« En Allemagne, pour faire de la politique, il faut un doctorat. En Italie, il faut avoir fait de la télé. Et en France, il faut avoir écrit un livre. »
Je ne sais plus de qui est ce petit topo ironique, entendu sous l’ère Mitterrand, mais c’est assez bien vu. Mais au fait, quel genre de livre ? Souvent un exposé des idées du candidat ou de la candidate, son programme, sa vision du futur. C’est logique mais un peu banal. Un autre choix fréquent : la biographie historique d’un personnage qu’on prend comme modèle et inspiration. François Bayrou a ainsi rencontré un succès public avec une vie d’Henri IV, par exemple.
Mais on peut aussi préférer écrire un roman. Ils sont nombreux à s’y être essayé, de Dominique de Villepin à Marlène Schiappa, de Valéry Giscard d’Estaing à Bruno Le Maire, pour citer le cas qui fait bruire le microcosme en ce moment.
Est-ce que je pense quelque chose de ce roman ? Non, je ne l’ai pas lu. Pour ce que j’en ai vu, dans les extraits « croustillants » publiés ici et là, le bouquin a l’air de n’être ni meilleur ni pire que la majorité de ce qui se publie en France, bon an mal an. Ni excès d’honneur, ni indignité, etc. Je ne jette la pierre à personne : quand vous êtes capable d’écrire des romans (même avec l’aide d’un discret « collaborateur », qui sait), pourquoi garder ça sous le boisseau ? Qui parmi nous aurait assez de sagesse pour ne pas chercher à faire publier même leurs textes les moins réussis ? Et on trouve bien sûr plus facilement un éditeur quand on est déjà connu comme ministre ou député.
Mais tout cela m’a rappelé un cas différent : un politique qui a écrit des romans, et choisi de ne pas publier. Un certain Emmanuel Macron.
Adolescent, et encore bien loin, évidemment, de savoir qu’il entrerait un jour à l’Élysée, le lycéen avait rédigé un roman paraît-il torride, inspiré par son amour pour sa prof de français. On sait ce qu’est devenu cet amour depuis. Le roman, lui, a fini dans un tiroir. Seule Brigitte Macron l’aurait lu en entier.
Le jeune Emmanuel Macron a même récidivé un peu plus tard, à 19 ans, avec un second roman, consigné lui aussi dans un tiroir. Il y a de quoi être curieux, non ? Mais je trouve cela surtout instructif. On accuse souvent les politiques d’avoir un ego démesuré, et c’est parfois vrai. Et les écrivains en général sont rarement en panne de narcissisme. Pourtant, ici, c’est un cas où un auteur choisit ce qui est important dans sa vie, et opte pour ne pas privilégier l’écriture, alors même qu’il semblait avoir la plume facile.
On ne peut que saluer cette sagesse. Et la solidité mentale que cela implique. Un Narcisse aurait au contraire tout fait pour rendre public le moindre de ses brouillons.
M’inscrire dans la liste déjà longue des écrivains qui pontifient sur la réforme des retraites ? Pourquoi pas ! Au moins je ne me donnerai pas le ridicule de prétendre parler pour le peuple, comme certain Goncourt qui croit faire du Zola, mais décrit au fond les gens de condition modeste comme des pièces de viande.
Il y a pourtant tout un aspect du compromis social français implicite qui pourrait être remis en question par la nécessité (rendue incontournable par la démographie) d’allonger la durée des cotisations : l’acceptation d’un rythme de travail difficile à soutenir sur le long terme parce qu’on sait qu’on peut partir tôt à la retraite.
Regardons un peu. Il y a un sujet qu’on n’aura pas beaucoup abordé dans toute cette agitation médiatico-politique : ceux qui ont commencé à travailler tard. Eh oui ! L’allongement du temps de cotisation est en ligne de mire, et la question de l’injustice pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, les « carrières longues ». Mais pour eux, le remède est facile, et il a d’ailleurs été adopté : leur permettre de partir une fois qu’ils ont le nombre requis d’annuités.
Mais les gens qui, comme moi, ont commencé à travailler à 25 ans ou plus tard ? Je regarde autour de moi, et j’en vois beaucoup. Études longues (qui n’ont souvent pas abouti), mais aussi périodes de recherche de soi où on voyage ou fait quelques petits boulots, entre deux séjours chez les parents…
Forcément, pendant ce temps, on n’a pas cotisé pour sa retraite. Mais c’est un sujet qui dépasse de beaucoup ce projet de loi : c’est un sujet de société. Quel équilibre tout le long de la vie ? Y a-t-il moyen de faire compter les années de formation pour la retraite ? Pourquoi tant de gens font des études longues sans décrocher un métier (et une rémunération) en rapport ? Et pourquoi cette focalisation sur le temps de travail sans évoquer le rythme de travail ou l’équilibre vie privée/travail ?
