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Des avantages de publier avec un éditeur

Du côté des Éditions du 81

Toute personne qui passe ne serait-ce que quelques minutes dans les recoins des réseaux sociaux où discutent des écrivains sait que les plus actifs, les plus passionnés, sont souvent les auteurs auto-édités. Ce qui est logique, quelque part : pour réussir dans l’auto-édition, il faut déjà être bon dans l’auto-promotion.

Mais peut-être que de ce fait, la vision de l’édition depuis les réseaux sociaux est un peu biaisée. Du moins je vois peu de personnes éditées à compte d’éditeur parler de leur parcours, à part évidemment quand ça marche mal. C’est humain.

Et pourtant, c’est un système qui a ses avantages. Je peux parler d’expérience, ayant eu plusieurs éditeurs depuis le début des années 2000.

Tout d’abord, l’aspect matériel : quand il y a un éditeur dans le tableau, ce n’est pas à moi d’avancer le capital pour la fabrication et la commercialisation du livre. Eh oui ! Les coûts ont certes baissé avec l’avènement de la micro-informatique et de l’internet, mais il faut au moins payer la correction du texte, la mise en page et le graphisme de couverture, et bien sûr l’impression. Même si on travaille avec un prestataire d’impression à la demande, il faut leur fournir un fichier prêt à imprimer, de qualité professionnelle. Un investissement en temps, sinon en argent.

Je connais le problème, car j’ai testé moi-même l’auto-édition vers 2007-2008, avec un modeste recueil de nouvelles, et je peux confirmer : c’est beaucoup de travail. Pourquoi je l’ai fait ? Par curiosité, parce qu’on parlait beaucoup de ce système de print on demand, et que j’avais envie de voir ça par moi-même. Le prestataire que j’avais utilisé, Lulu, est honnête, et à l’époque il y avait plus de francophones dessus, mais ça ne m’a pas donné envie d’abandonner l’idée de publier à compte d’éditeur.

Pour être honnête, on peut techniquement s’auto-publier grâce à ce genre de prestataires, mais c’est un investissement non négligeable en termes de temps ou d’argent, ou les deux. Pour faire la maquette du livre, par exemple, il faut apprendre à utiliser des logiciels capables de produire le genre de fichier qui est envoyé à l’impression. Idem pour la couverture : si on n’est pas graphiste, soit on paye un professionnel, soit on doit se contenter d’un visuel pris dans une banque d’images, ce qui n’est pas idéal, on l’imagine.

Même le travail sur le texte n’est pas une affaire d’amateurs. J’ai maintenant l’expérience des corrections avec quatre éditeurs différents : le Navire en pleine ville (disparu depuis, hélas) pour la première publication de L’Héritier du Tigre, puis Rocambole (devenu Doors et acquis par Vivlio), Gephyre (pour l’anthologie Marmite & Micro-ondes), et bien sûr les Éditions du 81, qui ont publié mes romans Du sang sur les dunes et Augusta Helena.

À chaque fois, cela avait été l’occasion de jeter un regard neuf sur le texte du roman ou de la nouvelle en cause. Même un texte qui avait été relu par plusieurs lecteurs bêta peut être amélioré par l’étape de la correction : c’est l’occasion de traquer les erreurs de grammaire restantes, mais aussi de clarifier certains points de l’intrigue, des références historiques, etc. Tous éléments que l’auteure pensait évidents, mais qui ne l’étaient pas tant que ça. Du moins, un professionnel, l’éditrice ou son correcteur, estime qu’il faut clarifier le point pour le bénéfice du public du livre.

Si j’étais dans une démarche d’auto-édition sérieuse, je pourrais certes payer un professionnel pour corriger le texte, mais je serais entièrement libre de suivre ou non ses suggestions. Tandis que si je travaille avec un éditeur ou une éditrice qui a le pouvoir de décision final sur le texte, je suis obligée de discuter et de convaincre la personne en charge des corrections que mon choix est meilleur que le sien en la matière. Ça vous oblige à être très pointue en matière de langue (ça tombe, c’est un de mes points forts), mais aussi à très bien connaître le milieu ou l’époque du roman. Exemple : vaut-il mieux dire « montre de gousset » ou « montre à gousset » ? L’expression imagée « avoir charge de famille » est-elle compréhensible pour des lecteurs actuels ? Faut-il ajouter une expression en note ou dans le texte pour clarifier ce qu’est la Guerre de la Première Coalition ? Telle allusion de l’un des personnages à un événement passé n’est-elle pas un peu obscure dans le contexte ? Et ainsi de suite.

