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Inviter des femmes à votre salon du livre ? Très bien, mais pas seulement pour parler de féminisme, svp

Un chat siamois qui regarde vers nous, et les mots "So that's feminism? Why would I want that, I'm queen of all I survey!"

Découvrir un nouveau salon ou une fête du livre locale, c’est toujours un bon moment. Sauf que parfois, il s’y mêle un peu d’agacement.

Je ne préciserai pas de quel salon il s’agit, ici, le but n’est pas de montrer du doigt. Mais on avouera que c’est agaçant : le programme annonce fièrement que le féminisme est l’un des thèmes de l’édition 2023 du salon, une table ronde avec trois écrivaines est au programme… Et quasiment toutes les autres tables rondes sont à 100% d’hommes, ou au mieux 3 hommes et une femme. Au final, on arrive à 4 femmes pour seize hommes.

Le pire, c’est que je parie que l’organisateur est sincère dans son intention de mettre à l’honneur le féminisme, qu’il (et il se trouve que c’est un homme) pense être « actuel » et tout ça…

Mais visiblement, l’idée n’a pas encore fait son chemin que des auteures peuvent avoir quelque chose à contribuer sur des sujets qui ne touchent pas à la féminité, au féminisme, au genre et aux questions philosophiques et politiques associées. Pourtant, c’est essentiel si on veut vraiment s’engager sur une voie féministe, et pas seulement jouer à le faire. Le féminisme n’est pas un but en soi, à part pour une poignée d’activistes qui en font une carrière. Mais c’est d’ouvrir des avenues aux femmes, leur permettre de vivre des vies aussi riches en possibilités que les hommes, et ne pas être cantonnées dans un domaine réservé.

Ce domaine était il y a encore quelques décennies le monde domestique, ou au mieux la mode, les romans sentimentaux et autres activités « typiquement féminines ». Aujourd’hui, on a tendance, avec autant de bonne conscience, à fabriquer un ghetto étiqueté féministe, et à fermer la porte. Dommage.

Car ce ne sont pas seulement les auteures non invitées à parler sur les autres sujets qui sont les perdantes, c’est tout le monde, en particulier le public du salon, qui pourrait être intéressé par ce qu’elles ont à dire, mais n’ont pas l’occasion de les écouter. Imagine-t-on d’inviter Catherine Dufour pour ne pas parler de science-fiction, Nnedi Okorafor sans évoquer les cultures du Nigéria, ou Alice Munro en oubliant la nature canadienne ? Ce serait absurde. Chaque auteure a en soi bien plus qu’une expérience de femme. C’est le vrai paradoxe du féminisme.

La science-fiction, les femmes et le progrès

Orientation morale, c’est par où ?

Le début de la sagesse, dit-on, est de savoir faire la différence entre les choses qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous, afin de concentrer nos efforts les premières et ne pas nous rendre malade au sujet des secondes. Cela pourrait aider en particulier après une crise, quand on découvre par exemple qu’une personnalité puissante et/ou respectée a eu un comportement détestable, voire criminel. Ce qu’a fait cette personne ne dépend pas de moi. Comment j’y réagit en revanche dépend totalement de moi.

Mais la clarté morale est rarement au rendez-vous des commentaires dans ce genre d’affaires. On voit au contraire des déclarations du type : « Pour un genre qui se veut tourné vers le progrès, la SF contient beaucoup de sexisme/racisme/X » comme s’il y avait un rapport…

Il y a là-dessous une double prémisse, doublement contestable :

  1. D’une part, cela présuppose que la SF serait forcément progressiste, ce qui est très douteux, surtout quand on voit l’importance des thèmes dystopiques dans ce domaine.
  2. D’autre part, même dans un climat d’optimisme en matière progrès technique, il n’y a pas nécessairement de lien avec le progrès social et moral ; il y a même des exemples historiques très clairs du contraire.