Les études longues, malheureusement, ont trop souvent servi de volant de régulation pour éviter de gonfler les chiffres du chômage des jeunes. Et sans mieux les former, hélas. Grâce à la réforme de l’apprentissage depuis 2014, accélérée à partir de 2017, c’est en train de changer : les formations en alternance permettent à toute une génération de se former à des métiers qui recrutent, tout en touchant une rémunération… et en cotisant pour leur retraite !
Pour mon compte, si c’était à refaire, c’est sans doute de ce côté que je me dirigerais. Vers l’âge de 16 ans, j’étais déjà intéressée par les métiers du livre, mais il n’y avait à l’époque pas de formation du tout pour cela. J’aimais aussi les sciences de la vie et de l’environnement, mais il n’y avait que des formations universitaires ou assimilées, et peu de débouchés. Et comme en plus j’avais des problèmes de santé récurrents, qui m’ont amené à interrompre des formations commencées sans les terminer… C’est ainsi que je me suis retrouvée à passer à 28 ans un concours de base de la fonction publique pour avoir un gagne-pain. Et je ne le regrette pas, car cela m’a permis d’être enfin indépendante, tout en me laissant libre d’écrire sur mes loisirs. Mais c’était, j’en suis bien consciente, un pis-aller.
Aujourd’hui, il y a la possibilité d’entrer dans la fonction publique par apprentissage, mais aussi de se former en alternance dans l’édition, et dans les métiers de l’environnement, un secteur qui est d’ailleurs bien plus important qu’il y a trente ans. Je n’aurais que l’embarras du choix !
Ça fait du bien de voir qu’il y a des choses qui vont mieux, non ? Mais vous me direz : très bien pour les jeunes qui sont en ce moment en formation, mais pour les générations précédentes, cela nous fait une belle jambe.
C’est vrai, et cela mérite un débat, un vrai. Car plus on commence à travailler tard, plus l’âge de départ de départ à la retraite est repoussé, et plus on anticipe avec angoisse qu’on n’arrivera pas à maintenir jusque-là le rythme et l’intensité de travail qu’on avait accepté à trente ans. Cette intensité de travail qui permet aux salariés français d’avoir une des meilleures productivités horaires d’Europe… Mais qui n’est possible que quand on est jeune et en bonne santé.
En étant optimistes, on peut espérer que le fait même de devoir rallonger la durée de travail sur une carrière va obliger les gens à trouver un rythme moins soutenu, moins épuisant. Qui veut voyager loin, etc. Et il y a bel et bien des dispositions dans ce sens dans le fameux projet de loi, notamment le dispositif « retraite progressive », qui permet déjà aux salariés du privé, à partir de 60 ans, de réduire leur activité tout en touchant une partie de leur retraite. Il est maintenu dans le privé et étendu aux salariés du public. On ne s’en plaindra pas !
Et il y a d’autres pistes : passer à partir d’un certain âge à d’autres activités moins prenantes. Par exemple, le projet de loi actuel permettra aux policiers, douaniers et autres agents publics qui ont un métier « physique » de passer à des postes moins exposés.
Mais j’aimerais bien voir plus de responsables politiques, syndicaux ou associatifs s’emparer de ce problème, au lieu de rester dans une opposition binaire vis-à-vis du gouvernement. L’organisation du travail et du temps libre tout au long de la vie, c’est un sujet qui dépasse, qui devrait dépasser les clivages. Encore faut-il qu’on en ait conscience.
Un palmarès tout subjectif, bien sûr. À découvrir ou redécouvrir. La diversité des sujets est parfaitement assumée. (Je ferai aussi bientôt un récapitulatif de mes publications en matière de fiction.)
* Société : « Pas de pitié pour les garçons manqués » à propos de l’héroïne du Club des Cinq et des changements d’attitude pas toujours positifs s’agissant des stéréotypes de genre.
* Ma vie : « Vaccinée, libérée ! » Ou comment j’ai gagné mon vaccin, ah mais.