Tout cela permet d’améliorer la lisibilité du texte, mais aussi sa cohérence interne. Et c’est un travail, une expérience, qui servira pour les textes qu’on pourra écrire à l’avenir.

Mais revenons au processus d’édition et de commercialisation d’un livre : une fois le texte peaufiné et mis en page, il faut encore l’imprimer et l’acheminer jusqu’aux acheteurs potentiels. C’est un travail dont la maison d’édition se charge, ou plutôt charge d’autres professionnels : imprimeur, diffuseur, distributeur, attachés de presse…

Si j’étais dans un cadre d’auto-édition, je devais me débrouiller. Essentiellement, cela reviendrait à passer par un prestataire comme Lulu ou (le plus souvent) Amazon. C’est ce prestataire qui assure la fabrication du livre, que ce soit sur papier ou en livre électronique, ou les deux, et qui le met en vente sur son livre. Mais sauf exception, le titre ne sera pas mis en place en librairies. C’est une infrastructure différente, un système adapté à la distribution de livres physiques commandés par des éditeurs, imprimés puis envoyés dans les points de vente sur tout le territoire. Un système qu’on peut critiquer sous différents angles, mais qui existe, et qui fonctionne. Et auquel les auteurs auto-édités n’ont pas accès.

Il peut y avoir des exceptions ponctuelles : si je connais bien un libraire et qu’il me fait confiance, il peut accepter de prendre mon roman auto-édité en dépôt. Mais ce sera une exception. Quand on passe par un prestataire d’auto-édition, le livre est imprimé uniquement quand quelqu’un l’achète, il n’y a pas d’exemplaires imprimés en masse et envoyé aux librairies de France et de Navarre

Ce qui ne veut pas dire que l’auteur ne peut pas tirer son épingle du jeu. Être disponible sur Amazon, c’est être disponible sur la deuxième librairie du pays (la Fnac reste numéro un), après tout. Si l’auteur est capable de faire de la promotion efficace en ligne et hors ligne, il est possible de vendre autant et même parfois mieux qu’avec un éditeur. Les histoires de réussites sont là pour inspirer d’autres auteurs à tenter l’aventure. Mais il faut bien réaliser ce que cela implique.

Faire de la promotion, c’est en soi en métier. Certaines personnes ont plus de facilité pour cela, ou ont une expérience antérieure qui les y aide. Mais ce n’est pas mon cas, et j’en suis bien consciente. Même le plus petit des éditeurs a plus de ressources pour cela que moi, à commencer par un carnet d’adresses bien garni. Et puis il y a la connaissance du milieu, l’expérience d’avoir vendu d’autres livres du même genre, un bagage inestimable. Par exemple, pour la publication de Du sang sur les dunes, l’éditeur et le diffuseur ont opté pour mettre en place plus d’exemplaires dans les librairies de Picardie et du Nord, en se disant non sans raisons qu’un roman de déroulant à Calais et Boulogne marcherait mieux dans cette région.

Il y a ainsi plein d’éléments à prendre en compte, à commencer par le fait que pour beaucoup de gens, passer par un éditeur reste perçu comme un gage de qualité, une validation extérieure. Alors qu’un texte auto-édité n’a que lui-même pour recommandation. C’est bien si l’auteur est déjà connu par ailleurs, mais pour la majorité des débutants, c’est une pente de plus à monter.

L’auto-édition, en somme, c’est être non seulement son propre éditeur, mais aussi correcteur, illustrateur, metteur en page, attaché de presse, diffuseur, distributeur… Il faut démarcher soi-même les librairies, les salons du livre, transporter des exemplaires pour les ventes directes, prospecter les médias en s’adaptant à leurs codes et à leurs habitudes… C’est du boulot. Et vous savez quoi ? Personnellement, c’est du temps que je préfère passer à écrire !

Quand un monde bascule : appréciation pour Augusta Helena

Augusta Helena, tome 1 : Énigmes en Terre Sainte, Éditions du 81, janvier 2022

Ce week-end, j’ai donné un exemplaire de mon roman Augusta Helena à un ami qui avait le manuscrit et fait des suggestions intéressantes. Toujours payer ses dettes à ses bêta-lecteurs, c’est une bonne habitude à prendre pour les auteurs.