J’ai discuté un peu plus tôt comment les vagues d’optimisme et de pessimisme technologique ont fluctué au fil du temps dans la SF, avec une tendance vers la fin du XXe siècle à un triomphe du catastrophisme plutôt que du progressiste. Mais même avant cela, l’un des plus grands best-seller en français et classique du genre, Ravage, de René Barjavel, est quand même réactionnaire au plein sens du terme : réaction de rejet au progrès technique et à la modernité qui l’accompagne.

Quant au lien si vite fait entre progrès technique et progrès social, il faut vraiment ne pas connaître l’histoire contemporaine pour le croire automatique. Par exemple, on tend à l’oublier aujourd’hui, mais avant 1945, et en particulier avant le procès de Nuremberg qui a exposé à la fois les crimes des Nazis et les bases idéologiques du régime, l’eugénisme était un concept partagé par un grand nombre d’intellectuels, de scientifiques et de politiques du monde occidental. Je discute ce point dans mon article pour Science & Pseudo-Sciences d’avril 2021. Certaines pionnières de la lutte pour le droit des femmes à contrôler leur corps, par exemple, voyaient aussi l’accès à la contraception comme une façon de réduire le nom d’«indésirables» dans la société (pauvres, illettrés, etc.), ce qui montre que le féminisme n’est pas une protection automatique contre d’autres formes de préjugés.

Dans le cas de la science-fiction, on ne peut même pas qu’il y ait eu beaucoup de féminisme dans le corpus de textes, du moins récent. L’un des auteurs les plus influents des années 2000 est même plutôt du genre à faire vibrer la corde viriliste, et même virile hétéronormée. On comprend après cela que la phrase citée plus haut, sur la SF et le progrès, me frappe comme incroyablement à côté de la plaque.

Aussi publié sur mon Substack.

Votre littérature est sexiste, épisode 4972

David et Bethsabée, aux sources des archétypes de genre (Véronèse)

« Prenez dix lignes écrites par le plus honnête des hommes et je vous y trouverai de quoi le faire pendre. » (Attribué au cardinal de Richelieu.)

Rien de plus facile que de jouer les redresseurs de torts en littérature. Quoi de plus bavard qu’un livre, après tout ? Je choisis un genre plus ou moins vaguement défini, je prends dedans cinq ou six titres à peu près récents et/ou populaires, de préférence adaptés à l’audiovisuel, je balance quelques termes de sociologie (que je me garde bien de définir) et boum, voilà une dénonciation du sexisme/racisme/etc. dans la culture populaire. Rincez, séchez, balancez sur les réseaux sociaux. Et venez décrocher votre diplôme de chevalier blanc.

On devinera du ton ironique de ce qui précède que je ne suis pas vraiment impressionnée. Diantre. Est-ce que je nierais par hasard que le sexisme peut exister en littérature ? Non, et je pense qu’un tour même rapide sur ce blog montrera assez d’où je parle.

Non, s’il y a quelque chose qui me chiffonne dans ces dénonciations, c’est que c’est toujours la même chose. On démontre moins des faits qu’on ne réitère des mèmes. Il y a des dizaines d’articles sur « Le sexisme dans la fantasy », ou « La fantasy est trop blanche », généralement basés sur des séries et films plutôt que sur des livres (et le cas de Tolkien, pour parler de que je connais bien, montre que l’adaptation peut diminuer la diversité, par rapport à l’œuvre initiale) mais pas ou peu d’intérêt porté aux auteurs qui sortent de ce schéma.

Qui sait, par exemple, que dès les débuts du genre sword and sorcery, dans les années 1930, l’auteure américaine C. L. Moore avait inversé le cliché de l’aventurier sauvant une jeune femme en détresse (cher, par exemple, aux lecteurs de Conan le Barbare), en mettant en scène avec Jirel de Joiry une héroïne intelligente, brave et très capable de sauver un homme à son tour ?

