Archives mensuelles : août 2016

Par leur propre bouche : le sifflet des fachos et le mégaphone djihadiste

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Connaissez-vous le sifflet à chien ? Non, pas l’objet avec lequel un dresseur donne des signaux ultrasonores que nos amis à quatre pattes peuvent entendrent, mais pas nous. Il y a un autre type de sifflet : traduction de l’anglais dogwhistle, c’est un terme qui désigne une certaine forme de communication politique consistant à faire passer en douce, via des termes codés ou l’usage de certaines plaisanteries, un message destiné uniquement à une partie des électeurs – généralement une frange extrémiste. Ce message est censé passer au-dessus de la tête de la majorité raisonnable, tenue par ces mêmes extrémistes pour « naïve » ou mal informée.

C’est bien ainsi que cela marche, pour un temps. Car il n’est pas besoin d’être grand clerc pour remarquer l’usage de termes comme « réinformation », code pour « discours raciste, xénophobe, antisémite et/ou conspirationniste ». Ou pour noter que ceux qui s’auto-proclament « patriotes » émargent à l’extrême-droite. C’est parfois plus subtil. Ainsi aux États-Unis, des termes tels que « tough on crime » (littéralement : dur avec le crime) ont acquis une connotation raciste, tant l’insistance des politiciens racistes à parler de crime et à véhiculer le cliché du Noir ou du Latino voleur, violeur, drogué, bref irrécupérable, est prégnante. La clef est l’association – l’association systématique d’un champ sémantique « présentable » (sécurité, patriotisme, etc.) avec un autre que même certains de ceux qui votent pour les extrémistes n’osent pas s’avouer tout haut. Quand le public visé est bien rodé aux sifflets sémantiques, on peut se contenter de reprendre des éléments du discours opposé sur un ton ironique. Ainsi d’un éditorialiste réactionnaire daubant sur le vivre-ensemble : le simple fait de l’évoquer dans ce contexte est fait pour inciter les sympathisants à rejeter toute idée de modus vivendi.

(Par parenthèse : ce n’est pas que la préoccupation pour la sécurité ou la nation soit toujours signe de racisme ou d’autoritarisme. Au contraire, il y a chez ces groupes une ignominie bien particulière dans le fait de détourner à leur profit des thèmes qui devraient être la préoccupation de tous. Et ceux qui croient combattre l’extrême-droite en évitant simplement les thèmes qu’elle prétend porter se mettent le doigt dans l’œil. Fermons la parenthèse.)

Quand le public visé est bien rodé aux sifflets sémantiques, on peut se contenter de reprendre des éléments du discours opposé sur un ton ironique. Ainsi d’un éditorialiste réactionnaire daubant sur le vivre-ensemble : le simple fait de l’évoquer dans ce contexte est là pour inciter les sympathisants à rejeter toute idée de modus vivendi.

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Parfois, cependant, les extrémistes cessent d’avoir recours à ces subterfuges. C’est Donald Trump clamant tout haut qu’il va mettre un mur à la frontière avec le Mexique, ou barrer l’entrée du pays aux musulmans (et aux Français, ce que les amis de droite – extrême – du mal coiffé apprécieront).

Dans ce cas, la stratégie de la sidération prime sur l’appel subtil aux racistes honteux. Quand on sort chaque jour une nouvelle énormité, difficile à vos concurrents et à la presse de suivre ! Il leur faut courir pour réfuter votre dernier mensonge, mais vous êtes déjà en train d’en proférer un autre… ou deux, ou trois. On pourrait évoquer aussi ici le Gish Gallop, la stratégie du créationniste Duane Gish dans les débats : avancer de nombreux arguments à l’appui de votre thèse, vrai ou faux, qu’importe, le tout est d’en avoir beaucoup, et de les énoncer trop vite pour qu’on puisse les réfuter ou même juste les examiner !

Et puis il y a ceux qui méprisent le recours aux sifflets à chiens, parce qu’ils jouent un autre jeu.

Prenez Anjem Choudary. Cet ancien avocat est aujourd’hui en prison en Angleterre pour avoir incité, plus ou moins directement, des centaines de jeunes Britanniques à commettre des attentats ou à rejoindre le « Califat » autoproclamé – c’est-à-dire Daesh. Cet homme dont les liens avec divers complots meurtriers, au Royaume-Uni et ailleurs, sont indéniables, a pourtant durant vingt ans continué à vivre dans la région de Londres et à y exercer son ministère de haine.