“Toutes les références culturelles de sa séquence nostalgie s’arrêtent aux années 70”, note Jean Corcos à propos de la vidéo de candidature d’Éric Zemmour. C’est l’homme du “c’était mieux avant”, et il compte sur notre manque de mémoire pour éviter la confrontation avec la réalité du monde d’avant. Et si on y regardait de plus près ?
La suite sur Résistance aux extrémismes, au sujet du progrès qui ne s’est pas arrêté en 1970, lui. Et heureusement pour nous !
Vous avez dit métissage ?C’est une longue tradition.
(Je reposte ici un texte de 2019, à peine modifié, parce qu’il est hélas à nouveau d’actualité. On ne peut combattre le racisme si on n’est pas soi-même au clair sur ses valeurs.)
Il se passe quelque chose de bizarre en Europe : des gens qui se disent patriotes ne voient rien de contradictoire à voter pour des partis compromis jusqu’à l’os avec des puissances étrangères qui ne cherchent qu’une chose, affaiblir l’Europe et affaiblir leur pays. La Russie de Poutine n’est ni un modèle de démocratie ni un allié fiable. Mais aux yeux d’une certaine partie de l’électorat, ils ont une grande séduction : leur soutien musclé à ce qu’ils appellent les « valeurs chrétiennes » peut donner l’illusion qu’ils sont le dernier rempart contre une peur qu’ils ont largement contribué à alimenter, celle du « grand remplacement ».
Le fait que ces extrêmes-droites se soient à peine distancées du manifeste néo-nazi posté par le terroriste anti-musulman de Christchurch montre bien à quels point ils sont sûrs de tenir là un thème qui marche. Et on ignore à notre péril cette pastorale de la frousse, de la haine, de l’aversion et du ressentiment. Le pire est que nous, Françaises et Français, devrions mettre les bouchées doubles pour la combattre, vu l’origine du concept dans notre propre extrême-droite…
De quoi s’agit-il ? Au cas où vous auriez éteint internet depuis quelques années, il s’agit d’une rumeur selon laquelle les « élites » économiques et culturelles des pays occidentaux (selon les versions, les Juifs sont plus ou moins clairement pointés du doigt) se seraient liguées pour faire venir des « hordes » de migrants musulmans pour « remplacer » les classes populaires traditionnelles. Quel serait l’avantage d’un tel remplacement ? Pourquoi ces nouvelles classes populaires seraient-elles plus dociles ? Ces complotistes ne vont pas jusqu’à l’expliciter ! Comme tous les fantasmes, celui-ci gagne à rester dans le demi-jour, sans jamais être mis sous le projecteur corrosif de l’esprit critique.
Grand fantasme, on peut le dire : comme le montrent les études démographiques sérieuses, les déplacements de population sont un petit peu plus complexes qu’un simple problème de vases communicants d’école primaire !
Par exemple, les candidats à l’émigration les plus pauvres ne se dirigent pas vers l’Europe, mais vers des régions où pays voisins. Il y a une importante immigration intra-africaine, du Sahel vers le golfe de Guinée par exemple, en Afrique de l’ouest. Dans un pays relativement prospère comme la Côte d’Ivoire, on a même vu se développer dès les années 90-2000 un discours sur l’« ivoirité » qui était une façon d’exclure les immigrés en provenance du Burkina Faso et du Mali. D’autres se rendent au Maroc, non comme étape sur la route de l’Europe, mais pour y rester.
Autre élément de la grosse arnaque au « remplacement » : les nouveaux arrivants sont systématiquement supposés africains ou moyen-orientaux et musulmans, ce qui permet à nos marchands de peurs de jouer sur les stéréotypes classiques sur les Croisades ou l’affrontement séculaire entre Europe et Empire ottoman… En oubliant au passage que les pays d’Afrique sub-saharienne sont loin d’être tous musulmans, et que les migrants en Europe viennent aussi d’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud, d’Asie du Sud-Est…
En oubliant aussi allègrement que l’islam n’est pas la même chose que l’islam politique. Et que celui-ci n’est pas l’évolution fatale des sociétés musulmanes. On a même vu récemment au Maroc un parti islamiste chassé du pouvoir par les urnes. En fait, c’est une curieuse forme d’admiration de la part de nos identitaires que de vouloir voir les pires islamistes comme les « vrais » musulmans, tous autres étant censés se cacher. RN, CCIF, même combat !