Plus près de nous, il y a Morgaine, l’héroïne de C. J. Cherryh, qui combine d’ailleurs le rôle d’aventurière à l’épée redoutable, et celui de la détentrice du savoir ancien et de guide, un autre élément classique de la fantasy. Ou encore Ista, l’héroïne du roman Paladin des âmes de Lois McMaster Bujold, est non seulement une femme, mais une femme entre deux âges, ayant déjà connu mariage, enfants et veuvage, et pour qui partir à l’aventure représente une seconde chance dans la vie. Difficile de faire plus différent du protagoniste de fantasy tel qu’on se l’imagine d’après la poignée de titres adaptés à l’écran… (Pour être parfaitement franche, j’ajouterai qu’Ista a été une de mes inspirations pour mon Augusta Helena.)

En fait, plutôt que de se demander pourquoi il y a du sexisme en fantasy (comme dans toutes les activités humaines…), il faudrait questionner la propension du public à plébisciter Conan plutôt que Jirel et d’Hollywood à adapter Game of Thrones mais pas le Cycle de Morgaine.

Il faudrait sans doute aussi se demander pourquoi Ursula Le Guin, en début sa série de Terremer, en 1966, a cru bon de créer pour son univers une société au sexisme marqué, au point d’en être dégoûtée vingt ans plus tard et d’utiliser son roman Tehanu pour argumenter contre l’auteure qu’elle avait été alors. (Cela n’a pas amélioré le roman, mais comme aperçu dans la fabrique à histoires d’un écrivain, c’est passionnant.)

Est-ce lié au fait que la fantasy se nourrit d’exemples anciens, soit au plan des civilisations (Moyen-Âge européen, mais aussi Antiquité, Chine ancienne, ancien Japon, Afrique d’avant la colonisation…) ou littéraire (Iliade et Odyssée, Chanson de Roland, cycle d’Arthur, Mille et Une Nuits…) ? Cela doit jouer, forcément. Quand on modèle sa seconde création sur un univers qui est patriarcal, au sens étymologique et anthropologique du terme, il est difficile de se dégager des rôles distincts assignés aux hommes et aux femmes dans ces sociétés.

Je vais faire ici un petit aveu. Quand j’ai imaginé ma propre société pseudo-médiévale pour L’Héritier du Tigre, je n’ai pas procédé autrement : le récit est venue d’abord, un récit évidemment inspiré par des précédents littéraires et historiques, et j’ai ensuite imaginé la société qui collait au récit. Le résultat est, là aussi, patriarcal, et je ne cherche pas d’excuses là-dessus. En revanche, je me suis posé la question du contour exact des rôles féminins et masculins dans cette société : les femmes peuvent-elles hériter pleinement, ou seulement à défaut d’héritier mâles ? Peuvent-elles régner ? (Pas évident. Au Moyen-Âge, la France a opté pour non, ses voisins pour oui.) Si la guerre est un domaine réservé des hommes, y a-t-il un domaine réservé des femmes ? Tout cela n’apparait pas forcément tout de suite dans le roman, mais enrichit l’arrière-plan.

Surtout, j’ai essayé d’avoir une société cohérente, à la fois sur le plan des structures politiques que du niveau technologique. Par exemple, quand il n’y a pas de moyen de contraception fiable et accessible à toutes, les options offertes aux femmes restent limitées par la biologie. (C’est d’ailleurs un point que j’ai exploré dans mon roman historique Tous les Accidents.)

Mais passons. Je n’ai pas pour but ici de me vanter non plus. Seulement de revenir à ceci : une bonne partie du « sexisme de la fantasy » est celui de nos sociétés et des classiques de la littérature. C’est plus visible en raison de la prédilection pour des époques passées, mais qu’on regarde un peu vers un autre genre qui se complait lui-aussi dans ces époques, le roman historique… On y trouverait amplement matière à dénonciations vertueuses et à empoignades sur les réseaux sociaux ! Pourquoi en entend-on moins parler ?

Je crains que la réponse ne soit toute simple : il y a moins de geeks pour s’y intéresser. Et ainsi le champ de vision définit-il celui du militantisme.

