Archives de Catégorie: Sciences et plus

Nouvelle note de lecture pour l’AFIS : Mark Brake, Vivons-nous en pleine science-fiction ?

Je peux l’avouer, j’ai dévoré ce bouquin ! La note de lecture est disponible sur le site de l’AFIS : Vivons-nous en pleine science-fiction ? Un roboratif point de vue sur la façon dont la SF influence notre vision du monde.

Fiction et complotisme : mon article dans Science et Pseudo-Sciences n°337 (revue de l’AFIS)

Couverture de la revue Science et Pseudo-sciences numéro 337. Gros  titre : "Complotisme, de quoi parle-t-on ?" Image : une main manipulant les fils d'une marionnette.
Si la réalité dépasse la fiction, c’est qu’elle s’en nourrit.

(Mise à jour du 13/02/2022 : l’article est désormais disponible en ligne.)

Bizarres, parfois comiques, souvent inquiétantes, on a tous entendu parlé au moins d’une des diverses théories du complot qui semblent proliférer sur Internet. Ce dossier de la revue Science & Pseudo-Sciences fait le point sur le phénomène du complotisme, avec des articles sur la nature des croyances, les styles de pensée qui les favorisent et les origines parfois cocasses de certains thèmes complotistes.

C’est sur ce dernier point que porte mon article : comment des œuvres de fiction, d’H. G. Wells aux X-Files, ont nourri la croyance à plusieurs grandes théories du complot des XXe et XXIe siècle, OVNIs, Reptiliens et QAnon inclus.

Un article court, mais où il y a de la matière. À commander sur le site de l’AFIS, l’Association française pour l’information scientifique.

(Aussi publié sur Substack.)

Mon article « La science-fiction peut-elle changer le monde ? » en ligne sur le site de l’AFIS

Couverture de la revue
Science & Pseudo-sciences n°335

J’avais mentionné ici un peu plus tôt la sortie du numéro 335 de Science & Pseudo-sciences, avec mon article sur l’influence de la science-fiction sur l’imagination du public, mais aussi des scientifiques eux-mêmes. Le voici en ligne en accès libre sur le site de l’AFIS. Merci à eux !

Posté également sur mon Substack.

Anticipation climatique : ma note de lecture de « Nos Futurs »

Une lecture courte, pour parler d’un livre assez épais : on m’avait demandé une note sur l’anthologie Nos Futurs pour Science et Pseudo-Sciences, la revue de l’AFIS, et la voici en ligne. Je crois qu’il est assez évident que le verdict est mitigé. Mais c’était une expérience intéressante.

Oh, et n’hésitez pas à explorer le site pour plus d’articles sur la science, le climat,& la société ou la science-fiction, par des gens du métier. (Oui, je me compte du nombre comme auteure de SF. Ah, mais.)

« La science-fiction change-t-elle le monde ? » Mon article dans Science & Pseudo-Sciences, la revue de l’AFIS

Converture de la revue Science et Pseudo Sciences

Juste un petit mot pour vous signaler la parution d’un texte où je me penche sur l’influence mutuelle de la science et de la science-fiction l’une sur l’autre… Oui, et si les idées lancées sous forme de fiction audacieuse préparaient pour de bon le futur ? À lire dans Science & Pseudo-Sciences n°335, la revue de l’Association française pour l’information scientifique.

Ce n’est pas la première fois que je me lance dans un essai d’opinion ou prospective (je ne prétends pas ici faire du journalisme), j’ai eu l’occasion de placer des textes dans des magazines ou revues aussi divers que Faëries, Écrire & Éditer ou le fugace Vendredi. Mais j’ai été impressionnée par le sérieux du processus éditorial. Comme il sied pour de l’information scientifique, on ne prend pas à la légère la vérification de faits à S&PS !

Bonne lecture, j’espère.

Mes outils d’écriture (13) : Les maladies de nos aïeux dans votre roman historique

Les Marais Pontins au XIXe siècle, une zone empaludée en pleine Europe.

Placer un récit à une autre époque, ce n’est pas seulement une question de détails matériels à vérifier, et pourtant ! Combien de romans par ailleurs palpitants laissent une impression désagréable au final parce qu’ils se sont plantés sur un point fondamental pour l’intrigue, ou même sur un détail périphérique mais qui change tout le climat de l’œuvre ?

Je pense par exemple à un roman policier de John Maddox Roberts (de la série SPQR) où la résolution de l’intrigue exigeait que l’on fasse la différence entre les chevaux des Romains, qui étaient ferrés, et ceux des Maurétaniens, qui ne l’étaient pas. Problème : à l’époque en question (fin de la République), les Romains non plus n’utilisaient pas de fers à chevaux. (Ils utilisaient des hipposandales, ou fers amovibles, à titre thérapeutique, pour protéger un pied abîmé, mais pas le fer à cheval proprement dit, qui date au plus tôt de l’époque byzantine.)

