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Trucs d’écriture (19) : Dire aux lecteurs les choses que je sais

On gagne à écouter les retours de lecture, même si on n’est pas d’accord avec. C’est l’occasion de découvrir son texte avec d’autres yeux, ceux de gens qui ne connaissent pas l’histoire aussi bien que je la connais… Et qui donc ont besoin qu’on leur dise des choses qui peuvent me sembler évidentes à moi, l’auteure. Mais ne le sont pas pour eux.

J’ai déjà parlé de cet éditeur de revue de fantasy/fantastique qui m’avait conseillé de mettre plus de détails sanglants dans une nouvelle. En effet, mon texte, en l’état, péchait par l’insuffisance de matière : c’était plus un résumé qu’une histoire avec des personnages en chair et en os. En les faisant saigner (au propre comme au figuré), j’ai pu passer cet écueil. Et la nouvelle obtenue a été ma toute première publication professionnelle, payée. Pas mal.

Rebelote il y a à peu près deux ans, quand j’ai envoyé mon roman Du sang sur les dunes à des éditeurs. Assez rapidement, je reçois un courriel d’un éditeur (non, pas celui du 81, attendez la suite…) qui me remercie pour cet envoi mais regrette qu’il ne peut le publier tel quel.

Jusque là, rien que de banal. Mais il ajoute quelques remarques et suggestions, et indique que si je les intégrais au texte, il pourrait reconsidérer sa décision.

Gros remue-méninges de ma part. D’un côté, j’avais certes envie d’être publiée. De l’autre, cet éditeur ne faisait pas partie de mes préférés, pour diverses raisons. Je l’avais sélectionné parce qu’il publiait parfois des romans policiers historiques, mais ce n’était pas non plus sa spécialité. Bref ce ne serait pas non plus une grosse perte s’il disait non. Finalement, j’ai décidé de ne pas réécrire le texte dans le vague espoir de satisfaire cet éditeur. J’étais déjà engagée dans la rédaction d’un autre roman, de toute façon, et cela me semblait du temps mieux employé. J’ai donc répondu poliment, sans m’engager.

Mais j’ai tout de même réfléchi aux suggestions.

C’étaient pour l’essentiel des questions sur ce que le lecteur savait ou pas de mes personnages et de leurs motivations. Autour du protagoniste, notamment. Mais il y avait aussi une remarque qui m’a semblé au premier abord un peu absurde : il trouvait que ça manquait de femmes !

Sur le moment, je me suis demandé s’il avait lu en entier le manuscrit. Il y a en effet dans Du sang sur les dunes plusieurs personnages féminins bien distincts, dont deux jouent un rôle absolument clef. D’où pouvait provenir cette impression ? À force de réfléchir, et d’essayer de me mettre à la place du lecteur, j’ai fini par réaliser que ces personnages n’étaient pas présents au tout début du roman, mais qu’on les découvrait à partir du troisième chapitre environ.

J’avais déjà décidé que je ne réécrirais pas de fond en comble le roman, mais je pouvais ajuster certains éléments. Je me suis donc arrangée pour mentionner dès les premières pages les noms de quelques personnages féminins qu’on rencontrerait plus tard. Histoire de signaler à celui ou celle qui lit que ce roman contenait bien de tels personnages.

Même procédé pour les questions au sujet du héros : j’ai ajouté quelques lignes pour rendre plus claire sa position et les raisons qu’il avait de mener l’enquête. C’est cette version qui a été publiée aux Éditions du 81 en 2021. Et j’en suis plutôt contente.

Que mange-t-on dans votre roman ?

Quel rapport entre Bilbo, Gargantua, Harry Potter, le commissaire Montalbano, Dr Kay Scarpetta… et Jonathan Harker, dans Dracula ?

Réponse : ce sont des héros de romans, et nous sommes informés dans les détails de ce qu’ils mangent !