La même personne m’a fait un compliment auquel je ne m’attendais pas, mais qui m’a touchée : il trouvait que cette histoire de la découverte de la Croix du Christ par Hélène était une image et un symbole frappants du basculement qui s’était produit dans le monde occidental au IVe siècle, quand le christianisme avait cessé d’être une religion de marginaux pour devenir, selon ses mots, « une affaire rentable », au point que même des non-chrétiens l’acceptent comme la nouvelle normalité. Un changement d’ère. « Les symboles sont importants », a-t-il ajouté.

C’est bien aussi ce que je pense. C’est pourquoi j’ai inclus, en plus de la scène de la découverte elle-même, une autre où mon protagoniste païen, Lucius, décide d’investir dans la fabrication d’images pieuses, du genre qu’on vend aux pèlerins.

Le genre d’images qui ferait florès dans les siècles suivants, notamment sous forme d’icônes.

Icône roumaine de Ste Hélène donnant la Croix à Constantin
La Croix surmontée du Chrisme, le symbole chrétien mais aussi œcuménique de Constantin.

Ça fait plaisir en tout cas de voir que ce roman que j’ai écrit en me lançant comme ça, pour voir, tient plutôt bien la route.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Mon manuscrit est refusé, que faire ? Comment rebondir ?

La vie d’un livre passe par plusieurs étapes. Depuis l’étincelle initiale, la simple idée dans l’esprit de l’auteure, jusqu’au volume fièrement disposé sur les tables des librairies, prêt à rencontrer son public, le chemin peut être long.

Il faut déjà écrire le texte et le terminer. C’est évident, vous direz ? Pas toujours, au vu des réactions de certains auteurs débutants. Mais il vaut la peine d’insister dessus : aucun éditeur n’acceptera de roman ou nouvelle non terminé d’un auteur inconnu. Donc si vous pensez que le texte peut encore être amélioré, continuez à y travailler ! N’envoyez le manuscrit à l’éditeur que si vous estimez que vous avez atteint votre but. Et n’hésitez pas à le faire lire à d’autres personnes pour avoir des retours. (Les « lecteurs bêta », pour parler comme les testeurs de logiciels.)

Mais supposons que vous êtes vraiment contente de ce que vous avez écrit et que vous décidez de l’envoyer à un ou plusieurs éditeurs. Formidable. Mais avez-vous bien choisi vos cibles ?

Pour limiter les risques de refus, et limiter aussi le temps et les frais engagés, il est bon en effet de sélectionner avec soin les éditeurs que vous allez démarcher. Il y a plusieurs critères : la taille et la notoriété de l’éditeur n’est pas une garantie (en fait les grands éditeurs ne vont presque jamais accepter un manuscrit arrivé par la poste) ; le fait que ce soit un vrai éditeur et non un prestataire de compte d’auteur est en revanche capital, car j’imagine que vous voulez être éditée, pas devoir payer pour ça…

Il y a aussi des éditeurs qui n’acceptent les manuscrits que sur papier, pas un fichier au format Word ou PDF, ce qui est de nos jours assez agaçant. Je vais l’avouer : quand j’ai démarché les éditeurs pour Augusta Helena, puis Du sang sur les dunes, j’ai commencé par ceux qui acceptaient les soumissions par courriel. Et j’ai trouvé preneur.

Il faut savoir aussi que certains éditeurs ont un distributeur, grâce auquel ils sont présents dans les librairies, et d’autres vendent directement en ligne, via leur site et/ou Amazon. Personnellement, j’ai visé la première catégorie : j’ai tout simplement visité plusieurs librairies et photographié les livres qui me semblaient proches du mien, pour avoir le nom des éditeurs qui publiaient déjà des romans policiers historiques. En vérifiant sur leur site internet pour avoir leurs coordonnées et plus de détails sur leur catalogue, bien sûr.

Même ainsi, votre texte a toutes les chances d’être refusé, et refusé plusieurs fois. Et c’est dur à vivre. J’ai eu la chance, dans ma vie d’auteure, de voir mon tout premier roman accepté, mais cela a pris du temps : L’Héritier du Tigre, paru en 2006, a été terminé en 2003. Et ce n’est pas la première mouture qui a été acceptée, mais une version révisée suite aux avis de deux bêta-lecteurs à qui je savais que je pouvais faire confiance. Mais il a fallu s’accrocher.