Peut-être qu’une certaine mauvaise conscience occidentale, malgré toutes les vitupérations à droite sur la « repentance » (ô, ironie), a pu jouer dans cette acceptation sans trop de logique du « grand remplacement ». Après tout, il existe un continent entier où la population d’origine a été remplacée presque totalement par des nouveaux venus… originaires d’Europe. Le sort des Amérindiens a d’ailleurs été le prétexte de l’une des plus ridicules campagnes du FN : une photo de Le Pen père arborant une coiffure à plumes de chef sioux… (Non, je n’invente rien. Regardez l’affiche n°21 sur cette page.)
Ce serait drôle si ce n’était pas un prétexte pour éviter de confronter le racisme, l’antisémitisme et la haine des musulmans, et pour soutenir des régimes brutaux et corrompus comme ceux de Poutine, Orban en Hongrie, Duterte aux Philippines, Bolsonaro au Brésil, pour soutenir un retour de Trump… Et pour fermer les yeux sur les atteintes aux droits des femmes et des LGBT dans ces pays – là encore, cruelle ironie, par des partis qui vitupèrent le sexisme et l’homophobie dans l’islam, mais pas dans leurs propres « valeurs chrétiennes ».
Pour combattre efficacement les idées fausses, il faut donc d’abord les connaître. Il faut aussi avoir une idée juste de ce qui se passe réellement. Et là, des personnes bien intentionnées mais avec des notions fausses peuvent faire beaucoup de mal. Regardez Stephen Smith, ce journaliste américain qui parle lui aussi de « ruée sur l’Europe » tout en essayant de convaincre les Européens que c’est le sens de l’histoire et qu’il faut ouvrir les portes… Non seulement ça a l’effet contraire, mais c’est très éloigné de la vérité. Voir plus haut, et dans l’entretien avec Hervé Le Bras déjà cité, ce que je disais sur les migrations intra-africaines. C’est aussi une occasion de rappeler que la démographie évolue, elle aussi, et que nous ne sommes pas coincés indéfiniment avec les taux de fécondité de 1985 ! En fait, une bonne partie de l’Afrique et du Moyen-Orient a déjà fait sa transition démographique ou est en train de la faire, pour les mêmes raisons que l’Europe l’avait faite dans la courant du XXe siècle : baisse de la mortalité infantile (merci les vaccins), accès à la contraception, et plus d’opportunités économiques pour les femmes, surtout dans les villes.
Certes, ces pays ont aujourd’hui une population jeune, et il y a beaucoup de candidats à l’émigration, mais ce n’est pas un réservoir inépuisable, contrairement à ce que certains (même bien intentionnés) semblent penser. Et c’est une population plus éduquée, donc plus adaptable, que les gens que l’on a fait venir dans les 30 Glorieuses pour reconstruire la France.
Et pourtant il y a une chose qui me chiffonne dans les propos d’Hervé Le Bras, qui est à sa manière aussi cavalier que Stephen Smith avec les pays d’accueil. Par exemple :
« Les enfants dont les deux parents sont immigrés ne représentent que 10% des naissances. Ceux qui n’ont aucun parent, ni grand-parent immigré, 60%. Dans 30% des naissances, au moins un des parents ou grands-parents est immigré et au moins un des parents ou des grands-parents ne l’est pas. Ce qui représente 30% d’enfants métis. »
(Chiffres de l’INSEE.)
Ce qui montre deux choses :
La population européenne n’est pas remplacée ;
Elle ne reste pas non plus la même qu’en 1950.
Il est plus précis au paragraphe suivant, mais toujours optimiste :
« Petit calcul à l’horizon 2050 : on arrive à 50% d’enfants métis. Ce métissage est la réalité de ce siècle. Et à ce compte-là, Éric Zemmour est un agent du grand remplacement. D’autre part, on omet les millions d’Occidentaux qui partent s’installer ailleurs et qui contribuent eux aussi au métissage mondial en cours. »
La grande peur de beaucoup de racistes, qu’on soit clair, c’est bien le métissage. Le rebaptiser « grand remplacement » et prétendre que l’Europe est menacée dans son existence physique, c’est un tour de passe passe pour toucher des gens que le discours classique du genre « et si ta fille sortait avec un étranger » ne motivait plus guère. Mariages mixtes ? Dans la France des années 2020, c’est un sujet de comédies à succès, pas un tabou.
Mais cela ne veut pas dire que de passer de quelques pour cents à la moitié de naissances « métissées » en quelques décennies est anodin. C’est là que je trouve Le Bras un peu léger.
