Archives de Tag: énigmes

Polar malgré soi ? Le cas Augusta Helena

Il s’est passé quelque chose de curieux pendant que j’écrivais Augusta Helena : je n’étais pas partie pour produire un roman policier, mais c’est pourtant ce qui s’est passé. Mon intention de départ était simplement de faire un roman d’aventures historiques dans une époque riche en contrastes et en personnages hauts en couleur, et puis au final, c’est autour d’une intrigue policière que tout s’est noué ! Plusieurs intrigues, même : meurtres, disparitions, espionnage, plus toute la gamme des crimes de pensée définis par les religions : hérésie, blasphème, et ainsi de suite.

Comment est-ce possible ? Ai-je vraiment écrit un polar sans m’en rendre compte, comme M. Jourdain faisait de la prose ?

Ce qui s’est passé, je pense, c’est que je suis une lectrice de romans policiers depuis longtemps, quasiment depuis que je lis toute seule si on compte les séries pour enfants (Club des Cinq et autres) et les bandes dessinées. Et beaucoup de romans policiers différents, depuis le cosy mystery jusqu’à l’ultra noir, en passant par les polars historiques ou ethnographiques de Van Gulik ou Arthur Upfield, et même le « polar à chats », de Lilian Jackson Braun à Sophie Chabanel.

Il n’est donc pas très étonnant que mon cerveau, au moment d’assembler les pièces d’un roman, se soit mis à reproduire des motifs de meurtres, de mystère, d’enquête, d’indices et de révélations en cascade. Qui a machiné la mort de Crispus et Fausta, le fils et l’épouse de Constantin ? Pourquoi la supérieure d’un monastère a-t-elle disparu après avoir lu certains livres sulfureux ? Bref, tout pour faire un bon polar. Le point de départ du roman lui-même, la découverte de la Vraie Croix, est déjà une énigme : selon les versions, c’est l’impératrice Hélène qui la met au jour, selon d’autres, c’est l’évêque de Jérusalem, lors des travaux d’une grande basilique ordonnés par l’empereur Constantin. Quelle est la bonne version ? Est-il possible de raconter cette histoire en prenant en compte tous les indices, en réconciliant la l’Histoire et la Légende Dorée ?

Au final, je me retrouve avec un roman noir historique, ce qui m’a mise sur le chemin des Éditions du 81, qui veulent cultiver ce genre particulier. Avec Du sang sur les dunes, et maintenant Augusta Helena, je leur ai fourni de la matière. De quoi faire un petit bout de chemin ensemble. Et non, ce n’est pas fini !

Le roman policier à travers le temps : (8) Série Noire pour Oedipe

Peinture symboliste : Œdipe (représenté tout petit) devant la sphinge, une femme à pattes de lion et ailes d'aigle, qui le surplombe depuis un rocher.
Œdipe devant la sphinge, illustration de Myths and Legends of all Nations, de Marshall Logan, 1914 (domaine public)

Ce sera sans doute le dernier billet de cette série consacrée aux précurseurs historiques de la littérature policière moderne. Outre la Bible, nous avons vu que des éléments des récits de détectives préexistaient dans les Mille et Une Nuits, dans le Talmud, dans la Chine des Ming, chez Jane Austen aussi bien que dans Shakespeare et l’Odyssée.

Avec la pièce Œdipe roi, de Sophocle (vers 425 avant notre ère), nous avons affaire à une intrigue policière quasiment aboutie, et ce n’est pas un hasard si Gallimard en a publié une adaptation dans la mythique collection « Série Noire ».

Tout commence par une catastrophe : la peste sévit à Thèbes, dont le roi est Œdipe, couronné vingt ans plus tôt pour avoir vaincu un autre fléau, la sphinx, ou sphinge. Un oracle révèle que le dieu Apollon est courroucé à cause du meurtre du précédent roi, Laïos. Qui donc l’a tué ? Œdipe décide de prendre les choses en main et d’enquêter sur cette affaire. Bien sûr, nous connaissons la suite : ses investigations le mènent vers son propre passé, quand il est arrivé à Thèbes. En chemin, il avait eu une altercation avec un vieil homme arrogant et l’avait tué. Hélas, il découvre que c’était le précédent roi, Laïos. Pire, que c’était son propre père ! Et logiquement, sa veuve la reine Jocaste, qu’Œdipe avait épousé, était aussi sa mère.

