
Il y a parfois, dans l’écriture d’un roman ou d’une autre forme de fiction, un moment où le sujet choisi, ou l’époque où se situe l’histoire, vous oblige à réfléchir à la façon d’introduire des faits qui peuvent sembler incroyables à des gens qui ne seraient pas familiers avec le domaine en question. Bref, comment éviter que l’incrédulité sorte brutalement vos lecteurs et lectrices du texte.
Je vais prendre un exemple dans le roman que j’écris en ce moment, un épisode de la série commencée avec Du sang sur les dunes : cela se passe en Angleterre en 1802, lors d’un bref intermède de paix dans les guerres napoléoniennes, et j’ai découvert au détour de ma documentation que lors des élections de cette année-là, les meetings du parti Whig, les Libéraux, avaient parfois été émaillés de discours révolutionnaires au sens de la Révolution française, avec revendication de « souveraineté du peuple », et que dans certaines villes des Midlands, on avait même chanté la Marseillaise et le Ça ira !
Cela a l’air absurde, en large partie parce que l’Angleterre a gagné la guerre en Europe, et les Conservateurs en Angleterre. On retient la détermination anglaise à combattre la Révolution et Napoléon, on oublie les débats internes qui avaient agité la monarchie anglaise à l’époque. On oublie la repression des mouvements populaires et intellectuels qui auraient pu remettre en cause le statu quo : suffrage censitaire, exclusion des non-anglicans de la vie publique, concentration de la richesse dans les mains de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « 1% »… Et c’est sans même parler du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, des aspirations des femmes à ne pas être traitées en mineures à vie, ou des tentatives d’indépendance irlandaise.
Mais dans un roman, donner de longues explications sociologiques et politiques n’est pas une option, ou du moins pas dans un roman contemporain. On n’est plus au temps où Hugo et Balzac pouvaient se muer en conférencier pendant quelques pages (ou chapitres…), et vous brosser un tableau détaillé des égouts de Paris ou du fonctionnement d’une imprimerie.
Mais ce qu’on peut faire, c’est mettre en scène les éléments incroyables, pour faire découvrir les choses au public en même temps qu’aux personnages. Voir, c’est croire, et donc donner à voir permet de rendre plus crédible.
On peut raffiner encore : mettre dans la bouche d’un personnage qui est censé s’y connaître les affirmations les plus extraordinaires, en reconnaissant qu’il y a quelque chose de surprenant dans l’affaire. Par exemple dans mon cas, il y a une discussion entre un visiteur français stupéfait et un agent électoral Whig qui prend ça avec la nonchalance qui vient de l’habitude. (Les habitués de TVTropes auront reconnu la technique de l’abat-jour.)
Je me répète, mais c’est vrai : le monde de fantasy ou de science-fiction le plus étrange, c’est le monde réel.