Ou bien que l’on songe aux libertés que prend Alexandre Dumas avec la chronologie du règne de Louis XIII dans ses Trois Mousquetaires : le véritable d’Artagnan devait avoir 12 ou 13 ans en 1625, au début du roman. Certes, on peut arguer que le héros ne fait qu’emprunter son nom au Gascon historique, que c’est un double romanesque… Reste que c’est une gaffe dans la construction du roman.

Mais tout cela, au fond, n’est que la partie émergée de l’iceberg, les aspects les plus faciles à vérifier et à appliquer quand on cherche à immerger un récit dans une époque historique, le nom des rois, reines, papes et autres dirigeants, le niveau technologique, les habits, les armes, même la botanique (pas de tomate en Europe avant Christophe Colomb…), tout cela demande simplement de la minutie et un accès à une bonne bibliothèque, ne serait-ce qu’en ligne. Là où cela devient une autre paire de manches, c’est si on veut essayer de reconstituer aussi l’univers mental d’une autre époque, sa représentation du monde et d’elle-même.

Pour en revenir aux Romains, par exemple, les hipposandales sont un indice intéressant à la fois du niveau atteint dans l’Antiquité par l’art vétérinaire, mais aussi de l’importance économique et militaire des chevaux et mules. La présence de mulomedici (médecins pour mules, littéralement) aux armées et dans les relais de poste nous en dit long également sur la capacité de l’Empire Romain à organiser et planifier.

Cet exemple nous montre un aspect du monde romain qui n’est pas si éloigné du nôtre : bureaucratie, techniciens spécialistes… Mais si on s’intéresse à la médecine proprement dite, on risque d’avoir des surprises.

Qu’est-ce qu’une maladie, par exemple ? Nous avons l’habitude de dire que telle infection est causée par tel agent pathogène, bactérie, virus, parasite, etc. Ou bien on relie un dérèglement physiologique à une anomalie génétique (certaines formes de diabète, par exemple) ou à un problème lié à la vie quotidienne (ainsi du surpoids et de l’obésité) du patient. On pense en terme de causes matérielles, avec des outils mentaux rarement antérieurs au XIXe siècle : même la définitions des tissus comme unités anatomiques date des années 1800, avec Xavier Bichat. La vaccination se développe à la toute fin du XVIIIe siècle avec Jenner. La médecine expérimentale de Claude Bernard date du milieu du XIXe siècle, et la théorie des germes a peu à peu accumulé des arguments empiriques (notamment les observations au compte-fils puis au microscope, à partir de 1700) jusqu’aux travaux définitifs de Pasteur. Quant à la génétique, malgré les bases posées par Mendel dans les années 1860, elle est née et s’est développée au XXe siècle.

Si on essaie de se placer en esprit à une époque antérieure au XXe siècle, c’est toute la relation de l’être humain aux maladies qu’il faut repenser. Imaginons à nouveau un récit placé à l’époque romaine : si un personnage tombe malade, comment raconter cela ? Si je parle de germes et de pathogènes, ou même si je mentionne la circulation sanguine, je sors de l’univers mental de l’époque, et donc je trahis l’esprit de mon récit. Mais si je reprends le vocabulaire des médecins de l’époque, avec ses miasmes et ses humeurs, cela donne vite un discours ridicule, du genre croqué par Molière dans son Malade imaginaire.

Il n’y a pas de solution parfaite ni universelle. En écrivant Augusta Helena, mon roman historique sur Hélène, mère de l’empereur Constantin, j’ai opté pour n’utiliser qu’au minimum le jargon médical antique, même en faisant parler un médecin. Mais je n’ai pas pour autant employé de concepts médicaux trop récents. Ainsi pour la question du paludisme, qui était une maladie endémique de la région de Rome, à cause des Marais Pontins et de leurs moustiques : on faisait dès l’Antiquité le lien entre les marécages et des maladies fébriles pouvant entraîner la mort, mais on pensait que c’était quelque chose dans l’air (d’où le nom italien de la maladie, malaria). Le rôle des moustiques comme vecteur est resté mystérieux jusqu’aux travaux de Carlos Finlay à Cuba en 1881. Dans mon roman, je n’ai mentionné les moustiques des marais du Latium que comme bestioles agaçantes, sans parler du lien avec la fièvre récurrente qui mine l’un de mes personnages et finit par l’emporter. Mais j’ai pris soin de citer les moustiques. (Par parenthèse, les Marais Pontins furent une plaie de Rome jusqu’aux années 1930, quand les grands travaux de Mussolini les ont asséchés et permis d’y faire de l’agriculture.)

La terminologie est donc déjà un point délicat, s’agissant des maladies, de leurs causes et de leurs remèdes. Mais plus encore, en écrivant un récit historique qui se veut réaliste, on ne peut pas ne pas prendre en comptes les réalités humaines d’une époque où la mort fauchait bien plus souvent, et aussi bien plus tôt. Avant l’introduction des vaccins, en Europe, un enfant sur deux n’atteignait pas l’âge adulte. Est-ce que mes personnages seront plus fatalistes face à ce genre de choses ? Probablement. Mais c’est difficile à faire passer pour des lecteurs modernes.

