéré comme une voie vers la Vérité, pas comme un danger pour celle-ci. Je me suis plus tard éloignée de la foi, pour des raisons complexes. Je pense que l’étape la plus importante a été de réaliser que le sentiment de « divin » que je pouvais ressentir en pensant à la divinité était exactement le même que celui causé par l’émotion esthétique devant un paysage, un tableau ou une musique sublime.

Cet éloignement, ma mère ne l’a pas combattu, mais elle ne l’a pas compris. « Comment peux-tu savoir ce qui est bien et ce qui est mal s’il n’y a pas de Dieu ? » J’ai entendu cela de sa bouche, et cela m’a fait… mal. Mais nous avons continué de façon sporadique à discuter de religion, d’exégèse, des évolutions possibles de l’Église catholique, des œuvres en faveur des malades, des pauvres et des réfugiés où elle s’investissait. Elle était elle-même à cette époque assez handicapée, mais cherchait toujours à aider les plus malheureux.

Mais fin 2016, quand j’ai commencé à faire des plans pour mon roman sur la mère de l’empereur Constantin, j’ai bien sûr repensé au parcours de ma propre mère. Et la personnalité d’Hélène dans le roman doit beaucoup à elle, je pense. De même que nos discussions érudites ont inspiré certaines plongées dans les méandres d’un dogme chrétien encore en construction, où des épisodes bien connus aujourd’hui de l’Évangile n’avaient pas encore été mis par écrit… Un monde déroutant, par moments, et qui j’espère dépaysera le lecteur. Aurait-il trouvé intérêt aux yeux de ma mère ? Je ne sais pas, mais qui sait ? Peut-être y a-t-il vraiment un autre monde où les bienheureux peuvent voir toute la création comme un grand livre, et lire à loisir.

Reptiles, satanisme et politique : deux articles sur les théories du complot

Pancarte dans une manifestation : "Du de really need another reptilian shape-shifter as president?"

L’actualité n’est pas des plus folichonnes, mais ça ne m’empêche pas d’y réfléchir. Voici deux articles qui se penchent sur un phénomène hélas très présent, le complotisme.

L’un est tout récent : « Chassez la vérité, mettez n’importe quoi à la place », sur le site Résistance aux extrémismes, et explore l’utilisation politique des théories du complot, avec l’exemple des USA mais aussi de notre pays. Ce n’est pas joli, joli.

D’autre part, « Quand la fiction inspire les théories du complot » est désormais en ligne, après être paru en juillet 2021 dans le n°337 de la revue Science & Pseudo-sciences. Je suis assez contente de celui-ci, et pas juste parce que j’avance une théorie inédite à propos de QAnon : c’est tout le phénomène de recyclage de la fiction populaire en théories du complot qui est fascinant. Lovecraft, X-Files, The Devil Rides Out… Autant d’aliments pour une vision du monde angoissante, mais aussi addictive comme une série Netflix. Et qui les alimentera en retour. Qui des deux est l’œuf, et la poule ?

(Également sur mon Substack.)

Fiction et complotisme : mon article dans Science et Pseudo-Sciences n°337 (revue de l’AFIS)

Couverture de la revue Science et Pseudo-sciences numéro 337. Gros  titre : "Complotisme, de quoi parle-t-on ?" Image : une main manipulant les fils d'une marionnette.
Si la réalité dépasse la fiction, c’est qu’elle s’en nourrit.

(Mise à jour du 13/02/2022 : l’article est désormais disponible en ligne.)

Bizarres, parfois comiques, souvent inquiétantes, on a tous entendu parlé au moins d’une des diverses théories du complot qui semblent proliférer sur Internet. Ce dossier de la revue Science & Pseudo-Sciences fait le point sur le phénomène du complotisme, avec des articles sur la nature des croyances, les styles de pensée qui les favorisent et les origines parfois cocasses de certains thèmes complotistes.

C’est sur ce dernier point que porte mon article : comment des œuvres de fiction, d’H. G. Wells aux X-Files, ont nourri la croyance à plusieurs grandes théories du complot des XXe et XXIe siècle, OVNIs, Reptiliens et QAnon inclus.

