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Les Roms, la gauche, l’Europe… et la culture

Mieux vaut tard que jamais, je repère ce billet de Politeeks sur la politique du gouvernement de gauche à l’égard des Roms. Qui peut mieux faire… (Pas que la droite ait de quoi fanfaronner, certes, après avoir fait pire que rien pendant des années !)

Au passage, quelques interrogations de fond. De société, comme on dit :

« Dans des nations où les populations autochtones se sont sédentarisées à la fin du 19e siècle, début du 20e (France, Italie par exemple)  la résurgence de populations “mobiles” Roms en voyage permanent avec conditions sanitaires odieuses ne projette-elle pas dans l’opinion un rappel de la misère du passé ou des arrières-arrières grands parents  qui chiaient au fond du jardin ? Et donc l’envie de leur dire : Installez vous quelque part et restez y, faites comme nous… Là c’est un vrai débat de société, n’oublions jamais que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Peux-t-on imposer à des gens un mode de vie, et donc d’être sédentaire ? »

En fait, pour mémoire, c’étaient même souvent nos parents qui n’avaient pas de sanitaires dans la maison, pas de tout-à-l’égout, voire pas d’eau courante. Dans la famille de ma mère, chez des paysans du Sud-Ouest, je me souviens d’avoir vu ça dans les années 70, les WC au fond du jardin. Et l’évier qui s’écoulait par un tuyau traversant le mur de la cuisine, dans une rigole qu’on enjambait pour aller au potager.

On pourrait aussi chipoter sur le fait que les populations autochtones ne se sont pas toutes sédentarisées. La plupart des gens du voyage sont de nationalité française, parfois depuis longtemps ; et en Europe centrale et de l’est, certains Roms et autres populations tziganes sont sédentaires, ou l’étaient récemment, jusqu’aux bouleversements politiques, économiques, sociaux qui ont suivi la chute du Mur de Berlin. Mais passons.

Il y a des problèmes culturels, aussi, nous dit-on, de part et d’autre. Faut-il évoquer les raisons de la défiance des nomades en Europe à l’égard de l’État, des institutions, des gouvernements ? Le 20e siècle a été celui de la sédentarisation forcée, des discriminations étatiques, des enfants enlevés à leurs parents pour les « rééduquer », celui de la stérilisation forcée de gens que l’on considérait comme « génétiquement criminels » (jusqu’en 1975, en Suède) ; ce fut celui, en France, de l’instauration du carnet de circulation (que le Conseil constitutionnel vient tout juste d’abroger) et, pendant les guerres, de l’internement dans des camps de nomades soupçonnés de n’être pas de « bons citoyens », puisqu’ils franchissent si aisément les frontières… Ne parlons même pas du génocide tzigane pendant la Seconde Guerre mondiale, parallèle à celui des juifs.

Aujourd’hui, en France, en 2012, on reparle des problèmes de cohabitation avec les nomades, on parle de conditions sanitaires d’hébergement déplorables, et d’enfants qui subissent cette existence marginale. Jusque, trop souvent, à être victime de violences policières. Et après dix ans de droite au pouvoir, la protection judiciaire de la jeunesse manque de personnel…

On parle aussi, en vrac, de trains et autres systèmes électriques qui ne fonctionnent plus à cause des câbles volés pour revendre le cuivre. (Pas que le fait de Roms venus de Roumanie, loin de là…) On parle des 1 million de personnes sans abri ou mal logées en France – nomades forcés, parfois, travailleurs pauvres vivant dans leur voiture ou dans des squats. On parle de campements illégaux et de municipalités enfreignant la loi du 5 juillet 2000 en ne prévoyant pas de terrain pour l’accueil des gens du voyage. Et qui sont rarement sanctionnées.

Il y a en même temps beaucoup de pauvreté en général, et des besoins spécifiques aux nomades. Il y a les conséquences logiques de la misère et de l’économie parallèle qui s’y développe… Il y a des pays européens qui se renvoient la balle « Roms », voire détournent les aides censées aider à leur insertion.

Et il y a des gens qui se méfient a priori des Roms (ou des nomades ? ou des pauvres ? pas clair dans ce billet) pour des raisons culturelles, sur l’air du : « Même si on leur donnait à tous de quoi vivre dignement, ils ne le feraient pas », etc.

Ah ouiche. Où ai-je entendu ça, déjà ? Hmm.

Mais ne soyons pas trop durs. Ce genre de discours n’éclot pas que sous la plume de blogueurs et blogueuses à la pensée plus légère que la plume. Quand l’historien Emmanuel Todd répond aux questions de Marianne, à propos de Hollande et l’Europe, et que toute ma blogo-twittosphère répercute quelques phrases chocs, je m’étonne que personne, dans le tas, n’ait tiqué sur ce passage :

« Que pensez-vous du fait que rien n’a semblé plus urgent l’été dernier au gouvernement socialiste fraîchement en place que de démanteler les camps de Roms ?

E.T. : Je ne suis pas choqué. A l’époque Sarkozy, j’avais dit que je connaissais la culture rom en tant qu’anthropologue et que les gens seraient surpris de ce que j’en pensais. Dans Le Destin des immigrés, qui date de 1994, je pose les cultures juive et rom comme antinomiques sur certains axes. Ce qui était inadmissible dans l’attitude de Sarkozy, c’était que le président de la République française fasse des Roms une question politique centrale. Mais la culture rom pose des problèmes renouvelés dans notre monde atomisé par la globalisation. Il faut donc traiter ce problème, et c’est bien qu’il soit désormais pris en charge par le ministère de l’Intérieur sans être instrumentalisé par l’Élysée. »

Il est vrai que dans le suivant, il ajoutait : « La gauche ne doit jamais oublier que le véritable ennemi, c’est les riches. »

L’honneur est donc sauf, et on ne lui demandera pas ce que par là il voulait dire.