Comme dans une bonne Série Noire, le crime originel est finalement mis au jour : à la naissance d’Œdipe, le roi Laïos, effrayé par un oracle lui prédisant que son fils tuerait son père et épouserait sa mère, avait voulu tuer le nouveau-né en l’exposant aux bêtes sauvages. Mais il ne pouvait prévoir qu’un berger passerait par là, recueillerait l’enfant et que celui-ci serait ensuite adopté par Polybe, roi de Corinthe. Il était donc arrivé à Thèbes sans savoir ses origines.

L’engrenage est parfait, et le modèle pourrait être repris tel quel dans une série à suspense. Que dis-je : il est repris couramment dans bon nombre de récits policiers qui partent d’un crime atroce pour remonter dans le passé d’un personnage et y trouver un autre crime fondateur, dont il peut être l’auteur ou la victime, ou comme ici les deux. On n’a pas fini de méditer sur Œdipe.

Le roman policier à travers le temps : (6) Ulysse détective – Pénélope aussi

Où le héros donne de sa personne pour enquêter sur le chant des Sirènes (mosaïque du Ve siècle)

C’est peut-être la plus ancienne histoire de détective de la littérature mondiale. Avant les trois princes de Serendip, le vizir Djafar ou le prophète Daniel, un certain Ulysse, roi d’Ithaque et héros de la guerre de Troie, s’était fait connaître pour son habileté à percer les mystères et trouver des solutions ingénieuses même dans les situations les plus désespérées.

On connaît l’histoire du cheval de Troie et le long retour à Ithaque vers son foyer et son épouse Pénélope. Mais cela n’épuise pas le chapitre des aventures d’Ulysse, ou Odysseús, de son nom grec.

Avant même la guerre de Troie, dans une sorte de « préquelle » à l’Iliade rapportée entre autres par Apollodore au IIe siècle de notre ère, Ulysse a montré son ingéniosité en identifiant le jeune Achille, caché parmi les filles du roi Lycomède. Sa mère Thétis l’avait déguisé pour l’empêcher d’aller se battre. Or, fils d’une déesse, Achille promettait d’être un héros remarquable, et les Grecs qui piétinaient devant Troie avaient besoin de son aide. Ulysse alla donc à Skyros chez Lycomède et mit devant les jeunes filles une épée et un bouclier. Achille fut bien sûr le seul à s’y intéresser… et donc s’est démasqué.

Durant les tribulations racontées dans l’Odyssée, d’autres occasions seront offertes à Ulysse de faire usage de sa célèbre ruse, sa mètis, pour employer le terme grec. Comment échapper au cyclope Polyphème, aux sortilèges de Circé, aux monstres marins… Mais notre héros fait aussi preuve d’une insatiable curiosité. Apprenant qu’ils allaient devoir naviguer près des rochers où chantaient les Sirènes, les marins s’inquiètent : ces créatures au chant merveilleux risquent de les envoûter et de les faire se fracasser sur les récifs ! Ulysse a une solution toute simple : qu’ils se mettent des bouchons dans les oreilles tant qu’ils sont dans ces parages, et les Sirènes s’époumoneront en vain.

Mais il ne peut s’empêcher de désirer en savoir plus, faire lui-même l’expérience de ce chant… Est-il vraiment si beau, si chargé de magie qu’il fait oublier au marin sa sûreté et l’envoie se fracasser sur le rocher d’où la Sirène l’attire ? Ulysse décide de ne pas se boucher les oreilles. Mais pour parer à toute éventualité, il ordonne à ses hommes de l’attacher au mât du navire, pour qu’il ne puisse se jeter à l’eau pour rejoindre les Sirènes, au cas où.

Une précaution qui s’avéra bien nécessaire ! Ulysse ouït donc avec ravissement le chant des magiques tentatrices, mais aussi avec désespoir, puisqu’il ne put se détacher du mât.