Un article court, mais où il y a de la matière. À commander sur le site de l’AFIS, l’Association française pour l’information scientifique.

(Aussi publié sur Substack.)

Qu’est-ce qu’un héros iconique, et comment en mettre dans votre fiction

« Le donjon du Temple vers 1795 ». Huile sur toile anonyme. Paris, musée Carnavalet.

Il y a quelques semaines, j’annonçais avoir terminé un roman policier situé sous la Révolution. C’est le deuxième d’une série commencée en juin 2020 et qui compte déjà un épisode situé en 1805, sous l’Empire. Le lien entre les deux, c’est mon détective, un héros récurrent, ou héros iconique pour reprendre le terme de Robin D. Laws dans son fascinant bouquin Beating the Story.

Pourquoi iconique ? Parce que la caractéristique principale de ce type de héros n’est pas tant son retour dans plusieurs histoires ou épisodes, que le fait qu’il ou elle ait des caractéristiques stables, qui ne changent pas substantiellement dans les diverses aventures où on les retrouve. Ainsi, Superman est toujours Superman, quel que soit son adversaire du moment : sa force, sa vitesse, son invulnérabilité, son costume bleu et rouge, mais aussi son sens moral et son optimisme.

Et ce n’est pas réservé aux super-héros : Miss Marple reste la même sur des dizaines de nouvelles et de romans : son œil d’aigle doublé d’une profonde compréhension de la nature humaine, sa délicatesse de vieille demoiselle bien élevée contrastant avec l’audace mentale de ses déductions.

Un héros ou une héroïne iconique a ainsi ce que R. D. Laws appelle un éthos iconique, un ensemble de caractéristiques englobant le caractère, l’apparence physique, l’histoire familiale et personnelle, qui font de ce personnage non seulement un justicier mais une certaine sorte de justicier : Superman utilise d’autres méthodes que Batman ou Wonder Woman, Miss Marple ne résout pas les énigmes de la même façon que Tuppence (héroïne de la série « Tommy & Tuppence », aussi par Agatha Christie) ou qu’Hercule Poirot.

Choisir un héros iconique n’est pas si évident dans un monde où « voyage du héros », « arc narratif » et « transformation dramatique » sont quasiment la loi du monde culturel. Les films de super-héros ont beau récolter des fortunes au box office, mais la seule chose qui semble intéresser Hollywood, c’est de les voir se développer et devenir ce qu’ils sont. D’où les multiples remakes des histoires d’origine de super-héros, d’où des histoires décevantes quand il s’agit de donner des aventures à un héros dont l’ethos iconique est bien établi.

Et pourtant, ces héros récurrents ou iconiques sont fréquent dans les différents genre populaires, aussi bien romans que BD, films ou séries télé. Presque toujours, il s’agit de redresseurs de torts, même si certains ont parfois un pied de l’autre côté de la loi, comme Rocambole ou Arsène Lupin. Leur métier d’origine importe peu puisqu’il y a dans le tas des détectives (à commencer par Sherlock Holmes) et des explorateurs (comme Indiana Jones), des médecins (Bones, Dr House, la bande dessinée Doc Justice) et des écolières (Nancy Drew, plus connue du public francophone sous le titre « Alice Détective »). Leur seul point commun est leur capacité à répéter à chaque aventure, avec de légères variations sur le thème de base, leur ethos iconique, bref à être ce que le public s’attend à retrouver en eux.

Miss Marple ne se lassera jamais d’observer ses voisins et d’additionner deux et deux. Indiana Jones est toujours prêt à payer de sa personne pour arracher des trésors archéologiques aux Nazis ou à des trafiquants divers. Hercule Poirot fera toujours confiance à ses petites cellules grises plus qu’à l’agitation des autres limiers. Le Dr Brennan, de la série Bones, procèdera toujours de façon froide et méthodique, même devant les scènes de crime les plus grotesques.

Et mon détective, alors ? Qu’a-t-il de particulier ?