Il y a ainsi un passage dans Tous les Accidents, mon roman situé à l’époque de la Révolution et de l’Empire, qui a un peu perturbé les béta-lecteurs, et non sans raison : la mort d’un nouveau-né. Ce qui est pour nous l’horreur absolue, le drame des drames, était alors quasiment un passage obligé pour les familles. Ce qui m’intéressait, c’était justement comment réagissaient les survivants. J’ai une grand-mère qui a perdu son premier fils en bas âge à cause d’un accident et en a terriblement souffert, mais son éducation et son milieu social n’étaient pas favorables à l’extériorisation des sentiments. Ce qu’elle en disait, quand elle disait quelque chose, c’était : « Il faut porter sa croix. » Une philosophie terrible, si on y songe.

La soucoupe, le génie et les sceptiques, ou pourquoi la recherche scientifique est un sport d’équipe

Quand on se plante dans les grandes largeurs…

(Je reprends ici, actualité oblige, un billet de 2011 sur ce qu’est et n’est pas la recherche scientifique, avec juste quelques mises à jour. Le cas Jean-Pierre Petit peut paraître folklorique, avec ses histoires d’extraterrestres, mais il est typique de tous les « génies solitaires » autoproclamés qui font au final bien plus de mal que de bien à la science. Et surtout à la compréhension de la science par le public.)

Dans un épisode du balado Scepticisme scientifique, Nicolas Gauvrit se penche sur le cas étrange de Jean-Pierre Petit, physicien, vulgarisateur scientifique, auteur de bandes dessinées… Mais aussi persuadé de l’existence d’une vaste conspiration impliquant le Pentagone, la quasi-totalité des scientifiques américains, et des extraterrestres tour à tour timides et amateurs de publicité, les curieux Ummites.

Cela fait beaucoup pour un seul homme? Oui et non. Le cas de chercheurs scientifiques, souvent brillants, se fourvoyant à un moment ou un autre de leur carrière en direction de la pensée irrationnelle est quasiment un classique. Cela a même un nom : la « maladie du Nobel ».

(On pourra aussi utilement se référer au bouquin de Michael Schermer, Why People Believe Weird Things, 1997).

J.-P. Petit est ici en bonne compagnie, avec des Prix Nobel comme Linus Pauling et sa croyance en l’effet miraculeux des mégadoses de vitamine C, ou Luc Montagnier et son soutien à la très vaseuse « mémoire de l’eau »; ou encore avec la microbiologiste américaine Lynn Margulis, qui s’est fait un nom en présentant dans les années 1960 la théorie, alors révolutionnaire mais aujourd’hui largement acceptée, de l’origine symbiotique des organelles (les mitochondries et autres structures internes des cellules eucaryotes, y compris celles du corps humain) – mais qui depuis plusieurs années soutient envers et contre tout que la sélection naturelle ne joue pas un rôle important dans l’évolution, mais que ce rôle est dévolu aux symbioses; que les papillons n’ont pas évolué à partir d’une espèce d’insecte primitif, mais par symbiose poussée entre espèces différentes (comme si ce qui était vrai chez les bactéries pouvait marcher aussi chez les animaux) ; et que les agents infectieux de diverses maladies, notamment le Sida, ne suffisent pas à déclencher la maladie, mais qu’il y faut aussi la présence de… oui, vous l’avez deviné, de symbioses!

La ressemblance avec le cas Petit est frappante. Pour lui, le dada favori, le cheval de bataille, ce sont probablement les espoirs déçus quant au développement de nouvelles méthodes de propulsion (sur lesquelles il avait travaillé sans recevoir du CNRS le soutien qu’il pensait dû à des pistes qui semblaient prometteuses) qui ont pu le prédisposer à croire que c’était possible quand même, quelque part, de quelque façon, peut-être par des extraterrestres plus avancés que nous? Et pourquoi pas avec la complicité des nos éternels rivaux d’outre-Atlantique, dont le Département de la défense finance bel et bien toutes sortes de recherches, depuis ARPANET jusqu’à certains phénomènes de psychologie sociale?

Et pourquoi ne pas sauter un peu plus dans la spéculation en imaginant qu’extraterrestres et armée américaine tirent les ficelles de tout ce qui se passe, ou presque, de la recherche en aéronautique jusqu’aux attentats du 11 Septembre?

(Intéressante coïncidence: Lynn Margulis aussi a des penchants « Truthistes ».)

On pourrait se contenter de hocher tristement la tête en marmonnant « Plus dure sera la chute… » et passer à autre chose. Mais ce que fait Nicolas Gauvrit, dans cet Épisode 118 du balado, c’est de chercher à comprendre comment on passe de l’intuition scientifique hors du commun, mais féconde, à la théorie carrément irrationnelle et coupée de la réalité.