J’en parle d’autant plus à mon aise que je suis moi-même originaire d’un mélange franco-italo-philippin, et que si on compte les parents par alliance, il faut compter aussi l’Espagne, le Canada et la Tunisie. Pour compliquer les choses, cette histoire s’est faite en bonne partie dans les colonies d’alors, puis dans le cadre de la coopération dans une ex-colonie. Bref, je viens d’une famille où on a pris l’habitude, depuis plusieurs générations, de lier notre identité à la culture et à la langue française plus qu’à un terroir, un quartier ou une paroisse. Et je mesure l’importance de ce savoir-faire, cet « art d’être français », comme dit notre président, cultivé dans un contexte où ce n’est pas la seule façon possible d’être.
Par exemple, je suis d’une génération qui avait cessé d’apprendre la Marseillaise à l’école, mais je la sais depuis toujours parce que cela faisait partie des airs qu’on chantait en famille lors des longs trajets en voiture, ou en lavant la vaisselle après le repas du dimanche. On avait aussi comme ça le Chant du départ et l’hymne italien, Fratelli d’Italia, et des chansons populaires comme À la claire fontaine. Et il y a tout l’investissement dans la langue française, et le fait d’avoir vu parmi les amis de mes parents des gens de tous horizons qui se rejoignaient autour de cette culture. Il y avait des gens qui étaient très critiques de la politique française en Afrique, par exemple, mais pour qui la langue française était considérée comme un bien commun. (C’est là qu’on voit la différence avec certains « indigénistes » aujourd’hui. Il y aurait bien des choses à dire, mais c’est assez de mentionner que ce n’est pas tant avec la France que Mme Bouteldja et les autres sont en train de régler des comptes, c’est avec la génération de leurs parents.)
Contrairement à Hervé Le Bras, je ne jette donc pas la notion d’identité avec le bain saumâtre des identitaires. Tout le monde a une identité, mais seuls les identitaires haïssent l’identité des autres. Il ne faut pas avoir peur de combattre les absurdités de « grand remplacement », et pour ça il faut savoir pourquoi c’est absurde. Mais il faut aussi être clair sur les transformations en cours, même et surtout si on a confiance dans la capacité de l’Europe et de la France à s’adapter. Un grand métissage se produit, mais pas seulement en Europe : toute la planète est concernée, parce que nous sommes beaucoup plus interconnectés. Et la meilleure façon de s’y préparer, c’est d’être au clair sur nos valeurs. Pour citer un ancien premier ministre, lui-même français naturalisé : « Sommes-nous une race, ou sommes-nous une idée ? »
La France d’aujourd’hui n’est pas celle de 1950 et celle de 2050 sera aussi différente, mais ce ne sera pas celle que nous prédisent les faussaires de l’identité. L’islam sera une religion minoritaire importante, ce qui ne veut pas dire que l’islamisme sera majoritaire parmi les musulmans. Voir ce qu’on disait des évolutions démographiques, sociales et politiques au Sud.
On serait évidemment bien en peine de trouver une « race européenne », à part une description superficielle de tendances telles que la couleur de peau. Cela ne fait pas une civilisation. Pour le reste, les pays européens ont une longue et sanglante histoire, mais ils ont aussi réussi à bâtir ensemble un idéal, une entité qui n’est assise ni sur une nation, ni sur une dynastie régnante, ni sur une religion, ni sur la spoliation des terres d’un autre peuple. C’est rare. Et quand cela marche, ça suscite des ennemis.
C’est cela aussi, ne pas être naïf : être conscient que ceux qui se gargarisent le plus d’identité sont ceux qui rétrécissent nos identités jusqu’à en faire un slogan, un mot d’ordre pour inciter à haïr. Voire (et on a encore arrêté ce week-end un néo-nazi avec des projets d’attentat) à tuer.
Petit billet politique décalé d’une semaine, de retour de vacances.
Carte postale de vacances. Non, rien à voir avec la politique. Domaine de Pinsan, Eysines (33)
Il y a de bien curieuses coïncidences. Dans certaines collectivités locales dont l’orientation politique est, disons, pas très proche de la majorité présidentielle, la mise en place par le gouvernement de la suppression de la taxe d’habitation (une promesse de campagne d’Emmanuel Macron) a été suivie par la hausse de diverses taxes locales, voire carrément l’invention de taxes nouvelles ! Mieux – ou pire, si on préfère – le maire de Clichy évoque publiquement la suppression des crèches municipales, laissant entendre que la commune est aux abois sur le plan financier !
Quelle coïncidence (bis) : la déclaration du maire de Clichy à RTL suit de peu l’annonce du plan pour la petite enfance annoncé par la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn. Si le but était de saboter ce que le gouvernement met en place pour aider les ménages moyens et modestes, ce serait parfait.
