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#Roman Augusta Helena : tout ce que j’ai inventé

Couverture du roman "Augusta Helena", par Irène Delse : détail d'un vitrail représentant Sainte Hélène de Constantinople, tenant une croix

Dans le précédent billet, je détaillais tout ce que je ne n’avais pas eu besoin d’inventer en écrivant Du sang sur les dunes, parce que la matière historique était déjà si riche. Mais parfois ce n’est pas si simple.

Avec Augusta Helena, par exemple, un roman qui se passe sous l’Empire romain à l’époque de Constantin, la distance temporelle qui nous en sépare est tellement énorme et les bouleversements historiques depuis tellement profonds que l’information disponible est bien souvent manquante.

Qu’on en juge : en m’embarquant dans ce roman, je ne connaissais ni le lieu de naissance de mon héroïne, ni son âge, ni où et comment elle est morte. J’avais quelques indications sur ses origines sociales, parce que c’est une chose qui avait défrayé la chronique à l’époque, mais je n’étais même pas sûre que son vrai nom était Hélène, et non un nom élégant pris pour s’élever dans le monde. Quant à la religion chrétienne, si importante dans sa vie et celle de son fils, les témoignages d’époque se contredisent sur l’époque et la manière de sa conversion.

Bref il a fallu inventer. Beaucoup inventer. Et pas que pour Hélène. Combien de personnages historiques bien attestés de ce temps ne nous sont connus que par une liste de faits et de dates secs, sans qu’on ait accès à leurs émotions, à leur vécu personnel ? Princes et princesses de la famille impériale, évêques, généraux, artistes, mystiques dont l’histoire a reconnu le nom : ils restent inaccessibles, simples silhouettes sur le mur de la caverne…

Par exemple, il y l’évêque de Rome, Sylvestre (celui qui sera immortalisé comme Saint-Sylvestre), qui a fait construire la toute première basilique sur le Vatican. On sait que c’était un homme de pouvoir, comme tous les dignitaires religieux de l’époque ou presque. Ses relations avec Constantin étaient-elles tendues ou cordiales, était-il manipulateur ou manipulé ? Et comment se passait la coexistence avec la majorité païenne de Rome ? Car si une partie de l’Empire avait déjà basculé du côté chrétien, surtout dans la partie grecque, Rome, l’ancienne ville latine, faisait de la résistance !

Il a fallu à chaque fois imaginer, mettre des couleurs et des émotions sur les énoncés laconiques de l’histoire. Qui était Hélène ? Pourquoi est-elle partie vers la Terre Sainte ? A-t-elle vraiment trouvé la Croix du Christ, comme une tradition postérieure l’affirme ? Et quel a pu être son rôle dans le drame qui avait secoué la famille impériale peu avant cela, la mort de l’épouse et du premier fils de Constantin ?

Une chose était sûre au départ, pour moi, du moins : impossible que cette mère dont Constantin était très proche, et à qui il faisait une entière confiance dans les domaines religieux et politiques (le fameux voyage en Orient était une tournée d’inspection pour le compte de l’Empereur), impossible qu’elle ait tout ignoré de l’affaire.

Restait à mettre de la chair sur ces os. Ce qui m’a obligée à faire des choix, que certains pourront trouver arbitraires. Mais j’ai fait attention à ne pas contredire ce que l’on savait de façon sûre. Par exemple, les recueils d’édits impériaux dictés par Constantin durant le voyage de Rome à Constantinople nous donne les dates auxquelles le cortège impérial s’est arrêté en route : à Milan, à Plaisance, en Illyrie, à Thessalonique… À partir de là, et des informations sur les lieux à l’époque concernée, on peut brosser un tableau où les personnages peuvent évoluer, de rencontrer, se quitter, se heurter… D’autres sources viennent rajouter des détails intéressants, comme l’archéologie, qui nous donne une idée de ce à quoi ressemblait la vie quotidienne sur une villa romaine, dans une ville de garnison, dans une ville grecque, syrienne, palestinienne…

Parfois, il faut essayer d’imaginer à quoi ressemblait un bâtiment disparu, non pas tel que sur un plan d’architecte, mais comme il se présentait aux passants dans la rue. Le palais du gouverneur de Césarée, nous dit-on, était couvert de marbre blanc. Il devait donc luire au clair de lune. Ce n’est pas une information que j’ai pu trouver dans les textes, mais j’en suis à peu près aussi sûre que si je l’avais observé.

Et j’ai imaginé Hélène. Non pas la personnalité historique, la sainte des églises catholique et orthodoxe, mais une Hélène, une femme complexe et pleine de contradictions, mais qui pourrait être chez elle dans la pourpre du palais impérial comme dans la poussière au pied du Saint Sépulcre.

Les empreintes ADN de la Peste Noire

C’est l’étalon-or des fléaux, la mère de toutes les pandémies, l’épisode qui a donné au mot « peste » toutes ses sinistres résonances… C’est la Peste Noire, celle qui ravagea successivement l’Asie et l’Europe au milieu du XIVe siècle, tuant chez nous entre 30% et 50% de la population.

Évaluations données à la louche, évidemment. Il y a beaucoup de choses que l’on discute encore à propos de cette pandémie, mais l’une d’elles vient cependant d’être élucidée, grâce aux travaux d’une équipe internationale et interdisciplinaire, mais essentiellement européenne (Cf. l’article signé par Stephanie Haensch et al. dans PLoS Pathogens, dont j’ai trouvé la référence grâce au blogue de Jerry Coyne): l’agent infectieux était bien le bacille Yersinia pestis, une charmante petite bactérie véhiculée par les puces des rongeurs, et susceptible, dans certaines conditions, d’infecter aussi l’être humain. (Tant pis pour notre ego, d’ailleurs: les rats sont bien les victimes préférées de ce germe pathogène, et nous autres figurons surtout comme « victimes collatérales »!)

On avait déjà isolé l’ADN de Y. pestis dans une fosse commune contenant les restes de victimes de la peste de Marseille des années 1720 (la dernière grande épidémie de peste à avoir frappé l’Europe). Avec un résultat similaire obtenu pour des charniers associés à la Peste Noire médiévale dans différentes parties d’Europe, voilà qui confirme le rôle éminent joué par cette bactérie dans l’histoire.

C’est déjà passionnant en soi. Mais j’avoue que cette histoire d’ADN microbien isolé dans des charniers médiévaux me titille le sens littéraire… C’est un peu le scénario utilisé par Connie Willis dans Le Grand Livre, au fond! Bon, d’accord, vous me direz que contrairement à certain épisode du roman, il a fallu pas mal de travail pour récupérer et amplifier les fragments d’ADN, justement… Ah, la différence entre science et fiction!