Du moins de toute réalité tangible, testable, réfutable. Par exemple, puisque les lettres des mystérieux Ummites contenaient des concepts scientifiques qui lui semblaient extrêmement avancés, et qui lui ont permis (à ce qu’il raconte) de progresser dans ses recherches, Jean-Pierre Petit en a conclu qu’elles ne pouvaient venir d’un banal terrien, mais d’une espèce ultra-intelligente. Surtout quand ces lettres disaient du bien de la sienne, d’intelligence…

L’hypothèse d’un canular monté par un banal terrien qui aurait eu à la fois une solide culture scientifique et un sens de l’humour bizarre ne l’a donc pas effleuré; alors que c’est quand même la première idée qui m’est venue à l’esprit en entendant le compte-rendu de Nicolas Gauvrit, avant même la mention de José Luis Jordán Peña – peut-être que les ufologues devraient lire plus de romans policiers?

Ou bien juste réviser le principe du rasoir d’Occam. Vous savez, que l’hypothèse qui fait intervenir le moins de suppositions est probablement la plus proche de la réalité? Une règle utile pour éviter de perdre le contact…

Dans le même genre, je ne saurais trop recommander aux gens attirés par les théories du complot de méditer un autre principe, dit du rasoir de Hanlon: ne jamais attribuer à une intention malveillante ce que la stupidité (donc l’incompétence et/ou une mauvaise organisation) suffit à expliquer.

Ce qui nous amène à un épisode cité par Gauvrit vers la fin du balado, quand il explique pourquoi Jean-Pierre Petit a pu se sentir à l’étroit dans le cadre de l’institution qu’est le CNRS, avec son esprit bouillonnant de créativité et prompt à voir des liens entre éléments parfois un peu trop éloignés. Petit raconte (et ici, on est obligé de le croire, donc je prendrai l’anecdote avec un grain de sel jusqu’à preuve du contraire) qu’un jour, sa hiérarchie au CNRS lui aurait envoyé une lettre l’enjoignant d’être moins créatif, bref de ne plus s’intéresser à des voies parallèles de recherche mais de se contenter de suivre le programme décidé. En somme, de rentrer dans le rang.

Si c’est vrai, c’est bien dommage pour le CNRS. Comment décourager des éléments qui pourraient être brillants et les lancer dans l’impasse scientifique (quoique fort médiatique) des pseudo-sciences…

Ici, on me pardonnera une réflexion tirée de mon expérience personnelle. Je ne travaille pas moi-même dans la recherche, ni l’enseignement des sciences, mais il se trouve que j’ai poursuivi jusqu’au troisième cycle une formation universitaire en biologie. Stages dans des labos, mémoires de recherche et fréquentation d’enseignants-chercheurs, mais aussi de chercheurs d’un institut de recherche publique, l’INRA, m’ont appris une chose ou deux sur la façon dont fonctionne la science moderne.

C’est à la fois très simple et très compliqué: en équipe.

Je me souviens de l’ennui qu’il y avait à répéter dix fois la même série de gestes pour préparer une manip biochimique à l’INRA, mais aussi de la précision nécessaire à chaque fois, parce que votre manip sera ensuite utilisée par d’autres personnes, et leurs résultats ne peuvent être considérés comme valides s’ils sont contaminés à cause de votre inattention. Ou pire, si vous vous imaginez que vos idées valent mieux que les autres et que vous modifiez le protocole expérimental sans en référer à personne, juste parce que ça semble une bonne idée… Bref, oui, il peut être dangereux pour un chercheur de ne suivre que son intuition et de « sortir des cadres ».

Je me souviens d’un prof de génétique des populations dont la passion était les papillons, qui était capable d’arriver en retard en cours parce qu’il avait aperçu un spécimen rare et avait pris une photo, mais qui aimait à dire: « Je connais ma place dans notre groupe de recherche, ce n’est pas le décideur, mais la boîte à idées. »

Il reconnaissait lui-même qu’il n’avait pas l’esprit fait pour les questions administratives, ni pour organiser un groupe de travail, ni pour décrocher des bourses et des financements auprès des organismes publics, des fondations et des entreprises. Mais, heureusement pour lui, il avait trouvé place au sein d’une équipe qui appréciait ses contributions dans les séances de brainstorming, sa capacité à rapprocher des secteurs apparemment distincts (les variations génétiques chez certains papillons sud-américains lui faisaient penser à ceux d’un groupe de plantes de Corse, par exemple), et où les idées spéculatives n’étaient pas oubliées mais notées, au cas où… Et il arrivait qu’on était bien content de les avoir, parfois, pour sortir d’une impasse rencontrée dans une voie plus classique de recherche.

Au fond, ce qui est parfois difficile, en science, c’est qu’il faut être tantôt extrêmement audacieux, tantôt extrêmement humble. Des qualités contradictoires et qui peuvent être difficiles à réunir chez un seul individu, certes… Mais lorsqu’un groupe parvient à créer les conditions pour faire fonctionner de concert différents types d’intelligence (dirait-je en symbiose, Ms. Margulis?), alors qui sait à quoi ils peuvent arriver tous ensemble?Cela nous a déjà emmenés sur la Lune et dans les profondeurs de l’océan, permis de manipuler jusqu’au code génétique des êtres vivants, d’observer les particules élémentaires tout comme les confins de l’univers visible – et même le complexe fonctionnement en temps réel du cerveau humain.

