Alexandre Dumas, les Noirs et le star-system

Racisme ? Communautarisme ? Pour comprendre la polémique sur L’Autre Dumas, film à grand spectacle et (probablement, hélas) occasion manquée, il est bon de lire cet article de Claude Ribbe, dans Jeune Afrique.

Écrivain et historien, Ribbe se définit comme originaire de Guadeloupe et de la Creuse. Et il a consacré à Alexandre Dumas une biographie, Le Diable noir. Car l’auteur des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo, cet écrivain français métis dont le père était né esclave à Haïti, se définissait lui-même comme un « nègre aux cheveux crépus ». Et son teint de peau tirait plus sur le café au lait que sur les pétales de roses !

On le sait, vous me direz… Mais depuis combien de temps ? Dumas, férocement raillé et caricaturé de son vivant sur cette négritude, qu’il assumait d’ailleurs crânement, a longtemps été perçu comme un grand-écrivain-français, point, c’est tout. Et ce qui est français est universel, et ne devrait donc pas afficher de particularités raciales… Sauf blanches, mais on ne le dit pas. Bref, la mémoire d’Alexandre Dumas a été pieusement blanchie par omission.

Et encore aujourd’hui, quand des producteurs français, avec le soutien d’une chaîne de service public, financent un film sur Alexandre Dumas, non seulement le terme de « nègre » n’y est employé que pour désigner son collaborateur discret, Auguste Maquet, mais on embauche pour cela un acteur bien blanc, Gérard Depardieu.

Il faut croire que dans leur logique, seul le nom d’une méga-star dans le rôle titre pouvait permettre le succès du film, qu’ils auront sans doute à vendre à l’étranger. Et s’il n’y a pas d’acteur métis de cette envergure dans le monde du cinéma français, tant pis pour l’exactitude !

Dommage, car il aurait sans doute aussi bien été possible de trouver un acteur un peu moins connu, mais de faire le film pour moins cher. Et de rentrer quand même dans ses frais, tout en donnant à un acteur originaire des « minorités visibles », comme on dit, l’occasion de briller. Chacun ses priorités…

Mais non, Dumas sera incarné par un blond portant une perruque. Et le film, bâti sur une rivalité Dumas-Maquet montée en épingle, manquera l’occasion d’explorer les péripéties traversées par l’écrivain en raison de ses origines et de son faciès. Au lieu d’un film qui familiarise, voire réconcilie, les Français avec cette part de négritude dans leur héritage, on a un film qui fait seulement de Dumas – ô ironie ! – un « négrier » littéraire. Et en réhabilitant le collaborateur invisible du grand écrivain, on contribue à garder dans l’ombre les artistes français noirs ou métis.

Chose ironique, le réalisateur choisi pour le film, le Bayonnais Safy Nebbou, est lui-même de père algérien. Son nom et son visage ne laissent aucune illusion sur ses origines peu gauloises… Mais on dirait qu’il est plus facile pour le cinéma français – et son public – d’accepter un « sang-mêlé » derrière la caméra que devant ! Histoire de mieux s’identifier aux personnages du film, direz-vous ?

Aïe. Et voilà que ressurgit cette satanée « identité » française…

Il paraît que Gérard Depardieu « se fout d’être français ». Certains le blâmeront pour cette franchise, sans doute. Mais j’avoue, parfois, que je le comprends.

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« Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, monsieur : ma famille commence où la vôtre finit. » – Alexandre Dumas père, à un fâcheux qui lui demandait s’il s’y connaissait en « nègreries ».

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