
M’inscrire dans la liste déjà longue des écrivains qui pontifient sur la réforme des retraites ? Pourquoi pas ! Au moins je ne me donnerai pas le ridicule de prétendre parler pour le peuple, comme certain Goncourt qui croit faire du Zola, mais décrit au fond les gens de condition modeste comme des pièces de viande.
Il y a pourtant tout un aspect du compromis social français implicite qui pourrait être remis en question par la nécessité (rendue incontournable par la démographie) d’allonger la durée des cotisations : l’acceptation d’un rythme de travail difficile à soutenir sur le long terme parce qu’on sait qu’on peut partir tôt à la retraite.
Regardons un peu. Il y a un sujet qu’on n’aura pas beaucoup abordé dans toute cette agitation médiatico-politique : ceux qui ont commencé à travailler tard. Eh oui ! L’allongement du temps de cotisation est en ligne de mire, et la question de l’injustice pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, les « carrières longues ». Mais pour eux, le remède est facile, et il a d’ailleurs été adopté : leur permettre de partir une fois qu’ils ont le nombre requis d’annuités.
Mais les gens qui, comme moi, ont commencé à travailler à 25 ans ou plus tard ? Je regarde autour de moi, et j’en vois beaucoup. Études longues (qui n’ont souvent pas abouti), mais aussi périodes de recherche de soi où on voyage ou fait quelques petits boulots, entre deux séjours chez les parents…
Forcément, pendant ce temps, on n’a pas cotisé pour sa retraite. Mais c’est un sujet qui dépasse de beaucoup ce projet de loi : c’est un sujet de société. Quel équilibre tout le long de la vie ? Y a-t-il moyen de faire compter les années de formation pour la retraite ? Pourquoi tant de gens font des études longues sans décrocher un métier (et une rémunération) en rapport ? Et pourquoi cette focalisation sur le temps de travail sans évoquer le rythme de travail ou l’équilibre vie privée/travail ?
Les études longues, malheureusement, ont trop souvent servi de volant de régulation pour éviter de gonfler les chiffres du chômage des jeunes. Et sans mieux les former, hélas. Grâce à la réforme de l’apprentissage depuis 2014, accélérée à partir de 2017, c’est en train de changer : les formations en alternance permettent à toute une génération de se former à des métiers qui recrutent, tout en touchant une rémunération… et en cotisant pour leur retraite !
Pour mon compte, si c’était à refaire, c’est sans doute de ce côté que je me dirigerais. Vers l’âge de 16 ans, j’étais déjà intéressée par les métiers du livre, mais il n’y avait à l’époque pas de formation du tout pour cela. J’aimais aussi les sciences de la vie et de l’environnement, mais il n’y avait que des formations universitaires ou assimilées, et peu de débouchés. Et comme en plus j’avais des problèmes de santé récurrents, qui m’ont amené à interrompre des formations commencées sans les terminer… C’est ainsi que je me suis retrouvée à passer à 28 ans un concours de base de la fonction publique pour avoir un gagne-pain. Et je ne le regrette pas, car cela m’a permis d’être enfin indépendante, tout en me laissant libre d’écrire sur mes loisirs. Mais c’était, j’en suis bien consciente, un pis-aller.
Aujourd’hui, il y a la possibilité d’entrer dans la fonction publique par apprentissage, mais aussi de se former en alternance dans l’édition, et dans les métiers de l’environnement, un secteur qui est d’ailleurs bien plus important qu’il y a trente ans. Je n’aurais que l’embarras du choix !
Ça fait du bien de voir qu’il y a des choses qui vont mieux, non ? Mais vous me direz : très bien pour les jeunes qui sont en ce moment en formation, mais pour les générations précédentes, cela nous fait une belle jambe.
C’est vrai, et cela mérite un débat, un vrai. Car plus on commence à travailler tard, plus l’âge de départ de départ à la retraite est repoussé, et plus on anticipe avec angoisse qu’on n’arrivera pas à maintenir jusque-là le rythme et l’intensité de travail qu’on avait accepté à trente ans. Cette intensité de travail qui permet aux salariés français d’avoir une des meilleures productivités horaires d’Europe… Mais qui n’est possible que quand on est jeune et en bonne santé.
En étant optimistes, on peut espérer que le fait même de devoir rallonger la durée de travail sur une carrière va obliger les gens à trouver un rythme moins soutenu, moins épuisant. Qui veut voyager loin, etc. Et il y a bel et bien des dispositions dans ce sens dans le fameux projet de loi, notamment le dispositif « retraite progressive », qui permet déjà aux salariés du privé, à partir de 60 ans, de réduire leur activité tout en touchant une partie de leur retraite. Il est maintenu dans le privé et étendu aux salariés du public. On ne s’en plaindra pas !
Et il y a d’autres pistes : passer à partir d’un certain âge à d’autres activités moins prenantes. Par exemple, le projet de loi actuel permettra aux policiers, douaniers et autres agents publics qui ont un métier « physique » de passer à des postes moins exposés.
Mais j’aimerais bien voir plus de responsables politiques, syndicaux ou associatifs s’emparer de ce problème, au lieu de rester dans une opposition binaire vis-à-vis du gouvernement. L’organisation du travail et du temps libre tout au long de la vie, c’est un sujet qui dépasse, qui devrait dépasser les clivages. Encore faut-il qu’on en ait conscience.