Joyeux parasites et bonne année

L’anti-héros de l’histoire… (Venom, 2018, Sony Pictures)

J’avais raté le film Venom lors de sa sortie, mais quelqu’un me l’a récemment conseillé, alors j’ai fait du rattrapage. Très bon tuyau ! Si on aime les films de super-héros, la SF ou juste les histoires un peu déjantées, il y a de quoi passer un bon moment.

Mais ce film est intéressant aussi à un autre niveau, et je ne parle pas du message politique qui court tout au long de l’histoire sur les mégacorporations, le militarisme et la xénophobie. On m’avait parlé des thèmes anti-Trump du film, mais le « méchant » est plutôt une espèce d’Elon Musk sous acide : un génie avec sa propre flotte de vaisseau spatiaux et un furieux désir de se hisser sur le piédestal d’un dieu. Tout cela est assez banal, mais ce qui l’est moins, c’est que la « créature » ne finit pas comme celle de Frankenstein : le mot clef ici est « symbiose »…

Et c’est là que j’ai vraiment apprécié le film, pour cette représentation fascinante de deux organismes en train d’essayer d’occuper le même espace au même moment. Qu’est-ce d’autre, sinon ce qui se joue à chaque instant dans notre corps, au niveau le plus fondamental ?

Prenez le microbiote, par exemple. On a tous entendu parler de ces bactéries commensales qui logent dans notre injures et nous aident à tirer partie des aliments. Mais il n’y a pas que l’intestin : la surface de la peaux et des muqueuses, tous les replis et anfractuosités sont colonisés par des bactéries qui ont le grand intérêt pour nous d’occuper le terrain et de rendre plus difficile pour des organismes pathogènes de s’y installer. Il y a à peu près autant de cellules microbiennes sur et dans le corps humain qu’il n’y a de cellules du corps lui-même. (Les premières estimations, qui donnaient un rapport d’une cellule du corps pour 10 de microbes, étaient surévaluées, mais c’est déjà une quantité impressionnante.)

Quand, dans le film, on voit le « Symbiote » lutter avec un hôte potentiel, quand ils se disputent au sujet de la nourriture nécessaire pour leur survie à tous deux, ou que le Symbiote commence à consommer les organes de l’hôte, c’est un peu ce qui se passe au niveau de nos tissus avec, mettons, les staphylocoques dorés qui se nourrissent sur nous, dans nos fosses nasales, par exemple, et qui n’attendent qu’un affaiblissement du système immunitaire pour proliférer, nous envahir et nous digérer.

Oui, bon appétit à vous aussi. Songez à vos bactéries cet hiver : couvrez-vous bien.

Mais il y a une symbiose à un niveau encore plus fondamental, au sein même de chacune des milliers de milliards de cellules de notre corps. Vous avez deviné ? Oui, ce sont des stars dans leur genre : les mitochondries !

Ces petites organelles (les sous-unités de la cellule) apportent l’énergie nécessaire au fonctionnement de chaque cellule de peau, de cœur, de foie… Elles sont présentes chez tous les Eucaryotes, bref les organismes qui ont une cellule complexe : animaux, végétaux, champignons et levures, et même les amibes. Et, caractéristique singulière, elles possèdent leur propre ADN, ce qui a mis les scientifiques sur la voie quant à l’origine de ces mitochondries : selon la théorie énoncée par Lynn Margulis, c’étaient au départ des micro-organismes indépendants qui ont été absorbés par l’ancêtres des Eucaryotes – mais pas digérés. Une étrange fusion s’est opérée en ces temps primordiaux, chez ces ancêtres de nos ancêtres, et les proto-mitochondries ont réussi à se faire leur place au sein des cellules eucaryotes, tout comme le journaliste Eddie Brock dans le film à continué à vivre en tant qu’hôte de l’extraterrestre Venom. Ou bien est-ce l’alien qui est la mitochondrie ?

Peu importe, c’est très sympathique de voir l’un des mécanismes fondamentaux de la vie et de l’évolution mis en scène dans un film grand public. Car, comme disait Darwin lui-même, l’évolution est autant affaire de coopération que de compétition.

Certes, les symbioses de ce genre sont rares dans l’histoire de la vie, mais c’est aussi un aspect que le film reflète bien : tous les extraterrestres ne parviennent pas à établir une « relation » viable avec un être humain. Mais pour ceux qui y parviennent, le résultat est extraordinaire.

Et je ne parle même pas des « fossiles » d’anciennes symbioses présents dans notre ADN : des gènes provenant de virus qui ont jadis infecté nos ancêtres, mais qui ont été conservés parce qu’ils apportaient des avantages. Comme pour permettre au bébé, chez les mammifères, de ne pas être rejeté par l’organisme de la mère : il devait à l’origine servir à un virus à ne pas être attaqué par le système immunitaire !

Et c’est un autre genre de parasitisme et de symbiose. Le film n’explore guère cet aspect, ayant un personnage principal masculin, mais qui sait, lors d’une suite, peut-être…

P. S. J’oubliais de le mentionner, mais ce Venom fonctionne aussi comme une version plus optimiste du classique de l’horreur et de la SF de John Carpenter, The Thing. Le plan d’ouverture est d’ailleurs identique. Tant qu’à emprunter, que ce soit aux meilleurs.