Vous me direz : oui, mais il faut bien compenser la baisse de recettes fiscales, non ? Ce qui se prend d’un côté de gagne de l’autre, etc.
Oui et non ! Car, et les maires ont été les premiers informés là dessus, la taxe d’habitation sera compensée, à l’euro près, par l’État. Les édiles qui aujourd’hui rivalisent d’imagination pour créer de nouvelles taxes montrent d’ailleurs le bout du nez quand ils admettent que, oui, il y a un processus de concertation avec le gouvernement pour cette compensation, mais ils ne lui font pas confiance, voyez-vous…
C’est là que la couleur politique de ces communes et agglomérations serait intéressante à cartographier. Seraient-ce les mêmes qui escomptent un retour de bâton électoral en 2020, pour les municipales ? Je ne prendrais même pas les paris.
Cela fait trop longtemps que je ne poste plus. Il s’est passé bien des choses, dans la vraie vie. Soucis de santé, de famille. Et puis cet enchainement épuisant, ce vortex politique qui nous happe depuis le 7 janvier 2015.
La tuerie de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher, et cet immense élan d’union le 11 janvier, puis le retour à une fausse normalité.
Ce n’était pas fini, bien sûr : d’autres attentats, déjoués ou qui connaissent un début d’exécution (comme dans le Thalys). Des frappes en Syrie, c’est la guerre de haut, désormais, pour les démocraties avec une opinion publique qui n’aime pas les morts. Et puis un treize novembre…
J’étais sur le point de me coucher quand j’entends l’alerte de SMS. Une amie à Bordeaux qui me demande si je vais bien. « Les nouvelles de Paris sont si terribles »... Quelles nouvelles ? Je passe sur Twitter. Je découvre, et comme beaucoup, je suis en ligne les événements. Vers 1h du matin, après avoir retwitté tous les #porteouverte et avis de recherches que je pouvais, je finis par éteindre. L’intervention des forces de l’ordre a pris fin. Le massacre le plus important en France depuis la Seconde Guerre mondiale marquera cette année 2015 d’une pierre rouge sang.
Et comme en janvier, ce sentiment qu’il faudrait faire quelque chose.
Mais le temps est comme suspendu. C’est l’état d’urgence, la traque des coupables continue, il y a des élections à mener. Ne sommes-nous pas une démocratie ?
Mes opinions politiques, en l’état, sont bien simples : de gauche, plutôt de sensibilité PS, je n’aime guère ce qui se fait depuis 2012 au gouvernement, mais je continue à voter pour eux parce que je ne veux pas de la droite en charge des budgets de la région : là où elle a le pouvoir en Île-de-France, on a les Balkany, Sarkozy et consorts… Et ne parlons même pas de l’extrême-droite, à qui je ne confierais pas la gestion d’une niche à chien !
Mais plus que le résultat décevant des urnes, c’est la façon dont s’est déroulée la campagne qui m’a fait douter, et craindre pour l’avenir.
Est-ce que le PS n’a plus pour seul argument que « nous ou le FN » est-ce que la gauche de la gauche et les écologistes n’ont pour seul horizon que l’alliance pour des places avec un PS qu’ils conspuent entre deux élections ? Quand ils ne s’allient pas, dans une sordide logique clientéliste, avec des groupuscules islamistes qui font du chantage aux voix… D’un autre côté, la droite qui se veut républicaine est-elle donc incapable de rompre avec l’autre droite, celle qui court après le FN et va chercher l’imprimatur des bigots de la soi-disant « Manif pour tous » ? Et les médias, au fait, sont-ils incapables d’interviewer les gens du FN sans les laisser déblatérer et insulter ? Peuvent-ils continuer longtemps à ignorer royalement les débats de fond (le programme des partis, les attributions des régions…) tout en déplorant à chaque élection que les ne se prononcent pas dessus, et que les campagnes ressemblent au commentaire d’une course hippique !
Poser toutes ces questions, c’est y répondre. Lundi 14 décembre, au lendemain du second tour, il y avait plusieurs personnes qui disaient sur Twitter : « Ce n’est pas possible de continuer comme ça ! » J’ai posté : « Chiche ? On en parle IRL ? » Il y eut quelques échanges de messages privés, notamment avec la militante féministe Sérénade Chafik, et avec Ahmed Meguini, qui avait posté un manifeste sur son site, LaicArt.org : « La société civile prend le pouvoir ! »
Il y avait une urgence : ne plus rester passifs. Ne plus rester à se demander d’où viendra le prochain attentat, ni à quel point le risque d’avoir une Le Pen présidente devait être évalué. Et la posture nonchalante du cynique au-dessus des partis nous était tout aussi insupportable. Pas quand c’est de notre vie qu’il s’agit, de nos familles, de notre pays.
