
Carbon Fiber Stone®. Esthétiques, solides, durables, ces briques sont aussi des pièges à CO2. Intéressés ?
L’équation est simple. Il y a plus de gaz carbonique dans l’atmosphère aujourd’hui qu’avant la Révolution industrielle, et chaque jour qui passe augmente cette proportion. Ce dioxide de carbone absorbe les rayons infrarouges, ce qui contribue à retenir dans l’atmosphère terrestre une partie de la chaleur du soleil qui sinon aurait été réexpédiée dans l’espace. Ce qu’on appelle, métaphoriquement, l’effet de serre. Résultat : la planète se réchauffe. Pas de façon uniforme, on l’a bien vu durant les récentes vagues de froid, mais en moyenne, le résultat est net.
Ça chauffe.
C’est déjà un souci en soi : avec des températures moyennes plus élevées, certaines régions du globe risquent de ne plus être habitables en été, tout simplement. Ou alors il faudra y bâtir des installations similaires à celles de l’Antarctique et vivre dans une bulle. Mais ce n’est pas tout : l’atmosphère, les sols et les océans sont une grande machine ou chaque élément est dépendant des autres. La hausse des températures a déjà commencé à faire diminuer les glaces polaires, et celle-ci, à son tour, fait monter le niveau des océans. Plusieurs régions parmi les plus peuplées de la planète sont en danger de submersion : de la Louisiane au Bangladesh et aux îles Vanuatu, en passant par Venise ou la Camargue près de chez nous.
Et attendez, ce n’est pas tout ! Cette énergie thermique piégée dans l’atmosphère provoque des effets en cascade dans des endroits parfois inattendus. Les océans ne font pas que se réchauffer, par exemple, ils deviennent plus acides, ce qui a des effets sur l’écosystème tout entier. La fonte des glaces polaires injecte à son tour de l’eau relativement froide dans le système, ce qui modifie le régime des courants marins et des vents. Les phénomènes de « Moscou-Paris » n’y sont pas étrangers. Au niveau des sols, également, le réchauffement du permafrost dans les régions arctiques risque de conduire à un dégagement massif de clathrate de méthane, qui est aussi un gaz à effet de serre. C’est un cercle vicieux, une boucle de rétroaction positive qui risque de changer la planète de façon à proprement parler catastrophique.
À quel point on est mal ?
Très mal, pour le moment. La trajectoire actuelle nous mène vers +3°C à l’horizon 2050, alors que tous les modèles montrent qu’il faudrait limiter la hausse de température à +2 grand maximum, et de préférence à +1,5. C’était l’engagement de l’Accord de Paris.
Avec la trajectoire actuelle, on tombe dans des scénarios très inquiétants, où le climat de modifie de façon exponentielle, et où la planète devient très, très différente de celle que nous connaissons et sur laquelle est bâtie notre actuelle civilisation.
Alors, comment échapper à ce scénario d’inflation climatique ? Les mesures actuelles en faveur de l’efficacité énergétique et de la « neutralité carbone » (de l’anglais « carbon neutrality », le gaz carbonique se disant carbon dioxide) ne suffiront pas : il y a déjà trop de CO2 dans l’atmosphère, et si on veut être à +1°C en 2050, il faudra passer à la carbon negativity, à une économie non pas neutre mais négative en CO2.
C’est là qu’entre en scène l’Atelier One Planet.
Ils sont trois mousquetaires, Kolja Kuse, l’Allemand, Stephan Savarese, le Français (et résident du 18e), ainsi que Michael Green, l’Américain. Et ils ont une idée.
Comment retirer le gaz carbonique de l’atmosphère ? Il y a un système éprouvé : la photosynthèse. Avec leur chlorophylle, les plantes fixent le CO2 de l’atmosphère et fabriquent avec du tissu végétal. Si on couvrait de forêts toutes les surfaces qui sont actuellement utilisées par l’agriculture, l’industrie ou les villes, on pourrait fixer 50% du CO2 qu’il fait retirer. Vous voyez tout de suite où ça coince.
Et si on fixait ce CO2 à la place dans des matériaux de construction ?
La PME TechnoCarbon (franco-allemande) possède les brevets pour la fabrication d’un matériau innovant, baptisé Carbon Fiber Stone®, obtenu en combinant de la pierre avec des fibres de carbone et une petite quantité de résine époxy. Le résultat est étonnant : légèreté et plasticité de l’aluminium, mais grande résistance à la pression, aux vibrations et à la chaleur. Et, la cerise sur le gâteau, aspect esthétique !