Ce sont aussi des personnages d’œuvres qui ont connu beaucoup de succès. Et mon intuition est que cette affaire de nourriture n’est pas extérieure à cette popularité. Souvenez-vous, le roman Bilbo le Hobbit commence par un Five o’clock tea de proportions épiques. Dans Dracula, Harker, en bon touriste, prend note des recettes locales durant son voyage en Transylvanie. Harry Potter passe de la sous-alimentation chronique chez ses affreux oncle et tante à un vaste choix de bonbons et friandises magiques dès qu’il monte dans le train de Poudlard. Scarpetta et Montalbano sont bien sûr férus de cuisine autant que détectives hors pair. Enfin, j’imagine qu’il n’est pas nécessaire de présenter Gargantua.

Manger est une activité des plus basiques, une nécessité vitale pour les animaux que nous sommes. Les sensations gustatives ont quelque chose de primitif, mais aussi d’universel : évoquez un aliment, vous en aurez le goût à la bouche. Bref, cela fonctionne comme un raccourci émotionnel. On se souvient de la fameuse madeleine de Proust

En même temps, la cuisine est un domaine hautement culturel, avec des variations locales et sociales infinies. Donner un menu, c’est donner un aperçu du mode de vie des personnages impliqués : production agricole, circuits commerciaux, division des tâches, hiérarchie sociale… Même la géopolitique, s’en mêle quand on parle du commerce des « épices » et des empires qui se sont bâtis dessus.

Bref, parler de nourriture est un outil puissant quand on écrit de la fiction. Cela permet de faire partager directement les sensations des personnages, de rentrer dans leurs émotions les plus intimes. La lecture est réputée comme une activité cérébrale, mais quand il s’agit de nourriture, notre néo-cortex s’efface derrière les couches les plus animales du cerveau émotionnel.

D’autre part, cela enrichit l’univers du roman, lui donne plus de texture tout en aidant à en montrer la complexité. Ainsi, dans Augusta Helena, je me suis bien amusée avec les repas des Romains, depuis des banquets luxueux et même vulgaires, loirs rôtis, ortolans et ainsi de suite, jusqu’à la maigre cuisine des moines sur leur montagne. Dans Du sang sur les dunes et les romans qui suivront, c’est à l’alimentation sous la Révolution et le 1er Empire que je me suis intéressée, bien sûr. Cuisine simple et roborative dans une auberge, menus sophistiqués des nouveaux riches, variations régionales en France et en Europe… Il y a de quoi faire.

Ce sont des techniques utiles pour le roman historique, évidemment, pour aider à faire vivre un univers différent. Mais aussi pour la création de mondes imaginaires de science-fiction et de fantasy. Pour en revenir à Bilbo, rien n’illustre mieux le dessein de Tolkien de faire une « mythologie pour l’Angleterre » que les menus de ses Hobbits, leur rapport à l’alimentation, aux jardins et à l’agriculture, même les ustensiles et l’organisation de leurs maisons, avec les diverses dépenses et garde-manger.

Vous reprendrez bien un scone avec votre thé ? Ou bien un peu de garum dans le ragoût ? Dis-moi ce que mangent les gens que tu lis, je te dirai qui ils sont !

Polar malgré soi ? Le cas Augusta Helena

Il s’est passé quelque chose de curieux pendant que j’écrivais Augusta Helena : je n’étais pas partie pour produire un roman policier, mais c’est pourtant ce qui s’est passé. Mon intention de départ était simplement de faire un roman d’aventures historiques dans une époque riche en contrastes et en personnages hauts en couleur, et puis au final, c’est autour d’une intrigue policière que tout s’est noué ! Plusieurs intrigues, même : meurtres, disparitions, espionnage, plus toute la gamme des crimes de pensée définis par les religions : hérésie, blasphème, et ainsi de suite.

Comment est-ce possible ? Ai-je vraiment écrit un polar sans m’en rendre compte, comme M. Jourdain faisait de la prose ?

Ce qui s’est passé, je pense, c’est que je suis une lectrice de romans policiers depuis longtemps, quasiment depuis que je lis toute seule si on compte les séries pour enfants (Club des Cinq et autres) et les bandes dessinées. Et beaucoup de romans policiers différents, depuis le cosy mystery jusqu’à l’ultra noir, en passant par les polars historiques ou ethnographiques de Van Gulik ou Arthur Upfield, et même le « polar à chats », de Lilian Jackson Braun à Sophie Chabanel.