Ma foi, je resterai discrète pour l’instant, vu que le tome 1 est chez l’éditeur… Mais il devrait voir le jour dans un délai raisonnable, et on verra alors à quel genre d’ethos iconique on a affaire. Je dirai juste une chose : la curiosité n’est ici pas un défaut, au contraire.

P. S. Article republié sur mon Substack.

« Des images peuvent choquer » : préparer ses lecteurs au pire

Une histoire sombre, pour un jeune public : c’est possible. (Mon roman L’Héritier du Tigre, disponible chez Rocambole)

On a tous eu de mauvaises surprise avec un roman, un jour ou l’autre, quand l’histoire se révèle plus glauque que ce que la 4ème de couverture avait laissé entendre, ou prend un détour imprévu vers la violence, le sadisme ou autres joyeusetés. C’est le genre de choses qui poussent certains militants (tant côté lectorat que chez ceux et celles qui écrivent) à demander qu’on insère systématiquement au début des livres des mises en garde détaillées sur le contenu, comme sur les sites d’autopublication en ligne comme Fanfiction.net.

Ce n’est pas absurde en soi : après tout, une bonne 4ème de couverture est là pour donner une idée juste du thème et de l’atmosphère du livre, et les autres éléments de paratexte aussi : visuels de couverture voire intérieurs, extraits et/ou résumé, etc. On voit vite la différence entre la Série Noire et la Bibliothèque Rose !

Mais savoir la tonalité globale du livre ne suffit pas à certains. Et les sujets à problème ne recouvrent pas que la violence : le suicide, les maladies mentales, l’alcool et les autres addictions, le cancer, les insultes à caractère raciste ou homophobe (même quand ça fait partie de l’intrigue), le mépris envers les obèses et ainsi de suite. On peut imaginer de multiplier ça à l’infini, surtout quand on voit que certains auteurs scrupuleux avertissent en ouverture de leur propre ouvrage qu’il contient une scène où un personnage boit un verre de vin…

On est loin là des alertes sur des descriptions de viol ou de torture, avec lesquelles les partisans du système de « content warning » ouvrent en général la conversation.

Disons-le tout de suite, je ne nie pas que de tomber de façon inopinée sur certaines scènes peut être traumatisant pour certaines personnes ; en fait, ça m’est arrivé plusieurs fois moi-même. On ne parle pas ici juste de lecture déplaisante, mais qui réactualise un souvenir traumatique grave (abus sexuels, maltraitance dans l’enfance…) et cause des effets physiques (tachycardie, tremblements et autres signes d’une crise d’angoisse…) et/ou psychologiques (dépression, envie de suicide). On subodorera que les vraies lectures traumatiques sont moins fréquentes que les lectures « simplement » désagréables, même si la confusion semble régner même dans l’esprit de certains avocats des avertissements. On se doute aussi que ce genre de réaction tend (heureusement) à s’atténuer avec le temps et à l’aide d’une bonne psychothérapie.

Mais au fait, pourquoi certains sites (notamment ceux qui publient de la fanfiction comme Fanfiction.net, Archive Of Our Own) utilisent-ils de tels avertissements ? Tout bêtement parce que ce sont des sites et non des livres : il suffit d’un clic pour se retrouver potentiellement sur une scène de meurtre, sans le filtre de l’habillage du texte qu’est la couverture, le paratexte, etc. Autre raison : il n’y a pas d’éditeur pour mettre les textes dans une collection appropriée, avec la présentation adaptée… et bien souvent pour retravailler le texte !

Eh oui, c’est l’autre raison qui rend indispensable un système d’avertissement sur des sites qui balancent en directe la prose brute d’auteurs en devenir : on y trouve littéralement tout et n’importe quoi.

Je ne dis pas ça comme une critique : c’est normal qu’il y ait des trucs bizarres, on a là un nombre considérable d’auteurs et d’auteures qui font leurs gammes, qui explorent leur inconscient aussi bien que leurs techniques littéraires. Certains vont s’amuser à prendre le point de vue d’un sadique pour torturer des innocents, d’autres cherchent à imiter un livre ou une série à suspense, crimes des méchants de l’histoire inclus ; et d’autres encore vont utiliser la fiction pour exorciser leurs propres traumatismes. Cela fait bien des raisons de mettre en garde sur des choses déplaisantes, des abus sexuels au racisme ou au suicide.