Mais au moins, cela lui permit de revenir à Ithaque, où il trouva de nombreux prétendants qui espéraient mettre la main sur son royaume et épouser sa femme, la sage Pénélope. On sait que celle-ci avait réussi à leur donner le change pendant des années en défaisant la nuit la tapisserie qu’elle tissait le jour, promettant aux prétendants importuns qu’elle choisirait l’un d’eux dès qu’elle aurait fini son ouvrage.

Ulysse rentre, donc, et tue les prétendants, mais il est tellement changé, marqué par les ans et les aventures, que Pénélope ne le reconnait pas tout d’abord. Mais elle aussi avait reçu des dieux sa part de mètis, d’intelligence rusée, comme elle l’avait montré dans l’affaire de la tapisserie. Elle teste donc cet homme qui prétend être son époux en demandant qu’on change de place leur lit de noce. Et Ulysse, car c’est bien lui, de se récrier : impossible, ce lit a été sculpté dans la souche d’un vieil olivier ! Et Pénélope et lui peuvent désormais se retrouver l’un l’autre, après tant d’années.

Un très ancien détective, donc, mais aussi un très ancien couple uni par le même esprit d’ingéniosité, digne antécédent des séries basées sur des couples de détectives : on pense à Tommy et Tuppence d’Agatha Christie, aux couples d’Anne Perry (Thomas et Charlotte Pitt, William et Hester Monk), ou encore la charmante Georgie et son soupirant, Darcy O’Mara, dans les polars primesautiers de Rhys Bowen.

Rien de nouveau sous le soleil, donc ? Mais d’un autre côté, ça prouve qu’on ne change pas une formule qui marche.

Le roman policier à travers le temps : (5) Jeux d’énigmes avec Jane Austen

Emma observe, déduit et complote… (Illustration de C. E. Brock, 1909)

Après avoir remonté le temps et évoqué des histoires de détectives dans l’Antiquité biblique, au temps des Mille et Une Nuits, de Voltaire ou des Mandarins, on ne pourrait mieux terminer ce tour d’horizon qu’en se penchant sur ce qui est peut-être le premier roman à énigmes de la littérature occidentale moderne : Emma, de Jane Austen.

Comment ? Mais oui. Oubliez pour un moment les commentaires habituels sur l’œuvre d’Austen : technique littéraire, observations sociales, etc. C’est la structure du roman qui nous intéresse ici, le fait que le récit offre des questions et casse-têtes que les membres du public sont invités à résoudre en parallèle de l’héroïne, voire si possible avant elle. Or c’est bien la structure d’un roman policier classique, jusqu’à l’élément de jeu avec celui ou celle qui lit. Et ce n’est pas un hasard si le thème du jeu et des énigmes est mis en scène dans le texte, Emma et ses proches jouant aux charades, devinettes et autres jeux de société faisant appel à l’astuce et à l’observation.

Vous me direz qu’il n’y a pas de crime dans ce roman, pas même une lettre volée ? Non, ce qui occupe Emma, ce sont ces « petits mystères du quotidien » chers à Miss Marple : quel est l’admirateur qui a offert un piano à Miss Fairfax ? Et à qui cette jeune fille si discrète a pu engager son cœur ? Il y a aussi le mystérieux admirateur d’Harriet, et ceux d’Emma elle-même, qu’elle ne s’imagine pas avoir. Une lecture attentive du roman nous offre tous les indices pour découvrir nous-même la vérité.

Or, paru en 1815, Emma précède Double assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Allan Poe (1841) et même Mademoiselle de Scudéry d’E.T.A. Hoffmann (1819), roman court à intrigue policière, et a tout pour figurer le premier roman d’énigme moderne. Ce n’est pas un mince compliment.

P.S. On pourrait citer aussi Northanger Abbey, un roman dont l’héroïne pourrait être le prototype de ces détectives adolescents dont la littérature young adult est friande. Influencée par ses lectures, la jeune Catherine Morland tente de percer le mystère d’une vieille demeure, ancienne abbaye, qui ne peut (elle en est persuadée) qu’avoir été le lieu d’une tragédie, comme dans Les Mystères d’Udolphe et autres romans gothique. Elle cherche un tiroir secret dans un meuble, explore un couloir dérobé, etc.

Mort d’une Merveilleuse : en précommande à la Fnac et ailleurs. À vous de jouer !