Il n’est donc pas très étonnant que mon cerveau, au moment d’assembler les pièces d’un roman, se soit mis à reproduire des motifs de meurtres, de mystère, d’enquête, d’indices et de révélations en cascade. Qui a machiné la mort de Crispus et Fausta, le fils et l’épouse de Constantin ? Pourquoi la supérieure d’un monastère a-t-elle disparu après avoir lu certains livres sulfureux ? Bref, tout pour faire un bon polar. Le point de départ du roman lui-même, la découverte de la Vraie Croix, est déjà une énigme : selon les versions, c’est l’impératrice Hélène qui la met au jour, selon d’autres, c’est l’évêque de Jérusalem, lors des travaux d’une grande basilique ordonnés par l’empereur Constantin. Quelle est la bonne version ? Est-il possible de raconter cette histoire en prenant en compte tous les indices, en réconciliant la l’Histoire et la Légende Dorée ?

Au final, je me retrouve avec un roman noir historique, ce qui m’a mise sur le chemin des Éditions du 81, qui veulent cultiver ce genre particulier. Avec Du sang sur les dunes, et maintenant Augusta Helena, je leur ai fourni de la matière. De quoi faire un petit bout de chemin ensemble. Et non, ce n’est pas fini !

On relance ! Téléchargez #Doors, lisez Irène Delse

Je vous parlais récemment du rachat de la plateforme de lecture en ligne Doors par l’entreprise Vivlio, leader européen du livre électronique. En pratique, comment cela va se passer ?

Très simplement : l’appli Doors reste telle quelle, le catalogue existant est toujours là et les abonnements sont valables comme d’habitude. Pareil pour les auteurs qui voudraient soumettre des projets : toutes les infos sont sur la page du comité de lecture de Doors (notez l’icône Vivlio dans le coin).

C’est compris ? Pour essayer l’appli Doors, il suffit de la télécharger sur votre boutique en ligne favorite (pour Android, c’est par ici) pour profiter des 15 jours gratuits, puis chercher dans les catégories SF pour L’Interprète et Fantasy pour L’Héritier du Tigre.

Il y a encore quelques bugs, mais pour l’essentiel, ça marche : on lit, on passe d’un épisode à l’autre sans problème, etc. Alors, si le cœur vous en dit, sautez en marche dans l’aventure ! Et n’oubliez pas, si vous avez apprécié, de noter et laisser un commentaire dans l’appli. Plus une série marche, plus l’auteure sera motivée pour écrire une suite, c’est bien connu.

Lecture en ligne : de Rocambole à Vivlio, affaire à suivre

L’Interprète, série originale d’Irène Delse, parue sur la plateforme Doors de Rocambole

C’était dans les tuyaux depuis un petit moment, mais cette fois, c’est officiel : l’entreprise lyonnaise Vivlio, numéro trois sur le marché de la lecture numérique en France (après Amazon et Kobo, on l’aura compris), rachète la plateforme de lecture en ligne Doors, dont vous avez déjà entendu parler ici sous le nom de Rocambole, comme la start-up à l’origine du concept.

Deux cent mille lecteurs et lectrices, un million d’épisodes lus : il y a clairement un public pour cette plateforme de lecture en streaming sur smartphone. C’est ce qui intéresse Vivlio, qui est actuellement vendeur de liseuses et de livres électroniques « classiques » et lié au groupe Cultura, mais cherche à se diversifier. Il s’agit d’une autre forme de lecture, par épisodes comme dans les feuilletons à l’ancienne… Ou comme les séries audiovisuelles ! Être un « Netflix de la lecture », tel était bien l’ambition de Rocambole au départ.

Certes, le couperet est tombé pour la jeune pousse Rocambole, née en 2019 et mise en liquidation judiciaire en 2022. Mais la graine Doors, la plateforme de lecture en ligne, va être replantée chez Vivlio.