Pour le second roman, Augusta Helena, cela a pris aussi longtemps : je l’ai terminé en 2018 et il a été accepté en 2021. Mais comme j’avais un peu plus de métier, j’ai passé ce temps à écrire deux autres romans, et c’est l’un de ceux-ci, Du sang sur les dunes, qui a été accepté par les Éditions du 81, que je salue au passage ! Et à son tour, cette relation a évolué vers la publication d’autres romans : l’éditrice m’a demandé si j’avais d’autres textes terminés ou en cours, et c’est ainsi que mon Augusta a eu une seconde chance.

Mais on voit l’importance du fait que j’avais d’autres romans à mon actif à proposer quand l’un d’eux était refusé : plus vous avez de textes (et encore une fois, de textes terminés et aboutis), plus vous avez de chances d’attirer l’attention d’un éditeur.

Partir aussitôt sur un nouveau projet, c’est aussi une bonne façon d’éviter de se ronger les sangs en attendant une réponse. Combien d’auteurs restent paralysés après un premier roman, sans pouvoir avancer ? D’une certaine façon, c’est ce qui m’est arrivé : après L’Héritier du Tigre, j’ai tenté plusieurs fois d’écrire une suite, en vain. C’est seulement quand je suis passée à un projet entièrement différent (qui allait devenir Augusta Helena) que j’ai retrouvé de l’inspiration. Et cette fois, avec l’expérience acquise, je n’ai pas attendu d’avoir un retour des éditeurs avant de me lancer dans un autre roman.

Mieux encore : après avoir écrit deux romans, j’ai senti cette fois que je commençais à avoir du métier, l’écriture devenait moins un défrichage de l’inconnu que l’application d’outils que j’avais appris à maîtriser ! Quand on en arrive là, « c’est bon signe », comme dit le poète, « signe que vous pouvez signer ».

Les gens heureux n’ont pas d’histoire : du bon usage du conflit dans les romans (rediff.)

(N.B. Ce billet, paru à l’origine en 2021, est resté l’un des plus populaire de ce blog. Je remets ici un petit coup de projecteur.)

Je suis une grande fan d’Ursula Le Guin, comme on peut le voir en parcourant les archives de ce blog. Mais ça ne veut pas dire que je partage toutes ses opinions. Ainsi, il y a quelques citations d’elle qui flottent sur Internet, souvent sans contexte (entretien ? conférence ? essai ?) où elle conteste le fait que la notion de conflit soit considérée comme centrale dans les manuels d’écriture, et en général dans la conception que les auteurs anglo-saxons contemporains se font de leur métier.

Un exemple ici, que je traduis rapidement :

« Les manuels d’écriture modernistes font souvent la confusion entre histoire et conflit. Ce réductionnisme reflète une culture qui surévalue l’agression et la competition et cultive l’ignorance des autres options en matière de comportement. Aucun récit complexe ne peut être bâti sur ou réduit à un seul élément. Le conflit n’est qu’une possibilité. Il y a d’autres options, toutes aussi importantes dans une vie humaine, comme avoir une relation, trouver, perdre, porter, découvrir, se séparer, changer. Le changement est l’aspect universel de toutes les histoires. » (Ursula K. Le Guin)

D’accord pour le changement comme élément universel des récits, mais pour le reste ? Je vois plusieurs problèmes.

Première remarque : les histoires que l’on choisit de raconter ne représentent qu’une partie de l’expérience humaine. On connaît le proverbe : « Les gens heureux n’ont pas d’histoire. » Même sans parler de conflit, s’il n’y a pas de problème à résoudre, d’obstacle à surmonter, d’expérience à acquérir, où est l’enjeu ? Et où est l’intérêt du récit ? Ce qu’on appelle en termes techniques la tension narrative : l’émotion induite chez le récepteur du récit (lecteur ou lectrice) par le fait d’attendre un dénouement.