Irène Delse, Mort d’une Merveilleuse, à paraître aux éditions du 81 le 02/12/2022

Allez, cette fois, on essaye pour de bon ! Mon roman Mort d’une Merveilleuse est bien affiché sur les sites de la Fnac, Decitre, Amazon, Cultura, Furet du Nord, Gibert, dans des libraires indépendantes comme Ici Grands Boulevards… Et chez LesLibraires.fr plus généralement.

Cela commence à prendre tournure. Date de parution, visuel de couverture, résumé de l’intrigue… Tout y est. Je croise les doigts.

De quoi s’agit-il ? Pour citer la 4e de couverture :

« À l’hiver 1797, alors que la paix a mis fin à l’aventure de la campagne d’Italie, le capitaine Antoine Dargent a l’intention de profiter d’un congé à Paris bien mérité, quand il trébuche littéralement sur le cadavre d’une mystérieuse jeune femme. Tâchant d’en savoir plus sur l’inconnue, il découvre peu à peu un nœud d’intrigues royalistes dont les racines plongent des années en arrière, pendant la captivité de la famille royale au Temple. Il révèle ainsi au grand jour un secret inavouable, capable d’éclabousser les autorités de la République aussi bien que le prétendant Louis XVIII dans son exil. Mais avant de faire éclater la vérité, Antoine devra d’abord réussir à rester en vie, car l’assassin au poignard rôde toujours, anonyme dans la foule élégante de la Capitale, et il n’hésitera pas. Après Du sang sur les dunes, le Capitaine Dargent continue de déceler les mystères militaires et politiques de son pays, en plein cœur de Paris. »

Un bon roman noir historique, en somme. Si vous voulez en savoir plus, vous savez ce qui vous reste à faire, lectrices, lecteurs… En sachant que les précommandes sont un moyen efficace de soutenir un petit éditeur comme celui-ci, et lui permettre de continuer à publier d’autres aventures d’Antoine Dargent et ses amis.

« Du sang sur les dunes », et 240 pages de vacances en plus

Du sang sur les dunes, polar historique signé Irène Delse, paru le 20 août 2021 aux éditions du 81 (ISBN 978-2-915-54373-5)

« À l’été 1805, le capitaine Antoine Dargent enquête sur la mort mystérieuse d’un ingénieur à Calais, en marge de l’immense armée réunie par Napoléon pour attaquer l’Angleterre. Quand il réalise que les plans de l’ingénieur concernaient un nouveau type d’arme capable de briser la supériorité maritime des Britanniques, il doit rapidement reconstituer les papiers manquants avant d’être lui-même victime d’agents anglais prêts à tout pour tuer dans l’œuf une telle invention… »

C’est la 4e de couverture de mon roman Du sang sur les dunes, un polar historique qui devrait faire rêver même des gens qui connaissent bien la période, car tous les éléments sont vrais… C’est juste leur rapprochement qui relève de la fiction. Je n’en dis pas plus, on verra que le sort de la France sous ce 1er Empire déjà mondialisé se décidait parfois très loin de nos côtes, et que la rivalité technologique n’était pas moins rude que celle sur les champs de bataille. On peut en sourire aujourd’hui, vu les liens d’amitié liés depuis avec les Britanniques (au Brexit près), mais en 1805, l’ennemi numéro un était toujours la « perfide Albion », et sa puissance fascinait autant qu’elle agaçait. Et l’Empire de Napoléon inquiétait lui aussi déjà pas mal de monde.

Un roman à dépayser, donc, que je m’étais bien amusée à écrire. Et si on y trouve des échos de problèmes actuels, ou plutôt éternels (préjugés racistes, confiance ou non dans la vaccination, lanceurs d’alerte qu’on n’écoute pas…), eh bien, ce n’est pas du tout involontaire.

Où le trouver ? Le livre est référencé par la base nationale des libraires, on devrait donc pouvoir le commander dans toutes les librairies ou grandes surfaces culturelles, mais j’ai pu voir qu’il est déjà en stock dans plusieurs Fnac et Cultura, et chez Gibert Joseph (celui de St-Michel et à Barbès)

P. S. Les librairies du groupe Furet du Nord aussi l’ont quasi toutes en rayon, c’est sympa. Et c’est logique.