Et cela a une conséquence importante pour les auteurs qui ont des textes publiés sur Doors, comme moi : Vivlio reprend tout le catalogue, afin d’alimenter la plateforme de lecture en ligne, mais aussi dans certains cas pour publication plus classique sous forme papier et/ou livrel. Cela dépendra des titres, de la réaction du public, etc. Il y a même à l’horizon un partenariat avec une maison de production intéressée par ce vivier de textes où puiser pour des adaptations audiovisuelles.

Et moi dans tout ça ? Pour l’instant, je suis le mouvement. Mon contrat avec Rocambole étant toujours valable, il est transféré à Vivlio. On va voir s’ils peuvent faire quelque chose avec mes deux titres, L’Héritier du Tigre et L’interprète… Et si, qui sait, je n’ai pas d’autres textes à leur proposer.

Affaire à suivre. Mais dans tous les cas, je vous en reparlerai ici.

Un roman, deux romans… Et plus si affinités

Photo : mon livre, Du sang sur les dunes, sur un présentoir de librairie
Premier d’une série de romans noirs historiques

C’est encore un peu tôt pour donner des détails, mais je peux déjà l’annoncer : l’année 2022 sera celle d’une nouvelle parution aux éditions du 81 ! Oui, un autre roman signé Irène Delse… Si vous avez suivi ce blog, vous devez avoir une ou deux idées sur le titre précis. Je ne vous en dis pas plus. Mais je suis très, très contente.

D’ici là, ma fois, il y a Du sang sur les dunes, mon polar historique, toujours disponible. Idéal pour un cadeau à une grande lectrice ou grand lecteur. Il n’est pas trop tôt pour penser à Noël, donc… N’hésitez pas à le demander au libraire si vous ne le voyez pas, les livres restent parfois peu de temps sur les tables. Et si vous avez l’occasion d’en parler sur votre forum littéraire favori, en ligne ou IRL, ce serait formidable. N’oubliez pas : mieux ce livre de vendra, plus on pourra envisager d’en publier d’autres ! À bon entendeur, salut.

Mon roman Du sang sur les dunes, à paraître aux Éditions du 81 !

Couverture du roman "Du sang sur les dunes". Illustration : des bateaux à voile anciens, sur une mer démontée, et un bandeau rouge en haut et en bas.
Temps houleux annoncé ! Surtout pour mes personnages…

(Mise à jour du 20/08/2021 : ça y est, l’objet est arrivé en librairies ! Champagne !)

(Mise à jour du 13/08/2021 : La publication est désormais prévue au 20/08/2021. On croise les doigts !)

(Mise à jour du 12/07/2021 : il y a eu un problème chez l’imprimeur, et je ne sais pas quand aura lieu la sortie du bouquin. Désolée. Je vous tiendrai au courant dès qu’il y a du nouveau.)

Vous savez, le roman que j’ai commencé le 1er juin 2020, au sortir du 1er confinement, et dont j’ai à plusieurs reprises évoqué ici les thèmes et surtout les personnages ? Eh bien, il devrait bientôt voir le jours aux éditions du 81, dans leur collection « Romans noirs historiques ». Le titre : Du sang sur les dunes. Tout un programme.

De quoi s’agit-il ? Selon la 4e de couverture :

« À l’été 1805, le capitaine Antoine Dargent enquête sur la mort mystérieuse d’un ingénieur à Calais, en marge de l’immense armée réunie par Napoléon pour attaquer l’Angleterre. Quand il réalise que les plans de l’ingénieur concernaient un nouveau type d’arme capable de briser la supériorité maritime des Britanniques, il doit rapidement reconstituer les papiers manquants avant d’être lui-même victime d’agents anglais prêts à tout pour tuer dans l’œuf une telle invention… Découvrez ce polar historique passionnant au suspens insoutenable qui vous emmène au cœur des dunes et des complots. »

Une bonne lecture d’évasion, en somme. Plus qu’à espérer que beaucoup de lectrices et de lecteurs seront de cet avis. Et n’hésitez pas à jeter un œil aux autres titres de l’éditeur : des polars historiques situés à Venise au XVIIIe siècle, de quoi voyager sans souci de certificat sanitaire.