Contre les violences faites aux femmes, apporter sa contribution, au quotidien

Je ne me sens pas l’obligation de bloguer tous les jours, ni sur tous les sujets qui font l’actu (ou ce qu’on appelle ainsi), mais celui-là a pour moi une résonance particulière. Non pas directement – j’ai cette chance ! – mais pour avoir suivi et accompagné pendant plusieurs mois le parcours une amie confrontée à des violences dans son couple.

Chose particulièrement insidieuse, cela n’est pas venu tout de go, mais c’est une situation qui s’est installée peu à peu, d’abord par du dénigrement occasionnel, puis de plus en plus fréquent, minant la confiance en soi de cette femme ; puis cela a tourné aux insultes, aux menaces, enfin aux coups. Un cas classique « d’emprise », pour citer le terme choisi par Marie-France Hirigoyen. Cette amie a pu s’en sortir avec un minimum de dégâts, entre autres, parce qu’il y a eu des gens pour l’écouter et l’aider au moment où elle en avait besoin. Pour être là, à l’écoute, quand elle était saisie de peur ou de doute. Pour l’aider sur le plan pratique aussi : garder un enfant pendant qu’elle allait faire des démarches, etc.

Ceux et celles qui ont dans leur entourage une personne confrontée à la violence dans le couple, ou dans la famille, comprendront sans doute : pour la victime, il est souvent difficile de juste mettre des mots sur ce qui se passe. D’où l’importance pour les proches, les amis, d’être vigilant ; d’être à l’écoute, sans juger ; d’être disponible aussi.

Je me souviens qu’en fréquentant ce couple,  j’avais senti vaguement que quelque chose n’allait pas, même avant que cette amie commence à s’en ouvrir. Je n’avais pas voulu la pousser, ni m’immiscer dans sa vie (sachant combien cela peut être difficile quand le danger vient de la sphère intime)… J’avais seulement dit : « si tu as besoin de moi, pour parler ou pour un service, je suis là ». Quelques semaines après, le téléphone sonnait.

Logo orange et bleu de la "journée orange" des Nations unies

Tous les 25 du mois, une piqûre de rappel avec les Nations Unies

Alors, oui, il y a des échéances annuelles, comme la Journée internationale pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes parrainée par les Nations Unies. Il y aura aussi des journées de sensibilisation tous les 25 du mois avec la « journée orange » (Orange Day… bizarre, ils n’ont pas peur de confusion en Irlande du Nord, apparemment).

Et chez nous en France, ce 25 novembre, le président Hollande, qui visitait un centre d’hébergement en compagnie de Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, a annoncé un plan global pour les femmes victimes de violences.

Bonne surprise : à peu près tous les points sur la liste de mesures prévues entrent en résonance avec mon vécu. Prévention et éducation dès l’école, formations spécifiques pour les intervenants (force de l’ordre, justice, santé…), hébergements d’urgence et appartements réservés dans les logements sociaux, procédures plus rapides et suivies d’effets….

On verra à l’usage, bien sûr. Deux points qui pêchent particulièrement en France, le logement et les procédures judiciaires. Le premier : on connaît la pénurie ; dans le cas d’une femme qui veut se soustraire à l’emprise d’un homme violent, voire d’un milieu familial ou d’un quartier délétère, n’avoir nulle part où aller, pas de visibilité sur l’avenir, c’est un grave frein pratique et psychologique. Il y a des centres d’hébergement d’urgence, mais pour celles qui essaient de rebondir après, d’avoir une vie « normale », le manque est cruel.

