Mes outils d’écriture (17) : Question de tempo

C’est toujours utile de lire des bouquins sur d’autres bouquins. Garanti.

Quels sont les deux conseils aux écrivains débutants sur lesquels tous les écrivains confirmés sont unanimes ? 1) Écrire, écrire, écrire. 2) Lire, lire, lire. Il est en particulier important de lire dans le ou les genres que vous pratiquez, ne serait-ce que pour éviter de réinventer la roue. Et puis il y a tous les manuels techniques, de la critique littéraire aux guides pour les professionnels de narration.

Certes, il faut avoir une vocation solide pour survivre à l’effet corrosif de certains ouvrages de critique. J’ai commis l’erreur de lire L’Ère du soupçon, de Nathalie Sarraute, alors que je débutais. Le gouffre entre les auteurs publiés et ma timide prose était déjà béant, mais là, pire encore, toutes les certitudes sur le roman, les personnages, le style, etc., volaient en éclat. Il m’a fallu du temps pour sortir de la paralysie du doute.

Les manuels d’écriture créative ont un intérêt divers. Certains, comme le On Writing de Stephen King, offrent à la fois une série de bons conseils et un exemple vécu de pratique d’écrivain, ce qui n’est pas inutile quand on est vraiment débutant et qu’on manque de repères.

Reste un autre type de manuel, destiné en général à un public de pros : scénaristes de télé et de cinéma, fournisseurs de contenu narratif pour des médias divers (jeux, BD, séries Web, etc.) et les quelques écrivains qui vivent de leur prose, ce qui veut dire le plus souvent des auteurs et auteures de genres, donc pas de « littérature blanche », mais policier, romance, érotisme… Là, les conseils techniques viennent en appui à l’imagination, pour aider à trouver de nouvelles variations sur des thèmes qui ont fait leurs preuves.

On a tous entendu parler, je pense, du Story, de Robert McKee (1997, et 2015 pour la traduction française), qui est rapidement devenu la bible des auteurs de scénario d’Hollywood, faisant de la structure en trois actes l’équivalent des tables de la loi. Un autre Américain, Blake Snyder, a réédité l’exploit avec un manuel encore plus tourné vers l’efficacité, Save The Cat! (2005), où il détaille plus précisément les éléments d’un bon scénario, avec des variantes selon les genres de récit. Il n’est pas difficile, là aussi, de percevoir l’influence de l’ouvrage au travers de la construction des films et séries télé de ces quinze dernières années…

Tout ceci ne concerne que la structure de l’histoire, la façon dont les briques sont ageancées, en somme. Mais la nature et la qualité des briques elles-mêmes peut être cruciale pour l’histoire. À quoi bon peaufiner chaque étape du voyage du héros si celui-ci n’a pas une personnalité cohérente ? C’est tout le récit qui risque de paraître incohérent aux lecteurs. Et à quoi bon multiplier les péripéties quand le rythme reste monotone, poussif ?

C’est là qu’entre en scène Robin D. Laws, écrivain et créateur de jeux de rôles canadien, avec Beating The Story (2018). Le titre fait référence au terme musical beat qui peut désigner le tempo ; ou, précédé d’un article indéfini, une mesure de temps. Ce livre a commencé comme une tentative de disséquer ce qui faisait marcher une scène dramatique dans Hamlet ou autre classique du répertoire, pour voir si on pouvait importer ce mécanisme dans l’un des jeux sur lequel l’auteur travaillait. Non seulement l’opération a réussi, mais Laws en a tiré des règles générales qui s’appliquent à tous les types de récit, sur tous types de médias, séries, films, théâtre, romans, nouvelles… Il suffit que ce soit une histoire, avec des personnages et des péripéties, ce qui couvre la quasi totalité de la production actuelle, à part quelques œuvres experimentales.

De quoi s’agit-il ? De la tonalité émotionnelle des épisodes du récit, ici appelés beats, les temps. C’est plus facile à distinguer au théâtre, où la plupart des scènes sont des interactions entre deux personnages ou plus : l’une demande quelque chose, l’autre accepte ou refuse, et on a ainsi des hauts et des bas émotionnels pour le protagoniste, celui dont on raconte l’histoire et auquel l’audience s’intéresse.

Transposé à la prose narrative, ces hauts et ces bas peuvent être là aussi des interactions entre personnages, ou bien des obstacles à franchir, des énigmes à résoudre, selon le genre : les romans policiers et thrillers auront évidemment plus de ce type de séquences, de beats, alors que les romans sentimentaux ou centrés sur les personnages d’une famille seront quasi uniquement du premier type. Tout l’art est de doser les temps forts à tonalité positive (espoir ou satisfaction pour le protagoniste) ou négative (peur ou échec). On peut analyser de cette façon les livres, films ou épisodes de séries à succès et constater qu’ils font alterner de façon rapide les notes positives et négatives, de façon à garder le public en haleine, lui faire vivre les émotions du héros ou de l’héroïne.

Ce sont des préoccupations commerciales, on me dira ? Oui, bien sûr. Si on veut trouver un public, ce sont des questions à considérer. Et rendre son livre addictif n’est pas la pire façon de procéder.

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