Ce n’est pourtant pas que Anjem Choudary se cachait. Au contraire : il avait dès le début annoncé son but : le Califat. Une théocratie basée sur l’interprétation la plus fondamentaliste, la plus rétrograde du Coran. Dès 1995, il réunissait plusieurs milliers de personnes en une manifestation-coup d’éclat au stade de Wembley. Il proclamait son souhait de voir le drapeau du califat flotter sur le 10 Downing Street et la reine d’Angleterre revêtir la burqa.

Outrances ? Pas vraiment. C’était tout simplement le programme de son mouvement. En l’annonçant haut et clair, il attirait à lui d’autres islamistes, qui en comprenait les références théologiques, et donnait aux esprits non avertis (c’est-à-dire presque tout le monde) l’impression qu’il n’était qu’une grande gueule, un bouffon. (Comme on disait que Trump était un bouffon, au début…)

Un de ses anciens partisans, Maajid Nawaz, appelle Choudary le « Joker de l’islamisme », un « clown qui ne fait pas rire ». Car c’est bien la couverture qu’il s’était taillée : cacher le terrible sérieux de son entreprise aux yeux des « mécréants » par l’énormité même du programme annoncé.

Il y a des bouffons qui méritent d’être pris au sérieux, ne serait-ce que parce que ce n’est pas juste un sifflet à chien qu’ils portent à leur bouche. C’est un mégaphone.

The feminist paradox

« For most of human history, women have been reduced to their uteruses, vaginas, and breasts. The natural childbirth theorists, as well as many lactivists and attachment parenting advocates, continue to reduce women to uteruses, vaginas, and breasts, insisting that how they use those body parts determines their worth as human beings. Ironically, parenting advocates often invoke the language of “choice” to promote natural childbirth, and lactivism, assuming that if a woman has the power of choice, it is automatically a feminist gesture. But natural parenting advocates in fact do not promote choice; they promote their specific choices and try to shame those women who choose differently. In other words, these movements are judgmental and anti-woman. »

Dr. Amy Tuteur, Push Back.

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Confused cat is just confused enough.

La Poste, la Libye, Rothschild et moi

Statue moderne : la chute des anges (plastique noir)

Ange ou démon ? Vrai ou faux ?

Allez à la Poste, ramenez une théorie du complot… C’est ce qui m’est arrivé aujourd’hui, à ma grande lassitude.

Donc je me rends au bureau de Poste de la Goutte d’Or, près de chez moi, pour récupérer un recommandé. Rien que de très banal. La queue est longue… Je prends mon mal en patience. Mais la patience n’est pas le fort de tout le monde. Derrière moi, parlant à la cantonade, un vieux monsieur bien mis, parlant le français sans accent, explique à qui veut l’entendre que depuis que la Poste est privatisée, « c’est comme ça pour les pauvres gens », et que les riches n’ont pas besoin de faire la queue puisqu’il vont sur Internet. Jusque là, pas de quoi fouetter un chat, même si je ne vois pas bien comment Internet aiderait pour récupérer un recommandé. Passons.

Là où ça se corse, c’est quand il trouve quelqu’un pour lui répondre, un jeune barbu qui affranchit du courrier professionnel sur l’une des machines automatiques. « C’est à cause d’Edmond de Rothschild, » continue le vieux monsieur, « il a des actions à la Poste, et depuis, il ne s’intéressent qu’aux riches ! » 

Comme disait l’autre, j’ai un mauvais pressentiment… 

À la décharge du jeune homme, il a bien essayé de détourner l’obsession rothschildienne du vieux en lui suggérant avec humour qu’il pouvait lui aussi investir à la Banque Postale, mais peine perdue : « Je n’ai pas d’argent, moi, pas comme Rothschild ! »

Et la queue qui n’avance pas. Il y a vraiment des jours où on a envie de maudire les congés payés, tout de gauche qu’on soit. En temps normal, il y aurait eu deux employés, et les gens n’auraient pas eu autant de temps pour gamberger en attendant.

