Pour démêler l’affaire Freud-Onfray-Roudinesco

Très bonne initiative de Jean-Michel Abrassart, du blogue & balado Scepticisme scientifique: héberger sur son site le long article consacré par Jacques Van Rillaer, psychologue clinicien et critique de Freud, à une analyse au bistouri de l’argumentaire anti-Onfray développé par la psychanalyste freudienne Élisabeth Roudinesco.

Point par point, citant à chaque fois les textes des uns et des autres, Van Rillaer démonte les affirmations et déformations sans vergogne de Roudinesco; mais ce faisant, il laisse voir aussi combien le portrait au vitriol dressé par Onfray du fondateur de la psychanalyse était déjà souvent entaché de déformations, simplifications et jugements à l’emporte-pièces…

Je citerai en exemple le traitement donné à l’une des plus étonnantes affirmations que la célèbre psychanalyste met dans la bouche du non moins célèbre philosophe:

2.4 . La psychanalyse est fondée sur l’équivalence du bourreau et de sa victime

a) Freud a répété à de nombreuses reprises que «la psychanalyse a démontré qu’il n’existe pas de différence fondamentale, mais une simple différence de degré, entre la vie mentale des gens normaux, celle des névrosés et celle des psychotiques».

b) Roudinesco, freudienne orthodoxe, elle-même écrit:

«Selon Freud, la sexualité perverse polymorphe est potentiellement au cœur de chacun d’entre nous. Il n’y a pas d’un côté des pervers dégénérés et de l’autre des individus normaux. Il y a des degrés de norme et de pathologie. L’être humain, dans ce qu’il a de plus monstrueux, fait partie de l’humanité.» (p. 42)

c) Onfray écrit:

«Freud n’aura cessé de le dire dans son œuvre complète: le normal et le pathologique ne constituent pas deux modalités hétérogènes de l’être au monde, mais des degrés différents d’une même façon d’être au monde. Autrement dit, rien ne distingue fondamentalement le psychanalyste dans son fauteuil et le névrosé allongé sur le divan, rien ne sépare radicalement le bourreau sadique et sa victime innocente […] Une seule et même chose d’un point de vue du psychisme.» (p. 564).

d) Travestissement roudinescien d’Onfray:

«Onfray fait de la psychanalyse une science fondée sur l’équivalence du bourreau et de la victime.» (p. 12)

L’examen sur pièces, la méthode critique et une bonne dose de lucidité: voilà d’excellents antidotes aux vociférations médiatiques des uns et des autres.

Bonne lecture!

P.S. Au §22, p.30 de ce PDF, Van Rillaer mentionne brièvement que l’auteur de l’un des textes réunis dans la compilation anti-Onfray de Roudinesco est l’historien Guillaume Mazeau, dont le sujet n’est nullement la psychanalyse, mais la Révolution française, et qui s’insurge contre les erreurs tendancieuses d’un autre livre de Michel Onfray, sur Charlotte Corday, celui-là. Van Rillaer l’écarte comme hors-sujet. Certes. Mais si l’on s’intéresse plus largement à la façon dont les intellectuels médiatiques français maltraitent la réalité historique et scientifique pour vendre leurs idées, on peut avec profit lire sur Médiapart un billet sur l’affaire. Sous cet angle, Onfray n’apparaît hélas pas sous un meilleur jour que ses détracteurs freudiens.

6 réponses à “Pour démêler l’affaire Freud-Onfray-Roudinesco

  1. J’ai toujours été admiratif face aux gens qui sont capables d’analyser méthodiquement des théories qu’ils pensent fausses. Pour ma part j’ai peu lu Freud, je décroche à chaque mot : tel processus est exagérément complexifié, tel autre est schématiquement simplifié et calqué sur une symbolique difficile à admettre…
    Du coup je ne m’intéresse qu’aux faits, à savoir ce qui en résulte : la théorie psychanalytique est elle incompatible avec la science (qui, idéalement, cherche avant de trouver) ? Apparemment oui. Existe-t-il des praticiens utiles aux malades ? Apparemment c’est possible. Freud a-t-il inventé le lapsus, l’inquiétante étrangeté et l’inconscient ? Du tout, non. Existe-t-il un tabou, une omerta, autour de Freud et de la psychanalyse ? Heureusement de moins en moins, mais quand le maire de Caen, l’éditeur d’Onfray ou la maison de la Radio reçoivent des lettres les enjoignant à faire taire Michel Onfray, on peut constater que les thuriféraires du freudisme ont parfois de la méchanceté à revendre et refusent le débat.

    • C’est en effet une façon très saine de voir les choses: en revenant à ce qui est vérifiable. Hélas, quand on a deux monstres sacrés qui s’affrontent, tous deux avec leur clan universitaire, leur poids dans l’édition (l’une au Seuil, l’autre chez Grasset) et leurs entrées privilégiées dans les médias, les simples faits sont vite mis à mal.

      Si on s’intéresse précisément aux insuffisances et aux travestissements de la psychanalyse, je recommande la lecture d’un autre article de Jacques Van Rillaer, également hébergé sur le blogue Scepticisme scientifique:
      http://scepticismescientifique.blogspot.com/2010/05/les-vingt-nouvelles-legendes.html

  2. Salut,

    Juste pour dire merci d’avoir relayé l’information. 🙂

    Sceptiquement vôtre,

  3. Charlotte Corday vue par Onfray c’est un roman (une fiction destinée au théâtre) donc sans soucis historiques ….

    • Heu, non. Libre à lui de prendre un personnage historique comme point de départ d’une fiction, mais si vous récusez d’avance toute critique sur la représentation de l’histoire dans cette fiction, cela ne rend service ni à l’auteur, ni au public.

  4. Pour une analyse détaillée et soigneuse de l’ouvrage de Mme Roudinesco sur FREUD :
    http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2368#par12
    On y trouve les nombreuses erreurs d’information, mais surtout des faits essentiels passés sous silence pour comprendre Freud, notamment : ses mensonges sur ses thérapies et ses désillusions croissantes sur l’efficacité de sa méthode.

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