Si, cependant, on se place dans le cadre d’une édition classique, ou même d’une autoédition de qualité professionnelle, le texte n’est jamais livré brut mais accompagné d’une description, d’illustrations, éventuellement d’un extrait (surtout pour la version livre électronique), de citations d’auteurs qui écrivent dans la même veine… Bref de signes avant-coureurs.

Mieux encore : un livre ainsi édité aura subi le filtre d’une lecture éditoriale, au cours de laquelle sont normalement relevés les passages qui nuisent à la cohérence, à la compréhension et à la bonne appréciation du texte, ce qui inclut de relever les passages où il y a rupture de ton, de thème ou d’atmosphère, bref par exemple si on débouche sur une scène de torture sans que rien ne l’ait laissé deviner. Et un bon éditeur demandera si nécessaire de retravailler ces passages, pour qu’il y ait des éléments annonciateurs dans le récit même, ce qu’on appelle joliment en anglais foreshadowing.

Faites l’expérience vous-même avec des livres de genres et d’auteurs différents. Tel roman policier arbore une couverture dans les teintes sombres avec une giclée de rouge, la 4ème de couv emploie les mots « glauque », « macabre » et « cauchemar », et les premières pages sont consacrées à la description d’un cadavre mutilé… Voilà un livre où on est susceptible de tomber sur une scène de violence et de mutilation sur un personnage vivant, et on s’y attend.

Ou bien je peux prendre comme exemple mon propre premier roman, L’Héritier du Tigre. Le texte s’ouvre sur l’intrusion violente d’agresseurs dans le réduit où s’est barricadée la famille du jeune héros. C’est une situation de vie ou de mort, et il devient vite évident que les parents du gamin ne vont pas survivre, et que lui-même va en réchapper de très peu, et côtoyer au cours du récit toutes sortes de dangers, tant physiques que psychologiques. Une entrée en matière brève, avec peu de détails, mais qui indique dès le tout début que c’est le genre d’univers fictionnel où sont possibles meurtre, torture, esclavage… Bien sûr, on peut choisir de reposer le livre sur l’étagère après cet avant-goût, ou bien continuer en toute connaissance de cause.

On pourrait ainsi multiplier les cas où le foreshadowing remplace avantageusement le content warning, en augmentant le plaisir de lecture au lieu de servir simplement à mettre la personne sur ses gardes. Car préfigurer ce qui va se passer est en quelque sorte faire une promesse au lecteur, et la suite de la lecture est ce qui remplit cette promesse… une astuce, je dirais presqu’un truc, dont on aurait tort, en tant qu’auteur, de se priver.

Mes outils d’écriture (10) : Le lapin de Tchekhov, et comment le sortir de son chapeau

Tableau italien de la Renaissance dépeignant l'excavation de la Croix en présence de l'impératrice Hélène

Une autre de mes héroïnes, l’impératrice Hélène, à la chasse au lapin.

Si vous écrivez, ou songez à écrire, vous connaissez sans doute le principe dit du fusil de Tchekhov (Chekhov’s gun, pour les anglophones) :

« Supprimez tout ce qui n’est pas pertinent dans l’histoire. Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là. »

Anton Tchekhov

Bref, soyez économes de vos effets, utilisez les moindres détails pour faire avancer l’intrigue et lier entre elles les différentes parties du récit.

Cela semble tomber sous le sens. Mais si on prenait la chose par l’autre bout ? Si on partait du coup de fusil, quitte à se demander ensuite d’où venait l’arme, et ce qu’elle faisait accrochée à ce mur ? On aurait alors un principe que je pourrais appeler « le lapin de Tchekov », par comparaison avec d’autres illustres précédents :

« L’auteure ne doit jamais sortir un lapin de son chapeau, sauf si elle l’y a mis au préalable, dans l’un des chapitres, actes ou épisodes précédents. »

(N. B. Si vous préférez appeler ça « le lapin de Delse », ce n’est pas moi qui irai vous le reprocher.)

