Napoléon dans le multivers

Un ami qui venait d’assister à une avant-première du film a eu ce verdict amusé : « Un Napoléon prédateur, une espèce d’alien. »

C’est peut-être la meilleure façon de regarder le fameux et controversé Napoléon de Ridley Scott : comme un récit d’aventures épiques dans un univers parallèle, dans la veine d’Avatar ou de La Guerre des étoiles, se déroulant non pas dans la réalité historique de la France et du monde des XVIIIe et XIXe siècle, mais dans une galaxie très très lointaine. Et mieux vaut de ce point ce vue aller à une séance en VO anglaise, pour ne pas être tenté de se croire en pays connu.

Bizarre de prendre des événements et personnages historiques pour en faire une histoire qui s’en écarte autant ? Ce n’est pas la première fois. Il n’y avait déjà pas beaucoup de réalité féodale dans Kingdom of Heaven, et les Romains de Gladiator n’ont pas grand-chose à voir avec ceux dont nous avons conservé la trace.

Oh, pas de façon évidente, certes ! Les costumes et le décor sont excellents, les armes, les accessoires, etc. Mais les relations sociales, les mentalités, la politique, tout cela est un peu… Disons fictif, pour être polie. Les médiévaux qui expriment des idées morales et philosophiques issues tout droit des Lumières, par exemple. Ou une Rome où les idées sur la famille et le pouvoir  ressemblent plus à celles de Shakespeare que de Tacite.

Mort d’une Merveilleuse : après la Campagne d’Italie, les intrigues du Directoire…

Et puis il y a la façon dont Scott se laisse emporter par le désir de faire des scènes iconiques. Placer un jeune Napoléon Bonaparte sur le passage de la charrette menant Marie-Antoinette à l’échafaud : quelle belle image ! Quel raccourci visuel sur le passage de la Révolution à l’Empire ! Dommage que cela n’ait bien sûr jamais eu lieu.

Ou bien prenez cette bizarre canonnade des pyramides… À quoi bon, sur le plan militaire ? On ne se battait pas contre le spectre de Khéops !

Plus gênant, le fait qu’un film qui se propose de raconter la vie du fondateur de la France moderne fasse l’impasse sur toutes les questions politiques : reconstruction après la Révolution, centralisation, création d’institutions qui durent encore aujourd’hui, comme les préfets, le « Code Napoléon », les lycées, et hors de France la création du royaume des Pays-Bas, la promotion de l’unité italienne et de l’idée de nation en Pologne… Ce ne sont pas juste Marengo et Austerlitz qui ont fait de Napoléon ce qu’il était. C’était autant un bâtisseur qu’un conquérant, sinon il n’aurait pas laissé la marque qu’il a laissée dans l’histoire. Et ne parlons même pas de l’épisode suivant, le Second Empire. L’ombre des Bonaparte plane sur tout le siècle. Pas besoin d’être inconditionnel de Napoléon pour le reconnaître.

Nombreux sont les historiens qui ont réservé au film un accueil sceptique, surtout en France, et le réalisateur réagit, il faut bien l’avouer, avec les accents de quelqu’un dont l’ego est blessé et qui ne comprend pas pourquoi tout le monde ne tombe pas en admiration devant le fruit de ses travaux. « Pétulant », pourrait-on dire. Ou « vexé ».

Mais je ne le plaindrai pas. Les débats autour du film ne peuvent qu’attirer plus d’attention et d’intérêt public. Et déjà on y voit une œuvre qui marquera sa génération : c’est « le » Napoléon du XXIe siècle, du moins jusqu’au prochain. Et qui sait ? Ce sera peut-être l’occasion de raviver l’intérêt pour l’histoire en général et le tournant des années 1800 en particulier. Une époque cruciale pour comprendre le monde tel que nous le connaissons, pour comprendre d’où nous venons.

Du sang sur les dunes : quand Napoléon voulait envahir l’Angleterre…

Quels rapports entre la recherche historique et la fiction historique ? Comment être fidèle à la réalité qu’ont vécu nos ancêtres sans se perdre dans des détails anecdotiques ?

Je ne suis que l’une parmi les nombreux auteurs qui ont utilisé la Révolution et l’Empire comme toile de fond de romans. Est-ce que j’espère que ceux-ci profiteront peu ou prou d’une Napoléomania inspirée par ce film ? À votre avis !

Laisser un commentaire