Je ne suis pas la seule à le dire. Car, et ce sera ma deuxième remarque, quand on parle de conflit dans le cadre d’une intrigue de récit, on ne parle pas forcément d’un conflit littéral, d’une guerre entre des individus ou des nations. Voir par exemple ce qu’en dit Lionel Davoust :

« la notion de conflit en narration est le concept qui m’enthousiasme le plus à étudier et à transmettre. C’est bien loin de l’opposition binaire entre un « gentil et un méchant », et même de la notion qu’il faut « un bon adversaire » dans une histoire – plutôt une « bonne adversité » » (Lionel Davoust)

L’adversité, en effet, est quelque chose d’universel, qui peut être un obstacle extérieur ou une faille intérieure. Mme Bovary est ainsi la victime de sa propre imagination, du décalage entre ses aspirations à un grand d’amour romantique et la réalité prosaïque de son ménage. Lizzie Bennett, dans Orgueil et préjugés, doit surmonter ses idées préconçues aussi bien que la hauteur aristocratique initiale de Mr Darcy. Même quand l’adversité est matérialisée par un obstacle extérieur, c’est loin d’être uniquement une question de combats ou de disputes. La nature, par exemple, fournit des obstacles sur une échelle grandiose. Depuis Robinson Crusoé jusqu’aux films catastrophes, en passant par les héros de Jack London, on fait des histoires extraordinaires avec pour « adversaire » la mer, le désert, la forêt, les volcans, la banquise, la faim, le climat, les maladies… Cela marche aussi avec les récits de voyage. Prenez les Méharées de Théodore Monod sur ses voyages au Sahara, ou l’œuvre d’Haroun Tazieff : dans son récit sur l’ascension du Nyiragongo, le vrai personnage, c’est le volcan.

Mais on préfère peut-être un récit au ras du quotidien, centré sur les joies et les peines des personnages ? L’adversité est là aussi : faire des rencontres, aimer, avoir des enfants, c’est se confronter à l’autre, devoir composer avec ses désirs, ses besoins, son sentiment de ce qui est vrai, juste, valable. Aimer, c’est prendre le risque de ne pas être aimé en retour. Parfois de devoir se séparer et de connaître le chagrin. Avoir des enfants, c’est se confronter au risque de ne pas être à la hauteur (ou du moins d’en avoir le sentiment) ; c’est aussi découvrir un jour que vos enfants vous voient comme un fossile, un étranger à peine encore vivant. On a tous des exemples en tête de conflits hélas tout à fait réels dans le couple ou entre parents et enfants.

Lionel Davoust fait très justement le lien entre tension narrative et tension dramatique, celle qui anime une scène de théâtre. Au risque de me répéter, je remets ici la référence à Beating the Story, de Robin D. Laws : le meilleur manuel pour expliquer ce qui fait la tension dramatique, et comment l’utiliser pour raconter des histoires. Non, le titre n’a rien à voir avec la violence, mais avec la notion de tempo, les beats (temps, mesure) au sens musical. Comment on organise une histoire autour de temps forts, qui sont soit des scènes d’action (résolution de problème, découverte, aussi bien que combat) et des scènes dramatiques, où deux personnages (ou plus) expriment l’un vers l’autre des demandes, qui peuvent être pratiques (« Papa, tu me prêtes les clefs de la voiture ? ») ou bien du registre des émotions (« Maman, dis-moi que tu m’aimes toujours ? »)

On pourrait multiplier les variations sur ces thèmes. Une histoire du quotidien avec un volcan en arrière-plan qui menace d’exploser ? (Coucou, les Derniers jours de Pompéi.) Une tension dramatique entre ce que le protagoniste croit savoir et ce que le lecteur sait qu’il va arriver ? (Diverses histoires de fantômes chinois, où le héros ne voit jamais venir la femme renarde ou revenante que le lecteur sait être inéluctable.) Une histoire où la tension consiste dans les différentes interprétations possibles d’un même récit ? Bienvenue chez Jorge Luis Borges.

On le voit, ce ne sont pas les possibilités qui manquent, et tout cela sans faire intervenir un conflit littéral. Et pourtant ce sont bien des conflits : entre les désirs de A et ceux de B, entre les désirs de A et la réalité, entre l’interprétation d’une même réalité par A et B… Je vous laisse explorer les autres possibilités.