N.B. Précision sur la date de parution : cela aurait dû être le 11 juin, et c’est celle qui figure sur la page Amazon du bouquin, sur celle de la Fnac, etc. Mais un problème technique a obligé à la décaler à début juillet. Je vous tiendrai au courant dès que j’aurai la date précise. En attendant, il n’est pas interdit d’en parler à vos libraires favoris. Plus il y aura d’intérêt pour le livre, et plus tôt, mieux ce sera.

(Aussi sur mon Substack.)

La lecture, grande cause nationale – ne boudons pas les bonnes nouvelles !

Un chaton vautré au milieu des livres.
Mon rêve ! Mais évidemment, pas celui de tout le monde.

Je vais être franche : quand il s’agit de lecture, je ne suis pas du tout désintéressée. Après tout, j’essaie de trouver un lectorat, tant ici, en ligne, que par des canaux plus traditionnels ! Pour que je sois lue, encore faut-il que les gens lisent.

Donc je suis très contente de la décision du président de faire de la lecture une « grande cause nationale » pour la période allant de l’été 2021 à l’été 2022. Mais pas seulement à mon petit niveau égoïste. Il y a d’autres raisons de s’inquiéter du devenir de la lecture en France et de vouloir faire des efforts pour l’encourager, d’une part comme art de vivre, d’autre part comme outil indispensable à l’exercice des droits de citoyen, voire à la vie quotidienne, tout simplement.

Il y a par exemple beaucoup de gens, quel que soit leur degré d’éducation, qui ne consomment quasiment plus de fiction sous forme écrite – surtout des adultes, car les enfants et ados lisent encore. L’audiovisuel à volonté des Netflix, Amazon Prime et compagnie occupe le temps de loisir et est calibré (de façon tout à fait volontaire) pour être addictif à un point qu’il sera toujours difficile pour l’écrit de ne serait-ce qu’approcher. Manque de goût, manque de temps, aversion à l’effort ? Lire demande un certain entraînement, c’est incontournable, et pas seulement pour déchiffrer : il y a tout un travail d’élaboration cérébrale, de création d’images mentales à partir des mots… D’ailleurs il existe des gens qui en sont incapables à cause d’un dysfonctionnement du cerveau, l’aphantasie. Pour eux, l’image est indispensable afin de pouvoir profiter d’une histoire.

Mais ce n’est pas le cas de la majorité des non-lecteurs, bien sûr. On est plus dans un schéma de déshabituation : après la fin de la scolarité, on cesse d’être obligé de fréquenter quotidiennement les livres, et comme ceux-ci restent associés aux devoirs et examens, on se tourne vers des loisirs qui ne demandent plus de lire, ou du moins de lire de façon suivie et attentive le même texte pendant un moment. Car dans le même temps, ces non-lecteurs sont des usagers des réseaux sociaux, de jeux vidéos et autres activités qui requièrent un peu de lecture et/ou d’écriture, au moins de façon ponctuelle.

C’est bien différent des 7% de gens qui sont réellement illettrés, qui ne déchiffrent qu’avec effort et pour qui se débrouiller dans un monde où l’écrit est partout est déjà une galère. On n’y pense pas, mais parfois un incident nous rappelle cette vérité : une vieille dame, au supermarché, qui demande timidement qu’on lui lise une étiquette pour être certaine que telle marque ne contient pas tel produit auquel elle est allergique ; tel usager, au guichet d’administration, qui commence par demander qu’on lui explique le formulaire, et au final on doit le remplir pour lui. Tout ça avec pas mal de gêne et de dignité. Bien entendu, quand on a autant de mal avec l’écrit, on ne passe pas ses loisirs avec des livres…

L’initiative du président va bien sûr dans le sens d’une promotion de la lecture, pour encourager les gens qui le peuvent à ne pas fuir après la fin des études, à trouver du plaisir dans la fréquentation des livres, dont l’immense diversité est déjà un gage que chacun peut trouver des titres à son goût. Et je n’excluerai pas les bédés et les mangas : texte et images sont là complémentaires, c’est une dimension de plus pour l’écrit.