La nécessité de ce principe m’a sauté aux yeux pendant que j’écrivais mon premier roman, L’Héritier du Tigre. Je venais de terminer une scène d’action particulièrement tendue, et il me fallait une transition vers une autre où auraient lieu des palabres et la reprise du voyage sans encombre pour mon héros. Très bien, mais comment ? Il m’est venu à l’esprit que ledit héros pourrait s’en sortir en montrant un signe de reconnaissance (lettre, objet…) qui montrerait aux autres qu’il n’était pas leur ennemi. Aussitôt pensé, aussitôt écrit ; mais d’où venait ce talisman ? Il n’y avait qu’une chose à faire : revenir en arrière et mentionner son existence, et indiquer comment il s’était trouvé là à point nommé.

En d’autres termes, j’avais sorti un lapin de mon chapeau ; maintenant il fallait l’y faire entrer.

C’est un principe assez général, et je parie qu’il est plus fréquent qu’on ne pense. Parfois, l’arrivée du lapin est évidente, et les critiques de s’écrier joyeusement : « Ah, ha ! Un fusil de Tchekhov ! Nous l’avons vu, il va forcément être actionné d’ici la fin ! » Parfois, au contraire, il est à peine évoqué, et il faut revenir en arrière et éplucher le texte pour le déceler, et confirmer que non, l’ auteur n’a pas fait intervenir de deus ex machina. Car c’est le principal inconvénient d’une mauvaise gestion des lapins : donner l’impression d’un dénouement arbitraire, pas réaliste, donc forcément décevant.

Alors que si l’on sait qu’il y a un lapin dans le décor, on pourra être surpris de le voir apparaître dans un certain chapeau, mais ce sera une surprise agréable, un sentiment de « bien joué » et non d’avoir été floué. Pour reprendre mon exemple concret, les lecteurs savaient que le signe de reconnaissance existait, mais il s’était trouvé jusque là hors de portée du héros, dans la possession d’un personnage qui n’avait pas de raison de l’aider. Mais les événements intervenus entre-temps ont permis au héros de mettre la main dessus, et de s’en servir pour se tirer du mauvais pas.

La prochaine fois que vous verrez dans un roman un rebondissement sensationnel, qui semble venir de nulle part, faites une pause et feuilletez attentivement en arrière. Vous aurez peut-être le plaisir de découvrir le moment exact où le lapin se glisse dans son chapeau, et vous pourrez vous féliciter d’avoir levé un coin du voile sur le travail d’écriture du bouquin.

Beware the Eye of Mordor, er, sorry, of the NSA

This is cool: in a recent Slate-hosted blog post, two professors of English literature make the case that J.R.R. Tolkien, not Orwell, made the best literary depiction of the modern surveillance state. (Hat tip: Patrick Nielsen Hayden, of Making Light.)

« Tolkien’s most potent and intimidating image of centralized surveillance, the Eye of Sauron atop a tower, taking in the whole world, has resonated with those who are paranoid about government monitoring. But it’s Sauron’s vulnerability that has the most relevance for America today. »

And for any country in the world that cares about actual, effective safety for its citizens, not the appearance of such. Because we all know how the book ended: Sauron’s near-absolute surveillance was defeated in the end, by « a small group of dedicated subversives willing to sacrifice their lives », who

« slip in under the surveillance system of a great power, blend in with [its] population, and deliver a devastating blow […]. Far from being covert, much of this operation is conducted in plain sight, with the great power aware of its enemies’ existence, if not their intent. » (The Eye of Sauron is the modern surveillance state », by David Rosen and Aaron Santesso)

My emphasis. Because in our world as on Middle-earth, all seeing is not all knowing. In fact, the more information you amass, the harder it is to parse through it. Meta-data may contain enough information to pinpoint an individual in time and space, to reveal their politics and their sex life, but how do you know which set of data is relevant to national security in the first place? In the book, Frodo and Sam rely on their very insignificance, this state of « visible anonymity » of the needle in the haystack, to travel through Mordor, and even when they encounter a patrol of Orcs, they are seen but not discovered, because they look like just two more denizens of Sauron’s empire. As long as they don’t use the Ring, they are in effect invisible.