Le jeudi 17, il y eut un rendez-vous, dans un café, comme de juste. On échange des idées, mais surtout on parle action : tous sont d’accord pour dire qu’on en a assez d’attendre, et que le travail de fourmi de l’action associative et de l’éducation populaire ne peut pas déboucher sur un changement à une assez proche échéance.
Ambition folle ? Présenter un (ou une) candidat(e) en 2017 ! Puisque, selon les mots de l’un des participants, Mohamed Sifaoui, les idées doivent d’incarner dans une personne, en France, nous ferons ainsi pression sur les partis dits de gouvernement : s’ils veulent les quelques fractions de pourcent que nous représentons (et ils les voudront), ils devront les reprendre à leur compte.
Le dimanche qui suit voit les élections générales en Espagne, et une formation issue de la société civile, Podemos (« Nous pouvons « , en espagnol), gagner la 3ème place avec 20℅ des voix. On ne pourra pas les ignorer.
Imaginez si, lundi 21, lors de notre deuxième réunion, nous avons été remontés, en nous voyant quatorze au moins, plus de trois fois plus qu’il y avait de celle quatre jours… Nous avons parlé de Podemos, bien sûr, mais aussi de chercher une autre façon de parler de la France aux gens, et surtout aux jeunes. Nous avons carrément envisagé des utopies, et calculé des plans pour y arriver. Nous avons rêvé les yeux ouverts. Comme le dit si bien Céline Pina, quand nous avait-on parlé vraiment politique, dernièrement, pas pour gagner des voix, mais pour construire un avenir commun…
Le seule chose qui nous manque, maintenant ? Que vous nous rejoigniez !
La prochaine réunion est fixée au 4 janvier, juste après les fêtes. Donc c’est un appel à toutes les bonnes volontés : déjà sur le site se sont formés des groupes régionaux (IdF, LRMP, PACA…) et un forum pour discuter idées, actions à mener, etc. Nous allons bientôt fusionner avec l’Association du 11 Janvier. On ne vous demande pas d’argent. On demande juste des citoyennes et citoyens qui veulent s’impliquer pour leur pays.
Parce que la politique, au fond, est une chose trop importante pour qu’on la aux politiciens.
Ne dites plus que François Fillon est de l’UMP, il est parti avec ses petits camarades créer le R-UMP, abréviation de Rassemblement-UMP – oui, oui, malgré toutes ces divisions – mais aussitôt rebaptisé dans un grand éclat de rire le « RUMP« … Et comme nous le rappelle aimablement @GallicaBnF, il y a même un précédent historique :
Extrait de L’Encyclopédie du 19e siècle, consultation sur Gallica.bnf.fr
Plus près de nous, François Mitterand utilisa cette expression de « parlement croupion » dans son livre Le Coup d’État permanent, pour désigner celui qui obligea le général de Gaulle à se retirer à Colombey, sous la IVe République.
Bref, pas seulement une histoire de fesses… À moins que l’on n’invite Mme Stallone mère pour lire l’avenir de ce nouveau parti dans la « rumpologie » ?
Au passage, quelques interrogations de fond. De société, comme on dit :
« Dans des nations où les populations autochtones se sont sédentarisées à la fin du 19e siècle, début du 20e (France, Italie par exemple) la résurgence de populations “mobiles” Roms en voyage permanent avec conditions sanitaires odieuses ne projette-elle pas dans l’opinion un rappel de la misère du passé ou des arrières-arrières grands parents qui chiaient au fond du jardin ? Et donc l’envie de leur dire : Installez vous quelque part et restez y, faites comme nous… Là c’est un vrai débat de société, n’oublions jamais que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Peux-t-on imposer à des gens un mode de vie, et donc d’être sédentaire ? »
En fait, pour mémoire, c’étaient même souvent nos parents qui n’avaient pas de sanitaires dans la maison, pas de tout-à-l’égout, voire pas d’eau courante. Dans la famille de ma mère, chez des paysans du Sud-Ouest, je me souviens d’avoir vu ça dans les années 70, les WC au fond du jardin. Et l’évier qui s’écoulait par un tuyau traversant le mur de la cuisine, dans une rigole qu’on enjambait pour aller au potager.