Mais j’espère bien qu’on pensera aussi à ceux qui ont décroché, et qu’il y aura des dispositifs pour les aider à dépasser le blocage de l’illettrisme. Idéalement, il faudrait aussi changer là-dessus le regard de la société. C’est aujourd’hui pris comme une honte de ne pas savoir lire, ou du moins une aberration dont les gens ne parlent pas. Pourtant, si on veut les aider à « raccrocher », on pourrait imaginer des supports spécifiques, des livres spécialement édités et présentés. Usage de polices typographiques adaptées aux dyslexiques, gros caractères, textes courts ou assez simples pour des lecteurs « faux débutants », en imitation de ce qui se fait pour l’apprentissage des langues… Et bien sûr le couplage livre écrit avec version audio : on peut imaginer dans le livre un code QR à scanner pour télécharger le fichier audio.

Ce sont des pistes, mais pas les seules. L’important, c’est de penser qu’il y a des gens pour qui la lecture est encore un continent inconnu, et d’essayer de les aider à s’en rapprocher. Au final, ce sera peut-être plus simple que de convaincre les habitués de Netflix de consommer aussi de la prose.

(Également publié sur Substack.)

« Des images peuvent choquer » : préparer ses lecteurs au pire

Une histoire sombre, pour un jeune public : c’est possible. (Mon roman L’Héritier du Tigre, disponible chez Rocambole)

On a tous eu de mauvaises surprise avec un roman, un jour ou l’autre, quand l’histoire se révèle plus glauque que ce que la 4ème de couverture avait laissé entendre, ou prend un détour imprévu vers la violence, le sadisme ou autres joyeusetés. C’est le genre de choses qui poussent certains militants (tant côté lectorat que chez ceux et celles qui écrivent) à demander qu’on insère systématiquement au début des livres des mises en garde détaillées sur le contenu, comme sur les sites d’autopublication en ligne comme Fanfiction.net.

Ce n’est pas absurde en soi : après tout, une bonne 4ème de couverture est là pour donner une idée juste du thème et de l’atmosphère du livre, et les autres éléments de paratexte aussi : visuels de couverture voire intérieurs, extraits et/ou résumé, etc. On voit vite la différence entre la Série Noire et la Bibliothèque Rose !

Mais savoir la tonalité globale du livre ne suffit pas à certains. Et les sujets à problème ne recouvrent pas que la violence : le suicide, les maladies mentales, l’alcool et les autres addictions, le cancer, les insultes à caractère raciste ou homophobe (même quand ça fait partie de l’intrigue), le mépris envers les obèses et ainsi de suite. On peut imaginer de multiplier ça à l’infini, surtout quand on voit que certains auteurs scrupuleux avertissent en ouverture de leur propre ouvrage qu’il contient une scène où un personnage boit un verre de vin…

On est loin là des alertes sur des descriptions de viol ou de torture, avec lesquelles les partisans du système de « content warning » ouvrent en général la conversation.

Disons-le tout de suite, je ne nie pas que de tomber de façon inopinée sur certaines scènes peut être traumatisant pour certaines personnes ; en fait, ça m’est arrivé plusieurs fois moi-même. On ne parle pas ici juste de lecture déplaisante, mais qui réactualise un souvenir traumatique grave (abus sexuels, maltraitance dans l’enfance…) et cause des effets physiques (tachycardie, tremblements et autres signes d’une crise d’angoisse…) et/ou psychologiques (dépression, envie de suicide). On subodorera que les vraies lectures traumatiques sont moins fréquentes que les lectures « simplement » désagréables, même si la confusion semble régner même dans l’esprit de certains avocats des avertissements. On se doute aussi que ce genre de réaction tend (heureusement) à s’atténuer avec le temps et à l’aide d’une bonne psychothérapie.

Mais au fait, pourquoi certains sites (notamment ceux qui publient de la fanfiction comme Fanfiction.net, Archive Of Our Own) utilisent-ils de tels avertissements ? Tout bêtement parce que ce sont des sites et non des livres : il suffit d’un clic pour se retrouver potentiellement sur une scène de meurtre, sans le filtre de l’habillage du texte qu’est la couverture, le paratexte, etc. Autre raison : il n’y a pas d’éditeur pour mettre les textes dans une collection appropriée, avec la présentation adaptée… et bien souvent pour retravailler le texte !

