Faut-il avoir peur du vol d’idées littéraires ?

En général, non. Mais qui dit écriture dit chapardage, et le danger n’est pas forcément là où on le croit.

« Est-ce que je dois protéger mon manuscrit avant de l’envoyer à un éditeur ? Et si je m’auto-édite, est-ce que je risque quelque chose en donnant mon texte à un correcteur ou autre prestataire ? »

Ce sont des questions qui reviennent souvent chez les gens qui débutent dans l’écriture. Soyons clairs : si la crainte est humaine, le danger ici est minuscule.

Si une maison d’édition s’amusait à piquer un texte à un auteur inconnu pour le faire paraître sous le nom d’une célébrité, ils prendraient des risques énormes pour un bénéfice douteux. Procès, scandale, tout cela n’est pas bon pour le business. Et surtout, un texte isolé ne peut être qu’un succès temporaire, alors qu’un éditeur a besoin de publier régulièrement pour continuer à exister. Pour cela, il faut cultiver des auteurs capables de produire non pas un mais plusieurs textes, sur plusieurs années. Les grands succès de librairie sont souvent des séries : Harry Potter, Twilight, Le Trône de Fer… Si un éditeur considère qu’un livre a du potentiel, son intérêt est de s’attacher l’auteur pour continuer à le publier. Lancer une J. K. Rowling, un George R. R. Martin ou autre créateur fécond de cette pointure, c’est le rêve de tout éditeur commercial.

Pour les prestataires tels que correcteurs, documentalistes, traducteurs, graphistes, le risque de « vol » est encore plus minime. Pourquoi risquer d’aliéner des clients potentiels ? Un auteur auto-édité content, c’est un auteur qui revient et achète d’autres prestations, logiquement.

Et pourtant, la crainte persiste. Est-ce la conscience, par les auteurs, que leur activité repose au final sur la collecte et la réorganisation d’éléments pris un peu partout ? Selon les mots d’Alfred Bester : « Tout écrivain est un chapardeur, et un écrivain professionnel est un chapardeur professionnel. » Les idées viennent parfois en lisant un autre livre, en regardant un film, en écoutant un podcast, ou une conversation dans le bus, n’importe comment en fait.

Quel genre d’éléments ? Parfois l’idée de départ d’un roman (mais les idées seules ne peuvent être protégées, comme le dit joliment la loi sur la propriété intellectuelle : « Les idées sont de libre rencontre ») ; mais cela peut être un détail de l’intrigue, le nom d’un personnage, une tournure de phrase poétique…

C’est là que j’ai une petite confession à faire, sans prétendre à la contrition. Vers 1990, j’ai fait un stage chez un éditeur qui était alors encore assez petit (ils sont depuis devenus un des acteurs majeurs de l’édition littéraire en France, mais ce n’est pas de mon fait, on l’imagine) et où on m’a donné notamment la tâche de faire un premier tri des manuscrits arrivés par la Poste. J’en ai parlé plus tôt. Une chose que je n’ai jamais avouée cependant : il y a un manuscrit parmi d’autres qui m’a laissé une impression durable, même s’il n’a pas été jugé bon pour la publication. Comme roman, c’était certes un texte un peu bancal (pas vraiment d’intrigue, par exemple, mais une sorte de longue rumination du narrateur), mais l’écriture évocatrice, quasi lyrique, sortait du lot. Je ne sais pas pourquoi, il y a une phrase en particulier, avec une métaphore imagée, qui m’est restée… Et que j’ai réutilisé dix ans plus tard en écrivant L’Héritier du Tigre.

(Non, je préfère ne pas dire exactement quoi ni où. Mais le roman est encore aujourd’hui disponible sur la plateforme Doors/Vivlio, donc si la curiosité vous en dit…)

En fin de compte, ce n’est pas dans la maison d’édition ou chez les prestataires que le chapardage existe. Mais il arrive souvent qu’un écrivain ait un « second métier » (en fait son vrai gagne-pain, mais passons) dans l’industrie du livre. Et ce boulot alimentaire ne fera pas que garnir son portefeuille : il lui servira forcément de source d’inspiration. Et là, quelques emprunts ne sont pas impossibles. Mais très difficiles en fin de compte à attribuer.

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