On pourrait aussi chipoter sur le fait que les populations autochtones ne se sont pas toutes sédentarisées. La plupart des gens du voyage sont de nationalité française, parfois depuis longtemps ; et en Europe centrale et de l’est, certains Roms et autres populations tziganes sont sédentaires, ou l’étaient récemment, jusqu’aux bouleversements politiques, économiques, sociaux qui ont suivi la chute du Mur de Berlin. Mais passons.
Il y a des problèmes culturels, aussi, nous dit-on, de part et d’autre. Faut-il évoquer les raisons de la défiance des nomades en Europe à l’égard de l’État, des institutions, des gouvernements ? Le 20e siècle a été celui de la sédentarisation forcée, des discriminations étatiques, des enfants enlevés à leurs parents pour les « rééduquer », celui de la stérilisation forcée de gens que l’on considérait comme « génétiquement criminels » (jusqu’en 1975, en Suède) ; ce fut celui, en France, de l’instauration du carnet de circulation (que le Conseil constitutionnel vient tout juste d’abroger) et, pendant les guerres, de l’internement dans des camps de nomades soupçonnés de n’être pas de « bons citoyens », puisqu’ils franchissent si aisément les frontières… Ne parlons même pas du génocide tzigane pendant la Seconde Guerre mondiale, parallèle à celui des juifs.
Aujourd’hui, en France, en 2012, on reparle des problèmes de cohabitation avec les nomades, on parle de conditions sanitaires d’hébergement déplorables, et d’enfants qui subissent cette existence marginale. Jusque, trop souvent, à être victime de violences policières. Et après dix ans de droite au pouvoir, la protection judiciaire de la jeunesse manque de personnel…
On parle aussi, en vrac, de trains et autres systèmes électriques qui ne fonctionnent plus à cause des câbles volés pour revendre le cuivre. (Pas que le fait de Roms venus de Roumanie, loin de là…) On parle des 1 million de personnes sans abri ou mal logées en France – nomades forcés, parfois, travailleurs pauvres vivant dans leur voiture ou dans des squats. On parle de campements illégaux et de municipalités enfreignant la loi du 5 juillet 2000 en ne prévoyant pas de terrain pour l’accueil des gens du voyage. Et qui sont rarement sanctionnées.
Il y a en même temps beaucoup de pauvreté en général, et des besoins spécifiques aux nomades. Il y a les conséquences logiques de la misère et de l’économie parallèle qui s’y développe… Il y a des pays européens qui se renvoient la balle « Roms », voire détournent les aides censées aider à leur insertion.
Et il y a des gens qui se méfient a priori des Roms (ou des nomades ? ou des pauvres ? pas clair dans ce billet) pour des raisons culturelles, sur l’air du : « Même si on leur donnait à tous de quoi vivre dignement, ils ne le feraient pas », etc.
Ah ouiche. Où ai-je entendu ça, déjà ? Hmm.
Mais ne soyons pas trop durs. Ce genre de discours n’éclot pas que sous la plume de blogueurs et blogueuses à la pensée plus légère que la plume. Quand l’historien Emmanuel Todd répond aux questions de Marianne, à propos de Hollande et l’Europe, et que toute ma blogo-twittosphère répercute quelques phrases chocs, je m’étonne que personne, dans le tas, n’ait tiqué sur ce passage :
« Que pensez-vous du fait que rien n’a semblé plus urgent l’été dernier au gouvernement socialiste fraîchement en place que de démanteler les camps de Roms ?
E.T. : Je ne suis pas choqué. A l’époque Sarkozy, j’avais dit que je connaissais la culture rom en tant qu’anthropologue et que les gens seraient surpris de ce que j’en pensais. Dans Le Destin des immigrés, qui date de 1994, je pose les cultures juive et rom comme antinomiques sur certains axes. Ce qui était inadmissible dans l’attitude de Sarkozy, c’était que le président de la République française fasse des Roms une question politique centrale. Mais la culture rom pose des problèmes renouvelés dans notre monde atomisé par la globalisation. Il faut donc traiter ce problème, et c’est bien qu’il soit désormais pris en charge par le ministère de l’Intérieur sans être instrumentalisé par l’Élysée. »
Il est vrai que dans le suivant, il ajoutait : « La gauche ne doit jamais oublier que le véritable ennemi, c’est les riches. »
L’honneur est donc sauf, et on ne lui demandera pas ce que par là il voulait dire.