Pareil pour le manque de compréhension encore trop souvent rencontré au niveau des autorités judiciaires ou de la police, sans parler de la lourdeur des procédures et du manque de protection dont souffrent celles qui ont porté plainte mais dont l’affaire n’est pas encore jugée. (On l’a vu dans ce triste procès des viols collectifs à Fontenay-sous-Bois…)

Dans le cas dont je peux témoigner, cette amie m’a raconté avoir été heureusement surprise de l’attitude des divers policiers et policières qui ont recueilli ses déclarations (dans un commissariat parisien) : écoute attentive, par des gens courtois et bien au courant des développements de la législation (le délit de violences psychologiques a été inscrit au Code pénal en 2010 par exemple). Mais elle a quand même dû changer d’avocat parce que le premier (ou plutôt la première, hé oui !) ne concevait manifestement pas la situation que représente l’emprise dans le couple et les problèmes particuliers que cela pose.

Et sans vouloir me vanter, là aussi j’ai pu aider cette amie : geeke chevronnée, je peux répondre présente à la demande « dis, toi qui t’y connais en recherches sur internet, tu ne pourrais pas m’aider… » à consulter l’annuaire du barreau de Paris ou à vérifier ce que dis la loi sur tel et tel point !

Un baiser aussi pour les garçons

Allez, avouez que le fameux « baiser de Marseille » n’a pas fait plaisir qu’aux lesbiennes… ni celui, télévisé, entre Audrey Pulvar et Enora Mala ! Comme le fait remarquer @scolastik sur le blog Féminismes, c’est toujours plus facile de faire passer le baiser de deux filles dans les médias grands publics. (Comme par hasard, l’animateur de l’émission Touche pas à mon poste, qui avait d’abord proposé de refaire les deux unes des Inrocks sur les baisers entre 2 filles ou 2 garçons, a finalement « annulé » celle avec les mecs et gardé uniquement les nanas… Vous avez dit « sexploitation » ?)

Allons, allons, pensons à nos amis les hommes ! Et pour eux, je reposte ici un classique qui fera aussi chaud au cœur des geeks de tous sexe, âge et orientation sexuelle : le baiser surprise de David Tennant à John Barrowman lors de la convention Comic Con 2009 !

Photo : David Tennant embrasse John Barrowman sur la bouche

Doctor Who et Captain Jack Harkness in « Epic kiss! »

Et pour voir ou revoir toute la scène, on peut aller sur YouTube regarder toute la scène… ou juste l’instant crucial. (Attention le son ! Comme on peut s’y attendre, la réaction des fans est lourde en décibels.)

Voilà, voilà. Un petit bisou bien gentil, en tout bien tout honneur. Et pas de discrimination sur les internets. 😉

Cette fois, on va m’entendre (dans un balado)

Juste un mot rapide pour signaler que je suis cette semaine l’invitée du balado Scepticisme scientifique (Jean-Michel Abrassart aux manettes), pour parler d’un sujet qui a bien remué la blogobulle sceptique depuis quelques semaines: la polémique dite de l’« Elevatorgate ».

Funny cat picture: "skeptical cat is fraught with skepticism"

Hem. Oui. Si vous aviez réussi à échapper aux retombées, eh bien, c’est trop tard! Désolée… 😉

Toutes les explications sont dans l’épisode… Mais pour les curieux, disons qu’il s’agit d’un débat qui touche au féminisme, à la place des femmes en général et de Rebecca Watson en particulier dans le(s) mouvement(s) athée/sceptique/humaniste, au rôle de Richard Dawkins au sein de ce mouvement… et à la façon de ne pas draguer dans un ascenseur!

Si on a suivi, on est au courant du débat qui nous avait déjà opposés, Jean-Michel et moi, par blogs interposés. Nous défendions des positions distinctes, mais pas (à mon sens, du moins) totalement incompatibles. C’est donc avec plaisir que j’ai accepté d’en discuter de vive voix et par Skype interposé.

Une dernière chose: il y a un passage où, en me présentant, j’évoque le fait que je n’ai plus d’éditeur en me disant « auteur SDF ».

Réflexion faite, j’en suis un peu embarrassée. Et désolée. Le sort des gens à la rue dans la Vraie Vie™ n’est pas rigolo, rigolo, et cela ne me donne guère le cœur à plaisanter.