Atelier One Planet : ici, on fabrique notre futur

Photo : deux briques avec l'aspect de la pierre, l'une du granite rouge, l'autre tricolore, avec granite rouge, marbre blanc et quartzite gris-bleu

Carbon Fiber Stone®. Esthétiques, solides, durables, ces briques sont aussi des pièges à CO2. Intéressés ?

L’équation est simple. Il y a plus de gaz carbonique dans l’atmosphère aujourd’hui qu’avant la Révolution industrielle, et chaque jour qui passe augmente cette proportion. Ce dioxide de carbone absorbe les rayons infrarouges, ce qui contribue à retenir dans l’atmosphère terrestre une partie de la chaleur du soleil qui sinon aurait été réexpédiée dans l’espace. Ce qu’on appelle, métaphoriquement, l’effet de serre. Résultat : la planète se réchauffe. Pas de façon uniforme, on l’a bien vu durant les récentes vagues de froid, mais en moyenne, le résultat est net.

Ça chauffe.

C’est déjà un souci en soi : avec des températures moyennes plus élevées, certaines régions du globe risquent de ne plus être habitables en été, tout simplement. Ou alors il faudra y bâtir des installations similaires à celles de l’Antarctique et vivre dans une bulle. Mais ce n’est pas tout : l’atmosphère, les sols et les océans sont une grande machine ou chaque élément est dépendant des autres. La hausse des températures a déjà commencé à faire diminuer les glaces polaires, et celle-ci, à son tour, fait monter le niveau des océans. Plusieurs régions parmi les plus peuplées de la planète sont en danger de submersion : de la Louisiane au Bangladesh et aux îles Vanuatu, en passant par Venise ou la Camargue près de chez nous.

Et attendez, ce n’est pas tout ! Cette énergie thermique piégée dans l’atmosphère provoque des effets en cascade dans des endroits parfois inattendus. Les océans ne font pas que se réchauffer, par exemple, ils deviennent plus acides, ce qui a des effets sur l’écosystème tout entier. La fonte des glaces polaires injecte à son tour de l’eau relativement froide dans le système, ce qui modifie le régime des courants marins et des vents. Les phénomènes de « Moscou-Paris » n’y sont pas étrangers. Au niveau des sols, également, le réchauffement du permafrost dans les régions arctiques risque de conduire à un dégagement massif de clathrate de méthane, qui est aussi un gaz à effet de serre. C’est un cercle vicieux, une boucle de rétroaction positive qui risque de changer la planète de façon à proprement parler catastrophique.

À quel point on est mal ?

Très mal, pour le moment. La trajectoire actuelle nous mène vers +3°C à l’horizon 2050, alors que tous les modèles montrent qu’il faudrait limiter la hausse de température à +2 grand maximum, et de préférence à +1,5. C’était l’engagement de l’Accord de Paris.

Avec la trajectoire actuelle, on tombe dans des scénarios très inquiétants, où le climat de modifie de façon exponentielle, et où la planète devient très, très différente de celle que nous connaissons et sur laquelle est bâtie notre actuelle civilisation.

Alors, comment échapper à ce scénario d’inflation climatique ? Les mesures actuelles en faveur de l’efficacité énergétique et de la « neutralité carbone » (de l’anglais « carbon neutrality », le gaz carbonique se disant carbon dioxide) ne suffiront pas : il y a déjà trop de CO2 dans l’atmosphère, et si on veut être à +1°C en 2050, il faudra passer à la carbon negativity, à une économie non pas neutre mais négative en CO2.

C’est là qu’entre en scène l’Atelier One Planet.

Ils sont trois mousquetaires, Kolja Kuse, l’Allemand, Stephan Savarese, le Français (et résident du 18e), ainsi que Michael Green, l’Américain. Et ils ont une idée.

Comment retirer le gaz carbonique de l’atmosphère ? Il y a un système éprouvé : la photosynthèse. Avec leur chlorophylle, les plantes fixent le CO2 de l’atmosphère et fabriquent avec du tissu végétal. Si on couvrait de forêts toutes les surfaces qui sont actuellement utilisées par l’agriculture, l’industrie ou les villes, on pourrait fixer 50% du CO2 qu’il fait retirer. Vous voyez tout de suite où ça coince.

Et si on fixait ce CO2 à la place dans des matériaux de construction ?

La PME TechnoCarbon (franco-allemande) possède les brevets pour la fabrication d’un matériau innovant, baptisé Carbon Fiber Stone®, obtenu en combinant de la pierre avec des fibres de carbone et une petite quantité de résine époxy. Le résultat est étonnant : légèreté et plasticité de l’aluminium, mais grande résistance à la pression, aux vibrations et à la chaleur. Et, la cerise sur le gâteau, aspect esthétique !

