À quoi sert l’austérité économique: Paul Krugman rappelle quelques vérités

Paul Krugman, le prix Nobel d’économie pas comme les autres, a encore frappé: avec la clarté et la lucidité qui caractérisent ses chroniques dans le New York Times, il passe au crible de la froide réalité les motivations affichées des gouvernements européens pour réduire leurs budgets… et leurs raisons moins électoralement avouables.

Photo : Paul Krugman

D’abord, un petit rappel de première année d’éco: la situation d’un pays endetté n’est pas strictement comparable à celle d’une famille endettée. Une famille (ou une entreprise, d’ailleurs) qui contracte une dette doit rembourser une entité extérieure (généralement une banque). Mais les dettes d’un pays sont partagées entre les différents acteurs économique du pays: particuliers, entreprises, établissements publics, État…

Si on les force tous à se serrer la ceinture en même temps, cela réduit leurs revenus à tous. Et l’on aboutit à ce qu’un grand économiste américain, Irving Fischer, appelait dès 1933 la « déflation par la dette »: « plus les débiteurs payent, plus ils doivent ». Car dans le secteur privé, de moins en moins de gens sont solvables. C’est le genre de situation qui avait conduit un autre fameux économiste, John Maynard Keynes, à préconiser de sortir de cette spirale déflationniste en injectant de l’argent dans l’économie grâce aux investissements publics, quitte à passer un tour de vis d’austérité pour rééquilibrer le budget après le retour à la croissance économique.

À quoi sert donc la « spirale fatale de l’austérité » (l’expression est de Krugman) que tant de gouvernements, Royaume-Uni et Allemagne en tête, sont en train d’imposer à l’Europe? À quoi servent les politiques similaires aux États-Uni et au Canada?

Dès qu’on gratte un peu, évidemment, les masques tombent. Et c’est là qu’il est utile d’être Prix Nobel (ou plus exactement Prix de la Banque de Suède, mais passons) d’Économie: cela ouvre la porte à des invitations dans des débats et conférences où l’on peut poser franchement des questions aux décideurs et décideuses de la planète, devant les caméras ou en privé. C’est ce qu’a fait Krugman avec les dirigeants Tories anglais et leurs sympathisants.

Et que répondent les amis de David Cameron, premier ministre anglais conservateur et partisan du néo-libéralisme économique? Que cette crise est l’occasion où jamais de rétrécir le périmètre de l’État.

Mieux: on peut comparer cette attitude avec ce que les même néo-libéraux disaient avant la crise, et quels pays et politiques économiques ils érigeaient en modèle. L’Irlande? Pour George Osborne, actuel artisan de la politique économique britannique, « un exemple resplendissant ». (Avant qu’elle ne vienne faire partie des PIIGS…) L’Islande? Pour le très libéral Cato Institute, admiratif devant son bas taux d’imposition, « tous les pays industriels apprendront d’elle ». (Mais pas du fait qu’elle a été le pays européen le plus touché par la crise financière, et n’a commencé à en sortir qu’en nationalisant des banques et en refusant de faire payer leurs dettes par les contribuables…)

Profiter d’une crise financière et de la déroute économique qu’elle provoque pour imposer une politique de dépeçage des services publics: où l’on rejoint Naomi klein et sa Stratégie du Choc.

Bref, comme dirait l’humoriste Stephen Colbert:

« La réalité a des préjugés de gauche, c’est bien connu! »

3 réponses à “À quoi sert l’austérité économique: Paul Krugman rappelle quelques vérités

  1. « Et c’est là qu’il est utile d’être Prix Nobel […] d’Économie: cela ouvre la porte à des invitations dans des débats et conférences où l’on peut poser franchement des questions aux décideurs et décideuses de la planète, devant les caméras ou en privé. C’est ce qu’a fait Krugman avec les dirigeants Tories anglais et leurs sympathisants. »
    C’était lors de l’excellente émission de la BBC « Newsnight » du 30 mai sur la crise de l’Euro:

  2. Oups.. il y a une erreur avec l’insertion: le passage intéressant est à la 31e minute.

  3. @ G_Remy: Merci pour le lien et la précision. (J’ai modifié le premier message parce que le lien inséré était posté en double et que ça alourdit la page.)

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