  • Lien RSS du balado, à l’intention des mobilonautes.

Mais si, cher monsieur, vous êtes féministe…

Malgré quelques difficultés à passer le cap de l’identification (ô, Blogger, pourquoi tant de haine?) mon commentaire sur Scepticisme scientifique est donc passé. Mais au fait, pourquoi n’en faire profiter que le lectorat de Jean-Michel Abrassart? Cela mérite d’être dit et répété, apparemment.

Voici donc ce que j’écrivais:

Ben, pourquoi « pas un fan du féminisme »? [Alors que ce blogueur condamne les attitudes sexistes, justement.] Si, si, défendre le point de vue que les femmes naissent égales aux hommes en dignités et en droits et qu’il y a encore des progrès à faire pour mettre la chose en pratique, y compris dans les pays occidentaux, c’est exactement ce que pense la (très) grande majorité des féministes… 😉

Voilà, voilà. Je vous laisse méditer tout ça. Et n’oubliez pas de lire le billet sur lequel je rebondis. Au-delà l’appel à balayer devant sa porte quand on veut combattre les discriminations sexistes à caractère religieux, Jean-Michel y rappelle que la saine levée de boucliers de nombreux athées contre l’attitude de Sir Richard Dawkins himself illustre bien l’inanité de la critique consistant à apposer à ce mouvement l’étiquette de simples « fans » ou « membres d’une secte comme une autre »…

La boutique Apple et les filles d’Ève

Allons bon, je vais encore taper sur la firme à la pomme… Et dire que je n’utilise même pas les produits Apple! En revanche, j’ai récemment aidé une copine à passer de Windows à Mac OS X, et ça m’a donné l’occasion d’entrer dans une boutique estampillé du logo au fruit défendu.

Donc, l’autre jour, nous entreprenions de remédier au fait qu’il n’y a que deux ports USB sur le MacBook tout neuf (ben oui, pour faire du design élégant, faut faire des concessions ailleurs) en allant chercher un hub, pardon, un concentrateur tout neuf à la boutique Apple du quartier. Car il y a une boutique Apple dans le quartier de ladite copine, avenue Parmentier. Je connais des gens bien, faut pas croire.

Une fois entrées, nous avons failli sortir très vite. Je m’approche du comptoir, dis au jeune homme qu’il me faut un hub USB… Lui, sans barguigner, prend une boîte et commence à taper la facture!

Heu, oh! Mon cher, ne me dites pas qu’il n’y a qu’un seul modèle? Et d’abord, quel est le prix? Un peu de politesse avec les clientes, voire d’explications, ce ne serait pas du luxe, non? Ben, on dirait que c’en est. Nous avons fini par lui extorquer l’information que oui, il y avait plusieurs modèles, mais que non, si nous avions besoin d’un concentrateur avec alimentation externe (pour y brancher une imprimante, par exemple), c’était le seul disponible, et que cela ferait 25,00 € tout rond.

Le plus exaspérant, c’est que le brave gars n’a pas semblé réaliser qu’il nous traitait avec légèreté, voire condescendance.

Mais je n’irai pas jeter la pierre uniquement aux employés de la galaxie Apple. Des femmes dans un magasin informatique? Bah, elles ne doivent pas s’y connaître beaucoup, hein, donc pourquoi compliquer les choses en leur donnant des détails techniques? Voire même en leur confiant le soin de choisir par elles-mêmes entre plusieurs possibilités…

Ce genre de préjugés est assez répandu, et pas que chez Apple. (Même si la réputation de convivialité de la marque devrait au contraire sensibiliser ses promoteurs à l’accueil de ceux et celles qui ne s’y connaissent pas… Vous avez dit logique?) C’est pourquoi les naïfs, ou les roublards, qui prétendent que l’égalité entre hommes et femmes «fait partie de nos traditions» – par rapport à d’autres traditions «pas de chez nous», forcément – me donnent férocement envie de ricaner.