L’homosexualité, un thème « très actuel » ? Très ancien aussi, mais sous des points de vue bien différents

Dans mon entretien avec le podcast Timeline, il y a un moment où l’hôte, Richard Fremder, fait à peu près cette remarque :

« Question amour, dans le roman Augusta Helena, le personnage principal, Lucius, passe son temps avec des hommes. C’est très actuel, je crois… »

J’ai répondu qu’en fait, j’avais surtout cherché à faire très ancien, adapté à l’époque où se passe le roman. Certes, il s’agit de choses dont on parle beaucoup aujourd’hui : sexualité, orientation sexuelle, etc. Mais si le discours a changé, le phénomène de base d’attraction entre personnes de même sexe n’est pas une nouveauté, au contraire. C’est même probablement un comportement plus ancien que l’espèce humaine, puisqu’on le rencontre chez d’autres espèces animales, et notamment chez nos proches cousins les bonobos.

Ceci dit non comme argument d’antiquité ou d’appel à la nature, pour citer quelques sophismes, mais parce que c’est vrai, tout simplement.

Mais en même temps, le regard que portent des époques et/ou civilisations différentes sur cette attraction de même sexe varie énormément. Certaines trouvent ça parfaitement normal, même l’encouragent, d’autres essaient de prohiber ces comportements… L’Antiquité gréco-romaine, rien qu’à elle, a connu des situations contrastées. Et j’ai justement voulu dans mon roman plonger dans cette complexité.

Tout d’abord, l’époque et le lieu : premier tiers du IVe siècle après Jésus-Christ, sous la domination romaine mais dans une culture largement hellénistique, et avec une influence chrétienne de plus en plus importante.

Influence grecque, d’abord : on sait que la Grèce classique non seulement acceptait l’homosexualité masculine, mais la considérait dans certains cas comme supérieure moralement à l’attraction entre homme et femme. Cet « amour grec », bien attesté par les sources, est longtemps resté un embarras pour les érudits chrétiens, et les textes et images explicites se sont retrouvés confinés aux « Enfers » des bibliothèques monastiques et universitaires… Mais certains circulaient sous le manteau à titre de pornographie.

Attention, qui dit plus d’acceptation de l’homosexualité ne veut pas dire que c’était forcément mieux sur le plan humain ou éthique ! La conception athénienne de l’amour, par exemple, était qu’un homme adulte s’éprenne d’un adolescent de son milieu social, lui fasse la cour avec des cadeaux, sérénades, etc. Le garçon était censé apprendre auprès de son amant à devenir un homme accompli, sur le plan physique, moral et civique. Mais quand il devenait adulte lui-même, la relation cessait, même s’ils restaient bons amis ensuite. La conception commune était que seul un individu jeune, à peine pubère, bref dont l’apparence physique est proche de celle d’une femme, pouvait être désirable.

Soyons clairs : nous dirions que c’était une forme codifiée et socialement acceptée de pédophilie, pas une sexualité où tous les partenaires sont également respectés.

Les Romains, qui avaient pourtant largement adopté la culture grecque, n’étaient pas à l’aise non plus avec cet « amour grec », mais pour une autre raison : il était inconcevable pour eux qu’un fils de citoyen, futur citoyen lui-même, soit pris comme objet de désir par un autre homme. L’auteur comique Plaute le dit de façon explicite : tu ne désireras « ni une vierge, ni une matrone, ni un garçon libre« , ce qui laisse disponibles les esclaves des deux sexes, évidemment.

Tout se passe comme si eux non plus ne pouvaient concevoir l’amour entre deux êtres libres et égaux : il faut qu’il y en ait un qui prenne l’initiative, qui poursuit son objet et le domine, et l’autre qui est désiré, poursuivi, dominé. Et un homme adulte né libre, un citoyen, ne peut être que l’acteur de la poursuite, pas son objet. En fait, il était commun pour les hommes politiques romains d’être accusés d’avoir couché pour réussir, de s’être soumis au désir d’un puissant en échange d’avantages pour leur carrière. (Les rumeurs de promotion-canapé sont aujourd’hui un poison récurrent pour les femmes politiques.)

D’où les difficultés de mon protagoniste, Lucius, qui n’a pas honte de son désir pour un autre homme, mais redoute ce genre d’accusations.

On est là bien loin des conceptions modernes. Mais c’est une plongée dans un univers mental aussi dépaysant que bien des mondes imaginaires de science-fiction.

Dans quelles librairies trouver Augusta Helena?

Je vous le disais l’autre jour : le tome 2 d’Augusta Helena, L’Odyssée de l’Impératrice, est enfin en librairies, physiques ou en ligne. Mais lesquelles, au fait ? Où aller le chercher si on veut voir le bouquin en rayon, à l’ancienne ?

