L’homosexualité, un thème « très actuel » ? Très ancien aussi, mais sous des points de vue bien différents

Dans mon entretien avec le podcast Timeline, il y a un moment où l’hôte, Richard Fremder, fait à peu près cette remarque :

« Question amour, dans le roman Augusta Helena, le personnage principal, Lucius, passe son temps avec des hommes. C’est très actuel, je crois… »

J’ai répondu qu’en fait, j’avais surtout cherché à faire très ancien, adapté à l’époque où se passe le roman. Certes, il s’agit de choses dont on parle beaucoup aujourd’hui : sexualité, orientation sexuelle, etc. Mais si le discours a changé, le phénomène de base d’attraction entre personnes de même sexe n’est pas une nouveauté, au contraire. C’est même probablement un comportement plus ancien que l’espèce humaine, puisqu’on le rencontre chez d’autres espèces animales, et notamment chez nos proches cousins les bonobos.

Ceci dit non comme argument d’antiquité ou d’appel à la nature, pour citer quelques sophismes, mais parce que c’est vrai, tout simplement.

Mais en même temps, le regard que portent des époques et/ou civilisations différentes sur cette attraction de même sexe varie énormément. Certaines trouvent ça parfaitement normal, même l’encouragent, d’autres essaient de prohiber ces comportements… L’Antiquité gréco-romaine, rien qu’à elle, a connu des situations contrastées. Et j’ai justement voulu dans mon roman plonger dans cette complexité.

Tout d’abord, l’époque et le lieu : premier tiers du IVe siècle après Jésus-Christ, sous la domination romaine mais dans une culture largement hellénistique, et avec une influence chrétienne de plus en plus importante.

Influence grecque, d’abord : on sait que la Grèce classique non seulement acceptait l’homosexualité masculine, mais la considérait dans certains cas comme supérieure moralement à l’attraction entre homme et femme. Cet « amour grec », bien attesté par les sources, est longtemps resté un embarras pour les érudits chrétiens, et les textes et images explicites se sont retrouvés confinés aux « Enfers » des bibliothèques monastiques et universitaires… Mais certains circulaient sous le manteau à titre de pornographie.

Attention, qui dit plus d’acceptation de l’homosexualité ne veut pas dire que c’était forcément mieux sur le plan humain ou éthique ! La conception athénienne de l’amour, par exemple, était qu’un homme adulte s’éprenne d’un adolescent de son milieu social, lui fasse la cour avec des cadeaux, sérénades, etc. Le garçon était censé apprendre auprès de son amant à devenir un homme accompli, sur le plan physique, moral et civique. Mais quand il devenait adulte lui-même, la relation cessait, même s’ils restaient bons amis ensuite. La conception commune était que seul un individu jeune, à peine pubère, bref dont l’apparence physique est proche de celle d’une femme, pouvait être désirable.

Soyons clairs : nous dirions que c’était une forme codifiée et socialement acceptée de pédophilie, pas une sexualité où tous les partenaires sont également respectés.

Les Romains, qui avaient pourtant largement adopté la culture grecque, n’étaient pas à l’aise non plus avec cet « amour grec », mais pour une autre raison : il était inconcevable pour eux qu’un fils de citoyen, futur citoyen lui-même, soit pris comme objet de désir par un autre homme. L’auteur comique Plaute le dit de façon explicite : tu ne désireras « ni une vierge, ni une matrone, ni un garçon libre« , ce qui laisse disponibles les esclaves des deux sexes, évidemment.

Tout se passe comme si eux non plus ne pouvaient concevoir l’amour entre deux êtres libres et égaux : il faut qu’il y en ait un qui prenne l’initiative, qui poursuit son objet et le domine, et l’autre qui est désiré, poursuivi, dominé. Et un homme adulte né libre, un citoyen, ne peut être que l’acteur de la poursuite, pas son objet. En fait, il était commun pour les hommes politiques romains d’être accusés d’avoir couché pour réussir, de s’être soumis au désir d’un puissant en échange d’avantages pour leur carrière. (Les rumeurs de promotion-canapé sont aujourd’hui un poison récurrent pour les femmes politiques.)

D’où les difficultés de mon protagoniste, Lucius, qui n’a pas honte de son désir pour un autre homme, mais redoute ce genre d’accusations.

On est là bien loin des conceptions modernes. Mais c’est une plongée dans un univers mental aussi dépaysant que bien des mondes imaginaires de science-fiction.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s