J.R.R. Tolkien's cover design for The Fellowship of the Ring, first part of The Lord of the Rings: the Eye of Sauron, within his Ring of Power

Tolkien’s cover design for his Fellowship of the Ring: the Eye of Sauron and the Rings of Power. (Source; Wikimedia)

By an interesting little coincidence, J.R.R. Tolkien effectively finished the redaction of The Lord of the Rings in 1949, the same year as George Orwell published his 1984. Both authors lived in an era marked by the rise of the Soviet Union and the Third Reich, and both had experience of war-time censorship within England itself. The same generation produced also such writers as Aldous Huxley (Brave New World) and Arthur Koestler. Not to mention Russian author Yevgueny Zamyatin, whose science fiction novel We closely prefigures 1984.

But when it came out in 1954, Tolkien’s book looked at first glance like escapist fantasy, a book for adolescents and dreamers. Too bad: he used his « secondary creation » (a phrase he coined, by the way) as a means to explore the same phenomenon: the accumulation of power into the hands of a tyrant, on a scale never ever achieved before in the history of humanity, thanks to technology. And his depiction of Sauron’s evil empire captures both the terror of living under a totalitarian regime, and the inherent flaws of such a regime, where paranoia at the top breeds distrust and inefficiency all down the line. It’s a very human nightmare, for all the Orcs and trolls and evil wizards and giant spiders that inhabit it!

Choses que l’auteure a apprises grâce aux jeux de rôles

Comment donner plus d’épaisseur aux personnages d’un roman, par exemple, de façon à les rendre plus crédibles, plus réalistes. Non, non, ne riez pas, il y a une logique là-dessous…

Cela remonte à pas mal d’années. Quand j’étais étudiante, j’ai pendant un moment joué assez régulièrement à des jeux de rôles, essentiellement des variantes de Donjons & Dragons. (Ultra-banal, quoi.)

Je n’étais pas super passionnée, juste joueuse du week-end. Le genre qui se fait « tuer » en ouvrant bêtement une porte ou en lisant un grimoire(1)

Mais j’en ai quand même profité pour acquérir une ou deux astuces qui se sont révélées utiles dans un domaine presque voisin: la création et l’animation le temps d’un récit de personnages de fiction.

En écrivant un roman ou une nouvelle, il y a des moments où l’on n’a pas de peine à « sentir » la logique interne d’un personnage, ses émotions profondes, ses valeurs, ses réflexes, et donc à décider comment il ou elle réagira dans une situation donnée. Et puis parfois, hélas, cela devient beaucoup moins évident. Coincée, l’auteure hésite, ne sait plus comment poursuivre, car son protagoniste principal lui échappe entre les doigts.

C’est là que je me suis rendu compte que j’appliquais en pratique le conseil donné naguère par un MD (oui, on était fort classiques, dans notre groupe):

Si tu as des doutes sur ce que peut faire ton perso et que ce n’est pas autrement spécifié, ni incompatible avec le jeu, n’hésite pas à lui donner une de tes propres caractéristiques.

(Par exemple: ton barbare sait-il nager? ton voleur sait-il lire? ta magicienne aime-t-elle les chats? Et ainsi de suite.)

Le principe a l’air simpliste, mais en pratique… ça marche. Surtout dans mon cas, puisque j’ai tendance à écrire des histoires qui sont chaque fois racontées du point de vue d’un ou d’une protagoniste en particulier, donc qui nécessitent pour l’auteure et les lecteurs de rester un long moment dans la tête du personnage, guidés par sa façon de sentir, de penser et de réagir face au monde extérieur.

On conseille souvent aux auteurs débutants d’écrire sur « ce qu’ils connaissent ». Pour la science-fiction ou le fantastique, cela n’a pas l’air évident… Et pourtant, c’est utile – même si d’une façon légèrement modifiée! 😉

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(1) Ou en se disputant avec les persos des autres joueurs… Authentique.