Eh bien, d’abord dans les Fnac. Rien qu’à Paris, le livre est disponible dans celles du Forum des Halles, de La Défense, Saint-Lazare, Montparnasse, Boulogne et Ternes.

Mais aussi dans la librairie La Procure du VIe arrondissement, dans les Gibert du VIe et du XVIIIe, chez Le Pain de 4 Livres à Yerres (Essonne), chez Mollat à Bordeaux…

Et tant qu’on y est, on peut en profiter pour découvrir ou redécouvrir le premier volume : Énigmes en Terre Sainte, qui n’est pas encore épuisé.

L’Odyssée de l’Impératrice : ça y est, le roman est en librairie !

Oui, cette fois, c’est fait : le second et dernier tome d’Augusta Helena est disponible ! « Dans toutes les bonnes librairies », selon l’expression consacrée.

De quoi s’agit-il ? D’un gros roman, qu’il a fallu couper en deux pour le publier dans de bonnes conditions. D’un roman d’aventures et d’énigmes autour de la figure mi-historique, mi-légendaire d’Hélène, mère de l’empereur Constantin, future Sainte Hélène. Intrigues de cour, affaires de cœur, querelles et débats entre chrétiens mais aussi avec la société païenne qui regarde de haut ces nouveaux venus aux grandes ambitions…

C’est tout un monde que j’ai essayé de faire vivre, à travers des personnages variés : Lucius, l’aristocrate romain qui se veut philosophe ; Ossius, évêque et homme d’État prudent ; Alexandre et Apollonia, deux adolescents éthiopiens à l’esprit aventureux ; Hildericus, officier franc de la garde impériale ; les jeunes nonnes Mariam et Saphira, qui ont tous les courages face à l’injustice… Ce sont d’ailleurs elles qui mettent l’intrigue en mouvement. Le voyage mènera tout ce monde de Rome à Jérusalem, sur la trace de la plus précieuse des reliques : la Croix du Christ. Mais aussi sur la trace d’un double meurtre : celui de l’épouse et du fils aîné de Constantin, que la raison d’État voudrait étouffer.

Augusta Helena : T. 1 Énigmes en Terre Sainte, et T. 2 L’Odyssée de l’Impératrice, aux Éditions du 81, 16,90€ chaque.

Augusta Helena, deux volumes, un seul roman, bientôt complet

Augusta Helena t. 2 : L’Odyssée de l’Impératrice, par Irène Delse, à paraître le 17/02/2003 aux Éditions du 81

On ne publie plus beaucoup de romans en plusieurs livraisons, aujourd’hui, alors que c’était commun du temps de Dickens ou d’Alexandre Dumas. Le prix des livres par rapport au revenu moyen des gens était alors élevé, et cela faisait sens économiquement de faire paraître Les Trois Mousquetaires ou David Copperfield en feuilleton, pour les republier ensuite en volume une fois le public appâté. Hugo, Balzac, Sand, Nerval : quasiment tous les grands noms de la littérature de l’époque ont paru d’abord en feuilleton. En 1955, encore, Tolkien a dû accepter de publier Le Seigneur des Anneaux en trois tomes à cause du coût du papier qui restait élevé dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Au XXIe siècle, on n’en n’est plus là, d’autant que la technologie a évolué : par exemple, la colle qui sert à coller le dos est bien plus sophistiquée, permettant de maintenir une quantité énorme de pages tout en restant souple. Ce n’est pas pour rien que l’édition du 50e anniversaire du Seigneur des Anneaux était en un volume.

Sauf que… L’année 2020 est passée par là.

Augusta Helena, t. 1 : Énigmes en Terre Sainte, par Irène Delse, paru le 21/01/2021 aux Éditions du 81

Après le premier choc de la pandémie de covid, le coût du papier a grimpé, celui de l’énergie aussi, l’un influençant l’autre (la fabrication de papier nécessite beaucoup de d’énergie), et les difficultés à trouver de la main-d’œuvre n’ont rien arrangé. Mon éditeur, les Éditions du 81, ont été obligées de couper en deux le gros manuscrit que je leur avais confié, afin de laisser chaque tome à un prix raisonnable.

