Les délais des éditeurs de livres ne sont pas ceux du Net. On me le faisait remarquer récemment sur Twitter, et le dernier rebondissement de l’affaire Houellebecq en apporte encore une illustration.
Flammarion n’avait pas moufté au mois de septembre dernier, quand le blogueur Florent Gallaire avait mis en ligne le dernier roman de Michel Houellebecq sous licence Creative Commons, à la suite de l’usage de textes issus de Wikipédia (et donc sous CC BY-SA) par le romancier…

Mise en ligne gratuite qui devrait d’ailleurs être parfaitement légale, aux termes des conditions d’utilisation de ces licences: Houellebecq avait parfaitement le droit de copier Wikipédia tant qu’il voulait, mais il aurait dû publier son œuvre sous une licence identique! Florent Gallaire, et quelques autres (sur le site Ebooksgratuits.com, notamment) ne faisaient là que réparer, disons, un oubli de sa part…
Enfin, était-ce vraiment un oubli, ou de l’ignorance? Il n’est pas mauvais de lire à ce propos un récent billet de Veni Vidi Libri sur la nécessité d’accompagner l’usage de la licence Creative Commons, à l’usage des non-initiés. Y compris ceux du monde de l’édition…
(À noter: l’auteur du billet, tout comme la présidente de Wikimédia France, d’ailleurs, ne partage pas l’opinion de Florent Gallaire sur la légalité d’une diffusion gratuite du prix Goncourt sous licence CC. Pas parce qu’ils contestent le principe même de publication des œuvres dérivées aux mêmes conditions — l’analyse de l’effet « viral » des licences libres n’est plus à faire. Il s’agit plutôt de considérations pratiques et jurisprudentielles, notamment sur l’étendue de la licence.)
Bref, le débat sur le « plagiat » s’était doublé d’un début de discussion autour des licences libres et de leur non-respect par certains piliers de la « défense du droit d’auteur »…
Car cela fait désordre, un romancier en place qui copie un bout de texte sur le Net et le fait passer pour le sien, comme un vulgaire potache qui bidonne un devoir – ou comme le gros malin de webmestre du Ministère de la Culture qui repique une photo dans un webzine sans l’autorisation de son auteur!
Résultat de cette confrontation inopinée entre le monde du libre et la logique propriétaire:
- Mais annonce quand même vouloir poursuivre en justice Florent Gallaire pour avoir diffusé le roman sous licence CC;
- À la suite de quoi le blogueur décide de limiter les frais et retire le fichier de son site;
- Coïncidence? (Ho, ho!) Flammarion annonce la publication au format numérique (et au prix fort) des bouquins de Houellebecq!
On peut sympathiser (quelques instants) avec le dilemne de l’éditeur aux prises avec cette énième embrouille made in Houellebecq: soit il met en demeure le blogueur de ne plus diffuser gratuitement le fichier, et il est bien obligé d’admettre la contrefaçon dudit auteur. Soit il ne fait rien, nie le plagiat – et cela le réduit à accepter le principe d’une interprétation extensive du domaine de la licence Creative Commons, et donc une restriction des possibilités de marchandisation de la propriété intellectuelle. Cruelle alternative!
Mais… Il y a un mais, et de taille. Car mine de rien, le déroulement dans le temps de l’affaire donne un peu (beaucoup) à penser. En septembre et octobre, Flammarion sommeille. Plagiat? Circulez, y’a rien à voir! Violation de licence libre? Connais pas. Le texte en accès libre et gratuit? Revenez après les prix littéraires…
Faut-il croire que c’est le prix qui change la donne? Que tant que le roman est en compétition, tant que l’éditeur ne sait pas encore quel sera le niveau de succès public, on peut fermer les yeux sur un mini-buzz autour de la diffusion gratuite en ligne, surtout que cela n’intéresse vraiment que quelques geeks. Au pire, cela fera de la publicité au bouquin. (Comme cela avait été le cas pour Paolo Coelho, qui avait mis lui-même ses livres sur des sites de P2P et bénéficié ainsi d’un surcroît de notoriété.)
Mais lorsque le Goncourt est enfin dans l’escarcelle (et ils leur a fallu longtemps tirer la langue avant de l’avoir, en plus) et qu’il est quasi-certain que des centaines de milliers de pékins vont acheter le titre les yeux fermés (et le lire itou – pas qu’ils y perdront grand-chose, d’ailleurs), alors là, stop! Pas touche au pactole!
Surtout si on peut rebondir sur ledit buzz et faire mousser le passage au numérique d’un auteur jusque là inconnu des webrairies. Si demande il y a, c’est l’occasion de se faire quelques brouzoufs, non? Et tant pis pour les quelques activistes du libre qui grinchent au non-respect de Creative Commons. Les gros sous, encore et toujours, confèrent certains privilèges; et notamment celui de ne pas avoir à se soucier autant des lois que le commun des mortels.
Cynique, moi? Allons donc… Quel mauvais esprit!
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