Eh oui, c’est l’autre raison qui rend indispensable un système d’avertissement sur des sites qui balancent en directe la prose brute d’auteurs en devenir : on y trouve littéralement tout et n’importe quoi.

Je ne dis pas ça comme une critique : c’est normal qu’il y ait des trucs bizarres, on a là un nombre considérable d’auteurs et d’auteures qui font leurs gammes, qui explorent leur inconscient aussi bien que leurs techniques littéraires. Certains vont s’amuser à prendre le point de vue d’un sadique pour torturer des innocents, d’autres cherchent à imiter un livre ou une série à suspense, crimes des méchants de l’histoire inclus ; et d’autres encore vont utiliser la fiction pour exorciser leurs propres traumatismes. Cela fait bien des raisons de mettre en garde sur des choses déplaisantes, des abus sexuels au racisme ou au suicide.

Si, cependant, on se place dans le cadre d’une édition classique, ou même d’une autoédition de qualité professionnelle, le texte n’est jamais livré brut mais accompagné d’une description, d’illustrations, éventuellement d’un extrait (surtout pour la version livre électronique), de citations d’auteurs qui écrivent dans la même veine… Bref de signes avant-coureurs.

Mieux encore : un livre ainsi édité aura subi le filtre d’une lecture éditoriale, au cours de laquelle sont normalement relevés les passages qui nuisent à la cohérence, à la compréhension et à la bonne appréciation du texte, ce qui inclut de relever les passages où il y a rupture de ton, de thème ou d’atmosphère, bref par exemple si on débouche sur une scène de torture sans que rien ne l’ait laissé deviner. Et un bon éditeur demandera si nécessaire de retravailler ces passages, pour qu’il y ait des éléments annonciateurs dans le récit même, ce qu’on appelle joliment en anglais foreshadowing.

Faites l’expérience vous-même avec des livres de genres et d’auteurs différents. Tel roman policier arbore une couverture dans les teintes sombres avec une giclée de rouge, la 4ème de couv emploie les mots « glauque », « macabre » et « cauchemar », et les premières pages sont consacrées à la description d’un cadavre mutilé… Voilà un livre où on est susceptible de tomber sur une scène de violence et de mutilation sur un personnage vivant, et on s’y attend.

Ou bien je peux prendre comme exemple mon propre premier roman, L’Héritier du Tigre. Le texte s’ouvre sur l’intrusion violente d’agresseurs dans le réduit où s’est barricadée la famille du jeune héros. C’est une situation de vie ou de mort, et il devient vite évident que les parents du gamin ne vont pas survivre, et que lui-même va en réchapper de très peu, et côtoyer au cours du récit toutes sortes de dangers, tant physiques que psychologiques. Une entrée en matière brève, avec peu de détails, mais qui indique dès le tout début que c’est le genre d’univers fictionnel où sont possibles meurtre, torture, esclavage… Bien sûr, on peut choisir de reposer le livre sur l’étagère après cet avant-goût, ou bien continuer en toute connaissance de cause.

On pourrait ainsi multiplier les cas où le foreshadowing remplace avantageusement le content warning, en augmentant le plaisir de lecture au lieu de servir simplement à mettre la personne sur ses gardes. Car préfigurer ce qui va se passer est en quelque sorte faire une promesse au lecteur, et la suite de la lecture est ce qui remplit cette promesse… une astuce, je dirais presqu’un truc, dont on aurait tort, en tant qu’auteur, de se priver.

L’Interprète, premières notes de lecture (et c’est encourageant)

Quatre jours seulement depuis la parution de L’Interprète chez Rocambole, et déjà les premières notes de lecture sont là. Tout va vite dans l’édition en ligne ! La liste n’est pas exhaustive (il y en a sûrement que je n’ai pas vues) mais voici déjà une note de lecture sur le blog d’Alouqua, et une autre sur Twitter par L. Williams.

Si vous avez d’autres critiques, n’hésitez pas à les mettre sur la page Babélio ou Booknode de L’Interprète… Ou bien venez discuter avec nous sur le Discord de Rocambole ! Plus on est de fous, plus on lit.