Le résultat a été Augusta Helena, tome 1 : Énigmes en Terre Sainte, paru en janvier 2021, sous une couverture très élégante, à mon avis. (L’illustration provient d’un carton pour un vitrail, d’époque post-Viollet-Leduc, apparemment.) Et dans un peu plus d’une semaine, le 17 février, le tome 2, L’Odyssée de l’Impératrice, paraîtra, au même prix que le premier : 16,90 €. Et toujours avec un graphisme splendide, jugez-en par la couverture en haut de l’article ! Cette fois, c’est Véronèse, La Vision de Sainte Hélène, qu’on peut voir normalement à la Pinacothèque du Vatican.

Reste à voir si ma protagoniste restera en odeur de sainteté une fois arrivée à la fin du roman… Je me demande ce qu’en penseront les lectrices et lecteurs ?

Augusta Helena : le deuxième et dernier tome s’achemine. Arrivée en librairie le 17 février !

Couverture du roman : détail d'un tableau de Véronèse représentant une femme (Sainte Hélène) en train de somnoler et rêver, assise dans un grand fauteuil, avec un manteau de pourpre et une couronne d'or et de pierreries

Splendide, non ? C’est la couverture du second tome de mon roman Augusta Helena, intitulé L’Odyssée de l’Impératrice, à paraître aux Éditions du 81 le 17 février 2023, soit dans moins de deux semaines.

Quatrième de couverture :

« Après de nombreuses péripéties, le cortège impérial continue sa route en direction de Jérusalem. Mais la quête sainte est loin d’être terminée ! (…) L’amour et la trahison s’invitent à bord du cortège impérial qui n’a pas fini de déjouer les embuscades et les complots ! »

Oui, cette fois, c’est la bonne : l’imprimeur vient de livrer les bouquins, qui sont actuellement dans l’entrepôt du distributeur pour être acheminés dans les librairies. Je devrais pouvoir récupérer mes exemplaires d’auteure la semaine qui vient. Ça roule, on dirait. Alors croisons les doigts…

Mais en attendant, il n’est pas interdit de pré-commander le livre chez votre libraire préféré ou dans un service de vente en ligne bien connu, je ne vous fais pas un dessin ! C’est un bouquin un peu hors normes, par le genre et par les dimensions, et il est d’autant plus important de soutenir un petit éditeur comme le 81, qui a pris là un pari assez risqué.

Et puis, c’est un roman foisonnant, plein de personnages cocasses et de rebondissements étranges, qui promet des heures et des heures de lecture pour s’évader de la grisaille du quotidien… À offrir ou à s’offrir, comme on dit !

Post-scriptum qui n’a rien à voir : Si vous faites partie des fidèles de ce blog, vous avez dû remarquer le changement de titre, tout en haut. J’aimais bien le précédent, « L’Extérieur de l’asile », mais le private joke échappait à la plupart des gens. Tant pis.

Ma nouvelle, « Décalages culinaires », dans l’anthologie Marmite & Micro-ondes, est disponible sur Kindle, le saviez-vous ?

Couverture de l'anthologie : un monstre géant verdâtre qui mange une fusée spatiale

J’ai déjà parlé ici de l’anthologie Marmite & Micro-ondes, réunie par Vincent Corlaix et Olivier Gechter pour les éditions Gephyre. Épuisé au format papier, le volume est disponible sous forme Epub pour les liseuses Kobo et les smartphones, et maintenant aussi sur le Kindle d’Amazon.

C’est aussi là qu’on peut lire ce qui doit être ma nouvelle la plus déjantée : « Décalages culinaires », une histoire de voyages dans le temps et de junk food, de futur dystopique et de perceptions du passé… De mauvais goût et d’encore plus mauvaises actions.

Le texte a une histoire un peu compliquée elle aussi, puisque je l’avais écrit il y a une quinzaine d’années pour le fanzine Marmite & Micro-ondes, mais avais changé d’avis alors même que ma nouvelle avait été acceptée. Drôle d’idée ? C’est que j’avais cru trouver un autre canal de publication plus intéressant : un petit éditeur qui voulait lancer une collection de nouvelles publiées individuellement. Hélas, il n’a pas voulu d’un texte de science-fiction, et je me suis retrouvée avec le texte sur les bras. « Décalage culinaires » a finalement vu le jour vers 2007 en auto-édition, sous le titre « Et si la faim venait » (cela évoquera peut-être des souvenirs à certains) et j’ai dû en écouler, tout compris, 20 exemplaires.

Heureusement que la présente anthologie est indulgente avec ces péchés de jeunesse !