Photo : haut parleur stéréo d'aspect marbre noir

Un haut-parleur en marbre noir ? Non, c’est du Carbon Fiber Stone®

Pour l’instant, Techno-Carbon fabrique ce matériau en petites séries, pour des applications qui tiennent plutôt de la vitrine technologique que de l’application industrielle. Des haut-parleurs, par exemple, des skis ou des caisses de guitare témoignent de la plasticité du CFS® et de son bon comportement en présence de vibrations. Un fabricant italien de tôles métalliques a aussi commandé des gabarits pour vérifier la taille des plaques de métal tout juste sorties du laminoir : la résistance à la chaleur du CFS© en fait une solution idéale. Enfin, il y a des poutrelles, des tuyaux et des briques pouvant servir dans divers projets de construction. La SNCF et la Deutsche Bahn sont déjà intéressées par des traverses de chemin de fer et des dalles soutenant les rails de tramway. Et le groupe de BTP NGE aussi.

Photo : brique composée d'un sandwich de trois pierres différentes, granite rouge, marbre blanc et quartzite gris-bleu

Brique tricolore : les fibres de carbone sont combinées à trois types de pierre différentes

La brique tricolore ci-dessus n’est pas un gadget. Outre qu’elle peut d’ores et déjà servir de serre-livres ou presse-papiers aux couleurs nationales (valable aussi, naturellement, aux Pays-Bas, Royaume-Uni, etc.), elle fait la démonstration qu’un sandwich de CFS® utilisant plusieurs pierres différentes garde les mêmes propriétés vis à vis de la chaleur, de l’humidité, etc. C’est un problème dans la construction : on ne peut associer deux matériaux ayant des propriétés différentes. Le CFS® résout le problème.

Tout cela, c’est bien beau, mais le bilan carbone ? D’où viennent ces fibres et comment sont-elles fabriquées ? Et combien ça coûte ?

C’est là que cela devient vraiment intéressant.

D’abord, il y a l’intérêt de remplacer le béton classique, dont la fabrication est une source très importante de rejets de CO2 aujourd’hui, par un matériau qui, grâce aux fibres de carbone incorporées, fixe ce même CO2 pour longtemps.

Et ce n’est pas tout. On fabrique actuellement ces fibres de carbone à partir d’hydrocarbures, issus de l’extraction (mais évidemment, ce n’est pas le but) ou, mieux, de recyclage : au lieu d’être brûlés comme déchets, des huiles de friture de la restauration sont ainsi transformées en CFS®. On remplace ainsi une émission de CO2 (combustion) par la fixation dans un matériau durable. C’est déjà bien, mais il y a mieux.

Car il existe une filière qui maîtrise la culture d’algues pour produire des hydrocarbures : le bio-kérosène. Hé oui, il y a dans quelques endroits du globe, en Australie, notamment, de grands systèmes de bassins où on cultive des algues microscopiques pour les transformer en carburant pour l’aviation. On recycle ainsi une partie du CO2 émis par le transport aérien.

Or l’un des sous-produits de ce procédé est de la glycérine, qui peut servir à fabriquer les fibres de carbone du CFS® ! On parvient ainsi à retirer de l’atmosphère le CO2 et à la fixer durablement. Si, en plus, on utilise non plus l’électricité comme source d’énergie pour la fabrication de ces fibres, mais directement la chaleur solaire concentrée, le prix de revient des fibres de carbone est divisé par deux. La technologie pour ces fours solaires existe déjà.

Seule contrainte : pour pouvoir produire des algues de façon assez efficace, il faut aller en dessous du 42e parallèle. Idem pour l’utilisation de l’énergie solaire pour leur transformation en fibre de carbone. Mais cela permet de s’associer avec un fabricant de bio-kérosène, qui peut aussi être intéressé par l’utilisation de fours solaires comme source d’énergie propre et à prix compétitif.

Des plans qui mènent loin… Mais où en est-on ?

Aujourd’hui, les produits de TechnoCarbon sont fabriqués dans trois usines différentes, une en Allemagne, une au Canada et une autre aux USA. Leur plan cependant est de regrouper la production sur une usine pilote, si possible dans le nord de Paris (sur le site de l’ancienne usine de Pont-Marcadet) ou à Saint-Denis, pour joindre le social à l’environnemental. Les partenaires et bailleurs de fonds sont pour l’instant l’Union Européenne ainsi que les pays concernés, France et Allemagne, plus des universités (Munich, Aix-la-Chapelle) et des fonds d’investissement. Ainsi que quelques entreprises déjà citées : NGE, Deutsche Bahn…

D’autre part, il faut lancer à grande échelle la production d’algues dans un endroit ensoleillé, où il y a de l’espace et près d’une source d’eau salée. Là, le partenaire tout trouvé est le Fonds vert pour le développement, qui déplore de n’avoir pas assez de projets à ce jour. Le Sénégal aussi est très intéressé : non seulement cela créerait des emplois et valoriserait les ressources naturelles, mais l’eau salée utilisée pour la culture d’algues peut aussi être traitée, toujours grâce à l’énergie solaire, et une fois dessalée servir pour l’irrigation.