Critique médias: sachons détecter le sexisme ordinaire

Et allez donc. Au Téléphone sonne du 29/07 (avec Laurence Allard) sur les «cinq milliards de portables», un représentant de Nokia ne craint pas de parler du téléphone mobile comme:

«accessoire de mode pour les femmes, accessoire de travail pour les hommes»

Je cite textuellement.

Il n’est donc pas venu à l’esprit de ce monsieur (car c’est un monsieur) que les hommes pouvaient être sensibles aux modes et les femmes utiliser leur portable pour travailler? C’est fou.

Voilà qui va intéresser les utilisatrices de portables. Hmm…

Hélas, personne dans le studio n’a relevé. Bon, ils avaient un ordre du jour déjà chargé comme ça, on leur pardonnera donc. Mais c’est un exemple typique du genre de distorsions sexistes de la pensée, du langage et du champ de vision que l’on rencontre tous les jours et qui est très, très, très énervant.

Je sais, je sais, on m’objectera que c’est un exemple de phallocentrisme minuscule, à côté de ce qui se passe, oh, disons, au Pakistan (où un projet de loi punissant les maris qui battent leur femme a été rejeté au motif que c’était «contraire au Coran», qui donne – selon le Conseil de l’idéologie islamique local, bien sûr – l’autorité au mari sur sa femme); ou encore au Mexique, si catholique, où les femmes qui veulent mettre fin à une grossesse non voulue risquent de lourdes peines de prison…

C’est exact. Mais faut-il pour autant cesser de balayer devant notre porte? D’exercer notre esprit critique et notre sensibilité?

J’ai envie de citer une de mes écrivaines fétiches, Lois McMaster Bujold, qui faisait dire à un de ses personnages: «Le premier et le dernier champ de bataille, c’est l’esprit humain.»

Une seule chose à dire: oui.

De quoi les éditions Classiques Garnier ont-elles peur ?

Vu sur le blogue de Lucie Chenu: Censure aux éditions Classiques Garnier.

Un essai accepté par un directeur de collection, signé, corrigé, imprimé, publié, est retiré de la vente par l’éditeur deux semaines après sa parution , pour des raisons, ainsi qu’on a fini par l’avouer à l’auteure, « idéologiques ».

Affaire pas banale.

Mais cela se passe en France en 2010. L’objet du scandale? Le dernier livre d’Anne Larue (professeure de littérature comparée à Paris XIII, présidente de l’association Modernités médiévales), intitulé Fiction, féminisme et post-modernité: les voies subversives du roman contemporain à grand succès (ISBN 978-2-8124-0122-0).

Encore récemment, voici comment l’éditeur présentait l’ouvrage:

Cet essai, consacré à la littérature de l’imaginaire, s’interroge sur la valeur subversive d’un corpus dont on n’aurait a priori pas attendu la moindre velléité de subversion: la littérature contemporaine populaire de très grande diffusion, anglo-saxonne et française. Il montre comment, soumise au choc du backlash (revanche antiféministe des années 80), la fiction grand public choisit une voie souterraine de résistance et garde enfouie la mémoire d’une féminité triomphante qui devient son sujet principal et «occulte». Ce travail engage donc une réflexion sur le caractère paradoxal des best-sellers: la littérature la plus commerciale, la plus «facile», la plus ludique serait-elle celle où s’expriment le mieux les aspirations politiques et théologiques des sociétés occidentales d’aujourd’hui?

Ce livre, accepté par Bernard Branco, directeur de la collection « Perspectives comparatistes », venait tout juste de paraître aux éditions Classiques Garnier, en mai 2010… Mais il a aussitôt été retiré du catalogue, alors même qu’il était imprimé et prêt à partir pour les librairies et que Fabula et quelques autres sites l’avaient référencé.

L’auteure, Anne Larue, raconte l’avoir appris elle-même en essayant d’en commander quelques exemplaires. Apparemment, personne n’avait pris la peine de la prévenir.