Un haut-parleur en marbre noir ? Non, c’est du Carbon Fiber Stone®
Pour l’instant, Techno-Carbon fabrique ce matériau en petites séries, pour des applications qui tiennent plutôt de la vitrine technologique que de l’application industrielle. Des haut-parleurs, par exemple, des skis ou des caisses de guitare témoignent de la plasticité du CFS® et de son bon comportement en présence de vibrations. Un fabricant italien de tôles métalliques a aussi commandé des gabarits pour vérifier la taille des plaques de métal tout juste sorties du laminoir : la résistance à la chaleur du CFS© en fait une solution idéale. Enfin, il y a des poutrelles, des tuyaux et des briques pouvant servir dans divers projets de construction. La SNCF et la Deutsche Bahn sont déjà intéressées par des traverses de chemin de fer et des dalles soutenant les rails de tramway. Et le groupe de BTP NGE aussi.
Brique tricolore : les fibres de carbone sont combinées à trois types de pierre différentes
La brique tricolore ci-dessus n’est pas un gadget. Outre qu’elle peut d’ores et déjà servir de serre-livres ou presse-papiers aux couleurs nationales (valable aussi, naturellement, aux Pays-Bas, Royaume-Uni, etc.), elle fait la démonstration qu’un sandwich de CFS® utilisant plusieurs pierres différentes garde les mêmes propriétés vis à vis de la chaleur, de l’humidité, etc. C’est un problème dans la construction : on ne peut associer deux matériaux ayant des propriétés différentes. Le CFS® résout le problème.
Tout cela, c’est bien beau, mais le bilan carbone ? D’où viennent ces fibres et comment sont-elles fabriquées ? Et combien ça coûte ?
C’est là que cela devient vraiment intéressant.
D’abord, il y a l’intérêt de remplacer le béton classique, dont la fabrication est une source très importante de rejets de CO2 aujourd’hui, par un matériau qui, grâce aux fibres de carbone incorporées, fixe ce même CO2 pour longtemps.
Et ce n’est pas tout. On fabrique actuellement ces fibres de carbone à partir d’hydrocarbures, issus de l’extraction (mais évidemment, ce n’est pas le but) ou, mieux, de recyclage : au lieu d’être brûlés comme déchets, des huiles de friture de la restauration sont ainsi transformées en CFS®. On remplace ainsi une émission de CO2 (combustion) par la fixation dans un matériau durable. C’est déjà bien, mais il y a mieux.
Car il existe une filière qui maîtrise la culture d’algues pour produire des hydrocarbures : le bio-kérosène. Hé oui, il y a dans quelques endroits du globe, en Australie, notamment, de grands systèmes de bassins où on cultive des algues microscopiques pour les transformer en carburant pour l’aviation. On recycle ainsi une partie du CO2 émis par le transport aérien.
Or l’un des sous-produits de ce procédé est de la glycérine, qui peut servir à fabriquer les fibres de carbone du CFS® ! On parvient ainsi à retirer de l’atmosphère le CO2 et à la fixer durablement. Si, en plus, on utilise non plus l’électricité comme source d’énergie pour la fabrication de ces fibres, mais directement la chaleur solaire concentrée, le prix de revient des fibres de carbone est divisé par deux. La technologie pour ces fours solaires existe déjà.
Seule contrainte : pour pouvoir produire des algues de façon assez efficace, il faut aller en dessous du 42e parallèle. Idem pour l’utilisation de l’énergie solaire pour leur transformation en fibre de carbone. Mais cela permet de s’associer avec un fabricant de bio-kérosène, qui peut aussi être intéressé par l’utilisation de fours solaires comme source d’énergie propre et à prix compétitif.
Des plans qui mènent loin… Mais où en est-on ?
Aujourd’hui, les produits de TechnoCarbon sont fabriqués dans trois usines différentes, une en Allemagne, une au Canada et une autre aux USA. Leur plan cependant est de regrouper la production sur une usine pilote, si possible dans le nord de Paris (sur le site de l’ancienne usine de Pont-Marcadet) ou à Saint-Denis, pour joindre le social à l’environnemental. Les partenaires et bailleurs de fonds sont pour l’instant l’Union Européenne ainsi que les pays concernés, France et Allemagne, plus des universités (Munich, Aix-la-Chapelle) et des fonds d’investissement. Ainsi que quelques entreprises déjà citées : NGE, Deutsche Bahn…
D’autre part, il faut lancer à grande échelle la production d’algues dans un endroit ensoleillé, où il y a de l’espace et près d’une source d’eau salée. Là, le partenaire tout trouvé est le Fonds vert pour le développement, qui déplore de n’avoir pas assez de projets à ce jour. Le Sénégal aussi est très intéressé : non seulement cela créerait des emplois et valoriserait les ressources naturelles, mais l’eau salée utilisée pour la culture d’algues peut aussi être traitée, toujours grâce à l’énergie solaire, et une fois dessalée servir pour l’irrigation.
D’autres sites peuvent évidemment être concernés : Tunisie, sud de l’Italie ou de l’Espagne, Guyane, pourquoi pas. Mais l’Atelier One Planet cherche là aussi à joindre le développement humain au souci d’efficacité économique et environnemental.
Un jour, j’espère, nous pourrons regarder derrière nous et dire : « Oui, 2018 était le début de la solution – et on y était ! »