D’autres sites peuvent évidemment être concernés : Tunisie, sud de l’Italie ou de l’Espagne, Guyane, pourquoi pas. Mais l’Atelier One Planet cherche là aussi à joindre le développement humain au souci d’efficacité économique et environnemental.

Un jour, j’espère, nous pourrons regarder derrière nous et dire : « Oui, 2018 était le début de la solution – et on y était ! »

J’ai touché les dieux, et cela m’a fait réaliser deux ou trois choses sur le cerveau

Sculpture interactive : sur le bouton

« Choose your god » : Bouddha, Vishnou et les autres

Avez-vous visité l’exposition « Persona, étrangement humain », au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac ? Si non, allez-y vite : elle dure jusqu’au 13 novembre 2016. Et, contrairement à certaines critiques dans la presse, ce n’est pas « terrifiant ».

Mais ça donne à penser. Parmi les nombreux thèmes évoqués, celui de la « vallée de l’étrange » ou uncanny valley. Ce concept proposé par le roboticien japonais Masahiro Mori pourrait être plus précisément traduit par « vallée de l’inquiétante étrangeté ». C’est un phénomène psychologique maintenant bien connu : les réactions des êtres humains devant les robots dépendent étroitement de l’apparence des robots eux-mêmes. Devant un robot industriel, on n’éprouvera pas de sympathie, mais pas non plus de dégoût. Devant une représentation humaine, telle qu’une statue ou une marionnette, la sympathie augmente, ainsi que devant les animaux en peluche ou robotisés… Sauf qu’il y a un point où la courbe s’inverse : un robot essayant trop de nous ressembler déclenche une réaction de peur et de dégoût. On est dans la vallée de l’étrange. Comment en sortir ?

Il semble qu’une piste soit religieuse. Les gens, a fait remarquer Mori, éprouvent des sentiments encore plus positifs devant une statue de Bouddha que devant un être humain en chair et en os. (Du moins au Japon. Il faudrait répliquer l’expérience en Occident, par exemple avec une statue de Jésus.) D’où certaines installations de l’expo Persona.

Sculpture interactive : faire tourner pour changer la tête où le torse

Une foire aux immortels…

La photo ci-dessus, par exemple. Cette installation titrée « Choose your god – Choisissez votre dieu » propose au visiteur de faire exactement cela : grâce aux poignées rouges, tourner les trois plateaux portant les têtes, torses et jambes jusqu’à obtenir la configuration qui vous plaît. Une tête de singe avec un corps de femme et une queue de serpent ? C’est possible !

Mais c’est là que les choses se compliquent. Et que, de la vallée dérangeante, on bifurque vers théologie expérimentale ! Je visitais l’exposition avec une amie, ce dimanche. Il a bien fallu nous y mettre à deux pour faire tourner l’un des plateaux, et ce ne fut pas petite tâche. Était-ce l’effort investi ? En nous redressant enfin pour admirer notre œuvre, nous avons ressenti quelque chose qui ressemblait à de l’affection pour cette étrange collection de statues ! C’était d’autant plus curieux qu’au premier abord, elles nous avaient parues plutôt laides, des figures de carnaval ou de foire en plastique grossier.

Mais nous avions « oeuvré » sur ces statues, nous avions accompagné leur transformation vers un nouveau panthéon. Et soudain, ce n’étaient plus seulement des objets inanimés : elles avaient acquis le statut de « personne ».
Et c’est là que j’ai eu un frisson. « Choisissez votre dieu », certes ! Les religions savent bien que par la participation, on obtient des gens qu’ils adhérent à une doctrine sans qu’ils y prennent garde. Augustin d’Hippone le disait en toutes lettres : que les nouveaux convertis prononcent les prières, qu’ils aillent à la messe, et au bout de quelques temps, à force de pratiquer, ils croiront. Dans un autre contexte, ce n’est probablement pas un hasard si le premier des commandements de l’islam est de dire la profession de foi. La répétition fait le croyant.

Pour le coup, on entre dans un autre type de vallée dérangeante : celle des « amis imaginaires » qui nous veulent du bien. Celle où les apologistes des religions s’avancent masqués, tous bénins : mais non, ils ne veulent pas imposer leur dogme, juste faire mieux connaître leur mode de vie, leurs valeurs, et si seulement on voulait essayer un moment de voir le monde par leurs yeux, si on faisait quelques pas avec eux, l’humanité et la tolérance en seraient grandies…

C’est ainsi qu’une association étudiante propose une « journée hidjab » pour « mieux se comprendre ». (Pas une journée sans hidjab pour que les musulmans comprennent mieux les autres, non, pas question remettre en cause une religion…) C’est ainsi que le Vatican, sachant bien que le Carême pâtit d’une image archaïque et contraignante, suggère de faire un carême partiel, en se privant de télévision, par exemple. La religion, c’est facile comme de mettre le doigt dans l’engrenage !

Je conseille plus que jamais d’aller voir cette exposition intrigante et parfois dérangeante, et de tester ce « Choose your god », pour voir comment l’interaction avec un objet inanimé lui confère une « personnalité » et comment, à force de se couler dans un comportement, l’être humain se fait prendre au piège de la croyance qui le sous-tend.