Et en effet, une recherche sur le site de Classiques Garnier avec le nom de l’auteur ou le titre renvoie un résultat nul. Il est également indisponible chez les libraires.

Un article (signé Jef Tombeur) paru sur Come4news donne la parole à l’auteure, cite des extraits et montre une capture du cache Google contenant la présentation de l’ouvrage chez l’éditeur (qui a désormais disparu):

Citons cet article:

C’est en ne voyant pas arriver une commande de dix exemplaires d’auteur qu’Anne Larue a commencé à s’inquiéter et s’informer. Qu’un éditeur ne puisse fournir des ouvrages vaut rupture de contrat mais signifie aussi que les exemplaires ont été pilonnés, détruits. Ou qu’on avait opté pour un court tirage rapidement épuisé. Bref, ce n’est pas chez les soldeurs que vous vous procurerez cette étude dont toute trace semble avoir disparu chez Garnier.

Le livre est paru le 10 mai dernier mais, dès le 26 mai, Anne Larue a obtenu confirmation que les commandes n’en étaient plus servies et que le service commercial en bloquait la distribution. Selon un courriel reçu des éditions par l’auteure, c’est Claude Blum, Bernard Franco et Véronique Gély qui auraient décidé conjointement cette mesure pour le moins inouïe dans le monde éditorial. Véronique Gély aurait estimé que la collection ne peut inclure un livre dont le propos serait de nature à choquer une partie du lectorat habituel des éditions Garnier. Ce serait un essai «polémique» à la limite du sulfureux. Anne Larue estime avoir «posé la question qui fâche, le déni de mai 1968, devenu un épouvantail idéologique».

Mais de quoi l’éditeur des Classiques Garnier, ou sa maison mère, les Éditions Champion Électronique, a-t-il tant peur? De la perspective féministe de l’ouvrage? (Mais la thèse défendue, celle du « backlash » anti-féministe des années 80, a déjà de la bouteille: c’est celle que publiait l’Américaine Susan Faludi en 1991.) Ou bien est-ce l’héritage de Mai 68 qui bouge encore? À moins que le problème ne vienne de l’intérêt porté au Wicca, une religion dont les références païennes et New Age sont un peu trop éloignées du moule judéo-chrétien pour notre digne et pseudo-laïque pays?

Peut-être le problème vient-il des références idéologiques de l’auteure, qui s’appuie sur les ouvrages de Naomi Klein et Virginie Despentes et critique Luc Ferry?

(Ayant eu accès au texte sur PDF, je peux cependant affirmer que les références citées sont éclectiques et loin de se confiner aux brûlots polémiques. Cela va d’Hannah Arendt et Marshall McLuhan à Michel Onfray et Françoise Héritier, en passant par un ouvrage sur Wikipédia présenté par Pierre Assouline et par les études d’Anne Besson sur Tolkien et la fantasy. En tout, une solide documentation puisant aux sources anglo-saxonnes autant que francophones, pour parler sérieusement de sujets souvent abordés sous un angle anecdotique. Tout à fait ce qu’on attendrait d’une universitaire se penchant sur la littérature populaire…)

Ou bien (hypothèse personnelle) l’équipe de Classiques Garnier aurait-elle reçu un coup de fil intempestif tombant d’une certaine hauteur? Les petits mondes de l’université et de l’édition ne sont pas plus à l’abri de ce genre de pression que la presse ou la radio, après tout.

Le Wicca victime d’une chasse aux sorcières, voilà qui serait déprimant. Mais tellement logique.

Màj du 01/06: Il y a aussi une pétition en ligne que l’on peut signer si l’on veut soutenir Anne Larue.

Autres sites mentionnant l’affaire:

  • Neoprofs (forum d’échange et de discussion entre professeurs);
  • Le Post, deux billets signés Jef Tombeur;
  • la fiche Wikipédia d’Anne Larue, déjà à jour;
  • et sur ALKA, le témoignage de l’auteure elle-même.