C’est donc reparti sur Rothschild, derrière moi. Jusqu’ici, pas de discussion générale, juste le jeune et le vieux, mais quelques personnes commencent à faire des « oui, oui » approbateurs. Et le vieux monsieur bien mis, l’index levé comme un maître d’école, se lance dans ce qu’il croît sans doute être une révélation stupéfiante : « Rothschild est un sioniste ! Vous voyez, hein ? »

À ce point, j’en ai plus qu’assez, et la phrase sur le mal qui prend le dessus quand les gens de bien ne font rien me revient à l’esprit. Je me retourne et je fais mine de me moquer de cette histoire : « On ne va pas raconter n’importe quoi, quand même ! »

Oh, mais que ce vieux monsieur est mécontent ! Il tente de le prendre de haut : il sait les choses, lui ! Et voilà que le jeune barbu, se détournant de son étiquetage, renchérit : « Même que les avions qui ont bombardé Khadafi avaient le nom de Rothschild écrit dessus ! »

À ce moment-là, je n’ai pas besoin de me forcer pour éclater carrément de rire. Quelques personnes qui écoutaient aussi toussotent nerveusement. C’est un peu extraordinaire, hein ?

Mais le vieux semble aussi imperméable au sens du ridicule qu’à la logique la plus élémentaire (imagnez des comploteurs qui signent leurs forfaits en toutes lettres…). Il fait mieux – ou pire : il essaie de me convertir.

« Est-ce que vous pensez, » commence-il, que les pays du Maghreb vivaient en paix ? »

« Ça dépend, » je réponds, « à quelle époque ? » 

Ce n’est pas la réponse qu’il espérait avoir, manifestement. Il reprend laborieusement :

« Ces dernières années ! [Tiens, tiens, donc il n’en a pas après la colonisation, comme c’est souvent le cas dans ce genre de discussions.] Les pays du Maghreb étaient bien tranquilles, là-bas sous le soleil. Et puis l’Europe est venue les bombarder, et depuis il y a la pagaille. Et l’Europe fait ça pour voler l’Afrique… »

Je n’ai pas eu la présence d’esprit de rétorquer que ça avait commencé par un soulèvement des Libyens eux-mêmes, ou que l’Europe s’était bien gardé d’intervenir dans d’autres événements contemporains au Maghreb, comme la « Révolution du jasmin » en Tunisie. Inutile même de faire remarquer que ce n’était pas « l’Europe » en tant qu’entité politique qui avait agi, mais des pays européens, dont la France, mais aussi les USA. (À ce demander si cette curieuse tirade contre « l’Europe », teintée d’antisémitisme et obsédée par l’intervention en Libye, n’était pas nourrie à la propagande de Poutine… Mystère.)

Je me contente de hausser les épaules, en personne pas convaincue, et de suggérer avec un petit sourire de demander à Sarkozy pourquoi il est allé en Libye… Après tout, n’est-ce pas ?

Oh, mais il n’a pas apprécié cette ironie, le pépé ! Et de de fâcher tout rouge, en disant que je devais me taire ! Ce qui fait réagir quelques unes des personnes dans la queue, qui nous écoutaient. « Oh, mais, enfin… »

Drapée dans ma dignité, bien sûr, je rétorque qu’on n’est pas plus aimable, et que lui souhaitait le bonjour. Avant de le planter là.

Heureusement, la queue avance un peu, et je laisse derrière moi ce vendeur de salades avariées. 

N’empêche. C’est triste de voir des gens apparemment aussi intelligents que les autres se faire les propagateurs de ce genre de légendes urbaines aussi désobligeantes pour les victimes des guerres qu’elles prétendent dénoncer que pour les coupables qu’elles désignent à tort et à travers. Tout est la faute des méchants X et Y, et les habitants du Maghreb, d’Afrique, ne sont plus que des silhouettes dépourvues d’initiative. Le Printemps arabe ? La Révolution du jasmin ? Le soulèvement intrépide des Libyens, des Syriens, des Égyptiens, contre leurs dictateurs ? Effacés pour les besoins de la cause, car on ne peut faire des « sionistes » l’ennemi absolu qu’en écartant du tableau les protagonistes réels. Et c’est la double arnaque du conspirationnisme.

Un arbre en liberté

Grand platane dont des branches traînent à terre

Août 2016, Parc Barbieu à Roubaix

Tellement banal, un platane ? C’est qu’on en voit rarement ailleurs que le long d’un boulevard, taillés ras pour éviter que les branches, poussant comme bon leur semble, ne zigzaguent entre ciel et terre…